B. POURSUIVRE LES TRAVAUX SUR LA FERMETURE DU CYCLE DU COMBUSTIBLE USÉ

Les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de poursuivre les travaux sur la fermeture du cycle du combustible usé , pour accompagner la relance de l'énergie nucléaire.

Ils font ainsi leurs les observations de l'ASN, qui estime que « pour rendre crédible et donner confiance dans une politique énergétique reposant sur une composante nucléaire de long terme, cette perspective devrait être accompagnée d'une politique exemplaire en matière de gestion des matières et des déchets radioactifs ».

Tout d'abord, il est impératif que l'État soutienne le groupe Orano dans la résolution des enjeux liés au cycle , l'ASN ayant évoqué la saturation de la piscine de La Hague à l'horizon 2030, et les difficultés de fonctionnement de l'usine de La Hague et de l'usine Melox.

Plus encore, la question du devenir des usines de traitement-recyclage se pose . En effet, les usines de La Hague et Melox datant des années 1990, elles atteindront leur cinquantième année de fonctionnement au cours de la décennie 2040. Or, le Gouvernement n'a pas proposé de solution après cette décennie, la PPE précisant simplement que « cette stratégie sera donc préservée sur la période de la PPE et au-delà, jusqu'à l'horizon des années 2040, où une grande partie des installations et des ateliers de l'usine de La Hague arrivera en fin de vie. [...] Au-delà de l'horizon 2040, le Gouvernement, en lien avec la filière, devra s'interroger sur les orientations stratégiques qu'il souhaite donner à sa politique du cycle du combustible » 256 ( * ) .

Les rapporteurs relèvent qu'un grand nombre d'acteurs ont plaidé pour une décision rapide : « dans les 5 prochaines années », pour le groupe Orano, et « d'ici la fin de la décennie au plus tard » , pour l'ASN.

Lors de son audition, le CEA a ainsi indiqué que « l'augmentation du nombre de réacteurs est synonyme d'augmentation du volume de combustibles à fabriquer et à retraiter. Les usines de La Hague et de Melox sont aujourd'hui en charge de ces étapes. Toutefois il paraît, avec la relance annoncée du nucléaire, nécessaire de prévoir d'ores et déjà la pérennisation de ces installations qui seront en fin de vie dans leur configuration actuelle à l'horizon 2040-2050 ».

Quelle que soit la solution proposée par le Gouvernement, les rapporteurs souhaitent que la question du devenir des usines de retraitement-recyclage puisse être examinée dans le cadre de la loi de programmation de l'énergie pour 2023 .

Au-delà de cette question, la relance de l'énergie nucléaire doit s'accompagner d'une stratégie d'ensemble du retraitement-recyclage :

- à court terme, le MOX doit être utilisé dans les réacteurs de 1 300 MW , au-delà de ceux de 900 MW et l'URE doit être repris sur les réacteurs de 900 MW puis de 1 300 MW ;

- à moyen terme, il faut passer d'une stratégie de mono-recyclage des combustibles nucléaires en REP, à une stratégie de multi-recyclage (MREEP) ;

- enfin, à long terme, il est essentiel de développer des réacteurs de 4 e génération , l'abandon du projet de démonstrateur Astrid étant sur ce point tout à fait regrettable.

Interrogé par les rapporteurs, le groupe EDF a précisé aux rapporteurs ses engagements : le MOX est utilisé dans 22 à 24 tranches du palier 900 MW et une recharge complète du palier 1 300 MW sera réalisée à compter de 2028 ; l'URE sera réutilisé dans 4 tranches du palier 900 MW à compter de 2023 et 3 à 4 tranches du palier 1 300 MW à compter de 2027 ; le MRREP sera réalisé à partir de la décennie 2040.

De plus, le CEA a indiqué que l'enjeu poursuivi est de permettre « une complète valorisation des matières nucléaires en ne nécessitant aucun nouvel apport d'uranium naturel, conduisant ainsi à une indépendance énergétique ».

Dans la mesure où le Plan de relance n'alloue que 25 M€ au multi-recyclage des combustibles nucléaires, son montant appelle à être relevé. Pour être en phase avec les besoins des acteurs industriels, un crédit d'impôt sur la R&D pourrait être envisagé.

Lors de son audition, le groupe Orano a indiqué que « la réforme récente du crédit impôt recherche n'est pas favorable aux actions de R&D. Les plans de relance permettent de compenser cette perte mais n'ont qu'un effet transitoire. Orano recommande de mettre en place un nouveau dispositif d'aide à la R&D plus incitatif sur le long terme ».

S'agissant du stockage, il est essentiel de consolider les moyens de l'Andra pour assurer la réussite des projets conduits, dont Cigéo.

