III. UN DISPOSITIF RIGIDE ET FRAGILE QUI A ABOUTI À UN USAGE DE LA FORCE QUI A CHOQUÉ L'OPINION PUBLIQUE FRANÇAISE ET INTERNATIONALE
A. LA MISE EN PLACE D'UN PRÉ-FILTRAGE DEVENU GOULOT D'ÉTRANGLEMENT SUITE À UNE ACCUMULATION DE FACTEURS INSUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE
Conçu pour prévenir les attaques terroristes, le dispositif de pré-filtrage mis en place par la préfecture de police a, dès lors qu'il s'est trouvé combiné à un contrôle de validité des billets par les stadiers, créé un goulot d'étranglement au niveau de l'accès des spectateurs sortant du RER D. Ce choix a fait l'objet de critiques de la part du préfet Michel Cadot dans son rapport remis à la Première ministre, portant d'une part sur le fondement juridique de la combinaison d'un dispositif antiterroriste et d'un contrôle des titres d'accès par les organisateurs, d'autre part sur les modalités de gestion des flux de personnes vers ce point de filtrage.
Pour défendre le choix de ce dispositif, la préfecture de police a fait porter la responsabilité de la saturation sur le nombre de supporters de l'équipe de Liverpool venus avec des billets falsifiés ou tentant de s'approcher du Stade sans billet. Ceux-ci auraient saturé « le pré-contrôle », lequel a fait apparaître jusqu'à 70 % d'erreurs, puis créé l'encombrement de « 10 à 15 000 personnes » présentes dans l'accès au point de filtrage, accès réduit à 4 ou 5 mètres de large par la présence de véhicules destinés à faire obstruction aux voitures béliers.
Cependant, ce sont les conditions mêmes créées par la préfecture de police et l'absence de réactivité suffisante qui sont les causes premières des incidents survenus lors du pré-filtrage .
En premier lieu, l'accord donné à la mise en place d'un contrôle de validité des billets au niveau du pré-filtrage, selon un dispositif mis en oeuvre sur la base d'un précédent unique et apparemment peu conclusif au Stade de France, était d'emblée inopportun . Il a conduit tant à négliger le risque de délinquance sur le parvis entourant le stade - puisque les « indésirables » démunis de billets n'auraient pas dû y accéder - qu'à ralentir le flot entrant de personnes. Ceci d'autant plus que la préfecture de police ne semble pas avoir prévu un moyen d'évacuer les personnes refoulées et qui ne pouvaient reculer du fait de l'étroitesse de l'accès et de la foule massée dans l'attente du passage. Selon les mots du préfet de police : « En effet, les personnes rejetées pour absence de validité de leur titre essayaient de passer à tout prix ou bien ne pouvaient plus reculer, en raison du nombre toujours plus grand de personnes se trouvant derrière elles ».
Les commissions préconisent la séparation du contrôle de validité des billets et des points de pré-filtrage mise en place dans le cadre de la prévention du terrorisme.
Si la SNCF a indiqué avoir transporté le jour du match 12 000 personnes de plus que pour d'autres événements de ce type, c'est moins ce surnombre en soi que le déséquilibre entre la gestion des flux venant des deux lignes de RER qui a été source de difficulté .
En effet, l'infrastructure du Stade de France peut accueillir un flot de près de 100 000 personnes pour certains événements : le surnombre établi par la SNCF aux sorties les plus proches des tribunes destinées aux supporters du club de Liverpool était donc inhabituel mais pas disproportionné par rapport aux accès au Stade. Est en cause la capacité de l'accès au pré-filtrage situé dans le prolongement de la sortie du RER D qui, dès lors que s'était constitué un encombrement de « 10 000 à 15 000 personnes » selon l'estimation du préfet de police, risquait de conduire à un risque d'écrasement . Ce seuil de saturation semble relativement bas tant au regard du flux normal du RER D pour un match de ce type (environ 12 000 personnes), qu'au regard du report lié à la grève sur la ligne du RER B.
La directrice de Transilien a fourni les précisions suivantes lors de son audition : « À la sortie du RER B , nous avons compté 6 200 personnes (...), soit le tiers de ce que nous transportons habituellement . À la station Stade de France-Saint-Denis, nous en avons compté plus de 37 000, plus de trois fois le nombre habituel sur le RER D ». Les flux de passagers en provenance de chacune des lignes de RER étaient communiqués toutes les demi-heures à partir de 18h05 par la SNCF au poste de commandement du Stade. D'emblée, et surtout à partir de 18h30, l'important écart de fréquentation entre la ligne D et la ligne B était connu. Or, cette situation n'a suscité aucune réaction rapide de réorientation des flux , ni de la part des transporteurs, qui ont indiqué ne pas avoir été sollicités pour ce faire, ni des organisateurs, ni même de la préfecture de police, qui a mis en oeuvre cette réorientation seulement à 19h18 , trop tard en pratique pour permettre un maintien du dispositif de pré-filtrage
La réorientation des flux était rendue plus difficile du fait du choix fait par la préfecture de police le 23 mai de faire démonter la signalétique destinée à réorienter les flux de personnes ayant emprunté le RER D en raison de la grève affectant le RER B. Lors de son audition, la FFF a indiqué : « Nous sommes allés jusqu'à prévoir une procédure permettant, en cas d'engorgement , aux supporters en provenance du RER D de se diriger vers l'arrivée du RER B, où l'avenue est plus large, pour accéder au Stade de France et aux couloirs de palpation ». Or, relève le délégué interministériel aux grands événements sportifs dans son rapport, cette signalétique a été démontée à la demande du préfet de police , en raison de difficultés d'orientation de supporters vers les portes conduisant à leurs tribunes lors d'un match précédent.
Flux piétons tels qu'organisés par la préfecture de police
Source : extrait du site internet de la préfecture de police
Si les spectateurs se présentant du côté des tribunes réservées aux supporters de Liverpool étaient nombreux, c'est d'abord le flux depuis le RER D qui a mis à mal un dispositif peu adapté à l'événement et trop rigide . Si le préfet de police a considéré que les flux auraient pu être réorientés un quart d'heure plus tôt, on peut penser qu'il était alors déjà trop tard pour soulager une pression qui se constituait depuis déjà près d'une heure . On peut noter par contraste que le point de filtrage situé dans le prolongement de la sortie du RER B et situé également en amont de tribunes destinées aux fans de Liverpool n'a pas connu de difficultés liées à la pression de la foule, ni semble-t-il de difficultés liées au contrôle de validité des billets.