III. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de M. Victor Castanet,
journaliste et auteur de
l'ouvrage Les Fossoyeurs
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons, cet après-midi, M. Victor Castanet, journaliste.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur Castanet, nous avons souhaité, avec les rapporteurs de la mission d'information, Bernard Bonne et Michelle Meunier, vous entendre à quelque distance de l'émotion suscitée par la parution, le 26 janvier dernier, de votre livre Les Fossoyeurs . Cet ouvrage, consacré au groupe gestionnaire d'établissements privés médico-sociaux Orpea, a mis en lumière les dérives d'un système d'optimisation des coûts, au détriment de la qualité de la prise en charge et du bien-être des résidents, mais aussi des financements de l'assurance maladie. Il dénonce aussi l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi notre mission d'information a choisi de s'intéresser à la question du contrôle.
Avant de vous laisser la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, je rappelle que cette mission d'information s'est vu attribuer les prérogatives d'une commission d'enquête ; je vous demande donc de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Victor Castanet prête serment.
M. Victor Castanet, journaliste et auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs . - Les familles et les salariés qui ont participé à cette enquête, plus de 250 personnes au total, ont témoigné des situations de maltraitance subies par les patients de ces établissements, mais aussi des conditions de travail. Sur le premier point, beaucoup de familles se sont exprimées au cours des dernières semaines, dans les médias et face à la représentation nationale, mais n'oublions pas que ce système a aussi considérablement affecté les conditions de travail des salariés du groupe, et ce à tous les niveaux : le personnel soignant, mais aussi les directeurs d'établissement.
Les responsables actuels d'Orpea affirment que mon enquête met en cause les collaborateurs du groupe. C'est, en fait, exactement l'inverse : c'est la direction générale, soit un très petit nombre d'individus, qui est responsable d'une politique réfléchie et assumée de réduction des coûts, passant notamment par un rationnement des produits de santé et d'alimentation, qui a eu un impact direct sur la qualité de la prise en charge des résidents et sur les conditions de travail des salariés. Les directeurs n'ont aucune marge de manoeuvre dans ce groupe : ce sont des supersecrétaires, qui n'ont la mainmise ni sur le budget de l'établissement ni sur sa masse salariale. Ils ne peuvent pas remplacer les absences comme ils le souhaiteraient, ne serait-ce que parce que l'application informatique qu'ils doivent utiliser ne le permet pas ; ils dépendent donc totalement de leur hiérarchie et ne font que suivre ses consignes.
Mon livre met en cause la direction générale du groupe, en particulier son directeur général délégué à l'exploitation, M. Jean-Claude Brdenk, le cost killer du groupe, M. Yves Le Masne, contrôleur de gestion, puis directeur général du groupe, et M. Jean-Claude Marian, son fondateur, ainsi que certains individus occupant des postes clés au sein du service achats et des ressources humaines, dirigées par M. Bertrand Desriaux ; il y aurait beaucoup à dire sur la politique salariale du groupe, sur son syndicat maison, Arc-en-ciel, ou encore sur les très nombreux licenciements pour faute grave de directeurs ou de soignants pris sans aucun motif : il y a eu beaucoup de contentieux, mais nombre de personnes n'ont pas osé aller aux prud'hommes.
Le sujet le plus important pour les parlementaires que vous êtes est sans doute la gestion de l'argent public par Orpea. Ce groupe reçoit, chaque année, des dotations qui varient entre 1 et 2 millions d'euros par établissement et par an, pour un total d'environ 300 millions d'euros annuels. Des témoignages et des documents m'ont permis de démontrer que l'utilisation de cet argent public était tout à fait contestable.
En atteste d'abord la pratique des marges arrière sur les produits de santé. Les directeurs ne pouvaient travailler qu'avec les fournisseurs retenus par le groupe ; les contrats-cadres prévoyaient que d'importantes marges arrière, ou rétrocommissions, seraient reversées au groupe par les fournisseurs, parmi lesquels on peut notamment citer Bastide et Hartmann, et ce sans que les autorités de contrôle -agences régionales de santé (ARS) ou conseils départementaux - en soient informées ni que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête sur ces sujets. Cela fait au moins quinze ans qu'Orpea pratique ce système, qui a été élargi à des intervenants extérieurs, comme les laboratoires. L'État doit se poser des questions : les autorités de contrôle n'ont pas su ou voulu voir ce système, qui, au-delà de l'aspect financier pour l'argent public, a eu des conséquences directes sur la prise en charge des résidents.
L'autre exemple d'une utilisation contestable de l'argent public est l'optimisation de la masse salariale. Il faudra, sur ce point, des investigations poussées, car le système est sophistiqué. Les postes de soignants sont financés par l'argent public ; leur nombre réel correspond-il bien à celui pour lequel un financement a été reçu ? Certains établissements avaient des excédents de dotation pouvant atteindre 100 000 euros annuels. Le groupe a-t-il rendu cet argent ? Yves Le Masne lui-même expliquait que de tels excédents n'auraient eu aucune logique, puisque les ARS auraient repris cet argent, mais le groupe les a-t-il intégralement déclarés ? Il est de la responsabilité de l'État d'enquêter sur ce point.
Il est important que la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale se soit saisie de ces questions, mais elle n'a pas obtenu beaucoup de réponses. Le travail de votre commission peut donc s'avérer fondamental. Les familles et les salariés attendent que l'État aille au bout assez rapidement, ils veulent aussi obtenir des réponses du groupe et définir les responsabilités de ceux qui ont mis en place ce système et de ceux qui, au sein de l'État et des ARS, l'ont laissé se perpétuer vingt ans durant. Qu'est-ce qui a failli pour que les autorités de contrôle ne soient pas en mesure de mettre au jour la réalité de ce système ?
Mme Catherine Deroche , présidente . - Le panel des auditions sera très large ; nous nous intéresserons surtout au contrôle, même si d'autres thématiques seront abordées.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Merci à M. Castanet d'être venu répondre à nos questions. J'ai regardé toutes les auditions qui se sont tenues à l'Assemblée nationale, j'ai remarqué que les responsables d'Orpea n'ont pas du tout répondu aux questions qui leur étaient posées ; nous nous y prendrons donc différemment.
Je pense que notre mission d'information ira au fond des choses ; elle s'intéresse avant tout au contrôle, voire au contrôle du contrôle, mais nous entendons formuler des préconisations pour éviter les débordements dans les structures à but lucratif, mais aussi remédier aux dysfonctionnements des autres établissements. De nombreux rapports ont déjà été publiés, y compris par nous-mêmes, qui défendent la nécessité de consacrer plus de moyens aux personnes âgées. Votre ouvrage dénonce lui aussi le manque de moyens et de personnel dans toutes ces structures ; Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, le souligne également. Il faudrait engager au moins 100 000 personnes. J'espère que l'adoption d'une loi relative au grand âge d'ici à la fin de cette année permettra de remédier à ces problèmes. Notre rapport, qui sera rendu à fin du mois de juin, offrira au nouveau gouvernement des armes pour s'engager enfin dans cette réforme.
Au cours des quatre prochains mois, nous comptons mener énormément d'auditions, plénières ou non : ministres responsables, directeurs d'ARS, représentants des directeurs d'établissement, des résidents et des familles, opérateurs privés, au-delà d'Orpea et de Korian, fournisseurs et laboratoires. Nous voulons aller le plus loin possible. Nous attendons aussi beaucoup du rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dont nous auditionnerons les auteurs.
À la lecture de votre livre, en tant qu'ancien président de conseil départemental, j'ai été abasourdi. Nous n'avions aucun moyen de nous informer directement ou de donner notre avis quand nous approuvions le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Il faut organiser un contrôle beaucoup plus approfondi des dépenses consenties par les résidents et par les acteurs publics.
Monsieur Castanet, avez-vous eu connaissance d'actions en justice engagées depuis la publication de votre ouvrage à l'encontre d'Orpea en matière de maltraitance des résidents ou de fraude à la réglementation ? Il me semble qu'aucune action n'ait été engagée contre vous par Orpea ou ses dirigeants ; comment l'expliquez-vous ? Avez-vous recueilli des éléments supplémentaires depuis la parution du livre ?
Disposez-vous de documents probants relatifs aux remises de fin d'année ? Les explications données par Korian et Orpea ne justifient pas ces pratiques : il s'agirait de payer des prestations de service fournies par Bastide, Hartmann ou d'autres fournisseurs, pour le compte de Korian ou Orpea !
Vous expliquez, dans votre livre, que le fournisseur de protections contre l'incontinence a développé un modèle spécifique pour Orpea. Les éléments dont vous disposez permettent-ils de déterminer si ce modèle était conforme à la réglementation ? A-t-il été commercialisé auprès d'autres établissements ?
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour l'obtention de documents de la part d'Orpea, des ARS et des conseils départementaux ?
M. Victor Castanet . - Ni le groupe Orpea ni ses principaux dirigeants n'ont porté plainte pour diffamation. On leur a demandé, notamment à l'Assemblée nationale, pourquoi ils ne le faisaient pas alors qu'ils niaient beaucoup des faits exposés dans le livre ; ils ont, chaque fois, déclaré qu'ils se réservaient le droit de le faire.
Quant aux actions engagées contre le groupe, je sais que certaines familles se préparent à lancer des procédures dans les semaines qui viennent ; les avocats réunissent énormément de plaintes et de témoignages, ce qui requiert du temps. D'autres familles s'étaient engagées dans de telles procédures avant la sortie du livre ; l'une d'entre elles a fait condamner Orpea en première instance pour des faits de maltraitance. Des salariés aussi se préparent à engager des procédures contre le groupe, notamment pour utilisation de leur nom dans de faux contrats de travail. Des syndicats, dont la CGT, vont porter plainte pour certains faits de discrimination syndicale et de fraude aux élections professionnelles. En revanche, à ma connaissance, il n'y a pas encore d'enquête judiciaire autour de la gestion par le groupe de l'argent public ; certaines familles et certains salariés s'interrogent quant à cette inaction de l'État, même si l'on peut espérer que celui-ci ne fait qu'attendre la publication du rapport de l'IGF et de l'IGAS. Pourtant, en tant que journaliste, je sais que plus on laisse passer de temps avant l'ouverture d'une enquête, plus la partie adverse est en mesure de nettoyer les traces de ses actes : il est donc important d'agir vite.
Oui, je dispose de documents probants quant aux remises de fin d'année. Des employés d'Orpea sur le terrain ont témoigné des effets concrets de ces marges arrière : sans disposer de preuves écrites, ils savaient que ce système fonctionnait. Mais des cadres de plus haut niveau, au service achats du siège, m'ont également raconté dans le détail le fonctionnement du système et m'ont transmis des documents où figurent les taux de remise et les montants associés pour un grand nombre de fournisseurs.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pourrez-vous nous faire parvenir ces documents ?
M. Victor Castanet . - Je dois en discuter avec mon avocat et ma maison d'édition afin de garantir la protection de mes sources. Ces documents sont datés, ce qui pourrait nuire à leur anonymat.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je comprendrais tout à fait que vous masquiez les éléments permettant d'identifier vos sources ; ce qui nous intéresse est le contenu de ces documents.
M. Victor Castanet . - Certes, mais Orpea enquête déjà pour déterminer l'identité de mes sources. Je dois être vigilant : certaines de ces personnes ont peur des représailles du groupe, d'autres ont signé des accords de confidentialité...
J'en viens à Hartmann et au modèle spécifique de protection contre l'incontinence évoqué dans le livre. Des employés du service achats m'ont raconté qu'un appel d'offres était lancé tous les six ans pour ces protections et d'autres dispositifs médicaux, mais que c'étaient toujours les mêmes fournisseurs - Hartmann et Bastide - qui les remportaient, car ce sont ceux qui consentent aux marges arrière les plus importantes. Selon ces personnes, l'appel d'offres ne se jouait que sur ce point, les critères de qualité étaient absents du débat. Les autres fournisseurs n'auraient pas accepté de telles remises de fin d'année. Les patrons de telles firmes m'ont raconté des négociations avec Orpea dans lesquelles ils avaient refusé de mettre en place de telles marges, qu'ils jugeaient illégales et immorales, ce qui avait entraîné la fin de leurs relations avec Orpea, mais aussi Korian - j'ai moins enquêté sur ce dernier, je peux donc moins m'étendre sur son cas. Ces deux géants du secteur imposaient ces règles ; il fallait s'y plier pour rester dans le jeu.
Ce système fonctionnait pour les protections et les dispositifs médicaux, mais également les laboratoires. Pendant longtemps, les établissements d'Orpea travaillaient avec de petits laboratoires, souvent les plus proches et, partant, les plus efficaces pour des prélèvements urgents. Or ces laboratoires ont perdu tous leurs contrats du jour au lendemain, en 2015 ou 2016, quand le siège a décidé de mettre en place un système équivalent de marges arrière pour les laboratoires. Cela s'est fait contre l'intérêt des résidents et contre l'avis des directeurs d'établissement. La pratique des marges arrière participe de la financiarisation et de la concentration de ces groupes. Seules les grosses structures peuvent y participer ; les petits laboratoires indépendants souffrent de ces politiques.
La qualité de la prise en charge s'en trouve aussi directement affectée. Lors d'une des dernières négociations de contrat avec Hartmann pour les protections, le taux de remise convenu par rapport au prix public affiché était de 28 % : c'est colossal ! Hartmann a accepté au vu de l'ampleur du marché, mais cela a eu des conséquences immédiates sur la qualité des produits fournis. Une personne qui travaillait au service achats m'a raconté que, dans les semaines qui ont suivi, de nombreux directeurs d'établissement les avaient appelés pour se plaindre de la qualité des nouvelles protections, qui fuyaient ou se déchiraient beaucoup plus souvent. Des discussions ont eu lieu, mais les responsables n'ont rien voulu entendre : seules les marges arrière comptaient. La dignité et la santé de dizaines de milliers de personnes âgées en ont souffert. Depuis lors, de nouveaux appels d'offres ont eu lieu ; peut-être ont-ils rectifié le tir, je ne saurais le dire.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pour modifier un équipement tel que ces protections, il faut une autorisation. Pensez-vous qu'elle a été octroyée ?
M. Victor Castanet . - J'ai consulté les bibles des produits de ces fournisseurs. La nature exacte du changement de produit serait très difficile à prouver, au vu du nombre immense de références, qui changent en permanence, ce qui rend impossible, même pour les directeurs d'établissement, de suivre ceux qui importent vraiment. C'est un vrai labyrinthe, ce qui me semble réfléchi. Le changement de qualité à la suite de ce contrat est, en revanche, étayé par des témoignages directs de directeurs et de cadres du service achats.
Ces pratiques financières ont un impact non seulement en matière de gestion de l'argent public, mais aussi sur la prise en charge de ces personnes et sur leur dignité, ce qui provoque également une souffrance pour le personnel et les directeurs d'établissement. Ces derniers n'ont cessé de perdre en marges de manoeuvre : une application informatique commune à Orpea et à Hartmann définissait le nombre et le type de protections auxquelles ils avaient droit, sans adaptation possible pour les profils atypiques. Un directeur aurait voulu commander des protections adaptées pour une personne en surpoids : cela lui était impossible dans l'application. Pour le hors-standard, qui est tout de même très fréquent, il fallait passer par d'autres canaux, recevoir l'autorisation du directeur régional, qui leur était souvent refusée s'ils osaient la demander. Ils avaient conscience de la maltraitance qu'ils faisaient subir à ces personnes recevant des protections inadaptées, mais demeuraient dépendants du système en place.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Qu'en est-il des difficultés que vous avez rencontrées pour obtenir de la part d'Orpea, des ARS et des conseils départementaux des documents relatifs aux remises de fin d'année ?
M. Victor Castanet . - Rappelons d'abord qu'Orpea a commencé par nier l'existence de telles remises, avant de les présenter comme des commissions versées par les fournisseurs pour paiement de services que leur aurait fournis Orpea.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - M. Mérigot, de Korian, a affirmé la même chose.
M. Victor Castanet . - Je n'ai enquêté que sur Orpea, je ne me prononcerai donc pas sur Korian. Pour Orpea, il y a plusieurs éléments problématiques. Les marges arrière, ou remises de fin d'année, peuvent être légales, mais leur régularité n'est pas établie quand de l'argent public est concerné. Je n'ai pas connaissance d'autres situations de ce type. Ensuite, les autorités de contrôle n'étaient pas au courant. Cette information était cachée lors de la remise de compte annuelle aux inspecteurs des ARS ou des conseils départementaux. Les inspecteurs avaient les factures, mais pas les contrats-cadres. Par ailleurs, le taux moyen de telles remises dans d'autres secteurs oscille entre 2 % et 10 % ; ici, pour les laboratoires, ce taux dépassait 20 %, et atteignait même 28 % pour les protections ! Ces sommes étaient reversées non pas aux établissements, mais au siège du groupe. Enfin, qui a vérifié au cours des quinze dernières années que les prestations de service dont on dit qu'elles justifient ces remises ont bien été réalisées, qu'elles représentaient jusqu'à 28 % de la valeur du contrat et qu'elles profitaient aux résidents ? Le système est extrêmement opaque, au détriment de l'argent public. Le groupe a tout fait pour en cacher l'existence aux autorités de contrôle pendant des années.
Oui, j'ai rencontré des difficultés pour obtenir certains documents. J'ai commencé par recueillir des témoignages de soignants, puis de directeurs d'établissement et de personnes exerçant de plus hautes fonctions au sein du groupe, qui m'ont expliqué la pratique des remises de fin d'année et l'optimisation de la masse salariale. Certains d'entre eux ont eu le courage de me transmettre des documents internes, notamment sur l'inadéquation entre les postes financés par l'argent public et ceux qui étaient réellement pourvus.
Pour exploiter ces documents, il fallait que je les compare à ce qui avait été déclaré aux autorités de contrôle. Je me suis donc adressé à certaines ARS, notamment d'Île-de-France et d'Aquitaine, en leur expliquant que je menais une enquête sur Orpea et qu'on m'avait rapporté certaines irrégularités quant à la gestion de l'argent public. Toutes les ARS que j'ai contactées ont refusé de me rencontrer, m'ont affirmé que je n'avais pas le droit de consulter ces documents et m'ont dissuadé d'aller au bout. Je me suis étonné que ces documents ne soient pas publics. J'ai eu le sentiment à plusieurs reprises d'être vu comme un gêneur. Orpea a même été mis au courant de mes demandes auprès de certaines ARS ; j'en ai été informé par l'ancienne directrice de la communication du groupe, Brigitte Cachon. Cela m'a incité à plus de prudence dans mes contacts avec les ARS, au vu du contact étroit que certains de leurs employés avaient avec le groupe. Cela m'a beaucoup surpris, car j'aurais imaginé que mon enquête était utile pour la gestion de l'argent public dont les ARS sont responsables.
En revanche, certains inspecteurs des conseils départementaux de la Gironde et de la Vienne m'ont déclaré avoir le droit de me transmettre ces déclarations annuelles, de façon que je puisse procéder à ces vérifications, ce qu'ils ont effectivement fait. S'ils avaient eu la même attitude que les ARS que j'ai contactées, je n'aurais jamais pu obtenir de preuves. Je ne veux pas généraliser : je ne dis pas qu'il y a collusion avec les grands groupes dans toutes les ARS. En revanche, j'ai concrètement fait une telle expérience dans certaines d'entre elles. J'ai aussi relevé que plusieurs anciens salariés de ces agences étaient employés au siège du groupe et que des liens étroits subsistaient avec certaines ARS. Je ne m'attendais pas à de tels liens avec les autorités de contrôle.
Depuis 2017, on a progressivement mis en place les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), conclus non plus par établissement, mais par groupement d'établissements. Si ce système avait été mis en place plus tôt, j'aurais eu encore plus de mal à démontrer les dysfonctionnements, du fait de l'opacité accrue des budgets.
La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui a mis en place les CPOM, a, de ce point de vue, pleinement satisfait les demandes des dirigeants d'Orpea. Il y a désormais beaucoup moins de contrôles : on ne vérifie plus le nombre d'équivalents temps plein, mais seulement la masse salariale générale, et les excédents de dotation ne sont plus repris. Cette loi a été très utile au groupe ; je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le CPOM est intéressant pour un établissement : cela lui permet d'avoir de la visibilité sur cinq ans. Mais, dans le cas d'un groupe, moins contrôlé, beaucoup d'échappatoires sont possibles.
M. Victor Castanet . - Plusieurs inspecteurs de conseils départementaux m'ont exposé ce mouvement : à un moment, l'État a décidé de faire confiance et de moins contrôler. Ils recevaient des consignes en ce sens. Un budget était établi ; il n'y avait pas de raison de reprendre de l'argent. L'approche du CPOM ne marche que si l'on considère que les grands groupes sont vertueux, mais il y a toujours des acteurs qui le sont moins que d'autres...
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Votre livre a été un coup de tonnerre, même si les professionnels de ce secteur nous alertaient déjà sur leurs conditions de travail. Vous avez su montrer le caractère odieux de certaines pratiques dans le secteur lucratif.
Vous avez consacré un chapitre de votre ouvrage aux contrôles « bidons ». Vous évoquez le cas d'un contrôle annulé très peu de temps avant la date prévue grâce à l'intervention d'une personne influente. Vous venez encore d'évoquer les anciens salariés d'ARS ayant rejoint ces groupes privés. Disposez-vous d'éléments factuels sur ce point ? Pourriez-vous nous les communiquer ?
À votre connaissance, combien y a-t-il eu de contrôles inopinés et de contrôles préparés chez Orpea ces cinq dernières années ?
Les professionnels de ces établissements, travaillant dans des conditions déplorables et se voyant contraints de maltraiter les personnes hébergées, en souffrent. Les conseils de vie sociale peuvent-ils, selon vous, représenter une forme de médiation et de démocratie au sein des établissements ?
M. Victor Castanet . - Suivant un témoignage que j'ai reçu d'un cadre dirigeant d'Orpea, un contrôle a bien été annulé à la suite de l'appel de l'un des dirigeants du groupe à un salarié de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) d'Île-de-France. La personne qui m'en a fait part était notamment chargée de la préparation des contrôles dans les cliniques. Ces contrôles étaient peu nombreux : une dizaine en huit ans sur 50 établissements.
Un contrôle de conformité était effectué trois semaines après l'ouverture d'une clinique. Tout était évidemment parfait à ce moment ; c'est ensuite que l'on réduisait le personnel et que l'on augmentait la capacité d'accueil. En cas de contrôle par la suite, le groupe était contacté à l'avance par l'ARS, généralement un mois avant le contrôle. Ce cadre faisait ensuite le nécessaire : il allait chercher quelques aides-soignants supplémentaires dans une autre résidence, modifiait des contrats de travail et des plannings. Le jour même, il se rendait sur le site pour tout préparer en détail ; il lui était même arrivé de faire sortir du site, pour le temps du contrôle, des résidents surnuméraires.
Cette personne m'a rapporté certains faits qui l'avaient intriguée quant aux liens entre le groupe et certaines ARS. Orpea avait une bonne idée de la sévérité relative des contrôles dans les différentes régions. Certaines agences étaient plus attentives que d'autres quant aux excédents de dotation, d'autres étaient vues comme des amies ; c'était le cas de l'ARH d'Île-de-France.
Il est arrivé à cette personne de se trouver incapable de préparer correctement un contrôle prévu dans une clinique. Il s'en est ouvert à son supérieur, le patron de la branche Clinea, qui lui a promis de s'en occuper. Une semaine après, ce supérieur lui confirmait avoir appelé l'une des inspectrices de l'ARH d'Île-de-France : le contrôle n'aurait pas lieu.
Mon contact s'est rendu compte que cette inspectrice était en contact direct avec l'un des hauts dirigeants d'Orpea, ils déjeunaient ensemble régulièrement. Ce lien permettait notamment au groupe de disposer à l'avance d'informations relatives aux autorisations d'ouverture d'établissement. Après chaque rencontre avec cette inspectrice, les salariés du siège recevaient des instructions pour préparer tel ou tel dossier, trouver un terrain, des médecins... Orpea avait ainsi une longueur d'avance sur ses concurrents.
Cette inspectrice a fini par quitter l'ARH d'Île-de-France ; quelques jours après, elle était embauchée au siège du groupe, à un poste important dans le développement. Des cadres dirigeants d'autres groupes se sont aussi interrogés quant à cette embauche et au fait que l'État n'avait pas réuni de commission de déontologie pour déterminer la légalité d'une embauche aussi rapide dans un groupe privé auquel cette personne délivrait encore des autorisations d'ouverture quelques semaines plus tôt.
Je suis journaliste. Je n'ai aucun moyen de savoir si cette façon de faire est légale ou non. Ce qui est certain, c'est que des cadres dirigeants d'Orpea et d'autres patrons du secteur se posent la même question.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous avez le nom de cette personne ?
M. Victor Castanet . - Oui, j'ai son nom.
Avec ma maison d'édition, nous avons décidé de ne citer que les principaux dirigeants de ces groupes, et non l'ensemble des intervenants, non seulement pour des raisons juridiques, mais aussi parce qu'il s'agit davantage de dénoncer un système que de cibler des individus.
Quand il a été demandé au docteur Marian, à l'Assemblée nationale, si d'anciens fonctionnaires d'agences régionales de santé travaillaient au siège d'Orpea, il a longuement hésité avant de déclarer que le groupe avait peut-être recruté des consultants ayant ce profil. Je peux vous assurer qu'il s'agit non pas de consultants, mais bien de salariés ayant fraîchement quitté des ARS.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - La question sera posée sous serment aux opérateurs Orpea et Korian, mais nous aimerions que vous nous fournissiez les noms en votre possession, après en avoir discuté avec votre maison d'édition.
M. Victor Castanet . - Cette porosité des liens entretenus entre Orpea et certaines ARS pose question. Quand ce groupe embauche d'anciens hauts fonctionnaires à des postes importants, notamment dans le secteur du développement, c'est pour une raison précise : profiter de leurs contacts.
En ce qui concerne le conseil de vie sociale (CVS), je peux seulement dire que plus les familles sont impliquées dans le fonctionnement des établissements, mieux c'est. Les CVS peuvent faire remonter certains dysfonctionnements aux directeurs d'établissements. Pour autant, ce n'est pas la solution parfaite : on trouve des CVS chez Orpea. À partir du moment où les directeurs n'ont pas de pouvoir, les CVS peuvent toujours se plaindre, les choses ne changeront pas.
Certains directeurs se battent au quotidien pour que leurs résidences fonctionnent au mieux, mais eux aussi sont victimes de cette organisation.
De plus, Orpea a mis en place un système de primes : si les objectifs de qualité, et surtout de rentabilité, largement prédominants, sont atteints, les directeurs touchent des primes pouvant représenter de 15 000 à 18 000 euros par an. Ils sont donc poussés à faire des économies sur un budget déjà très serré.
Recevoir des primes pour avoir fait baisser des coûts, ce qui entraîne forcément une perte de qualité de la prise en charge, peut se révéler traumatisant : coincés entre leurs intérêts personnels et ceux de leurs résidents, de nombreux directeurs finissent par être dégoûtés de la façon dont ils exercent leur métier au sein d'Orpea. Beaucoup d'entre eux évoquent un choc post-traumatique et doivent faire des années de psychanalyse pour s'en remettre. Ils ont l'impression de participer à un système qui les pousse à agir contre leurs valeurs éthiques.
