UNE FILIÈRE FRAGILISÉE À UN MOMENT
OÙ ELLE PEUT JOUER UN RÔLE ESSENTIEL
DANS LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

I. UN SYSTÈME ÉLECTRIQUE EN RISQUE DE RUPTURE, À COURT ET LONG TERMES

A. UN DÉCLIN RELATIF FAUTE D'UNE POLITIQUE COHÉRENTE ET D'INVESTISSEMENTS SUFFISANTS

Si l'énergie nucléaire a été très dynamique en France , avec la mise en service de 58 réacteurs dans les années 1970-1980 , elle a connu un net ralentissement , avec l'arrêt de 2 réacteurs existants 1 ( * ) , la construction de 1 seul nouveau réacteur 2 ( * ) et l'abandon de 1 avant-projet de démonstrateur 3 ( * ) dans les années 2000-2010 : faute d'une politique cohérente et d'investissement suffisants, l'énergie nucléaire est aujourd'hui en déclin relatif .

Acteur historique de l'énergie nucléaire, la France dispose aujourd'hui d'un parc de 56 réacteurs . Répartis sur 18 sites, ces réacteurs sont classés par palier, c'est-à-dire selon leur puissance : on dénombre 32 réacteurs de 900 mégawatts (MW), 20 de 1 300 MW et 4 de 1 450 MW 4 ( * ) ( voir carte ci-après 5 ( * ) ). Les réacteurs actuels sont dits de 2 e génération, et le European Pressurized Reactor (EPR) de Flamanville de 3 e génération. Doté d'une puissance de 1,6 gigawatt (GW), l'EPR développé en France est plus puissant, sûr et économe ; dans le cadre de la relance de l'énergie nucléaire, un concept optimisé, intégrant le retour d'expérience de Flamanville, est en cours : l'EPR2. Un projet de démonstrateur de Small Modular Reactor (SMR), Nuward, composé de 2 réacteurs de 170 MW, est aussi prévu. Ces différents réacteurs sont à eau pressurisée (REP), c'est-à-dire qu'ils utilisent de l'eau pour refroidir leur coeur. À l'échelon international, il existe des réacteurs de 4 e génération, recourant à d'autres technologies 6 ( * ) , y compris pour les SMR 7 ( * ),8 ( * ) . Au-delà de la fission 9 ( * ) , un projet de fusion 10 ( * ) est conduit à Cadarache 11 ( * ) .

Jusque début 2022, le Gouvernement a appliqué une politique de fermeture des réacteurs existants . En effet, la loi de « Transition énergétique » , du 17 août 2015 12 ( * ) , prévoyait la diminution à 50 % de la production d'énergie nucléaire d'ici 2025 ainsi que la limitation à 63,2 GW des nouvelles autorisations d'exploitation. Conformément à cette loi, les programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE) adoptées en 2016 13 ( * ) puis 2020 14 ( * ) ont acté la fermeture de 14 réacteurs en 20 ans 15 ( * ) . Pour autant, le Sénat a obtenu le report de cet objectif, de 2025 à 2035, dans le cadre de la loi « Énergie-Climat » , du 8 novembre 2019 16 ( * ) , ainsi que la soumission de toute fermeture à une étude d'impact sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), la sécurité d'approvisionnement et la sûreté nucléaire, à l'occasion de la loi « Climat-Résilience » , du 22 août 2021 17 ( * ) . Dès l'adoption de la loi « Énergie-Climat » , le rapporteur Daniel Gremillet 18 ( * ) avait déploré que « l'étude d'impact ne comporte aucun élément substantiel sur les effets économiques et sociaux induits par l'arrêt envisagé de 14 réacteurs d'ici 2035 ». En outre, il avait indiqué qu'un arrêt précipité « n'était pas compatible avec nos engagements climatiques » et « aurait renchéri les coûts de la fourniture d'électricité, dégradé la balance commerciale et nui à la sécurité d'approvisionnement ».