Au cours de son audition, l'Andra a ainsi indiqué aux rapporteurs que « bien que l'agence ait été relativement préservée et ait pu réaliser les recrutements nécessaires en lien avec l'avancement du projet Cigéo, il est tout de même nécessaire de rester vigilant quant au plafond d'emploi, qui est en baisse depuis 2014 : de 324 à 260 ETPT (- 20 %). Or, la montée en puissance des activités de l'Andra, et celles en lien avec le projet Cigéo notamment, nécessite une croissance dans ses effectifs mais aussi le maintien d'une compétence dans les domaines d'expertise scientifique et technique nécessaires ».

Dans le cadre du Plan de relance , 70 M€ sont prévus pour la gestion des déchets. Or, le troisième axe du plan porte sur « la recherche d'alternatives au stockage géologique profond ». Afin de ne pas opposer les solutions entre elles, la notion de complémentarité pourrait être préférée à celle d'alternative.

Lors de son audition, l'Andra a ainsi indiqué que « ce troisième axe présente une certaine ambiguïté dans la mesure où l'on parlerait davantage de solutions complémentaires qu'alternatives puisqu'aucun projet alternatif permettant de donner une réponse définitive de long terme aux déchets n'a été identifié ».

Or, pour le CNRS, le stockage géologique constitue une solution de référence : « La solution de référence qu'est le stockage géologique repose sur un socle de connaissances solide, et permet d'ailleurs [...] de ne pas laisser ces déchets accessibles, du fait notamment de l'instabilité des sociétés sur de longues périodes ».

De plus, aucun montant n'est prévu pour les combustibles ou les déchets, dans le cadre du Plan d'investissement, qui est focalisé sur les réacteurs. Une attention aux usines du cycle serait souhaitable.

Au cours de son audition, l'Andra a précisé que « concernant le plan d'investissement France 2030 [hormis] les réacteurs [...] il est cependant essentiel de ne pas oublier les enjeux propres aux usines du cycle (séparation, production de nouveaux combustibles...) qui nécessitent de la R&D ».

Enfin, même si les réacteurs actuels sont prolongés, il faut veiller à maintenir des compétences sur le démantèlement-assainissement pour les besoins domestiques futurs ou étrangers immédiats.

À l'occasion de son audition, le groupe Orano a alerté les rapporteurs en ce sens : « D'une part nous constatons que ce marché n'est pas en croissance en France [et] l'annonce de la non-fermeture potentielle des réacteurs ne permet plus d'envisager les perspectives de développement à 10 ans [...]. D'autre part, le [...] Gifen a mis en exergue les difficultés à maintenir les compétences au regard du marché actuel, avec la relance nous craignons un phénomène d'aspiration des ressources vers les nouvelles constructions ».

Ces différents enjeux liés au cycle du combustible doivent être pris en compte en amont . À ce stade, l'Andra a réalisé, pour le compte du MTE, une étude sur l'impact de 6 nouveaux EPR sur la filière de gestion des déchets : elle a conclu à l'absence d' « éléments rédhibitoires » pour le projet Cigéo. D'ici l'examen de cette loi, il est souhaitable d'évaluer les besoins nécessaires à la construction d'EPR supplémentaires, pour réaliser les 8 autres EPR envisagés dans le discours de Belfort voire les 9 autres EPR évoqués dans l'hypothèse de « réindustrialisation profonde » de RTE.

9. Poursuivre les travaux en faveur de la fermeture du cycle du combustible usé :

- Soutenir Orano dans la réponse aux enjeux actuels du cycle (piscine de La Hague, usine de La Hague, usine Melox)

- Examiner la pérennisation des usines de retraitement-recyclage au-delà de 2040 dans le cadre de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023

- Accompagner la relance du nucléaire d'une stratégie de retraitement-recyclage, en utilisant le MOX sur le palier 1 300 MW et en reprenant l'URE (à court terme), en passant au MRREP (à moyen terme) et en développant des réacteurs de 4 e génération comme le projet Astrid (à long terme)

- Instituer un crédit d'impôt sur les technologies MRREP dès la prochaine loi de finances

- Consolider les moyens de l'Andra pour favoriser la filière du stockage des déchets, dont le projet de stockage géologique profond Cigéo

- Préférer des solutions complémentaires à des solutions alternatives au stockage géologique profond dans l'AAP nucléaire en cours

- Maintenir des compétences démantèlement-assainissement pour les besoins domestiques futurs ou étrangers immédiats

- D'ici la loi quinquennale sur l'énergie de 2023, évaluer l'impact de la construction des 14 EPR (du discours de Belfort du Président de la République) voire des 9 EPR (de l'hypothèse de « réindustrialisation profonde » de RTE) sur le cycle


* 256 Ministère de la transition écologique (MTE), Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023 et 2024-2028 , 2020, p. 161.

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