En outre, ce système permet aussi à la direction générale de se dédouaner : elle impose un budget très serré, qui crée le rationnement, et va ensuite inciter le directeur à aller encore plus loin, quitte à le pousser à la faute.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Après une grande fatigue, M. Le Masne a pu être interrogé le 9 mars dernier. Selon lui, ces accusations sont portées par trois ou quatre personnes ayant été licenciées depuis longtemps et les faits reprochés remonteraient à plus de dix ans.
Il a également déclaré que les marges arrière n'existaient pas et qu'il n'y avait jamais eu ni limite de coûts pour tout ce qui concerne le résident ni rationnement de repas.
Nous serions intéressés par tous les éléments en votre possession permettant de contredire ces propos.
M. Victor Castanet . - Mon enquête s'étale sur trente ans. J'ai recueilli les témoignages des premiers collaborateurs d'Orpea jusqu'à ceux d'aujourd'hui, en 2021.
M. Le Masne a effectivement déclaré qu'il n'y avait aucun rationnement sur tout ce qui touchait aux résidents. Pour le contredire, il suffit d'écouter Jean-Claude Brdenk, le directeur général délégué à l'exploitation du groupe, qui a reconnu voilà quelques semaines qu'il existait des budgets « alimentation » de 4,35 euros par jour et par résident.
Tous les chefs cuisiniers auxquels j'ai parlé ont souligné qu'un tel budget les obligeait non seulement à rationner, mais aussi à peser chaque aliment. Comme je l'ai relevé à l'Assemblée nationale, j'ai été touché par ces témoignages de cuisiniers obligés de couper en deux des steaks hachés de 100 grammes pour servir deux repas à des personnes pesant parfois plus de quatre-vingts kilos. De même pour le rôti, dont la tranche ne devait pas excéder quarante grammes, soit deux bouchées, ou le beurre, dont les portions ne permettaient même pas aux résidents de tartiner leurs trois biscottes le matin.
Il s'agit d'un rationnement effrayant, surtout au regard du prix de la journée. Les établissements Orpea sont parmi les plus chers de France. Tous n'atteignent pas les tarifs des Bords de Seine, entre 7 000 et 8 000 euros par mois, mais ceux d'entrée de gamme coûtent entre 2 500 et 3 000 euros par mois, et les cuisiniers dont j'ai recueilli les témoignages travaillaient dans des établissements coûtant entre 4 000 et 5 000 euros par mois.
Mme Chantal Deseyne . - Les révélations de votre livre ont eu l'effet d'une bombe dans le secteur du grand âge et de la dépendance, mais aussi dans l'opinion. On savait qu'il existait localement des cas de maltraitance, mais on ignorait qu'il s'agissait d'un système organisé, avec la connivence éventuelle des ARS.
Avez-vous subi des pressions de la part de ces groupes, notamment Orpea et Korian, pour empêcher votre enquête d'aboutir et votre livre de paraître ?
Mme Véronique Guillotin . - Le début de votre livre laisse penser que ces restrictions étaient ciblées sur les personnes les plus fragiles, souffrant de troubles cognitifs, et qui recevaient le moins de visites, alors que d'autres, plus en forme et à même de s'exprimer, étaient mieux traitées. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Vous évoquez la mise en place d'une fin de vie parfois effroyable, sans en avertir la famille, à travers un cas particulier. Avez-vous connaissance d'autres exemples d'administration de médicaments pouvant être létaux à des personnes ne l'ayant pas demandé ?
M. René-Paul Savary . - Je m'étais opposé à la mise en place des CPOM, qui rendaient les choses encore plus complexes. J'avais d'ailleurs été surpris de voir des syndicats soutenir ce dispositif.
Le directeur de mon département m'a récemment confirmé que déterminer les prix de journée à travers les CPOM, surtout avec plusieurs établissements de nature différente sur un même département, était aujourd'hui d'une difficulté sidérante.
Le département verse directement certaines prestations, notamment l'APA, aux établissements GIR 1 à 4. Pour ce faire, on établit un GIR pondéré. Si je comprends bien le système que vous décrivez, les dotations versées aux établissements selon ce GIR moyen pondéré qui ne seraient pas entièrement utilisées remonteraient dans les comptes du groupe, au niveau national, pour masquer ce détournement. Ai-je bien compris ?
M. Olivier Henno . - Beaucoup d'entre nous ont déjà siégé dans des conseils d'administration d'Ehpad publics ou associatifs à but non lucratif. Nous disposions alors des comptes et des budgets prévisionnels.
Les comptes de chaque établissement de ces groupes sont-ils individualisés ou globalisés ? S'ils sont globalisés, comment la tutelle peut-elle accepter une telle situation ?
M. Victor Castanet . - Mes sources et moi avons effectivement subi certaines pressions.
J'ai d'abord conduit mon enquête pour un grand quotidien national. Lorsque le groupe a été au courant de mes recherches, ses dirigeants ont demandé à me rencontrer, ce qui est très inhabituel. Normalement, ils ferment l'accès de tous leurs Ehpad et cliniques et dissuadent les journalistes d'enquêter. J'ai refusé de les rencontrer. Le groupe a alors contacté le quotidien pour lequel je travaillais en dénonçant mes méthodes, prétendant qu'elles n'étaient pas déontologiques.
Par la suite, tout au long de mon enquête, j'ai reçu courriers et mails, parfois très menaçants, me demandant très clairement d'arrêter. Au début de la crise sanitaire, j'ai continué de rencontrer des personnels et aides-soignants qui acceptaient de raconter ce qui se passait dans le groupe. J'ai reçu des messages très menaçants expliquant que mon enquête mettait en péril le travail des équipes du groupe, ce qui risquait de causer des accidents en période d'épidémie de covid-19.
Certaines de mes sources ont été contactées par le groupe avant que je les rencontre et ont refusé de s'exprimer ; d'autres, qui m'avaient déjà transmis des documents, par exemple, se sont ensuite murées dans le silence et ont fait machine arrière. Beaucoup avaient peur des agissements du groupe.
Dans la mesure où il s'agissait d'une enquête sur un des gestionnaires de maisons de retraite, j'ai d'abord pris cela pour de la paranoïa. Mais j'ai découvert ensuite les méthodes du groupe : appel à des officines de surveillance pour infiltrer ses salariés, notamment les syndiqués, et monter des dossiers à leur encontre ; recours à des directeurs « nettoyeurs » - l'un d'entre eux a accepté de témoigner dans mon livre - chargés de licencier des salariés, parfois de manière extrêmement brutale ; attestations demandées aux aides-soignantes à l'encontre des directeurs licenciés... Quand vous êtes aide-soignante et que vous gagnez 1 800 ou 2 000 euros, vous faites l'attestation qu'on vous demande.
Le groupe est habitué à prendre des libertés avec le droit du travail. Il a même mis en place un syndicat maison, Arc-en-ciel, dirigé par le service des ressources humaines d'Orpea. Des salariés se sont ainsi retrouvés face à leur direction, accompagnés d'un élu d'Arc-en-ciel qui n'était pas là pour les défendre...
Le groupe a mis en place tout un tas de pratiques pour tenir le personnel et dissuader ceux qui avaient été licenciés de jamais dénoncer les pratiques du groupe. Beaucoup des sources que j'ai rencontrées étaient terrifiées - le mot n'est pas trop fort - à l'idée de témoigner. Certains anciens directeurs pensaient même que j'étais une taupe au service du groupe !
En ce qui concerne le ciblage, le système mis en place crée des situations de maltraitance. Pour autant, il n'y a pas d'actes de maltraitance quotidiens dans les établissements Orpea. Ce système aura moins d'impact sur une personne âgée non dépendante. Un certain nombre d'établissements, notamment les Bords de Seine, à Neuilly, s'apparentent à des hôtels de luxe. Par contre, tout l'aspect médical est défaillant : dès les premières dépendances, ce système devient destructeur. Et si votre famille est peu présente, vous ne pouvez plus vous plaindre à personne. Les personnes les plus touchées, comme l'ont relevé les aides-soignantes, les auxiliaires de vie ou les directeurs que j'ai rencontrés, sont celles qui sont placées en unité protégée et souffrent de troubles sévères. C'est une situation parfois assez terrible.
Mme Véronique Guillotin . - Ma question ne portait pas tant sur l'aspect médical que sur l'alimentation et le quotidien. Les personnes payant parfois 7 000 euros par mois et ayant toute leur tête étaient-elles soumises au même régime, avec un demi-steak haché dans leur assiette ou seulement trois biscottes ?
M. Victor Castanet . - Non, les rationnements se faisaient sur les plus fragiles ou sur les patients qui payaient moins cher, même s'il y a aussi un coût repas journalier aux Bords de Seine, certes plus élevé. C'est d'ailleurs dans cet établissement que les protections étaient limitées à trois par jour. Certaines familles, qui payaient 8 000 euros ou plus par mois, achetaient elles-mêmes des protections pour être sûres que leur proche soit changé.
À d'autres, qui s'étaient plaintes de dysfonctionnements, notamment d'un manque de personnel, la direction a proposé des dames de compagnie. L'un des dirigeants a expliqué qu'il n'y avait aucune dame de compagnie dans les établissements, mais beaucoup de familles m'ont expliqué que ce sont bien les directeurs qui leur ont proposé de prendre une dame de compagnie, présente dans l'établissement, qu'il fallait rémunérer environ 700 euros par mois.
Aux Bords de Seine, on m'a aussi rapporté que l'on témoignait d'un peu plus d'égards aux anciennes personnalités politiques ou médiatiques, par exemple.
En ce qui concerne les excès de dotations, le système fonctionnait de la même manière pour le forfait soins ou le forfait dépendance. Ces établissements reçoivent des dotations annuelles en fonction du nombre de résidents et du GIR. Le directeur remplissait une déclaration de fin d'année retraçant ses dépenses, qu'il envoyait au siège. Elle était alors contrôlée par Yves Le Masne et par le service chargé de la tarification. Et c'est le siège qui transmettait ensuite cette déclaration aux conseils départementaux et aux ARS.
Le directeur d'établissement avait l'interdiction d'avoir le moindre échange avec ces derniers ; il ne pouvait même pas leur répondre au téléphone. Je ne comprends d'ailleurs pas que les ARS et les conseils départementaux aient accepté une telle situation. S'ils avaient besoin d'éclaircissements, ils appelaient non pas le directeur d'établissement, mais le siège, notamment la responsable du service tarification. Or le seul à même de pouvoir dire ce qu'il a dépensé dans son établissement, c'est le directeur. Et c'est lui qui aurait pu alerter sur un manque de personnel dans sa résidence. Cependant, les ARS et les conseils départementaux ont accepté cette centralisation.
Au regard des documents que j'ai pu obtenir, et je crois savoir que l'Inspection générale des finances a constaté la même chose, il existe un écart entre les déclarations des directeurs et les documents transmis par le siège aux autorités de contrôle. M. Véran a annoncé plus de contrôles, plus d'inspecteurs. Il a même dit que les ARS allaient contrôler les 7 500 Ehpad. Mais c'est le siège qu'il faut contrôler...
M. René-Paul Savary . - Malheureusement, il me semble que la loi ne le permet pas.
M. Victor Castanet . - Personne n'a contrôlé le siège d'Orpea ces dernières années. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n'aurait-elle pu s'en charger ?
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Tout l'intérêt de cette mission d'information est de proposer des modifications législatives. Et nous le ferons.
M. Victor Castanet . - Ces grands groupes ont tout centralisé depuis des années.
M. René-Paul Savary . - Les contrôles qui ont été annoncés ne vont donc servir à rien. Comme vous le soulignez, il faut plutôt les diriger vers les sièges.
M. Laurent Burgoa . - Si vous aviez une proposition à nous faire pour améliorer le contrôle des Ehpad, quelle serait-elle ?
M. Victor Castanet . - Il faut bien évidemment mettre en place un système de contrôle centralisé, mais ce n'est pas tout.
Orpea était géré par un ancien contrôleur de gestion. Les inspecteurs que j'ai rencontrés ne connaissent rien à la comptabilité analytique ou aux circuits financiers. Ils ont une expertise médicale ou en droit du travail, mais aucune expertise comptable ou financière. Les groupes dont nous parlons s'appuient sur des équipes de haut niveau ; il faut donc des inspecteurs formés à ces domaines de compétence. Peut-être même faudrait-il recruter d'anciens professionnels du secteur, plus à même de déceler les failles.
M. Laurent Burgoa . - Est-ce aux ARS ou aux conseils départementaux de toujours contrôler ou faut-il une structure administrative autonome ?
M. Victor Castanet . - Il serait très bienvenu d'instaurer une autorité indépendante composée d'experts. Cela permettrait d'assurer une forme d'indépendance vis-à-vis de ces groupes.
Je ne veux pas jeter l'opprobre sur les ARS en général, mais comment un groupe comme Orpea, leader mondial du secteur, a-t-il pu mettre en place de telles pratiques depuis vingt ans sans qu'aucune ARS ou aucun conseil départemental s'en inquiète ?
Je ne pense pas que recruter une centaine d'inspecteurs supplémentaires ou contrôler tous les Ehpad soit la solution.
Mme Brigitte Micouleau . - Il faut aussi tenir compte des familles, qui sont les premiers lanceurs d'alerte.
M. Victor Castanet . - Tout à fait.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Il y a deux étages : d'une part, la vie des établissements, quels qu'ils soient, y compris publics, et les formes de maltraitance que l'on peut y rencontrer, d'autre part le contrôle de ces grands groupes, qui ont la mainmise sur ce secteur. Il faut mettre en place les contrôles financiers nécessaires, notamment en ce qui concerne les détournements de fonds publics.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Cette mission d'information a vocation à déboucher sur des propositions concrètes dans le cadre de l'élaboration de la loi sur le grand âge. Nous voulons prendre des décisions fortes à l'endroit de ces groupes privés. Les choses ne peuvent continuer ainsi. C'est une question de morale.
Pendant très longtemps, les conseils départementaux distribuaient l'APA aux bénéficiaires, de manière individualisée, et non aux établissements. C'est avec le GIR moyen pondéré que les choses ont changé. Par ailleurs, les départements n'avaient rien à dire sur l'installation de ces groupes, qui dépendait d'une autorisation de l'ARS.
J'ai ainsi appris avec surprise qu'il y avait des Orpea et des Korian dans mon département, alors que je n'en ai jamais autorisé un seul. Au contraire, j'avais rencontré M. Marian voilà quelques années pour lui dire que nous n'avions pas les moyens d'implanter ses établissements dans la Loire. Beaucoup de groupes rachètent des établissements existants. C'est là qu'est tout le problème.
M. Victor Castanet . - Il s'agit d'un point très important. Ces groupes, en plus d'avoir obtenu des autorisations de manière parfois douteuse, ont aussi racheté beaucoup d'établissements.
Lorsque je l'ai rencontré, M. Claude Évin m'a affirmé qu'il n'était pas possible de transférer une autorisation d'implantation sans accord des ARS. Pourtant, c'est bel et bien possible : des directeurs d'ARS m'ont expliqué que beaucoup de structures, à peine montées, étaient rachetées par de grands groupes sans qu'ils aient leur mot à dire.
Il faut bien comprendre qu'une autorisation, délivrée gratuitement par l'État, vaut au moins 1 million d'euros le lendemain de la délivrance. Ce marché des achats et reventes d'autorisations est gigantesque. Dans les comptes annuels d'Orpea, le solde des immobilisations incorporelles représente plus de 2 milliards d'euros.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous comptons bien aller au fond des sujets dans le cadre de ce contrôle.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci de votre participation à nos travaux, Monsieur Castanet.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de syndicats
représentant les corps
d'inspection des ARS
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), nous entendons ce matin les représentants de syndicats représentant les corps d'inspection des agences régionales de santé (ARS) : M. Stéphane Bernard, secrétaire général adjoint du syndicat national des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, M. Thierry Fouéré, président du syndicat des médecins inspecteurs de santé publique, M. Aissam Aimeur, président du syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que la commission des affaires sociales du Sénat a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs . Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.
C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser à la question du contrôle.
Depuis la parution du livre, différentes investigations ont été lancées, notamment une mission conjointe de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF), et le Gouvernement a fait différentes annonces, notamment celle du lancement d'un vaste programme de contrôle. Ce dernier point a suscité des réactions diverses entre ceux qui ont salué cette démarche et ceux qui ont regretté qu'elle se fasse au détriment des établissements et des ressources dont ils disposent.
Messieurs, je vous remercie de vous exprimer sur ces points en quelques minutes chacun, afin de laisser le maximum de temps aux échanges, et demande à tous d'être concis dans les questions et les réponses.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Bernard, Picquet, M. Thierry Fouéré et M. Aissam Aimeur prêtent serment.
M. Aissam Aimeur, président du syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre propos liminaire prendra la forme d'une déclaration commune à nos trois organisations.
Avant tout, nous tenons à vous remercier de nous avoir conviés à vos travaux dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad.
Nous souhaitons vous faire part de notre diagnostic partagé sur les missions de contrôle mises en oeuvre par les agences régionales de santé. Il nous semble important de clarifier la notion de contrôle, parce qu'elle est souvent confondue, y compris au sein des ARS par certains de nos dirigeants, avec des notions plus ou moins voisines, comme celles d'évaluation, de certification ou d'audit, et de vous en indiquer notre définition.
Pour nous, en tant que corps d'inspection, le contrôle est une mission régalienne, qui consiste à procéder à des investigations approfondies et qui met surtout en oeuvre l'autorité publique, en application de pouvoirs conférés par la loi. Le contrôle vise alors à vérifier qu'une structure ou un professionnel veille bien au respect de la réglementation qui lui est applicable. Il permet non seulement de signaler des écarts à la norme juridique, mais surtout de mettre en évidence des dysfonctionnements ou des anomalies, d'identifier des risques majeurs, notamment des pratiques déviantes, en vue de les faire cesser ou de demander à ce qu'il y soit remédié, afin de garantir la sécurité des personnes.
À la différence de l'évaluation ou de l'audit, le contrôle constitue une activité susceptible d'entraîner des mesures de police administrative, voire des sanctions de nature administrative ou de nature financière. Pour des professionnels inscrits à un ordre professionnel, cela peut aussi déboucher sur des sanctions disciplinaires ordinales, voire sur des sanctions pénales. En effet, certains inspecteurs comme les pharmaciens inspecteurs, qui sont assermentés, sont habilités à rechercher et à constater des infractions pénales.
Le contrôle s'appuie sur deux modes d'investigation qui sont cumulables : d'une part, le contrôle sur pièces, c'est-à-dire documentaire, sans déplacement, d'autre part, le contrôle sur site, que nous appelons « inspection » dans notre jargon. Une inspection peut être prévue, dans le cadre d'une programmation qui peut être annuelle ou pluriannuelle, déclenchée en urgence, en cas de risque grave pour la santé ou de crise médiatique, comme on le voit aujourd'hui. Par ailleurs, elle peut être inopinée ou annoncée quinze jours ou un mois avant.
Bien que la loi prévoie que l'inspection-contrôle fasse partie intégrante des missions des ARS, cette activité ne constitue absolument pas une priorité pour ces agences, nous tenons à insister sur ce point : c'est sans nul doute une mission accessoire, qui passe au second plan, voire au dernier plan en fonction des structures - cela dépend fortement de la personnalité du directeur général de l'ARS. Il n'est donc pas étonnant de constater la marginalisation des corps d'inspection au sein des ARS.
Cela fait plus de dix ans que nous évoquons cette situation lors d'inspections ou d'évaluations réalisées par l'IGAS ou à l'occasion des missions d'évaluation et de contrôle de la sécurité nationale (Mecss) du Sénat et de l'Assemblée nationale. C'est pour nous un fait établi et avéré.
La suppression de l'activité d'inspection-contrôle dans les lettres de mission signées par le ministre des solidarités et de la santé et adressées aux directeurs généraux des ARS est intervenue en 2019. Avant, cet objectif y figurait. Cela confirme bien que ce n'est pas prioritaire, y compris par le niveau national.
De la même façon, les objectifs et les indicateurs de suivi qui concernent cette activité ont également été retirés des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) signés entre les ARS et l'État.
M. Stéphane Bernard, secrétaire général adjoint du syndicat national des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale . - En 2022, alors que les lettres de mission pour la période 2022-2025 sont en cours de signature entre le ministre des solidarités et de la santé et les directeurs généraux d'ARS - je rappelle qu'une lettre de mission est en quelque sorte un contrat ou une feuille de route que signe chaque directeur général de l'ARS avec le ministre des solidarités et de la santé lui fixant ses objectifs pour une période de trois ans -, à notre connaissance, l'inspection-contrôle ne figure toujours pas parmi les priorités. Compte tenu du contexte, il y a là un paradoxe.
En 2019, un rapport de l'IGAS le mentionnait et sonnait l'alerte sur ce sujet.
M. Aissam Aimeur . - Depuis la mise en place des ARS en 2010, nos trois organisations syndicales n'ont eu de cesse d'alerter les responsables du ministère des solidarités et de la santé, les directeurs généraux d'ARS, les parlementaires, d'une part, de la diminution très inquiétante du nombre des inspections et les contrôles effectués par les ARS, d'autre part, des difficultés rencontrées sur le terrain par les inspecteurs pour exercer leur mission au sein de ces agences.
L'IGAS, qui s'intéresse beaucoup à la mission d'inspection-contrôle depuis plus de trente ans, a rendu plusieurs rapports en ce sens. Depuis la mise en place des ARS se sont développées des missions d'appui et de conseil et ont été publiés des rapports d'évaluation ; il en existe à ma connaissance au moins trois sur la fonction d'inspection-contrôle. Surtout, l'IGAS dresse tous les ans un bilan quantitatif et semi-qualitatif de l'activité d'inspection-contrôle.
En outre, en 2013, un référé de la Cour des comptes concernant spécifiquement le corps des pharmaciens inspecteurs a relevé que ce corps n'inspectait plus et a enjoint d'y remédier.
En 2014, l'ancien président de mon syndicat a expliqué devant la Mecss du Sénat que la situation était très difficile. Cela a été pris en compte dans le rapport, mais rien n'a vraiment changé depuis huit ans.
L'année dernière, au mois de février 2021, avec mes collègues ici présents, j'ai été auditionné par la Meccs de l'Assemblée nationale. Le rapport, publié au mois de juin, pointe de nouveau la difficulté liée à l'inspection-contrôle.
On peut donc dire de manière manifeste que ce problème est connu depuis au moins depuis dix ans, depuis la mise en place des ARS. Nous avons pour notre part joué notre rôle d'alerte face à une situation qui n'allait pas. Depuis cette date, les choses n'ont pas évolué de manière substantielle.
M. Stéphane Bernard . - Le rapport de la Mecss de l'Assemblée nationale de juin 2021 comporte une proposition n° 11, préconisant de renforcer l'inspection dans les ARS et de clarifier sa place.
M. Aissam Aimeur . - Tous ces rapports, qu'ils soient administratifs ou parlementaires, ont confirmé ces constats alarmants, notamment le fait que la mise en place des ARS s'est accompagnée d'un recul significatif des missions d'inspection et de contrôle.
Si l'on entre dans le détail, on s'aperçoit que les moyens humains consacrés à l'inspection-contrôle par les ARS sont très insuffisants. Les données les plus fiables et consolidés à notre disposition sont celles de 2018 - au 1 er janvier 2018 a été mis en place un logiciel informatique métier dédié à l'inspection-contrôle, qui a succédé à un système déclaratif sous forme de tableaux Excel.
Ainsi, en 2018, environ 8 500 personnes, soit 8 300 équivalents temps plein (ETP), travaillaient dans les ARS. Parmi elles, 2 700 étaient juridiquement habilitées à réaliser des contrôles ; elles étaient réparties en deux groupes. Le premier groupe, qui représentait 80 % de ce vivier humain, est constitué de corps statutaires comme les nôtres - inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, médecins inspecteurs de santé publique, pharmaciens inspecteurs - et de trois autres corps s'occupant de la santé environnementale - ingénieurs d'études sanitaires, ingénieurs du génie sanitaire, techniciens sanitaires -, soit 2 231 agents habilités par la loi à réaliser des contrôles. Le second groupe est constitué de 536 agents de droit privé ou de droit public, essentiellement des contractuels ou des personnes en détachement issues des fonctions publiques territoriale ou hospitalière, qui, juridiquement, ne sont pas habilitées à procéder à des inspections ; toutefois, la loi a prévu que le directeur général de l'ARS pouvait les habiliter à l'inspection-contrôle et leur donner la qualité d'inspecteur ou de contrôleur après une formation qualifiante de quatre semaines ; dans le jargon, on les appelle les Icars, les inspecteurs-contrôleurs des ARS.
En 2018, sur ces 2 700 personnes, seuls 500 ETP étaient consacrés à l'inspection-contrôle en l'ARS, soit 6 % des ETP totaux. Évidemment, cela concerne tout le champ sanitaire - médico-social, ambulatoire, professionnels de santé -, sur tout le territoire. En effet, environ 1 000 inspecteurs habilités n'inspectent jamais : ils travaillent sur des missions d'accompagnement, de régulation, de planification, de gestion de projet, d'allocation de ressources... Pour les autres, le temps de travail consacré à cette mission est assez réduit, voire marginal : 8 % de leur temps de travail pour les médecins inspecteurs, 10 % pour les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, 28 % pour les pharmaciens inspecteurs, contre 79 %, pour ces derniers, en 2007, c'est-à-dire avant la mise en place des ARS. C'est sans doute moins aujourd'hui. Le reste de ce temps est consacré à diverses missions, par exemple d'efficience médico-économique, de veille et de sécurité sanitaires, c'est-à-dire aux missions prioritaires assignées aux ARS. Je le répète, le contrôle n'est pas prioritaire.
Il y a donc clairement un émiettement, voire une atomisation du temps de travail de chaque inspecteur, ce qui compromet nécessairement sa professionnalisation et surtout son savoir-faire. Inspecter est un métier : en cas de moindre activité, on perd rapidement en compétences, en qualifications et, surtout, en appétences.
La globalité des missions de contrôle et d'inspection assignée aux ARS concerne donc 500 ETP, mais plus de la moitié d'entre eux - 271 ETP - sont dédiés uniquement à la santé environnementale : contrôle de la qualité de l'eau - eaux de baignade ou de consommation -, lutte contre les légionelles, l'amiante, le radon, etc .
Par conséquent, en réalité, la ressource humaine disponible pour contrôler tout le champ sanitaire et médico-social est 230 ETP, et non pas 500.
M. Thierry Fouéré, président du syndicat des médecins inspecteurs de santé publique . - Je confirme qu'un très petit nombre d'ETP sont chargés de l'inspection relative à la prévention de la maltraitance, notamment dans les Ehpad. L'essentiel de nos inspections et contrôles concernent le secteur de la santé environnementale.
M. Aissam Aimeur . - On le voit bien, 230 ETP, c'est largement insuffisant pour 300 hôpitaux et cliniques, 7 500 Ehpad, les pharmacies de ville, les laboratoires d'analyse, le secteur du handicap, le secteur médico-social - 35 000 établissements et services - !
En 2018, sur ces 230 ETP, 49 étaient affectés à l'inspection-contrôle des Ehpad de toute la France, soit 0,6 % des ETP totaux des ARS.
On constate également que l'activité d'inspection et de contrôle a constamment diminué depuis la mise en place des ARS.