Témoin édifiant de cette politique de fermeture, le 27 novembre 2018 19 ( * ) , le Président de la République s'est exprimé ainsi : « Je n'ai pas été élu pour ma part sur un programme de sortie du nucléaire, mais sur une réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix électrique. Et je tiendrai cet engagement. J'aurais souhaité pouvoir le faire dès 2025, comme le prévoyait la loi de transition énergétique, mais il s'est avéré, après expertise pragmatique, que ce chiffre brandi comme un totem politique était dans les faits inatteignable. Nous avons donc décidé de maintenir ce cap des 50 %, mais en repoussant l'échéance à 2035. Nous avons surtout décidé de faire la transparence sur la trajectoire que nous voulons suivre pour atteindre cet objectif. Concrètement, 14 réacteurs de 900 mégawatts seront arrêtés d'ici à 2035. Ce mouvement commencera avant l'été 2020, avec l'arrêt définitif des 2 réacteurs de Fessenheim. Restera alors à organiser la fermeture de 12 réacteurs entre 2025 et 2035. 4 à 6 réacteurs d'ici 2030, le reste entre 2030 et 2035. » Ironie de l'histoire, le Président de la République est revenu sur sa politique en ces termes , le 10 janvier 2022 20 ( * ) : « S'il est nécessaire d'être prudent sur la capacité à prolonger nos réacteurs, je souhaite qu'aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l'avenir compte tenu de la hausse très importante de nos besoins électriques ; sauf, évidemment, si des raisons de sûreté s'imposaient. »

Entre temps, les 2 réacteurs de la centrale de Fessenheim , pourtant fonctionnels sur le plan de la sûreté nucléaire, ont été arrêtés , en février et juin 2020. Cette fermeture est déplorable à tous points de vue, puisqu'elle induit une perte : sur le plan énergétique, de 1,8 GW de capacités et 11 térawattheures (TWh) de production depuis 2020 ; sur le plan économique, de 640 salariés et 284 prestataires d'ici 2025. Le groupe EDF a précisé que cette fermeture équivaut jusqu'à 9 M de tonnes d'émissions de GES. De leur côté, les collectivités territoriales relèvent jusqu'à 2 000 emplois touchés et 24,1 M€ par an de recettes fiscales ou de retombées économiques manquantes. Toutefois, la situation est évolutive, car le site doit être placé en période de pré-démantèlement (2020-2025), de démantèlement (de 2025-2037) et de démolition (de 2037 à 2040). Des projets de redynamisation, dont la création d'un technocentre pour retraitement des substances métalliques de faible activité, sont envisagés ( voir encadré ci-après).

Interrogé par les rapporteurs, la collectivité européenne d'Alsace 21 ( * ) a indiqué que « la fermeture d'un point de vue social et économique a été bien évaluée mais mal anticipée » , rappelant que « le choix de la fermeture ne venait pas du territoire, ni de problème technique, [mais] a été imposé par des décisions politiques de niveau national, sans qu'aucun plan de revitalisation n'ait été construit en amont ». Le conseil régional du Grand Est a , quant à lui, précisé que « le processus de reconversion du territoire de Fessenheim est affecté par un handicap congénital : pour bien faire, il eût fallu , avant de décréter une date de fermeture, apprécier et se donner le temps nécessaire à recréer réellement les emplois détruits par la fermeture », ajoutant que « l'État a choisi en toute connaissance de cause d'ignorer cette contrainte, qui reste une réalité pesante aujourd'hui ».

La centrale nucléaire de Fessenheim : une fermeture mal anticipée

Outre le groupe EDF et le Gouvernement, les rapporteurs ont souhaité auditionner l'ensemble des acteurs locaux de la centrale de Fessenheim : la commune de Fessenheim, la collectivité européenne d'Alsace, la région Grand Est ainsi que la commission locale d'information et de surveillance (CLIS).

Le groupe EDF a précisé aux rapporteurs que le processus de démantèlement doit s'étaler de 2020 à 2041 , avec des phases de pré-démantèlement jusqu'en 2025, de démantèlement et déconstruction jusqu'en 2040, et de restauration et déclassement, de 2040 à 2041. Une enquête publique est prévue d'ici fin 2023/début 2024 pour obtenir le décret de démantèlement.

Sur le plan social, il a précisé que le site accueille 360 salariés (contre 740 auparavant) et 222 prestataires (contre 350 auparavant). D'ici 2025, il ne restera que 100 salariés et 66 prestataires. Pour autant, 89 % des salariés ont bénéficié d'une solution, avec pour la moitié d'entre eux des transferts vers d'autres centrales ; une cellule d'accompagnement personnalisée a été instituée pour les prestataires de 2019 à 2021.