M. Stéphane Bernard . - De très nombreux articles ont été publiés sur ce sujet. Ainsi, Le Monde mentionne 24 Ehpad contrôlés en Île-de-France en 2018, contre 121 en Nouvelle-Aquitaine en 2019. En fait, en Nouvelle-Aquitaine, environ 75 % de ces contrôles concernaient la santé environnementale, c'est-à-dire le radon, la légionelle, les déchets d'activités de soins à risques infectieux (Dasri) et l'amiante, très loin des problématiques de la maltraitance en Ehpad. Les données réelles sont donc plus comparables à celles de l'Île-de-France.
M. Aissam Aimeur . - Le nombre global de contrôles, qui concerne la ville, l'hôpital, les professionnels de santé, le médico-social, est de 6 146 en 2016, 3 625 en 2018 et 2 620 en 2019, soit une baisse de 58 % en trois ans.
En 2018, 1 273 contrôles ont eu lieu dans le champ médico-social, mais cela inclut à la fois les personnes âgées et les personnes handicapées. Comme il s'agit d'un bilan semi-quantitatif, il est impossible de connaître le nombre d'Ehpad contrôlés, mais on l'estime entre 300 et 600.
L'érosion des effectifs au sein des ARS est constante : entre 2010, année de création des ARS, et 2020, 1 600 postes ont été perdus, ce qui a eu des conséquences sur les corps d'inspection. Tout cela a contribué à accélérer cette fragilisation du système de contrôle dans les champs sanitaire, social et médico-social. Entre 2014 et 2021, quasiment 400 postes ont été supprimés, ce qui représente une baisse de 30 % des effectifs des corps d'inspection les plus concernés par le contrôle des Ehpad et une baisse de 39 % des médecins inspecteurs.
M. Thierry Fouéré . - Il est important que vous sachiez qu'actuellement les missions d'inspection se rendent dans les établissements, notamment dans les Ehpad, sans médecin inspecteur tellement cette ressource manque ! Alors qu'on comptait en 2014 297 médecins inspecteurs dans les ARS, on en dénombre 181 au mois d'octobre 2021, d'après les chiffres de la DRH ministérielle, soit une perte de 116 postes. La trajectoire actuelle est une perte de 30 médecins inspecteurs de santé publique tous les dix mois. À M. Véran qui affirme qu'il va créer 150 postes dans les deux ans pour réaliser des inspections, je lui réponds que c'est le tonneau des Danaïdes, puisque l'on en perd plus que l'on en crée : à ce rythme, dans deux ans, on aura quasiment perdu presque 90 postes de médecins inspecteurs de santé publique.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Ne peut-on pas dire que cette perte est parallèle à celle que l'on constate dans les effectifs médicaux dans tous les domaines ? Il y a moins de médecins : cela se constate aussi dans votre corps.
M. Thierry Fouéré . - Le corps est très peu attractif. On a fait des propositions au ministère des solidarités et de la santé, j'ai envoyé deux lettres aux mois de février et de décembre 2021, l'une à M. Véran, l'autre à M. Champion, secrétaire général du ministère, pour que l'on relance le recrutement de médecins inspecteurs de santé publique. Dans ces courriers, je pointe que la question de la formation des médecins à l'inspection-contrôle se posera cruellement. Je n'ai aucune réponse. Un groupe de travail s'est réuni en mars et la DRH ministérielle a affirmé n'avoir jamais reçu mes courriers !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous voulions savoir pourquoi ces contrôles n'avaient pas été effectués et dans quelles conditions ils auraient dû l'être. Vous nous avez apporté des réponses. Je vous remercie de nous transmettre l'ensemble des documents que vous avez mentionnés.
Quelles suites sont données aux contrôles ? Quelle est la part des contrôles financiers dans les Ehpad ? De quels moyens disposez-vous pour suivre les établissements contrôlés ? Que faire pour que les contrôles soient effectifs et empêchent les dérives que l'on a constatées ?
M. Stéphane Bernard . - La plupart du temps, les missions d'inspection sont coordonnées par des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale. L'absence de médecins inspecteurs dans les équipes d'inspection est tout à fait problématique et handicapant, notamment dans le repérage de la maltraitance, puisque les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale n'ont pas accès aux données médicales confidentielles individuelles des résidents dans les Ehpad, ce qui limite considérablement le champ de nos investigations.
On établit dans nos rapports d'inspection des constats qui prennent la forme d'écarts et de remarques, qui donnent ensuite lieu à des décisions qui sont prises par les directeurs généraux d'ARS, dans le cadre d'injonctions, de prescriptions ou de recommandations.
Il y a un problème en termes de sanctions, puisque la fermeture totale ou partielle, temporaire ou définitive, d'une activité, la cessation d'activité d'un établissement sont très difficiles à mettre en oeuvre quand il s'agit d'un Ehpad : il faut reloger les résidents, c'est traumatisant pour les familles... On en a actuellement l'exemple en Île-de-France, avec un petit établissement d'une vingtaine de lits.
En revanche, ce qui est très insuffisant aujourd'hui, en dehors des sanctions administratives, telles que les mise sous administration provisoire et fermetures d'établissements, c'est le régime des sanctions financières qui peuvent être prises à l'encontre des gestionnaires d'établissements, qui est défini dans le code de l'action sociale et des familles et qui prévoit des astreintes journalières ou des sanctions financières. En effet, il n'est pas opérationnel, faute de décret d'application de l'ordonnance du 17 janvier 2018 pour permettre l'émission des titres de perception sur la base des sanctions prononcées par les ARS. Un groupe de travail se réunit depuis deux ans, mais il manque toujours ce décret d'application.
Le régime de sanctions financières serait à mon avis intéressant et constituerait un autre mode d'opération par rapport aux sanctions administratives très fortes - fermeture, mise sous administration provisoire... -, qui sont très rarement utilisées.
M. Aissam Aimeur . - Il existe trois types de suites : d'abord, les suites pédagogiques, qui sont en quelque sorte des avertissements, des demandes de remise en conformité avec une réglementation qui peut être opposable ou par des recommandations de bonnes pratiques, ensuite, les suites correctives, qui sont essentiellement des mesures de police administrative, c'est-à-dire des mesures conservatoires - injonctions, mises en demeure, mises sous administration provisoire -, enfin, des suites répressives, c'est-à-dire une fermeture, des sanctions financières...
Les rapports de l'IGAS montrent que le suivi existe : on dispose de chiffres fiables sur le nombre d'injonctions, de fermetures prononcées, de suites disciplinaires, de transmissions au parquet...
M. Stéphane Bernard . - Je souhaite revenir sur le cadre juridique de l'inspection, qui nous paraît insuffisant, notamment dans le cadre du repérage et de la prévention de la maltraitance. Le concept de maltraitance a été défini tout récemment, par la loi du 17 février 2022 relative à la protection des enfants. Il manque des décrets pour fonder nos constats et pour que ceux-ci débouchent sur des sanctions et des mesures correctives prises par les directeurs généraux d'ARS. Il n'est qu'à prendre l'exemple des ratios de personnels dans les Ehpad. Un article du code de l'action sociale et des familles évoque de manière très vague une équipe pluridisciplinaire avec un médecin, un infirmier, des aides-soignants, des aides médico-psychologiques, mais nous n'avons pas de ratios du nombre de personnes par résident dans un Ehpad.
Il en est de même de la prise en charge médicamenteuse en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes : il n'y a pas de réglementation opposable. Depuis 2017, il y a une orientation nationale d'inspection-contrôle sur les Ehpad, sur la qualité et la sécurité de la prise en charge médicamenteuse, qui a justement pour objectif d'aboutir à la définition d'une réglementation opposable. Alors que cela constitue bien un enjeu majeur, on n'a pas de support juridique très affirmé. Par conséquent, les missions d'inspection ressemblent plus à des audits d'accompagnement avec la présence de pharmaciens inspecteurs dans les équipes d'inspection.
En matière de contrôle budgétaire, les ARS disposent de deux leviers. La tarification des établissements est en dehors du champ de l'inspection - le cadre budgétaire a été juridiquement profondément allégé par la loi de 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, qui ont mis en place une réforme de la tarification des Ehpad avec des états prévisionnels de dépenses et de recettes, des états réalisés de recettes et dépenses et des CPOM.
Les ARS et les conseils départementaux contractualisent avec les gestionnaires d'Ehpad pour une durée de cinq ans. En matière de tarification, de grandes masses financières sont allouées aux structures. Le contrôle se fait maintenant par l'ARS sur la base de coûts des grandes masses financières et sur une durée pluriannuelle. Par ailleurs, dans la mesure où les CPOM sont signés à l'échelon des organismes gestionnaires, le contrôle budgétaire d'un établissement est rendu plus compliqué.
Comme cela a été montré dans l'ouvrage de M. Castanet, dans les groupes privés à but lucratif de type Orpea et Korian, les directeurs d'établissement ont très peu d'autonomie : le budget est défini par le siège, de même que le vivier de fournisseurs, l'ordonnancement des dépenses par un directeur est très réduit. Par conséquent, en cas d'inspection, le directeur, qui est notre interlocuteur, a une marge de manoeuvre extrêmement limitée dans le domaine budgétaire.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Dans ces cas-là, qui contrôlez-vous : le groupe ou l'établissement ?
M. Stéphane Bernard . - On contrôle l'établissement, en particulier tout ce qui relève du personnel, les effectifs réels budgétés, les effectifs présents le jour de l'inspection. Lorsque l'inspection est inopinée, il est intéressant de comparer qui était prévu au planning et qui est réellement présent au chevet du résident le jour de notre arrivée. Le plus gros poste de dépenses d'un Ehpad, ce sont les personnels.
On peut se faire communiquer toutes les pièces de tous les aspects budgétaires du fonctionnement de l'établissement, mais on ne peut pas contrôler le siège : cela relève de l'inspection générale.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Il s'agit pour nous de savoir ce que le groupe Orpea fait de l'argent public, après tout ce que l'on a appris sur les remises, les dotations non complètement dépensées. C'est donc un problème financier.
Il reste même des enquêtes à faire localement pour savoir comment se comportent les établissements, qu'ils soient de statut public, privé à but non lucratif ou privé à but lucratif.
M. Stéphane Bernard . - C'est tout l'intérêt des inspections conjointes qui sont réalisées presque systématiquement avec les conseils départementaux : cela permet d'avoir une approche globale de fonctionnement de la structure sur le soin, la dépendance et l'hébergement.
Cependant, on peut développer des inspections conjointes avec des inspecteurs des finances publiques ou des inspecteurs du travail, mais n'est pas encore une réalité. Souvent, les ARS disent non.
M. Aissam Aimeur . - Certaines inspections conjointes peuvent être réalisées avec les inspecteurs de la DGCCRF, notamment sur la question des marges arrières.
M. Stéphane Bernard . - Il en est de même des contrats de séjour qui sont signés par les résidents ou les représentants légaux des résidents, qui peuvent contenir des clauses abusives. Les agents de la DGCCRF, les inspecteurs des finances publiques pour la partie analyse financière ou les inspecteurs du travail pour la réglementation du travail peuvent nous aider. En tant qu'inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, nous ne sommes pas compétents pour relever des manquements à la réglementation et à la législation du code du travail et en faire part au directeur général d'ARS.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Je remercie d'avoir bien précisé la différence entre investigation, inspection, évaluation, contrôle.
Pour l'instant, les seules inspections conjointes que nous connaissons concernent le département et l'ARS. À votre connaissance, quelle en est la proportion ?
L'écueil, c'est bien que vous soyez seuls à mener ces inspections avec les moyens que vous avez décrits, en insistant bien sur le fait que ce n'était pas considéré comme une priorité dans les ARS. Comment améliorer cette situation ?
Vous parlez inspections conjointes avec la DGCCRF ou avec l'inspection du travail. Quel pas supplémentaire attendez-vous du législateur ?
M. Stéphane Bernard . - Les inspections conjointes sont très utiles dans certains cas. Par ailleurs, la professionnalisation de l'inspection-contrôle dans le champ sanitaire, social et médico-social est fondamentale. On parle aujourd'hui des Ehpad, mais on pourrait parler du secteur du handicap, du contrôle des majeurs protégés, ce qui ne relève pas des ARS.
Nous préconisons la création d'un service à compétence nationale rattaché au ministère chargé de la santé, voire à l'IGAS, qui aurait toutes les compétences requises et qui pourrait structurer cette fonction d'inspection-contrôle, qui, pour nous, n'est pas portée par les ARS historiquement, non plus que politiquement. Les lettres de mission ne comportent pas d'objectifs prioritaires sur l'inspection-contrôle, les effectifs sont réduits à la portion congrue.
Nous vous fournirons toutes ces données chiffrées dans un document que nous vous avons préparé et qui aboutit à des propositions.
M. René-Paul Savary . - Oui, il faut un contrôle de gestion. Or ce métier n'existe pas et vous n'avez pas cette responsabilité-là.
Avez-vous un code de déontologie qui fait que, quand vous quittez l'ARS, vous n'avez pas le droit pendant un certain nombre d'années de prendre des responsabilités dans des structures médico-sociales privées ?
M. Aissam Aimeur . - Ce sont les règles de la fonction publique d'État qui s'appliquent en matière de gestion des liens et des conflits d'intérêts.
Cela se fait à titre préventif, par un système de déclaration. Dans les ARS, une déclaration publique d'intérêts est systématiquement réalisée par tous les inspecteurs ou toutes les personnes qui n'ont pas la qualité d'inspecteur, mais qui ont la possibilité de prendre des décisions, d'octroyer des autorisations, d'influer sur une décision. Une fois que vous quittez la fonction publique - mise en disponibilité ou démission -, une déclaration doit être établie, qui, en fonction de votre niveau hiérarchique, est soumise soit à un comité de déontologie locale, soit à une commission de déontologie nationale en charge de vérifier l'adéquation entre le poste sur lequel vous voulez évoluer et vos missions antérieures. Une commission émet alors un avis : compatible, compatible avec réserve, incompatible.
M. René-Paul Savary . - Connaissez-vous des cas d'inspecteurs confrontés à ce type de situation ?
Par ailleurs, avez-vous été sollicités par des groupes dans le but d'intervenir sur vos missions ? Avez-vous des remontées de terrain en ce sens ?
M. Aissam Aimeur . - Il s'agit d'une question délicate.
Il faut savoir que l'inspecteur n'a pas de pouvoir d'initiative. Moi, pharmacien inspecteur, je ne peux pas décider demain de pousser la porte d'un établissement. Ce pouvoir appartient au directeur général de l'ARS : c'est lui qui décide et qui est le commanditaire, par le biais d'une lettre de mission. Il donne une délégation de signature à un directeur métier, par exemple un directeur en charge de l'offre de soins, ce qui donne à ce dernier la possibilité de diligenter des inspections. C'est donc à ce directeur métier que nous nous adressons et qui nous répond.
Nous ne sommes pas au courant de tout ! S'il y a des tractations ou une proximité ou s'il y a des enjeux stratégiques, économiques, voire politiques que l'on ignore, il peut être demandé de surseoir à la mise en place d'une inspection ou d'interrompre une inspection en cours.
M. Stéphane Bernard . - On peut vous donner un exemple très concret : en 2018, le décès d'une patiente à l'hôpital Lariboisière donne lieu à une inspection de l'ARS Île-de-France.
M. Aissam Aimeur . - Cette affaire a été très médiatisée. Il faut bien comprendre qu'aujourd'hui de nombreuses inspections-contrôles sont mises en place dans les ARS parce que c'est médiatisé. Dans ce cas, il n'est plus question de concertation : il faut y aller tout de suite !
En 2018, le décès de cette patiente provoque un émoi national dans la presse. La ministre de l'époque demande un contrôle à l'ARS et celle-ci ne trouve rien de mieux à faire que d'engager une inspection conjointe avec l'AP-HP, c'est-à-dire le service d'audit interne !
M. Stéphane Bernard . - Un rapport conjoint a donc été établi notamment par le responsable du service des urgences qui a été mis en cause, parce qu'il faisait partie du service d'audit interne !
La fédération UNSA, dont nos trois syndicats font partie, a saisi le comité de déontologie ministériel qui a rendu en 2019 un avis nous donnant raison.
M. Aissam Aimeur . - Il a reconnu que c'était une pratique inacceptable. Voilà qui vous donne une idée de ce qui peut se passer dans les ARS.
Il existe parfois une proximité que l'on peut comprendre. Une ARS est, avant tout, une administration de conseil et d'accompagnement : l'inspection-contrôle n'est pas dans son ADN.
M. Stéphane Bernard . - M. Savary a posé la question des conflits d'intérêts d'inspecteurs qui pourraient devenir gestionnaires d'établissements, mais on est aussi confronté à la situation inverse d'anciens cadres de Korian ou d'Orpea qui deviennent des responsables dans les ARS ; c'est le cas d'un directeur départemental d'une ARS. On a beaucoup de membres de l'AP-HP, qui sont en poste à l'ARS Île-de-France, ou de l'AP-HM qui sont en poste à l'ARS PACA.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Un directeur d'ARS qui est un ancien directeur d'hôpital comprend mieux les enjeux. Ce n'est donc pas forcément négatif et ne signifie pas qu'il y a collusion. En revanche, les collusions sont inadmissibles.
M. Stéphane Bernard . - Cela ne favorise pas tellement l'exercice de l'inspection-contrôle...
M. Thierry Fouéré . - Il faut que ce soit bien géré et que cela ne se passe pas dans la région où l'intéressé a exercé antérieurement.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Le passage d'une structure à l'autre pose bien, en effet, une question déontologique.
M. René-Paul Savary . - La structuration de ces contrôles est en silos. Au regard des déviances qui sont constatées, ce sont des contrôles complètement différents qu'il faut faire, notamment des contrôles de gestion, mais en rapprochant chaque structure locale du siège, pour éviter les modifications de documents.
Avez-vous constaté de plus grandes difficultés de contrôle de gestion, c'est-à-dire plutôt financière, depuis la mise sur pied des états des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) ?
M. Stéphane Bernard . - Ce sont les services chargés de la tarification des établissements qui réalisent ce type de contrôle. Le passage aux EPRD fait disparaître les logiques antérieures de tarification par section tarifaire - soins, dépendance, hébergement - et rend fongibles les sources de financement. Le résultat est globalisé, l'analyse financière doit être faite de concert avec les services des conseils départementaux.
Il est vrai qu'il est aujourd'hui plus difficile pour nos collègues chargés du suivi au quotidien de la tarification et de l'allocation de ressources de procéder à un contrôle budgétaire fin, poste de dépenses par poste de dépenses, alors qu'on est dans une logique de grandes masses financières et de contrats pluriannuels.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Quelles sont vos préconisations ?
M. Aissam Aimeur . - Forts du constat que nous avons dressé, nous considérons que la fonction d'inspection-contrôle est manifestement sous-dimensionnée.
Il est indispensable de privilégier une approche locale et d'avoir des contrôles de proximité sur ces enjeux qui, dans les Ehpad, sont la qualité de vie des résidents, le respect des droits fondamentaux, la qualité et la sécurité des soins, le droit à la santé, la liberté d'aller et venir, etc . En effet, nombre de signalements ou de plaintes qui sont reçus par les ARS portent sur la maltraitance ou la bientraitance.
Ensuite, il faut un contrôle budgétaire et financier, qui a plutôt, à nos yeux, une dimension nationale, car cela se passe surtout au niveau des sièges sociaux et des structures des entreprises.
Nous proposons comme pistes d'amélioration que le ministère affiche clairement la place de l'inspection-contrôle comme outil prioritaire. Pour cela, il dispose de différents leviers : les lettres de mission, les CPOM... Il faut fixer clairement ces objectifs aux directeurs généraux des ARS, afin que cela figure dans leur feuille de route, au même titre que l'appui et l'accompagnement.
Aujourd'hui, au sein du ministère des solidarités et de la santé, il n'y a pas d'interlocuteur identifié concernant l'inspection-contrôle : nous sommes contraints d'écrire au secrétaire général, qui, la plupart du temps, ne nous répond pas. Il faut donc un pilotage stratégique et rigoureux de cette fonction, qui se concrétise dans l'organigramme du ministère, et qui relève, à notre avis, du niveau du secrétariat général qui a une emprise sur les directions d'administration centrale.
M. Thierry Fouéré . - Un tel rattachement est d'autant plus logique que le secrétariat général pilote les ARS.
M. Aissam Aimeur . - Nous proposons également de créer un service spécialisé constitué de personnels dédiés et sanctuarisés, comme c'est le cas dans différents ministères. Comment organiser des inspections conjointes entre un inspecteur du travail par exemple, dont c'est le coeur de métier, et un Icars qui ne consacre à cette tâche que 10 % de son temps de travail ?
Ce service, à qui serait confiée cette mission régalienne d'inspection-contrôle et qui serait à compétence nationale, pourrait à la fois piloter et animer la fonction d'inspection-contrôle grâce à des effectifs suffisants avec des compétences pointues, des expertises, notamment financières ou budgétaires, mais aussi des compétences médicales, pharmaceutiques, qui viendraient en appui des ARS.
Nous parlons aujourd'hui du secteur médico-social, mais la même problématique se pose pour tout le champ sanitaire, avec des centres de santé dentaires low cost . C'est le même problème !
Ce service à compétence nationale se verrait confier de grandes missions - pilotage, animation, organisation méthode, formation des agents, programmation des inspections... - et aurait une compétence opérationnelle avec des effectifs dédiés en nombre suffisant pour mener en propre des contrôles de haut niveau avec un niveau d'expertise important et venir ponctuellement, en cas de besoin, localement, en appui des ARS et renforcer les missions qui n'existent quasi plus. C'est le cas de la composante médicale, qui est très fragilisée dans les ARS.
Un tel schéma d'organisation existe ailleurs : à la DGCCRF, on trouve un service national des enquêtes qui s'occupe des gros dossiers, notamment à fort enjeu de concurrence ou de répression des fraudes, et qui est capable de mobiliser du personnel et une vraie compétence.
C'est vraiment la proposition centrale et la plus importante que nous vous soumettons aujourd'hui.
Il faut aussi professionnaliser l'activité de contrôle et lui allouer les moyens humains adaptés au sein de chaque ARS : comme je l'ai déjà bien montré, le temps de travail consacré à cette mission est insuffisant. Il convient donc de le sanctuariser, ce qui permettra aussi d'assurer le suivi des contrôles, notamment les injonctions, car c'est là que ça pèche.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Pour vous, un tel service doit relever de la fonction publique d'État ? On parle aussi d'agences spécialisées ou extérieures.
M. Aissam Aimeur . - Aujourd'hui, nous sommes dans le giron du ministère des solidarités et de la santé, mais ce pourrait être un service interministériel, tant qu'il est régalien.
Nous ne sommes pas opposés à la création d'une autorité administrative indépendante : cela permettrait aussi de conforter l'indépendance technique de jugement des inspecteurs, qui est parfois fragilisée dans les ARS. Il est difficile d'être à la fois juge et partie et de recevoir l'ordre d'interrompre une inspection.
Il nous semble aussi important d'introduire une véritable transparence sur les missions d'inspection-contrôle, en rendant publics les injonctions, les mises en demeure, les décisions de fermeture, les décisions de mise sous administration, les rapports et les bilans annuels.
Aujourd'hui, vous n'y avez pas accès. Lors de son audition hier, M. Castanet a indiqué avoir demandé un certain nombre de documents aux ARS qu'elles ont refusé de lui transmettre. L'Autorité de sûreté nucléaire, par exemple, rend publiques ses lettres de suivi d'inspection. Peut-être faut-il une disposition législative pour le permettre ; dans tous les cas, la transparence est essentielle.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Avez-vous été auditionnés par l'Assemblée nationale à la suite de l'affaire Orpea ?
M. Aissam Aimeur . - Non.
M. Stéphane Bernard . - Je conclurai par un exemple concret. Un plan de contrôle des Ehpad est en cours de déploiement, avec une première phase allant de fin février au 11 mars. Concrètement, ça part dans tous les sens : comme il n'y a pas de pilotage national, chaque ARS choisit ses cibles et ses outils de contrôle.
En Normandie, 11 Ehpad du secteur privé lucratif ont été contrôlés conjointement avec les départements, ce qui a donné lieu à des injonctions nombreuses sur des thèmes particuliers. Le groupe Orpea s'en est rendu compte et a interpellé l'ARS Normandie en soulignant que cela se passait autrement dans d'autres ARS. Par conséquent, on s'attend à des procédures contentieuses sur les suites qui seront données à ces missions d'inspection.
S'il existe en effet des pratiques différenciées d'une ARS à une autre, c'est bien parce qu'il n'y a pas de corpus national bien défini, avec un pilotage national bien affirmé.
M. Aissam Aimeur . - L'IGAS s'est emparée de cette question, car elle est bien consciente que la fonction inspection-contrôle dans les ARS est insuffisante. Elle a donc depuis plus de dix ans une mission permanente d'inspection-contrôle chargée d'accompagner et d'animer cette fonction des ARS.
Il faut saluer le travail de l'IGAS, mais ce n'est pas son rôle. Si elle prend à sa charge ce travail d'animation, c'est parce qu'il y a une déficience du côté du ministère.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous vous remercions de vos apports très intéressants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition des syndicats des secteurs sanitaire et médico-social
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad, nous entendons ce matin les représentants des syndicats des secteurs sanitaire et médico-social : Mme Évelyne Rescanières, secrétaire générale de la CFDT Fédération Santé Sociaux, M. Guillaume Gobet, représentant de la CGT Santé Action Sociale, M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la fédération Force Ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (FOSPS), Mme Martine Vignau, secrétaire nationale de l'UNSA en charge de l'action sociale, des personnes handicapées et des personnes âgées, du logement et de l'insertion et Mme Anissa Amini, secrétaire fédérale référente du « grand âge » de Sud santé sociaux.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs , qui pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés non pas sur les groupes mais sur les établissements, ainsi que l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.
Depuis la parution du livre, différentes investigations ont été lancées, dont une mission d'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF), et le Gouvernement a fait différentes annonces, notamment celle du lancement d'un vaste programme de contrôle. Ce dernier point a suscité des réactions diverses entre ceux qui ont salué cette démarche et ceux qui ont regretté qu'elle se fasse au détriment des établissements et des ressources dont ils disposent.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Évelyne Rescanières, M. Guillaume Gobet, M. Gilles Gadier, Mme Martine Vignau et Mme Anissa Amini prêtent serment.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous donne la parole pour un propos liminaire si vous le souhaitez, ou plus simplement pour préciser votre profession.
M. Guillaume Gobet, représentant de la CGT Santé Action Sociale . - Je suis un ancien salarié d'Orpea, où j'ai travaillé pendant 18 ans. J'ai été délégué du personnel pendant plus de 12 ans. Je tiens à vous remercier de cette invitation ; cette forme d'audition, plus solennelle, nous convient mieux que celle organisée par l'Assemblée nationale.
Mme Evelyne Rescanières, secrétaire générale de la CFDT Fédération Santé Sociaux . - Je n'ai pas de mandat local, mais j'ai été infirmière pendant 17 ans dans une clinique privée lucrative à Toulouse, appartenant à l'époque au groupe Médipôle.
M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral de la fédération Force Ouvrière des personnels des services publics et des services de santé (FOSPS) . - Je suis aide-soignant au centre hospitalier de Carcassonne. Pour mon organisation, la spéculation et la prise en charge de la dépendance ne sont pas compatibles.