Rappelant que la centrale de Fessenheim produisait plus de 10 TWh, le groupe EDF a souligné les conséquences théoriques de ce type d'arrêt sur les émissions de GES : « On peut estimer qu'une perte de production de 10 TWh/an , si elle est substituée par des centrales thermiques de type cycle à combiné à gaz ou centrales à charbon, correspond à un effet de l'ordre de 4 à 9 M de tonnes de CO 2 supplémentaires émises en Europe. »

Interrogé par les rapporteurs , le Gouvernement a indiqué soutenir la reconversion du site. D'une part, un projet de territoire a été signé avec toutes les parties prenantes, françaises et allemandes, le 1 er février 2019. Dans ce cadre, un technocentre, capable d'assurer le traitement de substances métalliques de faible activité, a été lancé le 21 février 2020. D'autre part, un délégué interministériel et un comité interministériel ont été mobilisés. Enfin, un dispositif de compensation du Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) a été institué « de sorte qu'aucune perte nette n'intervient pour les collectivités avant 2025 ».

Selon la collectivité européenne d'Alsace, la fermeture de la centrale de Fessenheim a entraîné une perte de 2 000 emplois (directs, indirects et induits), aucune installation n'étant pour l'heure annoncée.

La collectivité a déploré le manque d'anticipation de cet arrêt, relevant qu'il n'était pas justifié sur le plan de la sûreté nucléaire, qu'il devait initialement être couplé avec la mise en service de l'EPR de Flamanville et qu'il n'avait pas permis d'associer en amont les collectivités territoriales.

Elle a rappelé que la principale difficulté réside dans la contribution des collectivités territoriales au FNGIR, qui ne sera plus compensée par l'État.

Selon le conseil régional du Grand Est, la fermeture de la centrale de Fessenheim a conduit à une perte de 1 100 emplois (directs et indirects), 14,1 M€ par an de recettes fiscales, 10 M€ par an de retombées économiques ainsi que 4 à 6 classes.

La collectivité a regretté un manque de préparation, relevant que le projet de territoire n'a pu être signé que le 1 er décembre 2019, contre des fermetures les 22 février et 30 juin 2020, la mise à disposition des terrains pour la nouvelle zone d'activité n'étant pas possible avant 2023.

Si la collectivité s'est félicitée d'un appel d'offres spécifique sur le photovoltaïque de 300 MW, elle a regretté un manque de moyens, le fonds d'amorçage n'étant que de 15 M€ pour des projets coûteux : 6,8 M€ pour la création d'une zone industrielle Ecorhena, 293 M€ pour la création ou la modernisation du ferroviaire ou de fret Colmar-Volgelsheim 22 ( * ) et 33 M€ pour la création du technocentre de Fessenheim.

Dans le même ordre d'idées, elle a relevé les difficultés d'application de la société d'économie mixte (SEM) transfrontalière Novarhena, sur le plan du périmètre - se limitant à 80 hectares -, de la gouvernance - certains acteurs n'y siégeant pas - et du calendrier - en retard systématique depuis 2018.

Enfin, la région Grand Est a fait part de sa candidature pour accueillir un EPR2 ou des SMR, dans le cadre de la relance de l'énergie nucléaire.

Jusque début 2022, le Gouvernement a opté pour une politique d'attentisme pour les nouveaux réacteurs . Si le Président de la République a demandé au groupe EDF de travailler à un programme de nouveau nucléaire, en 2018, la ministre de la transition écologique a commandé à Réseau de transport d'électricité (RTE) et à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) un scénario jusqu'à 100 % renouvelable, en 2019. Au total, aucune décision n'a été proposée par le Gouvernement, lors de la dernière révision législative 23 ( * ) , en 2019, et réglementaire 24 ( * ) , en 2020, de notre planification énergétique nationale. Dans le domaine du nucléaire, les dernières autorisations de construction sont donc anciennes, remontant à 1984 (pour Chooz B1), 1991 (pour Civaux 2) et 2007 (pour Flamanville 3).

Reflet de cette politique d'attentisme, le président de la République s'est exprimé ainsi , le 27 novembre 2018 : « L'EPR, en particulier, doit faire partie du bouquet d'options technologiques pour demain. Et si nous ne prenons aujourd'hui aucune décision quant à la construction de nouveaux réacteurs, parce que nous n'avons pas de besoin immédiat et parce que nous n'avons pas le recul nécessaire, en particulier sur la centrale de Flamanville, nous devons tirer profit des quelques années devant nous, pour avancer. Je demande donc à EDF de travailler à l'élaboration d'un programme de nouveau nucléaire, en prenant des engagements fermes sur le prix pour qu'il soit plus compétitif. » Ironie de l'histoire, à nouveau, il a rompu avec cette politique en ces termes, le 10 janvier 2022 : « Compte tenu des besoins en électricité, de la nécessité d'anticiper aussi, la transition, la fin du parc existant qui ne pourra être prolongé indéfiniment, nous allons lancer dès aujourd'hui un programme de nouveaux réacteurs nucléaires [...] Je souhaite que six EPR2 soient construits et que nous lancions les études sur la construction de 8 EPR2 additionnels. Nous avancerons ainsi par palier. »

Enfin, jusque début 2022 , le Gouvernement s'est résolu à une politique d'attribution de la recherche et du développement (R&D) nucléaires . En 2019, l'énergie nucléaire a concentré 756 M€ d'euros des dépenses publiques de R&D dans le secteur de l'énergie, soit 63 % du total 25 ( * ) . De plus, de nouveaux moyens ont été affectés à cette énergie, et notamment aux réacteurs et aux déchets, dans les Plan de relance (470 M€) et d'investissement (1 Md€). Il en va de même de l'hydrogène, bas-carbone comme renouvelable (2 Mds€ puis 1,7 Md€). Pour autant, le Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a indiqué que les dépenses allouées par lui 26 ( * ) ont baissé de 70 M€, entre 2017 et 2021.

Dans ce contexte , le Gouvernement a arrêté le projet Astrid, en 2019 . Lancé en 2010, avec un budget de 630 M€, ce projet devait permettre de construire un démonstrateur de réacteur à neutrons rapides fonctionnant au sodium (RNR-Na). L'intérêt de ce type de réacteur est de permettre une fermeture complète du cycle du combustible usé, en multi-recyclant le plutonium et en réutilisant l'uranium appauvri. Le CEA a justifié cette décision en indiquant qu' « il a été fait le constat que le déploiement industriel des RNR ne se justifie pas avant la seconde moitié du 21 e siècle » . Le Gouvernement a précisé que « les ressources en uranium naturel sont aujourd'hui abondantes et disponibles à relativement bas prix et devraient le rester jusqu'à la seconde partie du 21 e siècle » et que « la recherche conduite depuis plus de 20 ans sur les déchets radioactifs montre que les réacteurs de 4 e génération ne conduisent pas à supprimer le besoin d'une solution de stockage de ces déchets ». En conséquence, le CEA a indiqué que « la stratégie de fermeture du cycle a été clarifiée » avec « trois étapes : le moxage des réacteurs de 1 300 MW 27 ( * ) , la mise en oeuvre du multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée (REP) et enfin la fermeture du cycle par le déploiement de réacteurs de 4 e génération ». De son côté, le Gouvernement a précisé qu'il « a décidé de concentrer ses efforts sur le multi-recyclage dans les réacteurs de 3 e génération » et que « le programme de recherche sur la 4 e génération qui repose sur un volet de simulation et un volet expérimental [...] vise à garantir le maintien d'un socle de compétences et laisse la possibilité de créer un démonstrateur industriel ultérieurement ».

Il est regrettable que le Gouvernement ait stoppé un projet dans lequel la France bénéficiait d'une avance historique . En effet, elle avait successivement mis en oeuvre les réacteurs Rapsodie (1967), Phénix (1973) puis Superphénix (1984). L'ancien directeur général d'ITER, Bernard Bigot, s'est d'ailleurs exprimé, le 26 octobre 2021, en faveur des « RNR, de type Astrid » , en ces termes : « Astrid était un projet dans la continuité de Phénix et Superphénix. Il s'agissait de démontrer à l'échelle industrielle que nous pouvions utiliser l'uranium appauvri pour produire de l'électricité. Ma conviction, c'est que c'est l'avenir de la France ! » 28 ( * ) . Plusieurs pays étrangers sont encore très engagés dans ce domaine, comme la Chine ( China Fast Reactor 600 - CF600 ), l'Inde ( Prototype Fast Breeder Reactor - PFBR ) ou la Russie ( Bystrie Neytrony 600 & 800 - BN600 & BN800 ). En tout état de cause, l'effort ne doit pas être relâché en France, dans la mesure où l'actuelle PPE prévoit que le programme de R&D sur la fermeture du cycle du combustible usé conserve « la perspective d'un éventuel déploiement industriel d'un parc de réacteurs à neutrons rapides à l'horizon de la 2 e moitié du 21 e siècle » 29 ( * ) .