Mme Martine Vignau, secrétaire nationale de l'UNSA en charge de l'action sociale, des personnes handicapées et des personnes âgées, du logement et de l'insertion . - Les différents syndicats fédérés au sein de l'UNSA ont choisi de me donner mandat pour cette audition. Votre commission d'enquête soulève des problématiques diverses : les limites des contrôles actuels, la confusion éventuelle entre l'évaluation de la qualité et le contrôle de l'utilisation des fonds publics, et ce, quelle que soit la nature juridique de l'établissement. Je suis inspectrice des finances publiques - mais je n'ai pas exercé depuis longtemps.
Mme Anissa Amini, secrétaire fédérale référente du « grand âge » de Sud santé sociaux . - Merci de cette invitation. L'organisation que je représente souhaite ardemment participer à la construction de l'Ehpad du futur et attend des solutions concrètes. Je suis aide-soignante dans un Ehpad public.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Les rapporteurs Michelle Meunier et Bernard Bonne ont déjà commis trois rapports sur le sujet. Ils ont prévu une centaine d'auditions - plénières ou non - pour remettre un rapport en juin, comportant des propositions fermes et pratiques. Certains problèmes ont été mis en évidence par l'ouvrage de M. Castanet, mais d'autres étaient déjà connus.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous allons effectivement entendre de nombreuses personnes en audition, du ministère aux résidents et aux familles, pour comprendre ce qui a dysfonctionné. L'ouvrage dénonce deux éléments à distinguer. D'abord, les difficultés des Ehpad pour fonctionner normalement avec des moyens insuffisants - difficultés que nous connaissions déjà. Sur ce sujet, nous proposerons dans notre rapport que la loi grand âge qui était prévue soit votée rapidement et permette la mise en place de moyens suffisants. L'ouvrage dénonce également le profit fait par les groupes à but lucratif sur le financement public - cela, nous le découvrons, faute de contrôles : ceux-ci étaient rendus impossibles par le secret des affaires.
Monsieur Gobet, vous avez travaillé et été représentant syndical chez Orpea ; pourriez-vous nous en dire plus sur le syndicat Arc-en-ciel qui y a été créé ? Ceux d'entre vous qui connaissent le secteur privé à but lucratif pourraient-ils nous livrer leur ressenti sur leur travail dans ces établissements ? Où en sont les actions en justice qui ont été lancées depuis la parution du livre ?
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Après la parution du livre, avez-vous eu des témoignages de vos adhérents ? Où en êtes-vous des plaintes envisagées début janvier par la CFDT, la CGT et FO pour discrimination syndicale et entrave à activité syndicale ? Nous sommes un peu étonnés que, six semaines après parution, rien ne se passe.
M. Guillaume Gobet . - Le climat au sein des établissements n'a pas changé. Le style de management est le même : l'omerta et le règne de la terreur. Ce matin, un cuisinier me signale avoir été convoqué pour une sanction disciplinaire qui pourrait aller jusqu'au licenciement. Le mal-être est toujours là. Même si le livre a effectivement permis de révéler des choses, il y en a d'autres que nous connaissions déjà et avions dénoncé lors du mouvement social de 2018, notamment, concernant le manque de moyens - et je ne parle pas de la rémunération.
Le syndicat Arc-en-ciel a permis au groupe de maintenir l'omerta dans les instances représentatives du personnel. Comme c'est un groupe important, il doit remettre un rapport social. Celui-ci était toujours excellent, grâce à un dialogue social de façade au sein d'un comité social et économique (CSE) réduit à une chambre d'enregistrement : c'était la direction qui mettait en place l'ordre du jour, Arc en ciel, étant majoritaire, monopolisait le bureau. C'est cette manipulation par la direction qui lui a permis de ne jamais avoir d'audit -ce qui est rare pour un groupe de cette taille. Arc-en-ciel a un peu plus de 50 %, la CGT survit à peine avec 15 %, l'Unsa vient de s'implanter. Les autres syndicats n'ont pas survécu. C'est atypique pour une société qui représente 350 établissements dont 220 Ehpad et 70 cliniques...
Bien sûr, il est impossible de réunir les preuves de l'existence d'un protocole qui prévoirait qu'il faut licencier les rebelles ou les salariés accompagnés par la CGT. Cela n'est jamais écrit, mais dit lors de la réunion mensuelle des directeurs, et ceux d'entre eux qui n'appliquent pas cette règle sont mis dehors. Tout au long de la chaîne, un système délétère a été mis en place pour que chacun applique à la lettre ce que décide la direction.
Comme celle-ci a verrouillé les instances, il n'y a jamais eu aucune expertise par un cabinet, aucun audit. Nous savions bien que des établissements signaient des accords tripartites et qu'il y avait un problème d'insuffisance de personnel. Victor Castanet l'a dit : pour consulter les accords tripartites, cela a été la croix et la bannière ! Il a eu la chance que Fayard l'aide. Nous, même en passant par la commission d'accès aux documents administratifs (Cada), nous n'avons pas pu les obtenir, alors qu'il s'agit de documents publics !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous n'avez pas intenté d'action en justice ?
M. Guillaume Gobet . - C'est difficile, face à l'État. Nous n'avons pas assez de militants pour suivre tous les dossiers. Nous ne sommes pas des professionnels du droit. Or il en faut ; une grande centrale comme la nôtre peut en mobiliser, mais pas à chaque fois.
Mme Evelyne Rescanières . - Orpea a organisé un dialogue social basé sur le truquage des élections professionnelles, la mise en avant d'un syndicat maison, la discrimination syndicale et la pression subie par nos élus. Il était dangereux pour les représentants du personnel et pour les salariés de jouer leur rôle de signalement de la maltraitance ou de revendiquer leur droit à l'information. Les demandes de documents ont toutes été refusées par les instances. Ce groupe a agi en toute impunité, même sur ce volet-là. Nous avons maintes fois saisi l'inspection du travail, sans effet. Orpea reconnaît lui-même que le laxisme de la puissance publique lui a facilité les choses.
Grâce aux éléments révélés par le livre de M. Castanet, nous avons déposé plainte pour travail dissimulé en janvier.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pas avant ?
Mme Evelyne Rescanières . - Non. Nous n'avions pas assez d'éléments.
Nous avons aussi déposé plainte pour recours abusif aux contrats à durée déterminée et pour escroquerie caractérisée par le fait d'avoir obtenu des fonds publics en trompant l'administration sur le nombre de postes réellement rattaché au montant de la dotation - si nous ne sommes pas la victime directe, qui est l'Etat, nous considérons que cela a porté préjudice à la profession en ne respectant pas le nombre minimal de salariés.
Nous avons déposé plainte contre le secrétaire du syndicat Arc-en-ciel pour ne pas avoir respecté objet d'un syndicat, qui est de défendre les salariés. Enfin, nous avons déposé plainte devant le tribunal judiciaire de proximité de Puteaux pour annuler le scrutin, ordonner l'organisation de nouvelles élections et annuler la désignation des délégués syndicaux.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous nous donnerez tous les éléments ?
Mme Evelyne Rescanières . - Bien sûr !
Nous ne découvrons pas tout : le montage financier d'Orpea est le même que tous les groupes à but lucratif. Orpea est le plus opaque, mais les autres le sont aussi.
Avec la CGT, nous avons mené une enquête au niveau européen avec l'aide du Centre for International Corporate Tax Accountability and Research (Cictar) sur les montages financiers du secteur : vous pouvez consulter le rapport sur le site de cet organisme.
Orpea utilise le système jusqu'à sa limite et s'enrichit avec l'argent de la solidarité nationale sans être inquiété.
M. Guillaume Gobet . - Avant la parution du livre, la CGT avait intenté en 2019 une action en justice à propos des élections dans la filiale Ehpad d'Orpea, remettant en cause la légitimité d'Arc-en-ciel, une affaire qui devrait être jugée fin mars.
Après la sortie du livre, nous avons intenté une action en référé pour faire annuler les élections truquées. L'affaire aurait dû être jugée, mais le tribunal de Puteaux étant engorgé, nous attendons une date d'audience dans la semaine.
Enfin, nous souhaitons déposer plainte au pénal. Une ancienne du service des ressources humaines, Camille Lamarche, a accepté de témoigner sur les élections de 2019. Nous pensions déposer plainte rapidement, mais, avec le temps, d'autres personnes ont souhaité témoigner. Il y a eu une libération de la parole. Désormais, même des cadres et des cadres dirigeants se mettent à parler. C'est ce qui explique que cela prenne un peu plus de temps.
M. Gilles Gadier . - Nous n'avons pas les moyens d'enquêter et de prouver les fraudes. Mais il suffit de regarder d'une part le reste à charge des résidents et les financements publics et d'autre part les bénéfices de ces Ehpad pour constater que l'argent public nourrit directement les dividendes des actionnaires.
C'est pour cela que nous tenons à dire que la spéculation n'est pas compatible avec la prise en charge du grand âge.
Ce qui nous inquiète, ce sont les effets de la maltraitance. Il faut corriger le dispositif de contrôle pour que cela n'arrive plus. Je ne doute pas que votre rapport alimentera vos réflexions pour la loi grand âge.
Il faut partir de la base : les normes et les ratios. Si on les oblige à respecter des normes et des ratios de personnel, il est possible que certains promoteurs s'intéressent un peu moins à ce secteur... Si le policier peut nous arrêter quand nous sommes en excès de vitesse, c'est que la vitesse est réglementée. Or, aujourd'hui, dans un Ehpad de 80 résidents il peut y avoir indifféremment une ou dix infirmières, il n'y a pas de norme. C'est catastrophique ! On peut voir que la recherche du profit peut aller au-delà de la réduction des effectifs et affecter la nourriture ou - pourquoi pas - le chauffage !
Il y a donc une maltraitance systémique qui va bien au-delà de la maltraitance institutionnelle. Elle contamine en effet tout le grand âge. Bien sûr, la situation est pire dans le secteur privé à but lucratif. Mais, même dans le secteur public, il faut des normes et des ratios.
La maltraitance a plusieurs formes. On a vu des personnes qui marchaient encore lorsqu'elles entraient à l'Ehpad, et qui, au bout de quelques mois, ne marchaient plus, faute de personnel pour les aider à marcher : on les met dans un fauteuil roulant pour aller jusqu'à la salle à manger, au bout du couloir...
Il est terrible de voir que l'on forme le personnel sur ce qu'il doit faire, avant de lui dire, une fois en poste, qu'il ne peut pas le faire.
La maltraitance, c'est aussi le personnel qui en est victime dans un secteur qui a désormais dépassé le bâtiment et travaux publics (BTP) pour le taux d'incidence !
Mme Catherine Deroche , présidente . - Oui, nous l'entendons souvent sur le terrain
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous savions que les groupes d'Ehpad à but lucratif voulaient faire de l'argent. Mais nous pensions qu'ils se limitaient à l'immobilier et à l'hôtellerie. Nous n'imaginions pas qu'ils feraient de l'argent sur le financement public de la dépendance ! C'est qu'aujourd'hui la loi ne permet pas de contrôler cela.
M. Gilles Gadier . - Pour des contrôles, il faut des normes.
M. Guillaume Gobet . - Exactement !
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mais que se passerait-il en cas de ratio insuffisant : on fermerait des lits ?
M. Gilles Gadier . - Je pense qu'il ne faut pas en rester à une vision trop réactive, mais bel et bien inventer un nouvel Ehpad qui soit préparé aux évolutions prévisibles au vu de la pyramide des âges.
M. René-Paul Savary . - Pourtant, dans l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), il y a bel et bien des ratios...
M. Guillaume Gobet . - Nous parlons bien des Ehpad. Chaque établissement estime le taux de dépendance global, qui lui donne droit à un certain volume de personnel.
Orpea et le reste du secteur à but lucratif sont dirigés par des financiers qui ont l'habitude de l'optimisation. Ils appliquent les mêmes recettes que celles que tout le CAC 40 applique, mais dans la santé. Ils ne font pas de différence entre l'argent public et l'argent payé par les résidents. Tout est indifférencié dans leur chiffre d'affaires.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Dans tous les établissements, il y a un taux fixé par les autorités régionales de santé (ARS) et les départements.
Mme Evelyne Rescanières . - Mais il n'est pas opposable.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Si.
Mme Evelyne Rescanières . - Non. Preuve en est le nombre d'établissements à but lucratif qui financent des postes de salariés sans qualification - les « "faisant fonction" » - avec les crédits prévus pour des professionnels qualifiés. Même l'hôpital public s'y met sous la pression budgétaire. Cela fait dix ans que nous dénonçons la déqualification, notamment dans le médico-social.
M. René-Paul Savary . - Mais des ratios reviendraient au même.
Mme Evelyne Rescanières . - Non : un service de réanimation, que les lits soient occupés ou non, doit compter un nombre fixe de professionnels. Ce ratio est opposable : s'il n'est pas atteint, le service est fermé et les professionnels le savent. Les établissements ne se risquent pas à perdre leur autorisation en violant cette règle.
Mme Martine Vignau . - Il n'y a pas qu'Orpea ; il faut trouver des solutions à cette absence de contrôle en général.
Les représentants des personnels doivent être un peu plus associés à l'économie générale de l'entreprise. Je comprends difficilement pourquoi les salariés ne sont pas représentés au Conseil d'administration d'Orpea, alors qu'ils le sont chez Korian- qui n'est pourtant pas non plus un modèle. C'est le seul moyen d'avoir des informations globales sur les effectifs, par exemple.
Concernant les ratios, il faudrait commencer par négocier un volume d'emploi entre d'une part l'établissement et d'autre part l'ARS et le département dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM). La situation des personnes âgées peut se dégrader très vite, passer d'un groupe iso-ressources (GIR) 4 à un GIR 1, avec un besoin en personnel différent.
Je suis aussi surprise que personne ne puisse imposer la tenue d'un conseil de la vie sociale (CVS) dans un établissement, alors que la loi l'exige. Comment faire remonter les signalements dans ces conditions ? Des contrôles sont diligentés par les ARS, mais elles ont des moyens faméliques. À l'avenir, il faudrait repenser l'ensemble de ces contrôles pour qu'ils portent sur toutes les dimensions : action sociale, droit du travail et finances publiques. Il faut surtout qu'ils soient inopinés. Quand on est prévenu une semaine avant, on peut mettre la poussière sous le tapis.
On entend beaucoup parler des entreprises à mission : cela commence à plaire. Je suis assez dubitative : qu'est-ce que cela apporte de plus ? Cela ne peut remplacer des indicateurs, des critères et des contrôles bien établis - et qui devraient figurer dans le carnet du résident. Dans ce domaine, il n'y a pas de solution toute faite.
Mme Anissa Amini . - Comme le disait Guillaume Gobet, SUD n'est pas implanté chez Orpea : je ne parlerai donc pas de ce que je ne connais pas. Il y aurait des choses à dire d'autres groupes privés à but lucratif, comme Korian, mais ce n'est pas le sujet du jour.
Le climat dans les établissements est très difficile : les familles ont pris connaissance du livre, sont de plus en plus fébriles. Les remarques fusent et les directions de certains établissements ne protègent pas leur personnel. Beaucoup de salariés se plaignent : ce sont nous qui sommes contrôlés, surveillés, et pas nos directions.
Le Gouvernement a annoncé 7 500 contrôles dans les Ehpad. Soit, mais avant de les contrôler, il faudrait les remettre en ordre ! Or ils manquent de personnel. On parle souvent du déficit d'attractivité ; pourquoi les personnes ne veulent plus venir ? Quand je suis arrivée dans le secteur il y a vingt ans, c'était une vocation. Aujourd'hui, ils viennent y travailler comme s'ils allaient travailler au supermarché.
La fédération Sud est prête à travailler à long terme. Il est important d'écouter les représentants des salariés, les familles, pour que les personnes âgées vivent mieux. Le secteur a été laissé à l'abandon depuis plusieurs années. Il faut réagir et prendre les mesures adéquates ensemble ; or le Gouvernement a tendance à prendre ses décisions seul. Nous voulons être entendus. Nous savons bien qu'il n'y aura pas de nouvelle loi avant les élections.
Les CVS sont très mal utilisés. Il faut les renforcer en leur donnant plus de pouvoir pour que les résidents soient entendus. Il faut arrêter de promettre monts et merveilles aux familles si, sur le terrain, les soignants ne peuvent pas assumer.
Nous vous avons soumis des notes qui peuvent servir à votre réflexion.
Mme Evelyne Rescanières . - Sur l'opposabilité des ratios, un autre exemple : aujourd'hui, un tiers des Ehpad n'a pas de médecin coordinateur, alors que c'est une obligation légale. Aucun n'est inquiété.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Même si ce livre nous a appris des choses, sur bien des domaines, il n'a fait que confirmer des constats que nous avions déjà faits.
Avec ma collègue Laurence Cohen, nous avons mené 200 visites dans des établissements sanitaires et médico-sociaux, dont des Ehpad. Il y a une maltraitance institutionnelle, une souffrance des personnels, des patients, des familles. Il n'existe aucune norme, alors qu'il est indispensable qu'il y ait un ratio minimal de personnel par rapport au nombre de résidents.
Il y a une pénurie de personnel, car les salaires ne sont pas à la hauteur du métier.
Quelles mesures prendriez-vous immédiatement concernant les contrôles ? Le Gouvernement annonce un grand contrôle, mais il y faut des moyens. Aujourd'hui, seuls 10 % des Ehpad sont contrôlés. Les organisations syndicales sont-elles entendues en cas de contrôle ? Plus largement, quelle doit être la place de celles-ci ? Estimez-vous que l'organisation des contrôles devrait être modifiée ?
Mme Élisabeth Doineau . - Merci à toutes et tous pour vos témoignages qui consolident nos réflexions. Le livre de Victor Castanet a fait l'effet d'une bombe, mais il révèle un mal plus profond que le simple cas d'Orpea : la France ne s'est pas suffisamment préoccupée de la bientraitance des personnes âgées. Nous devons nous demander ce que nous sommes prêts à sacrifier pour l'améliorer. Tous les gouvernements ont été à côté de la plaque, alors que les effets du vieillissement des pays développés étaient prévisibles.
Maintenant, il va falloir gouverner, donc choisir. Ce livre met en lumière notre difficulté à envisager la vieillesse.
Je participe à des conseils d'Ehpad. Vous parlez de l'importance des CVS, mais il est très difficile de mobiliser les familles ; il faut parfois aller les chercher, comme si elles avaient démissionné. Mais comme vous le dites, il faut du contrôle, et de la transparence pour les familles - du moins pour celles qui s'impliquent.
Mais attention à ne pas trop normer. En début de semaine, j'ai visité un Ehpad géré par le centre communal d'action sociale dans un village de 300 habitants. Les personnes âgées étaient très bien traitées, il y avait une vraie ambiance. Les résidents qui arrivent en mauvais état se refont une santé, car ils sont plus stimulés par les autres. C'est ce que j'espère pour ceux que j'aime.
Ce que je souhaite, c'est que nos parents retrouvent un entourage humain, familial, qui ressemble à ce que nous ne pouvons plus leur donner, car nous avons une vie active et que nous vivons éloignés les uns des autres. Si on norme trop, ces petits accueils disparaîtront. Dans les établissements pour jeunes enfants, le ratio est impossible à tenir, pour certaines collectivités.
M. Laurent Burgoa . - Merci à tous les intervenants. À ce jour, les ARS et les conseils départementaux contrôlent les Ehpad. Mais ils en sont aussi les financeurs. D'après vous, qui devrait les contrôler ?
Mme Jocelyne Guidez . - Vous avez parlé de la déqualification des personnels pour faire des économies. Mais cela ne vient-il pas aussi du fait que l'on ne trouve pas de personnes qualifiées ?
Mme Amini a parlé d'un problème de vocation. Il ne s'agit pas seulement d'une question financière. D'après vous, comment faire venir un personnel qui ait une vocation envers les personnes âgées ?
Mme Evelyne Rescanières . - Quand tout va bien, la petite structure familiale, où tout le monde se connaît, a tout pour plaire. Mais, si survient une épidémie ou une canicule, la société a un autre regard. Si vous regardiez le rapport entre taux de mortalité pendant l'épidémie et la qualification du personnel, vous seriez surpris.
Les résidents et les familles attendent un service que ces structures ne peuvent pas rendre. Une présence infirmière 24 heures sur 24 heures réduit le taux d'hospitalisation de moitié.
Aujourd'hui, la qualification est vue comme une dépense, un coût, alors que c'est un profit, car elle diminue l'hospitalisation et permet de maintenir l'autonomie. La norme est là pour assurer aux familles que leurs parents sont pris en charge par des personnes qui connaissent leur métier.
Vous n'accepteriez pas, dans un hôpital, qu'on vous dise : « désolé, aujourd'hui, il n'y a pas d'infirmière ; c'est l'agent de service hospitalier (ASH) qui vous fera votre pansement. »
S'agissant des contrôles, la première chose à revoir, ce sont les critères d'autorisations d'exercice.
La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a construit un outil de traitement automatique des données à partir de la déclaration sociale nominative. Nous demandons depuis longtemps que la Cour des comptes enquête sur le financement public de l'activité de santé lucrative.
La Haute Autorité de santé pourrait missionner des enquêtes flash sur site, et pas seulement au siège.
Il faut mettre un terme à la porosité entre les groupes lucratifs de santé et la haute administration.
Les Conseils départementaux n'ont pas de règles communes et ils sont, avec les ARS, juges et parties.
Les contrôles perdent tout leur sens, faute de moyens de coercition contre des groupes bien organisés, disposant d'un réseau influent, et qui ne tremblent nullement face à la puissance publique.
M. Guillaume Gobet . - Immédiatement, il faudrait lancer des contrôles, mais pas dans le format actuel. Il faudrait faire participer des organisations syndicales de salariés, des familles et des résidents. Ce qui me gêne dans nos débats, c'est que nous parlons d'humains. Parmi les résidents, il y a des gens qui ont toute leur tête et qui parfaitement pourraient dire ce qu'ils veulent pour se sentir bien.
Mme Catherine Deroche , présidente . - On l'a bien vu pendant la crise sanitaire : les résidents ont été considérés comme des enfants, et non comme des citoyens à part entière.
M. Gilles Gadier . - J'ai, sous les yeux, l'exemple d'un Ehpad en Seine-Saint-Denis, qui avait fait l'objet d'un contrôle en 2021 assorti de douze recommandations qui n'ont jamais été suivies d'effets. Aujourd'hui, l'Ehpad a été fermé, mais seulement parce que le livre est paru.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - De quel Ehpad s'agit-il ?
M. Gilles Gadier . - D'un Ehpad du groupe Médicharme ; il a été suspendu au moins six mois par l'ARS.
Ces contrôles sont guidés par des contingences : ceux qui les mènent sont d'abord des financeurs, et ils se préoccupent des besoins de la population. Cela conduit à se demander : si on ferme l'Ehpad, où mettra-t-on les résidents ?
On parle d'attractivité, mais il faut commencer par fidéliser. Or aujourd'hui, on casse les personnels au travail. Je le répète, nous avons dépassé en 2016 le taux d'incidence du BTP ! C'est que soulever un résident tout seul ou à deux, cela n'a pas la même incidence sur le squelette !
Tout le monde parle du livre de Victor Castanet, mais cela m'interpelle. Il aura fallu qu'un journaliste enquête pour révéler ces faits. Ce sont les pouvoirs publics qui sont pris en défaut. On ne trouve que ce que l'on cherche, et personne ne voulait voir ce que nous dénonçons depuis longtemps.
Vous voulez savoir pourquoi il faut des normes ? La canicule de 2003 a causé 15 000 décès, voire plus, dont plus de 5 000 dus à la déshydratation en institution ! Comment est-ce possible ? C'est dire à quel point cela ne date pas d'aujourd'hui. Quand j'ai un accident, le constat n'a jamais réparé la voiture. Il y a eu beaucoup de rapports, d'études ; maintenant, il faut que le Gouvernement agisse.
Mme Martine Vignau . - Le fait que ce soient les financeurs qui contrôlent pose un problème. Il faudrait aussi faire intervenir la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes. Les moyens sont aussi trop limités.
Mme Anissa Amini . - Pour susciter des vocations, il faut travailler à la base, c'est-à-dire dans les lycées, dans les instituts de formations en soins infirmiers (IFSI), pour montrer à quel point c'est un magnifique métier.
Il faut aussi travailler dans les établissements en écoutant celles qui y travaillent - n'oublions que 80 % des personnes qui travaillent en Ehpad sont des femmes. Écoutez-les sur les horaires de travail, sur les cycles de travail. Il faut aussi voir avec les résidents ce qu'ils préfèrent ; ils nous disent parfois : je préfère t'avoir toi pendant trois jours qu'une personne différente chaque jour.
C'est pour cela qu'il est très important que le CVS se réunisse dans toutes les structures, y compris dans celles à but lucratif. Il faut le contrôler. L'investissement des familles est aussi très important.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci beaucoup à tous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de directeurs d'agences régionales de santé
Mme Catherine Deroche , présidente - Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre des directeurs d'agences régionales de santé : M. Jean-Yves Grall, directeur général de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes et président du collège des agences régionales de santé, Mme Marie-Hélène Lecenne, directrice générale de l'ARS Corse, et M. Pierre Pribile, directeur général de l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté. Tous les trois sont en téléconférence.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande. Je salue ceux de nos collègues, nombreux, qui participent aussi à cette réunion à distance.
Je rappelle que notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives d'une commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs. Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles, opérés non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser à la question du contrôle.
D'autres questions intéressant les ARS sont également soulevées par ce livre, qu'il s'agisse du contrôle des marges arrières sur certains produits, y compris remboursés par l'assurance maladie, d'éventuels excédents de dotation réalisés par certains établissements, ou, plus grave, de questions de déontologie intéressant des personnels des ARS ayant rejoint un groupe privé.
Je vais maintenant vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Madame, messieurs, je vous laisse la parole pour un propos liminaire, avant de répondre aux questions des rapporteurs et de nos collègues sénateurs.
(Mme Marie Lecenne et MM. Jean-Yves Grall et Pierre Pribile prêtent serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête)
Mme Marie-Hélène Lecenne, directrice générale de l'ARS de Corse . - Madame la présidente, je vous remercie de cette invitation. Nous nous sommes organisés pour répondre au questionnaire que vous nous avez transmis.
Votre première question portait sur l'organisation des ARS en matière de contrôle des Ehpad. La plupart des ARS sont organisées de sorte qu'elles disposent de missions transverses d'inspection, de contrôle, d'évaluation et d'audit. Ces missions transverses sont portées par des personnels habilités, dits « inspectants », qui maîtrisent la technique d'inspection mais également tout le corpus juridique qui prévaut en matière d'inspection et de gestion des suites d'inspection. Cette organisation garantit la qualité des processus de contrôle et de gestion des suites d'inspection, permet aux agences d'élaborer annuellement un programme régional d'inspection et de contrôle, et de tenir les tableaux de bord de reporting à travers un système d'information, en lien avec l'inspection générale des affaires sociales, reprenant le nombre et le résultat des inspections annuelles.
Il y a des corps d'agents dont les statuts les conduisent à être d'emblée habilités à faire de l'inspection. Ces effectifs sont complétés par des personnels complémentaires, qui ont suivi la formation dite Icars (Inspecteur ou contrôleur des agences régionales de santé) à cet effet. Ces personnels font de l'inspection, mais surtout organisent les procédures et les programmes d'inspection. Au total, on dénombre 2 767 personnes dans toutes les ARS en capacité de faire des inspections.
D'autres services métiers sont mobilisés en complément de la mission transverse d'inspection et de contrôle. L'organisation varie d'une ARS à l'autre. Dans certaines agences, on a du temps dédié qui est d'emblée établi en début d'année. C'est le cas en Nouvelle-Aquitaine par exemple. Dans d'autres agences, le programme est négocié avec chaque direction métier. En l'occurrence, pour les Ehpad, c'est la direction de l'autonomie.
On a également des programmes spécifiques, notamment pour les pharmacies. Les Ehpad sont concernés pour ce qui est du circuit du médicament.
Il y a bien sûr le contrôle en lui-même, mais il faut bien comprendre qu'il s'agit d'un processus juridique très contraignant, puisque les contrôles peuvent donner lieu à un certain nombre de mesures : injonctions, nominations d'administrateurs provisoires, suspensions temporaires d'activité ou fermetures, cessions. Aussi, à chaque étape, on est confronté à un risque de contentieux. Les procédures sont donc très exigeantes et le caractère transverse de l'organisation, avec l'appui de métiers plus spécifiques et complémentaires, garantit la sécurité juridique et l'expertise. Ce modèle nous apparaît pertinent.
La deuxième question portait sur le recensement de l'activité de contrôle des Ehpad par les ARS et par les départements. Nous avons un tableau de bord national qui nous permet de recenser les programmes qui sont définis annuellement et l'activité d'inspection à l'issue de l'année civile. Ce tableau de bord est fait en lien avec l'inspection générale des affaires sociales.
Les contrôles des Ehpad ne sont pas systématiquement faits conjointement avec les départements, même si la collectivité est toujours informée, son avis étant même sollicité. L'expérience des corps inspectants des ARS étant plus ancienne, les inspections sont davantage coordonnés par les ARS, ce qui est un gage de sécurité juridique. C'est surtout vrai pour la gestion des suites, notamment lorsqu'il s'agit de nommer des administrateurs provisoires. Néanmoins, je le répète, l'implication des départements est forte.
Vous devez savoir que l'inspection n'est pas la seule mesure de contrôle. Avec les collectivités, nous visitons 2 000 Ehpad par an pour effectuer les coupes Pathos. Il s'agit d'examens des dossiers médicaux, qui sont très importants. Les experts médicaux des deux autorités publiques se rendent dans les Ehpad pour établir ces coupes de dépendance et de charge en soins.
Il y a aussi l'évaluation interne et externe, dont la réforme est en cours. Je rappelle que 90 % des Ehpad ont vu leur autorisation renouvelée en 2016 et 2017 à la suite d'une évaluation externe menée par les deux autorités publiques. La plupart des Ehpad étaient en effet arrivés au terme des 15 ans d'autorisation.
Vous nous avez également interrogés sur la contractualisation. Dans le cadre du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), il y a des diagnostics extrêmement exigeants et une évaluation à mi-parcours est prévue, notamment en ce qui concerne la charge en soins et la dépendance, ce qui donne lieu à une discussion approfondie avec les gestionnaires. Enfin, il y a un diagnostic d'évaluation de sortie. Aujourd'hui, 20 % des Ehpad sont contractualisés dans un cadre tripartite.
Nous examinons également des résultats budgétaires à travers les états prévisionnels de recettes et de dépenses et les états réalisés de recettes et de dépenses. Cependant, nous rencontrons des difficultés pour l'exploitation de ces données. Nous disposons d'un outil établi par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) annuellement qui permet des comparaisons entre les statuts d'établissement, les taux d'encadrement, les tarifications, ce qui nous permet d'analyser un Ehpad relativement à sa catégorie. Malheureusement, il n'existe pas de contrôle sur ces données déclaratives, hormis en cas d'inspection. Il faudrait envisager une évolution des outils pour pouvoir mieux contrôler ces éléments déclaratifs.
Compte tenu du modèle tarifaire pour les soins, qui repose sur une équation tarifaire, le dialogue de gestion annuel budgétaire demeure limité, puisque l'équation emporte directement la tarification en fonction de l'évaluation de la charge en soins, d'où l'importance de l'approche contractuelle.
J'en viens à la question des réclamations. Les ARS se sont dotées de systèmes d'information de gestion des réclamations. Nous sommes maintenant capables de gérer toutes les réclamations avec des processus établis et nous pouvons garantir que nous ne laissons rien de côté. C'est un élément précieux d'analyse du fonctionnement des Ehpad. Il reste néanmoins des progrès à faire en la matière. Enfin, nous n'avons pas de retour du numéro vert national pour les réclamations.
S'agissant des événements indésirables graves et ceux qui sont liés aux soins, leur déclaration est une obligation pour les établissements, mais, malgré de nombreux efforts des ARS pour développer cette culture du signalement, on reste très en deçà de nos attentes. Cela pourrait pourtant être un excellent levier pour une démarche qualité en interne. Nous poursuivons nos efforts pour engager cette dynamique. Le signalement ne doit pas être vu sous son aspect punitif.
Lorsque l'on a connaissance d'un événement indésirable ou d'une réclamation pouvant être requalifiée comme tel, on peut décider, en fonction d'une grille d'analyse de risques, une inspection inopinée ou de mettre l'Ehpad dans le programme d'inspection. Au-delà d'un comportement individuel, c'est tout le fonctionnement global d'un établissement qui peut être interrogé.
Sur les groupes privés, nos compétences sont limitées et nous attendons une évolution sur le sujet pour mieux appréhender la logique des groupes, qu'ils soient lucratifs ou non, puisque notre compétence se limite aux établissements. Je précise que d'autre corps sont susceptibles d'intervenir dans les Ehpad : inspection du travail, répression des fraudes, chambre régionale des comptes, direction des finances publiques.
S'agissant de la section « hébergement » des établissements privés lucratifs, le contrôle ne peut être organisé par les collectivités que lorsqu'elles ont l'habilitation à l'aide sociale. Ce contrôle ne peut pas être exhaustif sur tous les Ehpad et présente des insuffisances structurelles, notamment sa dimension déclarative.
J'en viens à la politique de contrôle depuis la parution du livre Les Fossoyeurs . Au-delà du problème Orpea, nous avons repris une activité normale d'inspection depuis le début de l'année, après deux ans de gestion de crise. Nous sommes dans une logique de déroulement de nos programmes, ce qui peut expliquer cette impression d'accélération et les plaintes de certains gestionnaires. Il faut aussi savoir que nous pratiquons un contrôle approfondi sur les surcoûts covid.
S'agissant de la préconisation d'un pilotage par la qualité, pour suivre les propositions de M. Libault, nous sommes d'accord pour dire qu'il faut évoluer dans cette voie. Nous avons bien sûr le nouveau référentiel HAS, qui vient de paraître, et nous sommes prêts à une évolution vers une logique de certification. Il nous paraît utile d'envisager un paquet « qualité » dans les contrats pour asseoir une dynamique de démarche qualité au sein de tous les établissements. Cela permettrait d'avoir des indicateurs comparables, avec un mécanisme de bonus/malus.
L'activité des conseils de la vie sociale (CVS) en matière d'appréciation de la qualité des prestations est très limitée. Une refonte de leur rôle est à envisager.
Par ailleurs, nous souhaitons mettre en avant notre expérience au titre de la gestion de crise. Tout ce qui relève de la coordination entre les appuis sanitaires, équipes mobiles gériatriques et équipes mobiles d'hygiène doit être pris en compte. Il nous semble important que tous les Ehpad disposent de pôles d'activités et de soins adaptés (PASA), d'unités d'hébergement renforcé, autant d'outils qui leur permettent de répondre aux besoins des résidents.
Enfin, vous nous avez interrogés sur leur manque de caractère stratégique des CPOM. Désormais, dans les schémas régionaux de santé, il y a ce que l'on appelle des cibles opposables qui sont déclinées en contrat. C'est vrai, on a eu tendance à mettre en avant des cibles qualitatives. C'est à mes yeux une dimension stratégique valable. Pour autant, le caractère opposable ne reposant pas sur un dispositif de sanction ou d'incitation, cette contractualisation rencontre des limites. De plus, je le rappelle, la tarification repose sur une équation standardisée, ce qui est de nature à limiter les effets de la contractualisation.
Les annonces récentes sur « l'Ehpad de demain » vont peut-être redonner au contrat une dimension davantage stratégique dans le positionnement de l'Ehpad sur son territoire, en articulation avec les partenaires du domicile.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vous remercie de participer à cette audition, qui est tout de même un peu obligatoire. Mme Lecenne est retenue en Corse par la visite de M. Darmanin, mais je regrette qu'au moins l'un de vous ne puisse être présent au Sénat. Nous ferons avec !
Ce matin, nous avons reçu les représentants des syndicats des différents corps d'inspecteurs. Ils n'ont pas été très tendres avec la politique d'inspection au niveau national.
Y a-t-il un caractère non prioritaire affiché des contrôles dans les Ehpad, avec une lettre ministérielle qui aurait été envoyée en 2019 ?
Les propositions des inspecteurs peuvent-elles être refusées ?
Constatez-vous de grandes différences entre les ARS dans les résultats des inspections, ce qui serait de nature à ouvrir la voie à des contentieux de groupes type Orpea ?
Pouvez-vous nous confirmer que des ARS ont refusé de transmettre des documents à M. Castanet pour son enquête, alors que les conseils départementaux ont collaboré très facilement ?
Que pensez-vous des contrôles inopinés ? Sont-ils réalisables, sachant qu'il y aurait 2 700 contrôleurs en ETP pour la prévention de la maltraitance, mais que, dans les faits, il n'y aurait que 49 ETP opérationnels pour les Ehpad ?
Quoi que vous en dites, je suis bien persuadé que la médiatisation du livre de M. Castanet a poussé votre ministère de tutelle à vous demander d'avancer des contrôles prévus sur deux ans.
M. Jean-Yves Grall, directeur général de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes . - Bien évidemment, les inspections dans les Ehpad n'ont pas été déclarées non prioritaires. Mieux, les ARS se sont organisées de façon à pouvoir optimiser leur activité en la matière. J'ajoute qu'il n'y pas d'inspecteurs strictement dédiés au médico-social. Il y a des agents qui ont des fonctions d'inspection. Dans mon agence, la mission d'inspection, composée de 19 agents, est compétente sur les douze départements pour organiser les quotités des agents qui ont vocation à inspecter. Il n'y a pas de segmentation, du moins dans mon agence, avec des agents qui ne feraient que les Ehpad. L'inspection est soumise à opposabilité juridique, donc il faut être très rigoureux.
À ma connaissance, en Auvergne-Rhône-Alpes, il n'y a pas eu de demande spécifique de documents de M. Castanet, donc nous n'avons pas pu refuser quoi que ce soit.
Mme Marie-Hélène Lecenne . - Il y a un processus très clair, avec un programme fondé sur des grilles d'analyse de risques, en concertation avec l'administration préfectorale. L'arbitrage sur le programme d'inspection est collégial, pluridisciplinaire et il repose sur des outils assez robustes. Tout cela pour répondre à la question sur d'éventuels refus d'inspections proposées.
M. Pierre Pribile, directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté . - Je confirme ce que vient de dire Jean-Yves Grall sur le caractère supposé non prioritaire des inspections.
Dans mon agence, plus qu'une mission transverse, c'est une direction à part entière qui est en charge de l'inspection, du contrôle et de l'audit. Ce n'est pas une fonction à part. La définition du programme d'inspection et sa mise en oeuvre reposent sur cette direction et sur les forces des équipes dans l'ensemble de l'agence. C'est un levier pour atteindre nos objectifs métiers dans tous les domaines, et pas seulement l'autonomie.
On établit le programme sur un certain nombre de critères d'orientation nationale, de politique régionale, mais aussi grâce à des croisements de signaux qui nous sont remontés de différents directions.
On se garde toujours la latitude de faire du non-programmé au cas où un signal urgent nous remonterait en cours d'année.
S'agissant des transmissions de documents, je vous rappelle que l'accès aux documents administratifs fait l'objet d'un encadrement règlementaire très précis, avec des voies de recours, le tout sous l'autorité de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA).
Enfin, sur le caractère inopiné des inspections, l'intérêt dépend du sujet et de l'objectif de l'inspection elle-même. Par exemple, dans notre programme, tout un pan vise à développer la culture de la déclaration dans les établissements. En l'espèce, rien ne sert de faire de l'inopiné, car ces inspections ont vocation à être pédagogiques. En revanche, si l'on recherche une fraude ou un acte de maltraitance, il vaut mieux ne pas prévenir à l'avance. Dans ce cas, dans mon agence, nous prévenons quand même systématiquement le conseil départemental pour l'associer, ce qu'il accepte la plupart du temps. Ainsi, dans le cadre du programme de contrôle faisant suite à la publication du livre, 14 inspections sur 15 ont été faites conjointement avec le conseil départemental concerné.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Hier, M. Castanet nous a montré les limites des inspections pour mettre en évidence certaines pratiques techniques ou stratégiques des grands groupes pour contourner les lignes, légalement ou pas. De quelles adaptations en matière de formation vos agents ont-ils besoin pour prendre en compte ces pratiques ?
Enfin, dans la vague de contrôles à venir, quels seront les premiers établissements visés ?
M. Laurent Burgoa . - Votre ministre de tutelle a déclaré mi-février qu'il était incapable de donner le nombre de contrôles exercés dans les Ehpad, les bases de données étant différentes d'un département à l'autre. Qu'en est-il dans vos régions respectives ?
Différentes personnes nous ont alertés sur le fait que des personnels ayant travaillé dans des groupes gérant des Ehpad pouvaient travailler par la suite dans une ARS. Y a-t-il un code de déontologie à cet égard ?
Mme Annie Le Houerou . - De quelle manière avez-vous reçu les révélations de M. Castanet ? Avez-vous découvert à cette occasion les pratiques d'Orpea, notamment les rétrocommissions sur les achats et la gestion des contrats ? S'agissant des rachats d'Ehpad, est-ce qu'il y a une procédure particulière impliquant les ARS ?
Enfin, j'ai du mal à voir comment vous conciliez le programme régional d'inspection avec le traitement systématique de toutes les réclamations. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?
Mme Marie-Hélène Lecenne . - De fait, on a du mal à appréhender les logiques de groupe. Nous sommes limités juridiquement puisque nous contrôlons par établissement. Le livre nous a effectivement surpris. L'ampleur de la logique d'optimisation et de transfert de charges entre les sections nous a interrogés.
Sur le programme des deux prochaines années, nous allons effectivement prioriser des établissements pour lesquels on a déjà des signaux : éléments de gestions, taux d'absentéisme, événements indésirables, réclamations.
S'agissant des procédures de rachat, je précise que, juridiquement, une autorisation médico-sociale n'est pas cessible. Nous sommes sur un processus administratif de transfert d'autorisation qui repose sur un corpus juridique assez exigeant. Mais nous ne sommes pas en capacité d'évaluer ce qu'une cession peut impliquer en termes de compensation budgétaire ou de logique commerciale.
M. Jean-Yves Grall . - Nos agents sont bien évidemment soumis aux règles de la fonction publique. Si des conflits d'intérêts sont constatés, ils ne participeront pas aux contrôles.
M. Pierre Pribile . - Nous n'intervenons pas sur les opérations capitalistiques, mais nous intervenons sur les transferts d'autorisation lorsqu'un opérateur privé cède la gestion d'un Ehpad. Pour l'avoir vécu à plusieurs reprises, je suis en mesure de vous dire que nous sommes pieds et poings liés par la réglementation. C'est paradoxal : on déploie un luxe de précautions sur le choix de l'opérateur, avec le conseil départemental, au moment où l'on accorde l'autorisation, mais si l'opérateur, deux ou trois ans après, décide de transférer l'autorisation, on n'a quasiment pas notre mot à dire. C'est une faille de notre corpus juridique. C'est un peu comme si le détenteur de l'autorisation était vu comme son propriétaire.
Je me dois de dire que j'ai été extrêmement éprouvé par la lecture de l'ouvrage de M. Castanet. Comment se fait-il qu'un tel système n'ait pas été détecté plus tôt ? Hélas, j'en suis venu à la conclusion que tout ce qui était décrit était plausible.
En effet, nous ne sommes pas équipés pour contrôler les groupes. Le Gouvernement a annoncé des mesures pour corriger cette faiblesse, mais on voit bien que cela requiert une coordination de toutes les ARS. On n'a absolument pas les moyens de détecter localement la pratique des rétrocommissions.
Par ailleurs, M. Castanet a mis en évidence des fausses déclarations budgétaires annuelles. On n'a aucun moyen de vérifier ces documents, ce qui fragilise l'ensemble de l'édifice. À cet égard, le Gouvernement souhaite s'appuyer sur les compétences des commissaires aux comptes pour certifier la sincérité des comptes que l'on nous présente à l'échelle des établissements.
J'en viens au traitement des réclamations. Nous en faisons un triple usage : traitement individuel ; prise en compte au moment de la préparation du programme d'inspection et de contrôle ; en outre, le signalement très préoccupant est susceptible de déclencher une inspection hors programme.
La vague de contrôles va être cadrée nationalement. De notre point de vue, la question de la maltraitance doit être au coeur de ce programme, mais il faut plus de moyens humains, sinon, d'autres activités, comme l'accompagnement, en pâtiront, et d'autres structures médico-sociales ou sanitaires seront moins contrôlées. Or la maltraitance ou la mauvaise gestion n'est pas l'apanage des Ehpad. J'ai notamment en tête un problème dans un centre de santé dentaire dépendant de mon agence.
M. Jean Sol . - Je voudrais revenir sur la remontée des événements indésirables. Par quel canal se fait-elle ? Existe-t-il un protocole précis ? Quelle est la répartition des signalements entre les directions, les familles et les professionnels ? Quels sont les champs les plus concernés ?
Mme Raymonde Poncet Monge . - Je veux revenir sur les limites du contrôle financier, les données étant uniquement déclaratives. Seul le contrôle approfondi permet de dévoiler des malversations ou des fraudes. Je pense que l'inspection générale des finances est aussi sollicitée. Dans les contrôles actuels, combien porte sur cette dimension, sachant que ce n'est pas sans lien avec la maltraitance ? En effet, il y a des répercussions sur l'encadrement, donc sur la qualité des soins et de l'hébergement.
Par ailleurs, je suis très étonnée qu'il n'y ait pas de contrôles sur les conditions financières des transferts d'autorisation.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pour compléter ce qui vient d'être dit, j'ai été étonné du nombre de créations d'établissements à but lucratif à la suite de transferts d'autorisation. Il y a peut-être un manque de contrôles et il faudrait que vous nous fassiez des propositions à cet égard.
Pouvez-vous me confirmer qu'à l'occasion des contrôles vous ne puissiez voir que les directeurs régionaux des groupes, les directeurs d'Ehpad n'ayant aucune autonomie ?
La solution n'est-elle pas de confier à une ARS déterminée le soin de contrôler les établissements d'un même groupe sur tout le territoire ?
Enfin, je souhaiterais que toutes les ARS puissent nous envoyer par écrit leur sentiment sur ce qui s'est passé et leurs préconisations pour y remédier.
M. Jean-Yves Grall . - Monsieur Sol, en ce qui nous concerne, nous avons un seul point focal régional qui agrège l'ensemble des signalements auprès de l'ARS. À partir de là, la partie « maladie » est traitée par la direction de la veille et sécurité sanitaire ; les réclamations et les plaintes des usagers sont traitées dans une direction à part. Enfin, le troisième flux, celui des événements indésirables déclarés par les professionnels, est également traité par une structure ad hoc .
Je le répète, nous avons une culture très faible de la déclaration dans nos établissements en général, et dans les Ehpad en particulier. Or nous ne pouvons déclencher des inspections inopinées que si les informations nous remontent.
Au niveau interne, les signaux sont dispatchés et comparés entre les différentes directions pour agréger les petits bruits en un bruit de fond plus important qui nous permet de sérier les endroits où nous devons intervenir.
Monsieur Bonne, nous vous ferons part de nos propositions. Nous sommes dans un État de droit, et ce droit, actuellement, ne nous permet pas d'intervenir autrement que sur nos compétences.
Monsieur Sol, il n'y a pas vraiment de catégorisation. C'est un florilège de sujets qui remontent, et tous ne relèvent pas strictement de l'ARS. Je rappelle que le soin est de la compétence de l'ARS, mais l'hébergement et la dépendance relèvent des conseils départementaux. Mais sachez que nous travaillons en lien avec ces collectivités.
M. Pierre Pribile . - En 2021, en Bourgogne-Franche-Comté, on a reçu 2 350 signaux, dont 630 concernaient les Ehpad. Sur ces 630, un peu plus de 350 ont été déclarés par les Ehpad eux-mêmes, le reste venant des familles ou de professionnels en dehors de toute procédure de déclaration obligatoire. En revanche, 60 % des Ehpad n'ont rien déclaré en 2021. Or, vu la définition de ce qu'est un événement indésirable, même un Ehpad bien géré devrait avoir quelque chose à déclarer chaque année. Cela montre qu'il y a un gros travail à faire pour que cette culture de la déclaration imprègne les établissements. D'ailleurs, lors des contrôles, on s'attache à la procédure mise en place dans les Ehpad pour organiser la remontée de ces signalements.
Madame Poncet Monge, on recherche toujours les personnels non qualifiés, ce qui débouche sur des injonctions de mesures correctrices, mais ce sont des mesures de santé publique. On ne va pas systématiquement rechercher l'existence d'une intention frauduleuse sur le plan financier, car c'est une autre mécanique. Il faudrait arriver à démontrer que l'économie éventuelle réalisée se traduit in fine par une marge indue conservée par l'opérateur. C'est très complexe et cela excède les compétences de nos équipes. On cherche plutôt à intervenir par une injonction sur les pratiques RH. Nous devons de plus prendre en compte les très grandes difficultés de recrutement auxquelles font face les établissements. Dans ce cadre, l'intention frauduleuse n'est pas facile à distinguer.
Par ailleurs, vous avez raison, les directeurs d'établissement manquent d'autonomie, ce qui peut se traduire par des délais de transmission plus importants. Pour autant, ils sont tenus juridiquement de nous transmettre tous les documents que l'on demande. C'est parfois long.
Monsieur le rapporteur, les contrôles des groupes par des ARS référentes font partie des possibilités envisageables.
Enfin, Mme Poncet Monge a pointé l'absence de contrôle des conditions financières des transferts d'autorisation. L'absence de cadre juridique plus contraignant ouvre évidemment la voie à des transactions financières. Il faut sans doute réfléchir à un nouveau cadre juridique qui permette aux ARS et aux conseils départementaux, autorités de tutelle, d'avoir leur mot à dire. Les transferts d'autorisation peuvent se faire vers un opérateur qui a pignon sur rue, mais qui n'est pas forcément celui que l'on aurait choisi à l'issue d'une procédure transparente. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si ce n'est pas celui que l'on a choisi quelques années auparavant lors de l'autorisation initiale. Il y a vraiment là une faille.
Mme Marie-Hélène Lecenne . - Monsieur le rapporteur, il y a effectivement eu assez peu de créations d'Ehpad ces dernières années. Il y a surtout eu des reprises d'établissements en difficulté.
Mme Corinne Imbert . - Comment appréciez-vous le fait que les périmètres des ARS aient été calqués sur ceux des nouvelles régions ? N'a-t-on pas assisté à un affaiblissement des délégations territoriales des ARS dans chaque département, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les contrôles effectifs ?
M. Jean-Yves Grall . - Je ne suis pas certain qu'il y ait eu un affaiblissement. Au contraire, je pense que c'est un renforcement puisque le besoin en compétences et en expertise de haut niveau, notamment en matière financière, est de plus en plus prégnant. Or c'est beaucoup plus facile d'y faire face à l'échelle des grandes régions. Cela permet de mettre à disposition des départements les moins riches des compétences dont ils n'auraient pu bénéficier autrement.
La régionalisation permet la consolidation du pilotage du contrôle. De surcroît, cela autorise des dépaysements, ce qui est toujours bénéfique. J'y insiste, c'est une chance.
M. Pierre Pribile . - Je partage tout à fait ce constat, surtout dans une petite ARS comme la nôtre. C'est un mélange d'expériences très bénéfique. L'affaiblissement des délégations territoriales n'a rien à voir. C'est plutôt le fruit de l'érosion continue du plafond d'emplois.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Brigitte Bourguignon,
ministre
déléguée auprès du ministre des solidarités
et de la santé,
chargée de l'autonomie
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons cet après-midi Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs le 26 janvier dernier.
Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes mais sur les établissements, et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi notre commission a choisi de s'intéresser à la question du contrôle.
Depuis la parution du livre, différentes investigations ont été lancées, dont une mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF). Le Gouvernement a fait différentes annonces, notamment celle du lancement d'un vaste programme de contrôle et du renforcement des moyens juridiques des contrôleurs.
Nous avons souhaité que cette audition intervienne à quelque distance de la parution du livre, une fois l'émotion légitime un peu retombée, afin de disposer non seulement d'une enquête journalistique, fût-elle de qualité, mais aussi du rapport des inspections.
Depuis lors, les événements se sont succédé : le Gouvernement a annoncé la saisine de la justice et le groupe Orpea a présenté des excuses.
Madame la ministre, nous souhaiterions cet après-midi que vous nous présentiez les principaux éléments de ce rapport, afin de comprendre comment les services contrôleurs, qu'il s'agisse de l'État, de la sécurité sociale ou des départements, ont pu passer à côté de tels dysfonctionnements.
J'aurai, pour ma part, trois questions.
Le Gouvernement indique que le rapport des inspections relève du secret des affaires, ce qui explique notamment qu'il ne m'ait été communiqué que tardivement. Pouvez-vous nous indiquer ce qui a motivé ce « classement » ? Puisque ce secret protège les entreprises, pouvez-vous nous confirmer que le groupe Orpea pourrait demander sa levée, ce qu'il semble par ailleurs souhaiter ?
Pouvez-vous nous indiquer sur quel fondement le Gouvernement envisage de saisir la justice ?
Dernière question, en forme de remarque : pensez-vous que la puissance publique soit aujourd'hui correctement équipée pour gérer et contrôler, au service de l'intérêt général, une relation contractuelle de cette nature avec un groupe privé de dimension internationale ? N'y a-t-il pas matière à rassembler les forces et à renforcer, par exemple, l'intervention de la Cour des comptes ?
Je demanderai à chacun d'être concis aussi bien pour les questions que les réponses.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander, madame la ministre, de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Brigitte Bourguignon prête serment.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - Avant de commencer mon propos liminaire, je voulais vous remercier de vous être constitués en commission d'enquête, à la suite à la parution du livre Les Fossoyeurs . Je salue la qualité des travaux de la représentation nationale et sa capacité à aller, sans polémique ou outrance, au fond de ce sujet grave et essentiel pour les familles, les résidents ou les proches de résidents, lesquels, je le sais, nourrissent une angoisse légitime. Car les accusations portées contre le groupe Orpea les ont choqués, comme nous toutes et tous ici.
C'est bien un ensemble de faits graves que je dénonce, organisés au niveau du groupe Orpea, dans le seul objectif de la recherche du profit.