Au-delà de l'arrêt du projet Astrid, les dépenses de R&D consenties par le Gouvernement ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des opérateurs publics . Sur ce sujet budgétaire, les rapporteurs retiennent de leurs auditions le souhait d'une stabilisation a minima , pour le CEA, d'un renforcement pour le nucléaire voire d'un doublement pour l'hydrogène, pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) 30 ( * ) et enfin d'un soutien à la fusion voire et d'une amplification pour la fission 31 ( * ) , pour ITER 32 ( * ) . L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a plaidé pour qu'une partie de l'effort aille à la sûreté nucléaire tandis que l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a mis en avant les usines du cycle (voir encadré ci-dessous).

C'est avec gravité qu'ITER a évoqué, devant les rapporteurs, le risque d'un décrochage de la France en matière de R&D, appelant d'urgence à resserrer les liens entre science et économie : « La France a cessé d'investir dans les énergies du futur depuis 2000, notamment dans le nucléaire, à savoir dans les réacteurs modulaires. [...] Le risque est une perte progressive et nette de la capacité de R&D et d'innovation, mais aussi industrielle, à faire et/ou à exporter de la France. À noter l'émergence d'acteurs majeurs, tels que la Chine ou le Royaume-Uni, qui écrantent d'autant notre position internationale. [...] Il faut relancer la filière nucléaire par l'innovation et ne pas hésiter à orienter pragmatiquement ses recherches vers les besoins de marché. »

Quel effort de R&D dans les domaines du nucléaire et de l'hydrogène ?
Le point de vue des opérateurs publics

Les rapporteurs ont souhaité auditionner plusieurs opérateurs publics - le CEA, le CNRS, l'ANR, l'IRSN, l'Andra, l'IRSN, l'Ademe ou ITER - pour apprécier l'effort de R&D alloué à l'énergie nucléaire (fission comme fusion) et à l'hydrogène bas-carbone.

Ainsi que l'a indiqué le CEA , les dépenses du réacteur Jules Horowitz s'élèvent à 301 M€ et celles de R&D de la filière à 648,5 M€. Parmi ces dépenses figurent 134 M€ pour les réacteurs (2 e à 4 e générations, SMR), 83 M€ pour le cycle (assainissement, démantèlement, déchets) et 130,5 M€ pour diverses études (installations expérimentales, simulation numérique, études économiques). Ce budget est en baisse de 70 M€ sur la période 2017 à 2021. S'agissant de l'hydrogène, le CEA soutient 45,8 M€, pour l'industrialisation des électrolyseurs à haute température et le couplage entre productions d'énergie nucléaire et d'hydrogène dans le cadre des SMR. Si ces investissements sont « comparables à ceux des États s'appuyant significativement sur l'énergie nucléaire », le CEA estime « important que l'effort de recherche soutenu par les industriels auprès des organismes de recherche, et notamment le CEA, soit a minima stabilisé » . Il a ajouté que « l'hydrogène est une technologie clef de décarbonation, en particulier dans certains secteurs industriels [...], pour lesquels l'électrification n'apporte pas de réponse [...] pour la mobilité lourde et aussi pour contribuer à l'équilibre du réseau électrique », précisant que « l'utilisation de l'énergie nucléaire pour produire de l'hydrogène est [...] une option très intéressante ».

De son côté, le CNRS pilote le Programme nucléaire, énergie, environnement, déchets, société (NEEDS), qui mobilise 1 M€ et 60 à 80 ETPT et bénéfice à 3 ou 4 bourses. Il s'intéresse notamment aux systèmes, déchets et ressources nucléaires. Le CNRS soutient également l'hydrogène, avec 540 ETPT, 30 laboratoires et entre 150 000 et 200 000 € annuels de projets. Sur le nucléaire, le CNRS a déploré l'absence « d'objectifs ambitieux en termes de recherche, qu'il s'agisse de recherche en amont ou d'innovation sur les réacteurs, le cycle ou la gestion des déchets » ; pour l'hydrogène, il a plaidé pour « un doublement [de la] R&D [...] afin d'assurer l'avancée prise sur certains sujets et de poursuivre la trajectoire ».

Dans le même esprit, l' ANR pilote 2 axes liés à l'énergie : Sciences de base pour l'énergie et Une énergie durable, propre, sûre et efficace . Sur son budget propre, elle a financé 35 actions spécifiques au nucléaire et 22 génériques sur l'énergie, de 2006 à 2020. De plus, l'agence a soutenu des appels à projets sur les déchets (25 projets pour 45 M€) et la sûreté (23 projets pour 50 M€). Enfin, elle a pris en charge les études du SMR Nuward dans le cadre du Plan de relance (10 M€). Sur le nucléaire, l'ANR a indiqué que « les projets portant spécifiquement sur le nucléaire ne représentent [...] qu'une faible proportion des projets soutenus par l'ANR dans le domaine de l'énergie [...] moins de 10 % » ; pour l'hydrogène, elle a précisé que « l'hydrogène décarboné devra être essentiellement produit par électrolyse de l'eau, à partir d'une électricité obtenue sans émission de CO 2. En supplément des énergies renouvelables, [...] le nucléaire permettra de faire de notre pays un leader de l'hydrogène décarboné ».

À eux trois, le CEA, le CNRS et l'ANR co-pilotent le Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) hydrogène décarboné, qui dispose de 80 M€ sur 7 ans. Il vise à soutenir les projets de recherche en amont (production, conversion, usages, stockage). Ont été sélectionnés 30 projets pour l'appel d'offres de 2021.

Dans le cadre du Plan de relance, l' IRSN, en lien avec le CEA , concourt à mettre en oeuvre 3 plateformes expérimentales portant sur la sûreté des systèmes passifs (Alcina, KoKoMo) et les alternatives au stockage des déchets (Pallas) (50 M€). L'IRSN a estimé « vertueux qu'un investissement public dans la sûreté nucléaire soit fait  », précisant que « le développement de concepts nouveaux [de réacteurs] nécessitera une réflexion en matière de R&D, y compris en ce qui concerne la vérification de l'intégration d'un niveau de sûreté robuste ».

S'agissant de l' Andra , elle contribue à mettre en oeuvre, dans le cadre du Plan de relance, l'appel d'offres sur la gestion des déchets radioactifs (70 M€). L'agence a rappelé que le projet de centre industriel de stockage géologique, Cigéo, « a fait l'objet de 30 ans de R&D puis d'études de conception ». Elle a estimé « essentiel que soit maintenu un effort de recherche et d'innovation », et « de ne pas oublier les enjeux propres aux usines du cycle [...] qui nécessitent de la R&D » .

Si l' Ademe « ne soutient pas de projet sur le nucléaire », elle participe à mettre en oeuvre, sur son budget propre dans le cadre du Plan de relance, les appels d'offres sur l'hydrogène en R&D (48 projets pour 194 M€ de 2011 à 2022) et pour les écosystèmes de mobilité (19 projets pour 98 M€ en 2018) et territoriaux (32 projets pour 285 M€ en 2020). L'agence considère que « ces appels à projets s'avèrent très utiles pour opérer les premiers déploiements de ces technologies, accompagner la maturation de la filière et la baisse des prix et assurer un premier marché domestique aux industriels français sur toute la chaîne de valeur ».

Quant à projet ITER , il est issu d'un traité international, signé le 21 novembre 2006 : d'abord porté par 7 parties (Chine, Corée, États-Unis, Inde, Japon, Russie, Union européenne), il en rassemble aujourd'hui 35. Son coût, d'environ 20 Mds€ 33 ( * ) , est financé en nature. L'Union européenne prend à sa charge 45 % de ce financement, selon ITER. Sur la période 2007-2020, la France a financé 15 % des coûts de construction, soit 2,3 Mds€, pour le Gouvernement. ITER a appelé à soutenir la fusion en ces termes : « Alors que les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres ont annoncé des échéanciers plus ambitieux, il est probable que la fusion n'entrera substantiellement dans le mix énergétique que dans la seconde moitié de ce siècle. Elle doit être vue aujourd'hui comme telle, et sa R&D soutenue ». Dans le domaine de la fission, il a appelé à « amplifier la R&D [dans] le recyclage des combustibles usés [...], les réacteurs modulaires recyclant le combustible [...] le démantèlement, les déchets [...], le stockage géologique des déchets radioactifs à vie longue [et] la sûreté ».