Ces faits graves, tels que décrits par les inspections, ont conduit au reniement de l'accompagnement des personnes âgées, notamment en matière alimentaire. Ils soulèvent également des questions de sécurité, avec de probables sous-déclarations d'événements indésirables graves. Ce système présente également des pratiques financières présumées irrégulières, en particulier de surfacturation d'achats de produits de santé et de surcapacité des Ehpad.
Ces faits présumés sont retranscrits dans le rapport d'inspection de I'IGAS et de I'IGF. Nous avons demandé aux inspections de vous le transmettre dans les meilleurs délais, en respectant les règles de sécurité et de secret des affaires qui régissent en droit ces travaux. Le Gouvernement a signalé au Procureur de la République ces faits, pour qu'il puisse procéder à leur instruction et les qualifier.
Le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la publication du rapport d'inspection. Seul le groupe Orpea peut l'empêcher, notamment au titre du secret des affaires. J'ai lu ce dimanche dans un quotidien que le président du groupe Orpea regrettait la non-publication du rapport.
Si les regrets exprimés par M. Charrier se confirment, alors je lui demande, comme je l'ai fait hier à deux reprises par courriel, de lever le secret des affaires sur tout le rapport. Pour l'instant, le directeur général France d'Orpea m'a répondu qu'il ne voulait pas lever ce qui est couvert par le secret des affaires. Je regrette ce recul par rapport aux propos tenus ce dimanche. Vous lui poserez sans doute cette question demain.
Dans ces conditions, n'ayant aucune intention de laisser s'installer une ambiguïté qui viendrait alimenter les mauvais procès politiques, j'ai décidé, avec Olivier Véran, de publier le rapport d'ici à quelques jours, en veillant à occulter les parties qui doivent l'être, si Orpea confirme ne pas vouloir lever totalement le secret des affaires.
La saisine du Procureur ne sera pas la seule action du Gouvernement pour ce qui concerne ce que l'on appelle désormais l'« affaire Orpea ».
L'État demandera le remboursement des financements publics qui auraient été irrégulièrement employés, en enclenchant, pour la première fois après un rapport de l'inspection des finances, une procédure de demande de remboursement de fonds publics.
Par ailleurs, j'ai demandé un vaste programme de contrôles et d'enquêtes flash par les agences régionales de santé (ARS) sur l'ensemble des Ehpad qui avaient connu des signalements, et en particulier sur les Ehpad gérés par des groupes privés lucratifs.
Entre février et mars, outre les contrôles habituels inopinés sur signalement, plus de 230 établissements particulièrement signalés, appartenant principalement au groupe Orpea, ont été contrôlés de manière inopinée par les ARS, avec, le plus souvent, le concours des conseils départementaux.
Grâce à ces contrôles, plusieurs dysfonctionnements majeurs ont été identifiés, conduisant, pour 70 d'entre eux, à des injonctions ou des sanctions. Dans certains cas, nous avons été jusqu'à la mise sous administration provisoire et même la fermeture.
Une telle décision était nécessaire, car il fallait rétablir la confiance de nos concitoyens dans des établissements qui fournissent un service essentiel à notre nation.
Je ne peux que regretter l'opprobre qui s'est abattu sur tout un secteur, en faisant payer les agissements inacceptables d'un groupe à tous les professionnels, à tous les directeurs, à toutes les structures.
Je veux ici rendre hommage aux professionnels de l'immense majorité des établissements, qui s'investissent au quotidien dans la bientraitance. Nous leur devons beaucoup.
La confiance, cela ne se décrète pas. Pour la rétablir, il nous fallait des actes forts à destination de ces établissements, pour ne plus jamais vivre de telles dérives systémiques de quelques acteurs d'un secteur accompagnant les plus vulnérables d'entre nous.
Il nous fallait un « choc de transparence », au service d'un meilleur accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie.
C'est pourquoi nous avons annoncé le 8 mars dernier, avec Olivier Véran, le déploiement de mesures nouvelles, pour prévenir et lutter contre la maltraitance et les abus décrits dans le rapport des inspections.
Tout d'abord, nous avons décidé d'augmenter et de renforcer les contrôles dans les établissements, pour lutter contre la maltraitance. Tous les Ehpad seront soumis à un contrôle systématique dans les deux prochaines années. Nous investissons dans les moyens humains des ARS, avec 150 embauches supplémentaires, pour qu'elles soient, dans la durée, capables d'assumer cette tâche essentielle.
Aussi, nous renforcerons les possibilités de signalement et leur suivi par l'ensemble des services de l'État et des départements compétents au niveau territorial, de façon à bien cibler notre politique de contrôle et à garantir un suivi adapté à ces opérations.
Je crois également que nous devons rendre aux résidents et aux familles le pouvoir d'agir sur leur choix d'établissement. Il faut les aider à sortir d'un choix par défaut, en mettant en place une véritable cure de transparence. Nous avons ainsi décidé de publier chaque année dix indicateurs clés permettant d'évaluer et de comparer les établissements, pour éclairer le choix.
Seront concernés les taux d'encadrement, de rotation des professionnels, d'absentéisme, le profil des chambres et du plateau technique de l'établissement ou encore le budget quotidien pour les repas par personne. Un décret sera pris à cet effet avant le 1 er mai ; il a déjà été concerté avec l'ensemble du secteur.
Renforcer les contrôles et la transparence, c'est bien sûr oeuvrer à améliorer l'accompagnement en établissement. Mais il nous fallait entamer une démarche plus structurelle, embarquant les collectifs de travail, pour renforcer la qualité de l'accompagnement.
C'est pourquoi il était nécessaire de refondre le système d'évaluation externe des établissements, pour le rendre totalement indépendant, plus régulier, avec une évaluation tous les cinq ans, contre sept ans à l'heure actuelle. Un nouveau référentiel publié par la Haute Autorité de santé (HAS) le 10 mars dernier, donne toute sa place à la parole des personnes et des familles. Bien évidemment, nous n'avons pas attendu l'affaire Orpea pour y travailler. Les travaux étaient engagés depuis de longs mois, mais la crise du covid avait conduit à du retard.
Nous sommes désormais prêts, et je me réjouis de cette refondation de l'ambition de qualité pour tous les établissements médico-sociaux, qu'il faudra naturellement accompagner dans cette démarche nouvelle, exigeante et motivante pour les équipes.
Les évaluations seront rendues publiques sur la fiche internet de I'Ehpad et une mesure de la satisfaction sera affichée dans tous les établissements.
Pour faire vivre ces démarches, j'ai en outre la conviction que la libération de la parole des résidents, des familles et des personnels est un puissant moteur, et un gage in fine de qualité pour nos concitoyens.
Je souhaite que nous soutenions la libération de cette parole, en renforçant la démocratie au sein même des établissements et en agissant pour plus de médiation, à l'instar du secteur sanitaire. C'est notamment le sens de la réforme des conseils de la vie sociale (CVS). Nous en simplifions les procédures et les ouvrons à un plus grand nombre d'acteurs. Je pense aux élus locaux, mais aussi aux bénévoles, aux personnels soignants de l'établissement et aux résidents et à leurs familles.
Les CVS doivent être des lieux de dialogue, de démocratie, mais aussi, parfois, des lieux de contre-pouvoir contre les pratiques de certains groupes commerciaux. Là encore, un décret sera pris avant le 1 er mai, après concertation avec l'ensemble du secteur.
Car c'est bien cette question qui est la plus importante dans le scandale qui nous a toutes et tous marqués. Que des groupes commerciaux sacrifient l'accompagnement de personnes vulnérables à la rentabilité de leurs entreprises et aux dividendes versés à leurs actionnaires ne peut plus être acceptable et ne sera plus accepté.
Concrètement, nous mettrons en place une réponse globale avec des outils juridiques et comptables pour mieux contrôler et réguler les pratiques tarifaires de ces groupes.
D'abord, le droit de la consommation doit protéger particulièrement les personnes vulnérables. Ensuite, nous oeuvrons en faveur d'une plus grande transparence visant à garantir le bon usage des fonds publics dont ces groupes bénéficient.
Nous proposerons donc d'élargir par la loi les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État et de la Cour des comptes non plus aux seules dotations publiques, mais bien aux sommes qui sont payées par les résidents de ces établissements.
Ces mesures essentielles, que nous avons annoncées avec Olivier Véran, prendront effet, pour beaucoup d'entre elles, avant la fin de ce quinquennat.
Il aurait été en effet inacceptable de se limiter à des effets d'annonce avant une élection présidentielle. Toutes les modifications réglementaires seront ainsi prises, grâce à la mobilisation sans faille des services du ministère des solidarités et de la santé.
Pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Bernard Bonne - vous êtes l'auteur d'un rapport qui a beaucoup inspiré mon action et qui fera date -, je souhaite partager avec vous un voeu.
L'action publique et les enjeux qui nous rassemblent aujourd'hui, ceux du grand âge, de la perte d'autonomie et de la transition démographique, ne sauraient se limiter à la réponse à un scandale, à des propos de tribunes, caricaturaux et convenus, à un intérêt trop passager. La réforme de l'accompagnement de la perte d'autonomie dans notre pays nécessite bien plus que cela. D'autres pays, en particulier le Danemark, nous ont ouvert la voie.
Les changements qu'implique la transition démographique appellent à une action invariable, centrée sur le soutien à domicile de nos concitoyens âgés.
C'est cette priorité qui m'a fait mener des combats pour revaloriser les salaires des aides à domicile, pour débloquer des financements historiques pour ces services, pour lancer des transformations structurelles de ce secteur, en vue d'une meilleure qualité pour les personnes et les professionnels.
C'est cette priorité qui nous a conduits à investir dans une plus grande médicalisation de nos établissements, en rénovant nos établissements publics, en revalorisant les salaires de ces professionnels, en augmentant le temps de médecin dans tous les établissements et en les ouvrant sur leurs bassins de vie et sur la vie sociale de leur commune.
Cette réforme pour l'autonomie de nos concitoyens âgés ne s'arrêtera pas quand l'attention médiatique pour ce secteur s'estompera. Elle continuera grâce à la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, grâce à l'affectation de moyens nouveaux, et grâce à la mobilisation des conseils départementaux, acteurs essentiels du virage domiciliaire.
Dans ce combat, vous pourrez toujours compter sur mon engagement. C'est dans cet état d'esprit que je me soumets bien volontiers à vos questions.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Madame la ministre, Michelle Meunier et moi-même vous poserons nos questions une par une. En effet, lors des auditions menées par l'Assemblée nationale, j'ai constaté qu'un trop grand nombre de questions posées en même temps n'amenait aucune réponse.
Nous avons mis en place une mission de contrôle du contrôle. Il ne s'agit absolument pas de jeter l'opprobre sur les personnels des établissements qui s'occupent de nos aînés.
Le livre Les Fossoyeurs a permis de faire bouger des choses complètement anormales. Il a mis en relief, tout d'abord, le manque de moyens de la plupart des établissements, que tout le monde reconnaît depuis longtemps. Nous attendons la loi sur le grand âge, qui devrait permettre, avec des moyens supplémentaires, de doter les établissements en personnels. Surtout, il a fait ressortir l'opacité, et toutes les déviances qu'on peut imaginer, des structures privées à but lucratif et, peut-être, d'autres structures.
Cette opacité a permis à ces groupes d'échapper au contrôle des départements et de l'État. Permettez-moi de revenir sur la notion de secret des affaires, qui me surprend quelque peu. En effet, dans la mesure où le président d'Orpea s'est étonné que le rapport n'ait pas été rendu public, nous devrons faire la clarté sur ce sujet.
Il faut le dire, le journaliste des Fossoyeurs a souvent rencontré des difficultés pour obtenir des renseignements de la part des ARS, qui lui opposaient le secret des affaires. Fort heureusement, les départements ont bien voulu ouvrir leurs documents, ce qui a permis de dévoiler certains faits. Le refus des ARS de transmettre ces éléments devra être clarifié.
Vous dites qu'il sera enjoint au groupe Orpea de restituer des financements publics irrégulièrement employés. Cela signifie-t-il que ce sujet ne relèvera pas d'un contentieux ? Une telle mesure ne concernera-t-elle qu'Orpea ou bien tous les établissements à but lucratif, y compris les petits groupes, sur lesquels il faudra aussi faire des contrôles.
Il est de votre devoir et de notre devoir de faire toute la clarté sur ces sujets, en rendant public, le plus vite possible, ce rapport.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Je le répète, le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la transmission et à la publication de ce rapport. Toutefois, le secret des affaires étant invoqué par le groupe, nous nous devons de le respecter. Nous rendrons donc ce rapport public, avec la précaution d'usage.
Le plus important, à mes yeux, c'est que tous ceux qui ont eu à souffrir de cette situation soient entendus. Rien ne doit venir empêcher l'équilibre et la justice. Par conséquent, si on m'affirme qu'un élément pourrait venir perturber le déroulement d'une procédure judiciaire, je m'en tiens à la prudence la plus élémentaire.
Je tiens à votre disposition les mails échangés avec le groupe Orpea sur ce sujet.
S'agissant des contrôles, nous n'avons pas visé un groupe en particulier, même si cette affaire nous a précipités vers une inspection rapide. À partir du moment où un scandale était révélé, nous devions bien évidemment agir.
À l'heure actuelle, nous menons un travail en profondeur de réforme des inspections et des contrôles, dont nous avons constaté l'insuffisance, dès lors qu'il s'agit d'un système aboutissant à des formes de maltraitance des personnels et des résidents. Cela n'est pas aussi simple qu'un contrôle sur la base d'un signalement de maltraitance !
Nous devons accentuer nos efforts s'agissant des groupes privés commerciaux en matière de transparence. Nous suivrons à cet égard la recommandation de la Cour des comptes, en permettant que la « boîte noire » liée à la section hébergement ne fasse plus l'objet d'un système de vases communicants. Il convient donc de sacraliser la section « soins », de manière qu'il n'y ait plus d'interactions entre les sections.
Nous commençons avec Orpea, puisque nous disposons d'un travail assez poussé sur trois ans. Nous avons voulu renforcer le contrôle des ARS, grâce aux autorités indépendantes que sont l'IGAS et l'IGF. Ce travail, mené tambour battant par douze inspecteurs, nous permet de saisir aujourd'hui la justice.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - L'IGAS et l'IGF ont réalisé un travail remarquable, que nous n'avons pas encore eu le temps de lire entièrement. Il est d'ailleurs étonnant qu'une synthèse n'ait pas été faite.
Pourquoi le contrôle des Ehpad et des groupes n'a-t-il été mis en place que récemment ? Les ARS auront-elles désormais les moyens de mener ces contrôles ? En effet, les syndicats des médecins, des pharmaciens et des inspecteurs nous ont dit clairement que, d'une part, le nombre des fonctionnaires affectés au contrôle avait diminué depuis un certain nombre d'années et, d'autre part, qu'il n'existait pas d'affichage réel d'une volonté de contrôler.
En 2014, Claude Évin, en tant que directeur de l'ARS de l'Île-de-France, avait signalé un problème de marges arrières concernant les établissements Korian. Or rien n'a été fait. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de réaction de la part des ARS ? Certes, le livre permet de bousculer le fonctionnement des contrôles. Toutefois, on ne peut que regretter que rien ne se soit passé auparavant. Nous devons pouvoir dire aux résidents et à leurs familles : « nous avons failli ; nous allons y remédier rapidement, et nous nous excusons profondément. »
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Chaque année, 10 % des établissements sont contrôlés. Plus précisément, 634 contrôles ont été menés en 2014 ; 708 en 2015 ; 649 en 2016 ; 668 en 2018 et 671 en 2019.
Nous voulons renforcer ces contrôles grâce à un renforcement des moyens humains : 150 équivalents temps plein (ETP) seront affectés aux ARS. Surtout, les départements seront systématiquement associés à ces contrôles.
À l'heure actuelle, 62 ETP sont dédiés aux contrôles, contre 61 en 2015. En ajoutant les effectifs dévolus au traitement des signaux, événements ou alertes, 150 ETP étaient consacrés au contrôle des Ehpad en 2018. Nous allons doubler ces effectifs, en embauchant 150 ETP supplémentaires.
Entre 2003 et 2015, l'offre de places en Ehpad a augmenté d'un tiers, tandis que l'offre des seuls Ehpad commerciaux a augmenté de plus de 50 %.
En 2010, avant l'entrée en vigueur de la loi Bachelot, le développement des Ehpad commerciaux connaissait son âge d'or. Cette loi a introduit le mécanisme d'appel à projets obligatoire, pour réguler l'attribution des autorisations.
Par ailleurs, pour mettre en perspective l'historique de cette évolution, je souligne que l'article 63 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a libéralisé les tarifs d'hébergement, en supprimant l'obligation de retracer les charges et les produits dans des comptes distincts, ce que la Cour des comptes a récemment critiqué.
En 2014, M. Evin, alors directeur de l'ARS d'Île-de-France, avait alerté la ministre de l'époque sur les rétrocommissions financières opaques mises en place par le groupe Korian. Rien n'a été fait alors, et l'ARS a dû se débrouiller seule pour trouver un accord financier avec Korian, consistant en des dotations moindres.
Il faut noter qu'en 2015 a été votée la loi ASV (loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement), qui n'interdisait pas ces pratiques. Pire, elle ouvrait deux possibilités, que je tiens à dénoncer aujourd'hui, favorisant encore plus les groupes privés. Il s'agit, tout d'abord, de la possibilité de ne pas reverser des excédents financiers tous les ans, ce qui a conduit Orpea aux manoeuvres aujourd'hui critiquées. Il s'agit, ensuite, de la possibilité pour les groupes d'Ehpad commerciaux de faire des états des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) simplifiés. Ainsi, l'ARS n'avait plus connaissance du budget consacré à l'hébergement.
En outre, la loi ASV a entraîné la convergence tarifaire, qui a beaucoup bénéficié aux Ehpad commerciaux, le public donnant au privé ! Cela a entraîné une baisse des financements dépendance des Ehpad publics de 125 millions d'euros. Ainsi, plus de 40 % des Ehpad publics ont vu leur financement baisser.
Alors que j'étais présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, j'avais demandé un rapport immédiat, une mission « éclair », à deux députées, qui ont dressé un état des lieux. À aucun moment, la situation d'Orpea n'y est évoquée.
Vous le savez comme moi, au cours de ces dix dernières années, ces établissements ont changé de nature. En termes de dépendance, les pathologies traitées sont beaucoup plus lourdes. La médicalisation croissante de ces établissements s'est avérée nécessaire. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 puis pour 2021, nous avons prévu le financement de 8 000 puis de 10 000 postes supplémentaires. Entre-temps, ne l'oublions pas, nous avons connu une crise sanitaire majeure.
Mme Catherine Deroche , présidente . - La semaine dernière, Le Monde faisait état d'une synthèse du rapport avant contradictoire. En avez-vous eu connaissance ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Non, je n'ai pas eu ce document.
En revanche, j'ai eu connaissance des suites proposées par les inspecteurs, au vu des dysfonctionnements graves observés. Ils ont confirmé qu'il y avait matière à saisir la justice.
Pour être très précise, vendredi soir dernier, la mission d'inspection nous a informés, premièrement, que nous ne disposerions pas du rapport, du fait de contraintes de cryptage, deuxièmement, qu'il y avait matière à poursuites, troisièmement, que le rapport relève, pour une large part, du secret des affaires.
Dans la même soirée, la mission d'inspection transmettait à Orpea le rapport final.
Lundi matin, le Gouvernement et le Parlement ont reçu le rapport définitif. Je laisse à votre disposition la note de suite rédigée par la mission d'inspection.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Pour ma part, je n'ai eu ce rapport, qui fait plus de 500 pages, qu'hier vers 17 heures. Avouez-le, il n'est pas possible de travailler dans ces conditions, d'autant que vos propos rassurants en termes de transparence paraissent décalés par rapport aux faits.
Le rapport pointe un pouvoir de contrôle amoindri des ARS lié à l'adoption de la loi ASV. Envisagez-vous de remédier à cet état de fait ? De quelle manière ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Vous évoquez essentiellement le manque de transparence concernant la section « hébergement ». Du fait du secret commercial, les Ehpad privés bénéficient d'un modèle de document budgétaire simplifié à transmettre aux autorités, ce qui les a privées d'une vision d'ensemble des finances de ces établissements.
Le 8 mars dernier, nous avons annoncé des mesures pour plus de transparence financière. Nous allons renforcer les règles budgétaires et comptables. Certaines mesures, qui concernent notamment le siège des groupes, relèvent de la loi. Toutefois, nous souhaitons agir vite, et nous ferons donc tout ce qu'il nous est permis de faire par la voie réglementaire.
Un décret a déjà été soumis à la concertation des parties prenantes, pour améliorer la transparence financière. Il mettra fin aux EPRD simplifiés et contraindra les Ehpad commerciaux à transmettre les éléments relatifs à la section « hébergement ». Ce sera la fin de cette « boîte noire ». Il imposera également une compatibilité analytique propre à chaque Ehpad, attestée par un commissaire aux comptes.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Cela se fera par voie réglementaire ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie . - Absolument !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le secret des affaires ne pourra pas empêcher une telle évolution ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Non !
Ce décret imposera également qu'une rétrocession ne pourra être conservée au niveau du siège. Elle sera obligatoirement répercutée dans le budget de l'établissement dédié aux seuls soins. Ce terme de « soins » est très large ; il comprend également la dépendance.
Cela renforcera l'obligation de transparence des contrats entre Ehpad et autorités.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - S'agissant de la base de données Prisme (Prévention des risques, inspections, signalements des maltraitances en établissement), depuis le 30 décembre 2015, les établissements ont l'obligation légale de signaler « tout dysfonctionnement grave dans leur gestion », ce qui inclut les situations de maltraitance. Quel est le caractère opérationnel de cette plateforme ? À votre connaissance, est-elle utilisée ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Les bilans annuels de la mission de veille et d'alerte, que nous menons depuis 2017, font état d'une faible remontée de ces signalements au niveau national. Les pratiques sont très hétérogènes selon les ARS et les conseils départementaux.
D'abord, le circuit de repérage et d'alerte au sein des structures est assez peu visible. Les conseils départementaux ont des systèmes de remontée inégaux.
Bien avant les annonces du 8 mars dernier, un plan d'action a été déployé en 2019 par la DGCS. Il a été structuré en quatre actes visant à améliorer le repérage, le signalement et le traitement d'événements indésirables graves. Il s'agit d'accompagner les établissements concernés dans la généralisation des circuits d'alerte internes, de clarifier et illustrer les motifs et les critères des formulaires de remontée des signalements, de préciser les objectifs et les modalités de remontée au niveau national et d'optimiser les outils et les systèmes d'information, pour faciliter la transmission et le traitement des signalements.
Nous allons également renforcer les moyens de la plateforme du 3977, qui n'était pas suffisamment outillée pour effectuer la remontée des signalements dans les meilleures conditions.
Un nouveau circuit d'alerte sera également établi au sein des établissements, afin d'améliorer le traitement de chaque signalement.
Je me suis aperçue, en auditionnant la Défenseure des droits, qu'elle faisait état de 9 000 signalements, dont il était impossible de connaître la nature. Il était également impossible de savoir si ces signalements avaient été transmis aux ARS. J'ai aussi voulu savoir si ces signalements aboutissaient toujours à des affaires graves. Or tel n'est pas toujours le cas, car la médiation peut s'avérer utile pour renforcer le lien entre familles, soignants et résidents.
Enfin, j'ai voulu préciser la définition de la maltraitance, afin de permettre à des plaintes éventuelles d'être suivies d'effets.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Lors de votre audition par l'Assemblée nationale le 8 mars dernier, vous avez annoncé votre volonté de mettre en oeuvre, dans les Ehpad, « une cure de transparence », en rendant publics et accessibles « dix indicateurs clés permettant d'évaluer les établissements et de les comparer, pour éclairer le choix ». Il s'agit notamment du taux d'encadrement, du taux de rotation des professionnels, de l'absentéisme, du budget quotidien alloué aux repas par personne et de la présence d'un médecin coordonnateur.
Comment comptez-vous vous organiser pour rendre cette « cure » opérationnelle ? Selon quel calendrier ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Nous avons déjà commencé à travailler sur ces dix indicateurs, dans le cadre d'une concertation de l'ensemble du secteur du grand âge. Ils seront bientôt rendus publics. Nous avons également renforcé et rendu obligatoires les enquêtes de satisfaction des résidents, en fonction de ces indicateurs. Le questionnaire a été élaboré par la Haute Autorité de santé. Ces enquêtes seront affichées dans les Ehpad.
Nous renforcerons également les obligations des établissements pour ce qui concerne la lisibilité des contrats contre les pratiques tarifaires abusives.
Je l'ai dit tout à l'heure, le décret sera publié avant le 1 er mai.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous parlons bien des contrats privés qui ne sont pas soumis au secret des affaires ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Je parle des contrats de séjour, entre l'établissement et la personne.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il n'y aura donc plus de raison d'avoir un secret des affaires !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Ne mélangeons pas ce qui relève de l'Ehpad et ce qui relève du système d'un groupe privé !
S'agissant de la transparence de ces groupes, nous mènerons des inspections inopinées, y compris de la Cour des comptes. Quant aux contrats de séjour des établissements, ils permettent aux parents et aux résidents d'avoir une parfaite information.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - S'agissant des moyens, on le sait, un tiers des Ehpad n'ont pas de médecin coordonnateur et les équipes sont éreintées et, souvent, incomplètes. Par ailleurs, vous annoncez la création de 150 ETP affectés au contrôle.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Nous donnons des moyens, puisque nous prévoyons 150 ETP supplémentaires pour les ARS, qui seront affectés à une mission de contrôle.
Pour ce qui concerne les établissements, depuis 2018, et malgré la pandémie - je rappelle que les personnes âgées dépendantes ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire -, nous avons financé, par le biais du PLFSS pour 2018, 10 000 postes supplémentaires et, dans le cadre du PLFSS pour 2021, 10 000 nouveaux postes supplémentaires. Par ailleurs, avec le Ségur de la santé, nous avons investi pour rénover le parc public, en raison d'une vétusté des locaux ne favorisant pas la qualité de vie au travail.
L'attractivité de ces métiers passe également par une revalorisation salariale, ce que nous avons fait dans le cadre du Ségur et du PLFSS.
Par ailleurs, nous avons mis en chantier les dossiers de la validation des acquis, de l'apprentissage et de l'alternance. Nous devons continuer de travailler ensemble sur l'attractivité de ces métiers. Notre projection, c'est 50 000 postes supplémentaires dans les années qui viennent, dans le cadre de la trajectoire que vous avez définie dans vos rapports. En effet, nous devons construire le schéma de l'approche domiciliaire. Car les Ehpad ne sont plus les maisons de retraite que nous connaissions ; ils ont besoin d'être davantage médicalisés.
Quand j'évoque des moyens supplémentaires, je parle bien de soignants. Il est difficile de définir un ratio minimum d'encadrement. Celui-ci ne peut être fixé que par le besoin d'accompagnement des résidents. Certes, on peut toujours annoncer la création de postes. Mais si l'on ne crée pas les conditions de l'attractivité, à savoir une meilleure qualité du travail, des conditions matérielles plus favorables et des salaires plus décents, nous n'y arriverons pas.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - S'agissant du transfert d'exploitation des Ehpad, les élus du département n'ont souvent pas leur mot à dire et sont placés devant le fait accompli. Comment comptez-vous réguler en la matière ?
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Les établissements privés associatifs, mais aussi les établissements publics, rencontrent des difficultés financières, qui les font se tourner vers les établissements privés à but lucratif et leurs millions d'euros. C'est la raison pour laquelle, si on a assisté à une augmentation de 17 % du nombre de places en Ehpad, le nombre des établissements privés à but lucratif a, quant à lui, doublé. Ils ont en effet racheté des établissements déjà existants.
Pourrons-nous empêcher une telle évolution ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - C'est bien le but que nous poursuivons ! Quand nous investissons 2 milliards d'euros dans la rénovation du parc public, c'est bien pour contrecarrer une telle évolution.
Permettez-moi de rappeler les termes de l'article D. 313-10-8 du code de l'action sociale et des familles, introduit par le décret du 13 mars 2020, qui prévoit les modalités de cession et d'autorisation des établissements, ainsi que les conditions d'examen de la demande.
En résumé, la demande de cession doit être déposée par le cessionnaire et non par le cédant aux autorités compétentes, qui ont toute latitude pour demander tout document permettant de s'assurer des capacités de gestion du cessionnaire, au regard des établissements qu'il gère, si c'est le cas. Le dossier est réputé complet, si, un mois après l'avoir reçu, l'autorité compétente n'a pas fait connaître au demandeur la liste des pièces manquantes. Dans le cas d'un rejet, l'ARS doit rédiger un avis motivé, qui repose sur l'incapacité du nouveau gestionnaire à remplir les conditions de gestion de l'Ehpad.
J'ai demandé, le 2 février, une vigilance accrue à tous les directeurs généraux des ARS en la matière.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Il s'agit surtout d'éviter une stratégie !
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Bien évidemment, nos questions ne constituent pas une remise en cause des personnels des Ehpad, lesquels, nous le savons tous, sont dévoués.
J'ai lu plusieurs rapports syndicaux faisant état, entre 2014 et 2020, d'une diminution de 117 médecins inspecteurs, de 11 pharmaciens inspecteurs et de 256 inspecteurs de l'action sanitaire et sociale.
Pensez-vous que les 150 ETP que vous annoncez aujourd'hui seront suffisants face à l'ampleur du travail à accomplir ? En effet, dans les deux ans à venir, 7 500 maisons de retraite, regroupant 600 000 résidents, devraient être contrôlées.
Si nous sommes favorables à ces contrôles, n'oublions pas que les structures du groupe Orpea ont déjà été contrôlées par le passé, sans que des mesures d'avertissement ou de sanction soient prises. Faire du chiffre pour ce qui concerne le contrôle n'aurait pas de sens si cela ne débouchait sur rien.
Les organisations syndicales des inspecteurs ont appelé de leurs voeux le recrutement d'experts médicaux, pour les accompagner lors des contrôles et vérifier les prescriptions, qui doivent être en adéquation avec les besoins.
Enfin, vous avez évoqué les élus locaux, les résidents et les familles. Mais à aucun moment je ne vous ai entendu parler des organisations syndicales. Nous avons reçu la CGT, qui a dénoncé, au sein du groupe Orpea, l'organisation d'un dialogue social fondé sur « un trucage des élections professionnelles, la mise en avant d'un syndicat maison, la discrimination syndicale, la répression sociale, le travail dissimulé et l'escroquerie caractérisée par le fait d'avoir obtenu des fonds publics ».
Allez-vous soutenir les organisations syndicales ? Prendrez-vous des mesures préventives pour assurer l'exercice du droit syndical, qui est un droit constitutionnel ?
M. Laurent Burgoa . - Je vous remercie de vos informations concernant le nombre de contrôles. Vous avez également annoncé un recrutement de 150 personnes.
Les Ehpad, à ce jour, sont contrôlés par les ARS et les conseils départementaux. Peut-on envisager de les contrôler par un organe indépendant ?
En outre, le Gouvernement envisage le remboursement des fonds publics octroyés à des Ehpad commerciaux qui n'auraient pas utilisé à bon escient ces financements. Dès lors, ces derniers pourront se retrouver dans des situations financières compliquées conduisant à la fermeture de chambres. Quelle serait alors la solution pour les résidents ?
Mme Pascale Gruny . - Venant du milieu de l'audit, je reviendrai sur la question du contrôle.
Vous avez dû recevoir des écrits sur ces problèmes. Comment avez-vous réagi ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la publication d'un livre pour faire bouger les choses ?
Le contrôle n'est pas la délation, il est important de le préciser. Quand j'ai signalé certains problèmes à l'ARS et au conseil départemental, j'ai vu la difficulté de ces organismes à aller sur le terrain pour effectuer un contrôle, car ils n'ont pas la culture du contrôle.
Par ailleurs, s'agissant de la formation, les personnels des Ehpad doivent avoir une certaine empathie.
Je veux également le souligner, si les familles sont présentes, il n'y a pas de problème ! Dans le cas contraire, les personnes vulnérables peuvent être menacées.
Une personne de ma famille est hébergée dans un établissement Orpea, dans la ruralité. Or le personnel de l'établissement habite dans le canton, voire dans la commune, ce qui crée une proximité avec les résidents. Les problèmes sont donc surtout liés aux milieux urbains.
Je le souligne également, les personnes souhaitent rester à domicile le plus longtemps possible. Par conséquent, celles qui arrivent dans les Ehpad sont déjà bien malades.
M. Olivier Henno . - Ma question concerne les rétrocessions, également appelées marges arrières. Je l'avoue, lors de l'audition de l'auteur du livre Les Fossoyeurs, j'ai découvert l'importance de ces pratiques, que je connaissais dans la grande distribution, et non dans le domaine médico-social.
Si j'ai bien compris, vous voulez, dans un souci de transparence, faire apparaître ces marges arrière dans la comptabilité de chaque établissement, et non plus au niveau du siège, ce qui crée bien évidemment une forme d'opacité. N'y aurait-il pas d'autres solutions en la matière, par exemple l'interdiction pure et simple des marges arrières dans le domaine médico-social ? Je crains en effet la créativité des groupes à cet égard !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Jusqu'où remontrez-vous pour obtenir le remboursement des sommes indûment perçues ?
Estimez-vous normal que des personnels de l'ARS puissent ensuite être embauchés par des structures privées ? Un meilleur contrôle ne serait-il pas nécessaire ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Madame Apourceau-Poly, les syndicats ont été auditionnés, notamment pour préparer nos annonces sur le renforcement des contrôles. De fait, nous avons aussi mobilisé les inspections du travail pour les faits que vous avez évoqués.
S'agissant des effectifs supplémentaires dédiés aux ARS, ils seront suffisants dans la mesure où ils se consacreront exclusivement aux Ehpad, ce qui n'est pas le cas des ETP actuels. Nous souhaitons également faciliter les liens avec les départements et lever les obstacles qui auraient pu être soulevés.
Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) que j'ai signés en 2019 avec les 18 ARS, appartiennent à la troisième génération. Leur philosophie est fondée sur des indicateurs de résultats et non pas de moyens. Il s'agit de renforcer la garantie de la qualité et de la sécurité de la prise en charge au sein des objectifs prioritaires de chaque ARS. Ces objectifs sont matérialisés par cinq indicateurs, en lien avec les signalements d'événements indésirables. Un indicateur concerne le traitement des réclamations des usagers, tandis que les autres indicateurs sont liés au contrôle, avec une insistance sur la qualité du suivi de ces contrôles.
Monsieur Burgoa, la récupération des financements publics concernera les groupes privés et ne mettra pas en danger les Ehpad.
S'agissant d'un organisme indépendant que vous avez évoqué, je recherche toujours la bonne solution, à savoir la plus opérante et la plus efficace. Les ARS ont la compétence. Elles ont par ailleurs prouvé qu'elles pouvaient s'adapter, dans un contexte difficile de crise.
Nous élargissons les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État pour ce qui concerne non pas les seules dotations publiques, mais aussi les tarifs payés par les résidents. J'ai mentionné la Cour des comptes, qui apporte une garantie d'indépendance.
Madame Gruny, le ministère a reçu un grand nombre de courriers, auxquels nous avons répondu. Lorsque j'ai été nommée, j'ai demandé à ce que le confinement soit levé, afin que les personnes puissent retrouver une certaine liberté en matière de visites. Il s'agissait de protéger sans isoler, pour revenir aux droits des résidents et à leurs familles. J'ai mis en place un groupe de travail « éthique », afin de trouver le bon équilibre entre la protection sanitaire et le droit des résidents et des familles.
Nous avons rappelé à l'ordre certains directeurs d'Ehpad ; nous avons également écrit à des ARS en diligentant des enquêtes supplémentaires. Nous n'avons pas attendu la parution du livre pour agir. Rien ne serait pire que de laisser penser qu'il n'y avait pas de contrôle ! Nous sommes dans un climat de défiance envers les soignants et les gestionnaires de ces établissements, et ce n'est pas simple à gérer au quotidien !
S'agissant de la formation du personnel, je suis entièrement d'accord avec vous, ce ne sont pas des métiers comme les autres. On ne le dit pas assez, les personnels adorent leurs métiers et en parlent très bien. Selon moi, leur formation doit inclure des modules de bientraitance. Nous avons déjà des modules, pour les hôpitaux, qui concernent la dignité des personnes. Il convient de les renforcer. Nous avons ainsi demandé aux organismes de formation de revoir leurs logiciels de référents de compétences et de qualité, en incluant la bientraitance.
Monsieur Henno, pour lutter contre les rétrocessions, nous demanderons aux Ehpad et aux groupes de transmettre leurs comptes sous forme de comptabilité analytique, afin d'avoir une vision claire et sincère de l'affectation des recettes et des dépenses, établissement par établissement, pour ce qui concerne tant les personnels que les consommables.
Permettez-moi de vous donner lecture du décret : « Les rabais, remises et ristournes obtenues sont imputés sur les budgets sur lesquels ils ont été obtenus. Lorsqu'ils portent sur plusieurs budgets, ils sont répartis proportionnellement au montant des charges correspondantes. »
M. Bernard Bonne , rapporteur . - C'est bien !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Monsieur Bonne, j'en viens à la collusion que vous avez évoquée. Si les faits étaient avérés, ce serait grave et inacceptable. Bien sûr, cela sera vérifié.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous demanderons aux opérateurs de nous fournir nominativement et de façon exhaustive toutes les personnes qui sont passées d'une structure à une autre.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Dans le livre, il s'agit d'une seule personne !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il paraît qu'il y en a beaucoup plus !
Par ailleurs, pourquoi ne remontez-vous qu'à 2017 en matière de remboursement des financements ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Avant 2017, il y a prescription.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Mais on peut mettre des amendes !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée . - Oui ! Je dénonce comme vous cette collusion. Les règles de déontologie de la fonction publique permettront sans doute d'éviter désormais ce genre de travers.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de MM. Philippe Charrier, président
directeur général
et Jean-Christophe Romersi, directeur
général, d'Orpea France
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons ce matin M. Philippe Charrier, président-directeur général d'Orpea, et Jean-Christophe Romersi, directeur général d'Orpea France.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution, le 26 janvier dernier, de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs .
Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.
C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser à la question du contrôle.
Nous avons souhaité que cette audition intervienne à quelque distance de la parution du livre, une fois l'émotion, légitime, un peu retombée et surtout afin de disposer non pas seulement d'une enquête journalistique, fût-elle de qualité, mais aussi du rapport des inspections.
Depuis, les événements se sont succédé : le Gouvernement a saisi la justice ; le groupe Orpea a présenté des excuses et a fait de nouvelles annonces.
Je voudrais, avant toute chose, rappeler quelques éléments.
Cette commission d'enquête n'est pas un tribunal. Nous sommes ici pour comprendre et formuler des préconisations de politique publique.
Il ne s'agit pas non plus de jeter l'opprobre sur tout un secteur, dont nous connaissons très bien les problématiques : l'état de dépendance accrue des résidents ; la difficulté, en raison d'un déficit important d'attractivité, à recruter, former et fidéliser des personnels ; la question non résolue du financement.
Nous savons aussi la grande sensibilité du sujet, confirmée par le succès du livre : chacun se sent concerné pour ses proches ou anticipe la question de sa propre vulnérabilité.
En votre nom à tous, je voudrais redire notre confiance dans l'engagement des professionnels du secteur comme notre volonté de soutenir les résidents et leurs proches.
Nous savons enfin quelle peut être la vulnérabilité d'une entreprise au risque de réputation. C'est aussi pourquoi nous avons été surpris qu'une entreprise puisse elle-même se mettre en danger par des pratiques risquant de lui porter gravement atteinte.
Nous avons voté la loi d'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 dans une logique de confiance, de souplesse et de convergence tarifaire. Faut-il aujourd'hui réexaminer cet état d'esprit ? Nous espérons que les auditions d'aujourd'hui permettront notamment d'apporter une réponse à cette question.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Charrier et Jean-Christophe Romersi prêtent serment.
M. Philippe Charrier, président-directeur général d'Orpea . - Le 30 janvier dernier, j'ai accepté de prendre la direction générale du groupe Orpea, dont je présidais jusqu'alors le conseil d'administration, parce qu'il était indispensable de permettre à l'entreprise de continuer à assurer sa mission dans les meilleures conditions. Je me suis porté volontaire pour faire face et assumer les responsabilités éthiques, morales et juridiques de notre groupe dans ce moment difficile, alors que je n'y étais pas tenu et qu'il n'y avait pas pléthore de candidats. J'ai fait ce choix simplement, en responsabilité, parce que je suis attaché à cette entreprise, à la suite d'une histoire personnelle qui m'a permis d'en connaître la valeur et l'expertise, notamment dans l'accompagnement des personnes les plus fragiles, en particulier ceux atteints de troubles psychiatriques.
C'était aussi mon devoir à l'égard des familles qui ont choisi de nous confier leurs aînés, dans cette mission si difficile, mais essentielle de l'accompagnement en fin de vie des personnes fragiles et dépendantes. Selon le rapport Jeandel-Guérin, 80 % des résidents d'Ehpad souffrent de troubles de la cohérence, associés à des comorbidités qui aggravent leur état, sans qu'ils puissent toujours le réaliser en raison d'une fréquente anosognosie.
Il était aussi de mon devoir de protéger et de défendre l'honneur et la fierté de nos 70 000 collaborateurs, qui ont choisi de réaliser au quotidien ce métier exigeant en rejoignant les rangs d'Orpea dans l'un des 1 000 établissements que nous opérons à travers 23 pays.
Depuis plusieurs semaines, nous sommes pris dans la tourmente. Fin janvier paraissait Les Fossoyeurs , un livre à charge rédigé à la suite d'une enquête de trois ans, dont je n'ai appris l'existence que le 23 janvier dernier. Le 1 er février, cinq jours après que le conseil d'administration d'Orpéa eut lui-même mandaté deux cabinets d'audit internationaux pour faire toute la lumière sur les allégations contenues dans cet ouvrage, le Gouvernement annonçait le lancement d'une double enquête confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'Inspection générale des finances (IGF), avant même que nous n'ayons pu faire valoir notre droit au contradictoire sur le rapport provisoire. Nous en découvrions la semaine dernière les conclusions dans la presse et recevions le rapport définitif le 27 mars en fin de soirée.
En parallèle, les contrôles se sont intensifiés sur nos établissements, qui ont fait l'objet de plus de 150 visites d'inspection depuis la fin du mois de janvier, soit sept fois plus en deux mois qu'en une année normale. Mais cela n'est pas choquant en soi dans le contexte émotionnel et politique que nous connaissons.
Le 28 mars, sur la base du rapport de la mission des deux inspections, le Gouvernement a publié un communiqué annonçant notamment le signalement de certains faits au procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. Nous contestons la matérialité de ces éléments. Il résulte de cette circonstance que certains faits que nous sommes appelés à examiner aujourd'hui seront très certainement également analysés par le parquet, et peut-être par un juge d'instruction. Je n'ai pas d'inquiétudes à ce sujet. Au contraire, je crois à l'examen approfondi des faits par des experts et aux vertus du contradictoire, mais cette circonstance m'amènera à m'exprimer avec prudence sur certains sujets, par exemple la question de l'usage des dotations publiques, un sujet très technique qui dépasse très largement le cas d'Orpea. Elle donne manifestement lieu à des interprétations variables, notamment de la doctrine comptable.
J'ai pleine conscience de l'importance cardinale de votre mission et de la nécessité d'offrir une totale transparence devant la représentation nationale, mais je ne veux pas me livrer à des appréciations qui pourraient dépasser mes compétences et mettre en danger le groupe que je représente.
Après cette exposition factuelle du déroulé des événements tels que nous les avons vécus, vous saisirez sans doute l'ampleur du choc qui nous a affectés, même si je mesure parfaitement en parallèle l'émotion que ces informations ont suscitée parmi les familles de nos résidents, dans le grand public et auprès des élus et des pouvoirs publics.
Les faits qui nous sont reprochés sont graves, et j'ai conscience de l'exigence de réponses et d'actions que l'on attend de ma part et de celle de Jean-Christophe Romersi, notre directeur général pour la France, présent à mes côtés ce matin. Je mesure également la gravité, la souffrance, l'émotion et la colère ressenties par les collaborateurs d'Orpea, mais aussi la stigmatisation et l'opprobre qu'ils subissent à tout instant depuis des semaines alors qu'ils doivent prendre soin des aînés que nous leur confions.
Je ne vous dirai pas que le groupe Orpea n'a rien à se reprocher, je ne vous dirai pas que nous ne sommes coupables de rien. La mission conjointe de l'IGF et de l'IGAS nous fait des reproches graves et précis. Nous avons répondu point par point à ces questionnements légitimes, nous avons reconnu des dysfonctionnements, pour certains inacceptables, même si le rapport définitif permet de conclure qu'il n'y a pas de système organisé qui aboutirait à une maltraitance généralisée et dément clairement les allégations les plus choquantes du livre.
Nous regrettons profondément ces dysfonctionnements et nous tenons à présenter nos sincères excuses aux résidents et à leurs familles. Mais il y a aussi dans ces attaques et ces reproches beaucoup de choses inexactes et injustes, et c'est aussi notre devoir de le dire, de le démontrer, comme nous l'avons fait dans les réponses au rapport de la mission conduite par les deux inspections. Les semaines et les mois qui viennent seront, je l'espère, l'occasion pour notre groupe de nous expliquer, de nous défendre, mais aussi de nous amender et de prendre des décisions pour repartir de l'avant.
Ma tâche et ma responsabilité sont de sortir le groupe Orpea de la tourmente dans laquelle il est plongé aujourd'hui. Toutes les irrégularités qui nous ont été reprochées, dont certaines sont avérées, trouveront des réponses et des solutions : changement de comportement, changement parfois de lignes directrices... Et, bien entendu, nous nous conformerons à toute injonction administrative et judiciaire.
Nous ne limiterons pas nos efforts à réagir ou à nous défendre. Dès aujourd'hui, j'annoncerai une série de mesures précises et concrètes pour rétablir un fonctionnement efficace et fiable d'Orpea vis-à-vis de toutes les parties prenantes, et ainsi redonner confiance à nos résidents, à leurs familles, à nos salariés, aux pouvoirs publics et à nos actionnaires. Ces mesures sont la première amorce d'un plan plus vaste de transformation du groupe que nous allons annoncer en mai prochain à la lumière des résultats de nos audits externes. Le sujet du vieillissement de la population, de la dépendance et de la perte d'autonomie sont des sujets de débat et d'intérêts nationaux. Vous le savez mieux que quiconque, puisque sur les territoires dont vous vous êtes les élus, vous êtes en contact régulier avec des maisons de retraite et des établissements de santé. Vous y consacrez beaucoup de temps et d'efforts, et vous savez que le sujet dépasse le cas d'Orpea, qui ne peut être le bouc émissaire de toutes les difficultés du secteur.
Je remarque d'ailleurs que le Gouvernement engage un mouvement visant à renforcer les contrôles, la transparence et la qualité pour l'ensemble des Ehpad privés et publics. Nous sommes face à un enjeu de société majeur. Vous êtes suffisamment expérimentés et avisés pour savoir que les sanctions éventuelles contre Orpea ou les mesures de correction que nous prendrons ne régleront pas tous les problèmes associés aujourd'hui à l'accompagnement de la fin de vie de nos aînés. Soyez assurés en revanche que nous contribuerons pleinement à élaborer les solutions de demain.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - En préambule, je souligne que notre mission ne vise pas seulement Orpea, mais tous les Ehpad, même si une attention particulière sera portée aux établissements privés à but lucratif.
Monsieur Charrier, dans Le Figaro du 26 mars, vous regrettiez que le rapport des deux inspections ne soit pas rendu public. Or Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie nous a confié hier que la publication du rapport s'était heurtée à l'opposition d'Orpea, courriel à l'appui.
Ma question est donc simple : le groupe Orpea autorise-t-il la publication du rapport IGAS-IGF ?
M. Philippe Charrier . - La réponse est oui.
Nous n'avons jamais sollicité la non-publication de ce rapport.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le rapport peut donc être publié dès demain, sous réserve du respect du secret des affaires...
M. Philippe Charrier . - Le secret des affaires se limite aux règles du droit de la concurrence. Nous ne pouvons pas publier le contenu de nos contrats en intégralité, par exemple. Mais tout le reste mérite d'être largement diffusé.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pourquoi n'avoir à ce jour déposé aucune plainte contre l'auteur du livre Les Fossoyeurs ?
Pourquoi les contrôles menés par les ARS n'ont-ils pas pleinement rempli leur rôle ? Comment les améliorer ?
M. Philippe Charrier . - Des dysfonctionnements financiers et dans la prise en charge sont pointés dans le rapport.
Ils sont pour l'essentiel attribuables à un manque constant de personnel soignant.
Le rapport IGF-IGAS ne fait que confirmer ce qui est dit dans le rapport de la Cour des comptes, que vous avez eu la grande pertinence de réclamer, madame la présidente.
S'agissant de la diffamation, nous essayons d'être aussi professionnels que possible. Nous avons mandaté deux cabinets de renom international pour répondre à toutes les allégations du livre. Sur la base des réponses qui nous seront fournies, nous déciderons ce qu'il convient de faire au regard de la diffamation.
D'ores et déjà, bien des allégations du livre se sont avérées infondées. La mission d'inspection le confirme.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Selon Victor Castanet, le groupe Orpea a organisé un système de rationnement des repas désigné sous l'acronyme « CRJ ». Vous auriez recours à des compléments alimentaires pour pallier la dénutrition qui toucherait un tiers de vos résidents. Est-ce le cas ? MM. Le Masne et Brdenk ont confirmé l'existence de ce CRJ.
M. Jean-Christophe Romersi, directeur général d'Orpea France . - Le « coût résident jour » (CRJ) existe, mais il n'est pas le fruit d'une décision immédiate, et il ne porte que sur le volet alimentation.
Nos résidents sont en situation de dépendance et présentent le plus souvent des états dépressifs et des troubles cognitifs. La question de la nutrition impose beaucoup de travail et de concertation. Les régimes, les textures doivent être adaptés en fonction des pathologies.
La moitié des résidents sont dénutris avant d'entrer en Ehpad. Une année après, près des deux tiers ne le sont plus.
Les menus sont établis en partant des besoins des résidents et en appliquant les recommandations de la HAS et de l'Anses en matière d'apports protéino-énergétiques. Sur cette base, un travail est effectué par les médecins nutritionnistes et les chefs de cuisine. La restauration n'est pas sous-traitée : nos chefs sont salariés et nos repas produits dans les établissements. Des menus sont alors établis sur cinq semaines, avec quatre cycles correspondant aux saisons.
C'est seulement sur la base de ces menus que nous procédons aux achats. Nous servons plus de 13 millions de repas par an dans les Ehpad Orpea, et les négociations avec nos fournisseurs en amont nous permettent d'obtenir des tarifs intéressants basés sur le volume de commandes.
S'agissant des compléments alimentaires, lorsqu'une personne est en situation de dénutrition, son alimentation est enrichie, soit de manière naturelle dans ses repas, avec de la crème, du fromage, soit, si nécessaire, en cas de dénutrition plus sévère, à l'aide de compléments nutritionnels oraux qui font l'objet d'une prescription médicale.
Nous luttons contre la dénutrition en suivant, par des pesées mensuelles, l'albumine, l'indice de masse corporelle et la perte de poids dans le temps. En cas de dénutrition, une surveillance accrue de l'alimentation et des pesées hebdomadaires sont mises en place. La mission IGF-IGAS a relevé ces éléments.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Les membres de la commission des affaires sociales connaissent bien le fonctionnement des Ehpad, ce qui peut éventuellement vous épargner votre effort de pédagogie, monsieur Romersi.
Pour les repas, confirmez-vous le chiffre de 4,73 euros hors taxes par jour cité par M. Brdenk ?
M. Jean-Christophe Romersi . - Le coût alimentaire hors taxes est aujourd'hui de 4,80 euros.
Nous avions, constat d'huissier à l'appui, réalisé en 2018 des courses dans des enseignes de grande distribution pour confectionner nos menus. Nous obtenions une différence d'un peu plus d'un euro par rapport aux tarifs que nous pouvions obtenir après négociations auprès de nos fournisseurs.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Entre les recommandations établies par le groupe d'étude des marchés de restauration collective et nutrition (GEM-RCN) et les pratiques d'Orpea, le rapport IGAS-IGF relève des différences comprises entre 10 % et 30 %.
D'où la question : y a-t-il vraiment une volonté de réduire au maximum le coût journalier de la nourriture ?
M. Philippe Charrier . - La réponse est non. Nous ne rationnons absolument pas.
La moitié des résidents sont dénutris à leur arrivée. Un an après, la moitié d'entre eux ont retrouvé un profil bien meilleur.
Je n'accepterai jamais de rationner la nourriture de nos aînés ; j'en prends formellement l'engagement sous serment !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - On a beaucoup parlé des rétrocessions ou des réductions de fin d'année (RFA) qui étaient consenties par les groupes Bastide, Hartmann et par des laboratoires de biologie médicale.
Vous avez dit que ces RFA correspondaient à des prestations de service. Quelles sont-elles ? Cet argent bénéficiait-il aux résidents ?
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Par ailleurs, vos prestataires pouvaient-ils refuser ces RFA ?
M. Philippe Charrier . - Nous avons arrêté de recourir aux RFA ; nous utilisons des prestations de service.
La mission a considéré que certaines prestations de service étaient imprécisément décrites dans les contrats, une appréciation discutable à nos yeux.
Ces prestations de service peuvent concerner le développement de nouveaux produits qui peuvent être très utiles pour nos résidents. Nous travaillons ainsi avec Hartmann sur des changes connectés, avec Bastide sur un nouveau matelas anti-escarres.
L'allégation du livre scandaleuse selon laquelle nous dégradons la qualité des changes pour économiser de l'argent est absolument fausse. Au contraire, nous avons listé le change le plus coûteux fourni par Hartmann. J'en souffre de lire cela, voyez-vous.
Autre type de prestations : on peut aider des fournisseurs comme Bastide à s'internationaliser, car nous sommes présents dans 23 pays, de la Chine jusqu'au Brésil.