* 1 Les 2 réacteurs de la centrale de Fessenheim.

* 2 L'EPR de la centrale de Flamanville.

* 3 Le projet Astrid.

* 4 Aussi appelé palier N4.

* 5 Source : Réseau de transport d'électricité (RTE).

* 6 Plusieurs modèles de réacteurs existent, selon la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) : à neutrons rapides à caloporteur gaz (RNR-G), à neutrons rapides à caloporteur sodium (RNR-Na), à neutrons rapides à caloporteur alliage de plomb (RNR-Pb), à très haute température, refroidis à l'hélium (RTHT), à eau supercritique (RESC), à sels fondus (RSF).

* 7 Plusieurs modèles de SMR existent, selon l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) : à neutrons rapides, à caloporteur sodium, à sels fondus, à très haute température, refroidis au gaz, à eau bouillante, tubulaires.

* 8 Lorsqu'un SMR recourt à d'autres technologies que les REP, on parle d'Avanced Modular Reactor (AMR).

* 9 Qui consiste à projeter un neutron sur un atome lourd instable.

* 10 Qui consiste à rapprocher deux atomes d'hydrogène.

* 11 Le projet ITER.

* 12 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (articles 1 et 187).

* 13 Décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

* 14 Décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

* 15 Ministère de la transition écologique (MTE), Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023 et 2024-2028 , pp. 159 et 160.

* 16 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 1 er ).

* 17 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (article 1 er ).

* 18 Rapport n° 657 (2018-2019) de M. Daniel Gremillet, fait au nom de la commission des affaires économiques, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accédée, relatif à l'énergie et au climat, déposé le 10 juillet 2019, p. 18.

* 19 Déclaration d'Emmanuel Macron, Président de la République, relative à la stratégie et à la méthode pour la transition écologique, 27 novembre 2018 :

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/11/28/transition-energetique-changeons-ensemble

* 20 Déclaration d'Emmanuel Macron, Président de la République, sur la politique de l'énergie, à Belfort le 10 février 2022 : https://www.vie-publique.fr/discours/283 773-emmanuel-macron-10 022 022-politique-de-lenergie .

* 21 Qui gère la commission locale d'information et de surveillance (CLIS) de la centrale de Fessenheim.

* 22 Une ligne Colmar-Freiburg étant également envisagée.

* 23 En l'espèce, la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

* 24 En l'espèce, le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

* 25 Ministère de la transition écologique (MTE), Chiffres clés de l'énergie. Édition 2021 , 2022, p. 21.

* 26 Hors construction du réacteur Jules Horowitz.

* 27 C'est-à-dire l'utilisation du MOX, combustible fabriqué à partir d'oxydes d'uranium et de plutonium, dans les réacteurs de deuxième génération.

* 28 Commission des affaires économiques du Sénat, audition de Bernard Bigot, directeur général d'ITER Organization, 26 octobre 2021 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20 211 025/ecos.html

* 29 Ministère de la transition écologique (MTE), Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023 et 2024-2028 , p. 145.

* 30 Ont été auditionnés, pour le CNRS, Sylvain David, directeur de recherche, Alexandre Legris, directeur adjoint scientifique, Abdelilah Slaoui, directeur adjoint scientifique, et Thomas Borel, chargé des affaires publiques. La position du CNRS indiquée dans le présent rapport est celle de la contribution écrite transmise aux rapporteurs à l'issue de cette audition.

* 31 En matière de recyclage, de réacteurs, de déchets, de démantèlement et de stockage.

* 32 De son côté, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a indiqué ne soutenir qu'une « faible proportion » de projets nucléaires, équivalant à 10 % de ses dépenses de R&D dans l'énergie, tandis que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a précisé qu'elle « ne soutient pas de projet sur le nucléaire », au contraire des projets sur l'hydrogène, dont les appels d'offres sont jugés « très utiles ».

* 33 Commission des affaires économiques du Sénat, audition de Bernard Bigot, directeur général d'ITER Organization, 26 octobre 2021 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20 211 025/ecos.html

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