Malgré cela, nous avons désormais décidé d'exclure de l'assiette du calcul des redevances dues au titre des prestations de service le montant des commandes de produits relevant du secteur des soins et de la dépendance. J'ai pris cette décision pour éviter toute ambiguïté.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous n'êtes pas les seuls à avoir pratiqué ce type de rétrocessions. On peut les concevoir, mais à condition qu'elles profitent aux résidents, puisque c'est de l'argent public. Il est dommage de ne pas les avoir arrêtées auparavant.
M. Philippe Charrier . - Je n'arrête pas les prestations de service, qui peuvent améliorer l'accueil des résidents. Je les écarte de l'assiette pour éviter la confusion.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Le forfait dépendance est-il vraiment fait pour favoriser l'internationalisation de vos fournisseurs ?
M. Philippe Charrier . - Cela permet des économies d'échelle et des réductions de coût considérables.
Nous payons par exemple nos changes 45 % de moins que sur internet et entre 13 % et 21 % de moins qu'auprès des grossistes qui fournissent les établissements de santé.
Enfin, madame Meunier, je n'avais pas répondu à votre question : nous représentons nettement moins de 1 % du chiffre d'affaires du groupe Hartmann. Nos prestataires ont donc vraiment le choix.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Est-il avéré, comme Victor Castanet l'affirme dans son livre, que vous choisissez les laboratoires d'analyses médicales en fonction des réductions qu'ils vous accordent ? Les laboratoires « locaux » semblent avoir été écartés.
M. Philippe Charrier . - Non, nous n'écartons pas certains fournisseurs pour gagner plus d'argent.
J'ai dirigé un groupe de biologie médicale européen : les prestations de service existent.
Notre échelle étant nationale, il est plus simple et plus efficace pour nous de travailler avec un grand groupe qui peut répondre à l'ensemble de nos besoins.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il est intéressant parfois de travailler avec un laboratoire de proximité qui peut répondre immédiatement aux demandes du médecin.
M. Jean-Christophe Romersi . - Les laboratoires de biologie médicale se sont regroupés en grands groupes, mais ils disposent d'antennes proches de nos établissements.
Pendant la crise sanitaire, avoir une discussion au niveau national nous permettait aussi d'avoir un meilleur service localement, une plus grande réactivité.
M. Philippe Charrier . - Partout dans le monde, nous avons assisté à une consolidation du secteur de la biologie médicale, afin de disposer de plateaux techniques performants qui alimentent un grand nombre de laboratoires.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Avez-vous des taux d'occupation supérieurs à 100 %, comme le prétend M. Castanet dans son livre ?
M. Jean-Christophe Romersi . - L'IGF et l'IGAS ont analysé ces éléments : aucune suroccupation n'a été programmée ou demandée, mais de telles situations peuvent se produire, par exemple lorsqu'une personne en court séjour reste un peu plus longtemps que prévu, et qu'une entrée programmée a été réalisée entre-temps.
Cette suroccupation temporaire doit être déclarée aux autorités et, en effet, elle ne l'a pas toujours été. S'il y a eu des consignes locales, nous les dénonçons.
Enfin, la surcapacité au sein des établissements d'Orpea en France sur l'année 2019, base de l'IGAS dans cette analyse, représente 0,016 % des journées facturées. Ce n'est donc pas une politique, mais une exception.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Ces taux sont surprenants, en effet. On constate le plus souvent des taux inférieurs à 100 % dans les Ehpad en raison des hospitalisations et des décès.
M. Philippe Charrier . - Les taux d'occupation des résidences Orpea sont les suivants : 86 % au 27 mars 2022 et au 31 décembre 2021, 90 % au 31 décembre 2020 et 92 % au 31 décembre 2019.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - On le sait, les établissements ont intérêt à avoir un taux d'occupation maximum. La politique d'Orpea consistait-elle à faire en sorte que le taux d'occupation ne descende jamais sous un certain seuil ?
M. Philippe Charrier . - Dans les états prévisionnels des recettes et des dépenses (EPRD), les ressources sont attribuées pour une norme d'occupation de 95 %.
Le paradoxe, c'est que nous avons parfois sous-budgété, du fait de la modulation, parce que nous n'étions pas à 95 % d'occupation. Mais en même temps, on nous reproche cette sous-budgétisation...
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - S'agissant de la qualité de l'accueil, chaque établissement du groupe possède-t-il un conseil de la vie sociale qui fonctionne ?
M. Jean-Christophe Romersi . - Ces conseils sont obligatoires et doivent se réunir au moins trois fois par an. La loi exige un représentant des familles, un représentant des résidents et de la direction.
Oui, les conseils de la vie sociale sont constitués. Nous vérifions leur conformité lors des contrôles, ce qui était le cas de 80 % d'entre eux. Il arrive toutefois qu'un poste soit vacant, et les conseils ont eu beaucoup de mal à se réunir pendant la crise sanitaire.
Les conseils de la vie sociale peuvent se réunir à huis clos, avec les seuls représentants élus. J'ai toujours demandé pour ma part qu'ils se tiennent de façon ouverte, afin que l'ensemble des familles et des résidents puissent y assister.
Les commissions d'animation et de restauration permettent aussi de discuter collectivement des activités et des menus proposés. Il nous semble nécessaire de renforcer la représentation de ces instances très importantes.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Les contrôles se font au niveau de chaque établissement. Or, dans un groupe comme Orpea, tout est réglé au niveau régional. Les ARS ne peuvent pas contrôler le groupe et contrôlent mal les établissements. Il faudra certainement modifier la réglementation, pour éviter une forme d'opacité.
Par ailleurs, les directeurs d'établissement ont-ils une autonomie suffisante ?
La loi ASV repose sur la confiance, mais elle a permis aussi certaines des dérives que l'on constate aujourd'hui.
M. Philippe Charrier . - Les contrôles locaux sont très utiles pour la prise en charge, et nous prenons soin de mettre en oeuvre les recommandations qui y figurent. Nous ne sommes absolument pas opposés à des contrôles supplémentaires réalisés au niveau du groupe.
La réglementation du secteur est très complexe, sa mise en oeuvre délicate. Il faudrait pouvoir entrer dans le détail. Il est difficile par exemple pour une société d'élaborer son budget pour octobre ou novembre avec des EPRD approuvés fin juillet. Comment anticiper correctement la modulation tarifaire mise en oeuvre par la loi d'adaptation de la société au vieillissement ?
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Les départements et l'ARS déterminent précisément le nombre de personnels pour chaque établissement.
Y avait-il au niveau des ressources humaines une volonté délibérée de ne pas remplacer les personnels absents ? Le groupe a-t-il explicitement formulé de telles demandes aux établissements ?
M. Philippe Charrier . - Il n'y a pas de volonté de ce type au niveau du groupe. Je n'ai vu aucun mail émanant de la direction générale du groupe donnant ce type de consignes.
Il y a eu des erreurs, mais cela reste des exceptions. Nous allons être extrêmement vigilants à l'avenir. Je m'en porte garant.
Mais n'oublions pas le vrai sujet de société : je rappelle qu'il y a eu 40 % de candidats en moins aux derniers concours d'aide-soignant.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Les « directeurs nettoyeurs » évoqués par M. Castanet font-ils partie de ces « erreurs » que vous évoquez ?
M. Philippe Charrier . - Cette expression est odieuse. Le rapport IGF-IGAS est très clair sur ce point : il n'y a jamais eu de directeur nettoyeur.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Avez-vous mis en place des procédures pour vous assurer que les dépenses imputées sur le forfait soin relèvent exclusivement de dépenses de soin ?
Le livre estime par ailleurs que certains établissements sont peu regardants sur les critères d'accueil des résidents relevant de la psychiatrie. Que répondez-vous ?
M. Philippe Charrier . - Le rapport IGF-IGAS dit que 50 millions d'euros ont été imputés à tort aux budgets soins et dépendance, sur un total de 1,4 milliard d'euros pour la période considérée.
Une grosse part de cette somme vient des auxiliaires de vie faisant fonction d'aide-soignante. Le rapport de la Cour des comptes est extrêmement clair sur ce point. Orpea doit progresser. L'écart de salaire entre une auxiliaire de vie et une aide-soignante est insuffisant, par exemple. On va également travailler sur les carrières.
L'autre élément concerne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) : doit-on oui ou non imputer la CVAE à la dotation soins ? Le personnel soignant est financé par les dotations. S'il était mis à notre disposition, nous n'aurions pas à payer de taxe sur la valeur ajoutée. Mais comme ces personnels sont rémunérés par les opérateurs, nous devons acquitter une taxe sur la valeur ajoutée. Les sociétés doivent-elles la prendre sur leurs profits, comme un coût, ou peuvent-elles l'imputer sur la dotation soins ? La justice est saisie, nous verrons, mais c'est un vrai sujet.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous sommes d'accord sur ce dernier point.
Autre question : pourquoi un turn-over si important parmi vos directeurs ?
M. Jean-Christophe Romersi . - À ce jour, nous avons quatre postes de direction vacants sur l'ensemble des établissements français.
Le turn-over est de 12 % cette année, et l'ancienneté moyenne des directeurs de sept ans.
Dans ce secteur infiniment humain, mais également infiniment réglementé, le travail d'un directeur est extrêmement compliqué.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Quelle formation exigez-vous de vos directeurs ?
M. Jean-Christophe Romersi . - Nous exigeons un master 2 en lien avec le secteur, conformément à la loi. Nous accompagnons nos salariés qui n'en disposent pas à travers une formation. Ceux de nos directeurs qui n'auraient pas encore de master sont en cours de formation pour se mettre en conformité. Quand des personnes sont capables et ont envie de faire ce métier, il est de notre devoir de les accompagner pour qu'ils obtiennent le diplôme permettant de l'exercer.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Combien d'établissements ont-ils été créés ou rachetés en France par Orpea depuis 2005 ?
Combien d'anciens fonctionnaires des ARS ou des départements avez-vous embauchés depuis une dizaine d'années ? Quelles fonctions exercent-ils - ou ont-ils exercées - chez Orpea ?
Je souhaiterais avoir des chiffres très précis en la matière, et je vous demanderai de bien vouloir me les communiquer par écrit si vous ne pouvez pas le faire aujourd'hui.
M. Philippe Charrier . - Nous répondrons précisément à votre question par écrit.
Il n'y a aucune volonté d'établir des connivences chez Orpea. La lecture des rapports d'inspection de l'ARS peut d'ailleurs en attester.
Enfin, nous ne sommes pas acheteurs en France depuis de nombreuses années déjà.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Vous annoncez des mesures à venir, notamment des enquêtes de qualité faites par des cabinets renommés indépendants. En quoi consistent ces enquêtes ? Quel est le degré d'indépendance de ces cabinets par rapport au conseil d'administration du groupe Orpea ?
M. Philippe Charrier . - Ces enquêtes trouvent leur origine dans la découverte par le conseil d'administration, le 23 janvier à dix-neuf heures, de l'existence d'une longue enquête menée par un journaliste depuis trois ans. Nous voulions comprendre et apporter une réponse complète à toutes les allégations du livre. Nous avons mandaté des cabinets de réputation mondiale, dont l'éthique leur commande de répondre scrupuleusement à l'ordre de mission, celui-ci ayant lui-même été rédigé par un avocat extérieur spécialisé, et non par le conseil d'administration. Je vous en transmettrai une copie.
Nous aurons dans quelques jours les résultats de ces travaux.
Mme Laurence Cohen . - Comme cela a été dit, nous ne devons pas nous focaliser exclusivement sur le groupe Orpea, mais interroger la prise en charge de nos aînés de manière globale.
Vous dites avoir fait appel à deux cabinets de renommée internationale. J'attire votre attention sur les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur le recours intempestif auxdits cabinets, et je vous encourage à faire preuve de la plus grande vigilance. On l'a vu avec McKinsey : c'est souvent beaucoup d'argent dépensé pour pas grand-chose...
Nous avons évoqué aussi les RFA. Notre collègue député Pierre Dharréville, co-auteur d'une mission flash sur les Ehpad, a déjà soulevé ce problème, et le journal Les Echos critiquait un pilotage par la masse salariale préjudiciable à la qualité de prise en charge des résidents, ce système ayant abouti à un cumul de 20 millions d'euros de dotations non consommées entre 2017 et 2020. Allez-vous rembourser cette somme à la sécurité sociale ?
Vous avez souligné vos difficultés de recrutement. Toutefois, devant les députés, les représentants syndicaux du groupe Korian ont été unanimes à dire que votre groupe constituait une zone de non-droit social : recours excessif aux CDD, licenciements abusifs, pratiques antisyndicales... Or une entreprise ne peut fonctionner correctement sans contre-pouvoirs.
Avec l'appui du Centre for International Corporate Tax Accountability and Research (Cictar), la CFDT et la CGT ont montré que votre groupe a créé une cascade de sociétés au Luxembourg afin d'y transférer la propriété des murs d'une bonne partie de vos établissements. Avez-vous eu recours à l'optimisation fiscale afin de ne pas payer d'impôts en France ?
Nous avons tous été choqués par le livre de Victor Castanet et par différents témoignages, notamment celui de la famille de Françoise Dorin, qui est morte dans des souffrances terribles faute de matelas anti-escarres. Il est difficile de ne voir que diffamation dans ce livre.
En pleine pandémie, en 2021, votre groupe a versé 58 millions d'euros à ses actionnaires et a attribué un parachute doré de 2,7 millions d'euros à l'ancien directeur général Yves Le Masne. Monsieur Charrier, vous avez parlé de « marché », avant de vous reprendre. N'est-il pas indécent de faire des profits sur l'or gris ?
M. Philippe Charrier . - Je parlais de « marché » seulement pour l'achat de fournitures, pas pour l'ensemble de nos missions.
La priorité doit aller à l'accueil, je vous rejoins. Mais nombre de nos résidents souffrent de maladies neurodégénératives ou de dépression, et le simple fait de se nourrir est déjà difficile pour eux, indépendamment des quantités qu'on leur propose.
S'agissant des cabinets que nous avons mandatés, il fallait bien répondre aux allégations contenues dans le livre Les Fossoyeurs . Leurs prestations seront payées par les actionnaires, considérant que la réputation d'une société est son plus grand capital.
Les 20 millions d'euros d'excédents que vous mentionnez n'ont nullement été intégrés aux profits. Nous avons passé une écriture comptable pour les neutraliser ; cet argent est donc toujours disponible.
S'agissant du syndicat Arc-en-ciel, le rapport IGF-IGAS ne nous impute aucun tort. Ce syndicat a été créé par deux anciens membres de FO. Cependant, oui, il faut plus de dialogue syndical dans le groupe, et j'ai donné des instructions très claires en ce sens. Nous pouvons faire beaucoup mieux.
Le Cictar a lui-même conclu qu'il n'existait pas de fraudes dans notre système. Nous avons en effet des SCI au Luxembourg, mais elles ne contiennent que des actifs internationaux ; aucun bâtiment français n'y est logé. Cela ne diminue en rien les impôts liés à nos opérations françaises.
Nous n'avons pas payé de dividendes aux actionnaires lors de la crise du covid. Nous avons été la première société à prendre cette décision.
M. Jean-Claude Brdenk avait un contrat, approuvé par l'assemblée générale des actionnaires, qui prévoyait deux ans de rémunération. Nous l'avons respecté.
M. Jean-Christophe Romersi . - L'excédent de 20 millions d'euros est certes important, mais ramené au nombre de postes qui n'ont pas été déployés dans les établissements, il représente 0,56 ETP par jour et par établissement en moyenne.
Dans le cadre de l'EPRD, nous prévoyons un ratio d'encadrement et, lors de l'état réalisé de recettes et de dépenses (ERRD), le 30 avril de l'année suivante, nous déclarons les moyens réellement utilisés. Les taux d'encadrement que nous avons déclarés dans les ERRD ont toujours été supérieurs aux EPRD.
La mission IGAS-IGF relève enfin que les salaires pratiqués au sein du groupe Orpea sont légèrement supérieurs à ceux du secteur.
M. Philippe Charrier . - Pourquoi ces excédents ? Ils ont été réalisés au cours des années 2020 et 2021, pendant la crise du covid. Avec des taux d'occupation de 86 % en 2021 et de 88 % en 2020, nous étions nettement en dessous des EPRD. Durant les deux années précédant la crise sanitaire, nous étions soit en perte, soit proche de l'équilibre.
On l'a oublié, mais nous avons vécu deux années terribles dans les Ehpad, avec l'impossibilité d'hospitaliser nos résidents. Orpea a été la première société à acheter des masques au prix fort en Chine, avant leur livraison massive, sans aucune certitude d'être remboursée.
Mme Laurence Cohen . - J'ai cité le témoignage de la famille de Françoise Dorin : il est choquant, qui plus est dans un établissement haut de gamme, qu'il n'y ait pas de matelas anti-escarres !
M. Philippe Charrier . - Il est très délicat de parler de faits couverts par le secret médical. Nous avons demandé à un juge de désigner un expert médical pour examiner chacun des cas cités dans l'ouvrage. Cela nous a été refusé. Nous verrons si nous engageons une autre forme de procédure.
La mission IGF-IGAS relève que le taux d'escarres est plutôt plus faible chez Orpea qu'ailleurs, ce qui veut dire aussi que la nutrition n'est pas aussi mauvaise que cela.
M. Jean-Christophe Romersi . - Si un matelas anti-escarres est inadapté ou mal-positionné, c'est bien entendu une erreur qu'il est de notre responsabilité de corriger. Mais il ne s'agit pas d'une volonté délibérée.
M. René-Paul Savary . - C'est en effet un secteur infiniment humain et complexe, mais aussi financier. Reconnaissons-le : il y a un marché de la personne âgée. Et les derniers développements donnent l'impression que le système a permis des dérives ou des erreurs.
Vous avez pris beaucoup d'engagements lors de cette audition. Cela prouve bien qu'il y avait des dysfonctionnements. Pourquoi ne pas avoir pris ces décisions plus tôt ?
On assiste à une forme d'industrialisation de la prise en charge des personnes âgées par le secteur médico-social, avec des directeurs d'établissement davantage au service de leur groupe que de leurs résidents.
EPRD, GIR moyen pondéré, forfait soins, forfait hébergement : toutes ces dotations publiques ne sont-elles pas trop élevées finalement ? Leur vocation n'est pas de vous permettre d'accroître vos bénéfices.
Ce secteur a-t-il vraiment vocation à s'industrialiser ? Ne faut-il pas changer le système en profondeur pour éviter ces dérives ?
M. Philippe Charrier . - On n'industrialise pas l'accompagnement de la fin de vie. Cela n'a pas de sens. C'est un métier extraordinairement difficile humainement. On s'attache aux résidents, on les voit partir...
Il s'agit en revanche de grouper les moyens. Le rapport de la Cour des comptes reconnaît d'ailleurs que les groupes ont une plus grande capacité à faire face aux difficultés du secteur.
Y a-t-il une volonté financière ? En 2020, le rendement sur les capitaux propres de notre groupe s'est élevé à 5 %. Nos actionnaires ne cherchent pas le rendement, mais une croissance régulière et une récurrence.
Mme Élisabeth Doineau . - Après le choc créé par ce livre-document et les témoignages bouleversants qui ont été recueillis, c'est la société dans son ensemble qui est placée face à ses responsabilités. On ne devrait plus utiliser le terme de silver economy, tant il s'avère inacceptable de faire de l'argent sur le dos des anciens.
Il est toujours difficile pour les familles de dénoncer une maltraitance soupçonnée. Quand elles osent néanmoins le signaler, quel protocole appliquez-vous ?
Votre groupe s'est-il engagé dans une démarche qualité ou une démarche de responsabilité sociale des organisations (RSO). La démarche prend du temps, mais elle fait souvent le plus grand bien à l'entreprise.
Enfin, vous appuyez-vous sur des ressources externes comme les associations de retraités, de malades ou de consommateurs ?
M. Jean-Christophe Romersi . - Nous avons en effet un protocole de traitement des plaintes, car nous devons accorder la plus grande attention à chacune d'elles. Deux tiers des plaintes sont adressés directement à la direction de l'établissement, un tiers à la direction régionale ou au siège. Quand une plainte nous arrive, nous commençons par en accuser réception, puis la direction prend rendez-vous avec la famille. Si le problème n'est pas résolu, la direction régionale peut intervenir, avec une personne spécialement dédiée au suivi des plaintes.
Mais il faut aller encore plus loin. Nous allons mettre en place un numéro vert, avec au bout du fil des psychologues formés à l'écoute de la souffrance, mais aussi un médiateur au niveau national pour les problèmes qui ne trouvent pas de solutions.
La démarche qualité existe depuis vingt ans au sein d'Orpea. De nombreux critères sont évalués sur la base de référentiels et de protocoles qui concernent aussi bien les soins, l'accompagnement et la prise en charge que la restauration, l'hébergement, les locaux ou la sécurité.
Le groupe Orpea compte 82 % de sites avec médecin coordonnateur, ce qui est largement supérieur à la moyenne du secteur. Mais nous avons aussi au niveau régional des médecins coordonnateurs, des référents qualité et des infirmières coordonnatrices, car l'oeil externe est extrêmement important. Le danger, c'est toujours le huis clos.
Nous sommes engagés dans la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Nous disposons d'une fondation, dont nous avons décidé d'augmenter les moyens.
Il est extrêmement important de s'appuyer sur un réseau pour ne pas s'isoler. Nous avons travaillé par exemple avec France Alzheimer pendant de nombreuses années et mis en place des conférences ainsi que le café des aidants.
Enfin, j'ai moi-même été directeur d'établissement, et mon action consistera toujours à faire en sorte que les directions bénéficient de suffisamment d'autonomie et de confiance, mais aussi d'accompagnement, tant le champ de leurs responsabilités est large.
M. Philippe Charrier . - Nos enquêtes de qualité sont réalisées par un tiers, elles sont complètement indépendantes de la direction du groupe. Les familles et les résidents y participent. Nous avons un taux de réponse de l'ordre de 50 %. Ces enquêtes sont réalisées tous les ans et prennent en compte 400 critères.
M. Jean Sol . - J'ai quelques questions, notamment concernant les ratios agents, lits et places sur lesquels vous vous adossez pour prendre en charge les résidents, en particulier la nuit. Combien de personnels soignants pour combien de résidents ? Vous évoquiez le dispositif de signalement. Selon vous, deux tiers étaient traités au niveau de vos directions et un tiers était reporté sur les tutelles. Quantitativement, qu'est-ce que cela signifie ? Pourriez-vous être précis ?
Concernant les postes dont vous avez besoin au sein de vos établissements, les prérequis en matière de formation et de compétences sont-ils respectés ? Vous nous disiez tout à l'heure que vous remplaciez beaucoup d'aides-soignantes par des auxiliaires de vie. Ce n'est pourtant pas le même métier. En termes de prestations, de fonctionnement et de compétences mises à la disposition des résidents, il doit y avoir quelques failles...
M. Jean-Christophe Romersi . - Plus de 80 % de nos établissements comptent désormais trois agents la nuit. C'est une demande que nous avions faite auprès de nos établissements avant même la réforme de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV). À l'époque, c'était le département et les ARS qui fixaient le nombre d'agents par nuit, en général deux. Nous avions décidé d'anticiper et de porter ce chiffre à trois. Nous voulions absolument avoir une personne dédiée, en particulier dans les unités où les personnes souffrent de troubles cognitifs. Peut-être faut-il même prévoir davantage de personnel.
M. Jean Sol . - S'agit-il d'infirmiers ou d'aides-soignants ?
M. Jean-Christophe Romersi . - Les infirmiers de nuit relèvent d'expérimentations qui n'ont pas été généralisées. Dans quelques endroits, il y a effectivement des infirmières de nuit, soit dans l'établissement, soit mutualisé, soit d'astreinte. Mais les agents que j'évoque sont des aides-soignants. Il y a deux aides-soignants et une auxiliaire de vie la nuit. C'est ce que veut la réglementation, mais les besoins de prise en charge évoluent largement avec le vieillissement de la population et la dépendance.
M. Charrier faisait référence tout à l'heure aux auxiliaires de vie qui imputaient la dotation soin. Nous avons reçu 1,2 milliard d'euros de dotation soin sur ces quatre années, dont 28 millions imputés aux auxiliaires de vie. Le montant n'est donc pas si important, même s'il reste encore trop élevé. Évidemment, ces auxiliaires ne correspondent pas à la description du code de l'action sociale et des familles (CASF), mais quand vous êtes directeur d'établissement et qu'il vous manque du monde le matin, vous prenez le personnel disponible : ce qui compte avant toute chose, c'est d'apporter l'accompagnement et le soin.
Nous devons tous collectivement travailler, notamment au travers de la validation des acquis de l'expérience (VAE), à améliorer le dispositif de formation des auxiliaires de vie. Parfois, ces personnes échouent à leur diplôme pour un simple module. Or bon nombre de compétences des aides-soignants pourraient être portées par des auxiliaires de vie diplômés d'un niveau intermédiaire. Je pense au bac pro accompagnement, soins et services à la personne (ASSP), par exemple, qui donne cinq modules sur huit.
M. Alain Duffourg . - Nous vous avons posé des questions assez précises sur les manquements et dysfonctionnements ; vous les avez reconnus. Vous avez évoqué des changements de comportement pour l'avenir. Au regard des reproches qui vous ont été adressés, qu'envisagez-vous de faire pour modifier votre façon de fonctionner, notamment au niveau des établissements ?
M. Daniel Chasseing . - Pendant le Covid, nous avons localement pris en charge des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous avons donc l'habitude. Votre prix de journée alimentaire est extraordinaire. Dans nos Ehpad à moins de 2 000 euros par mois, le prix de la journée est le double du vôtre. Vous ne devez pas acheter beaucoup de produits alimentaires français !
Vous nous avez dit qu'il fallait un laboratoire avec un plateau technique national pour plus d'efficacité. C'est complètement faux. On a souvent besoin d'analyses de base. Il est utile de pouvoir disposer d'un laboratoire de proximité.
Pour ma part, l'existence de parachutes dorés me semble complètement indécente. C'est un traitement industriel. Notre société va devoir accepter des changements à l'avenir. Les directeurs au niveau régional ne sont-ils pas choisis pour faire de la rentabilité ?
Enfin, vous nous avez indiqué que si l'on voulait remplacer une aide-soignante par une auxiliaire de vie, cela ne fonctionnait pas par rapport au budget soin. C'est totalement faux. On peut, en cas d'absence d'une aide-soignante, la remplacer momentanément par une auxiliaire.
J'espère qu'une autre philosophie émergera à l'avenir pour la prise en charge des personnes âgées. Nul ne doit faire de l'argent sur le dos des familles ou des personnes dépendantes.
M. Jean-Luc Fichet . - Quel est le coût mensuel le plus faible pratiqué au sein d'Orpea et quel est le coût mensuel le plus élevé ? Qu'est-ce qui justifie une telle différence dans la prise en charge des résidents ? Avez-vous des critères d'évaluation économique par établissement ? De la même manière, avez-vous des critères d'évaluation qualitative dans la prise en charge ?
M. Philippe Charrier . - Alain Duffourg nous a interrogés sur les améliorations à apporter. Nous parlons d'un secteur et d'une mission qui ne peut atteindre la perfection, même si nous en avons la volonté. Quelles sont les grandes actions ? La première est de donner plus d'autonomie à nos directeurs d'établissement sur beaucoup de sujets. Nous y veillerons, c'est un élément essentiel. Notre deuxième objectif concerne les résidents et les familles. Au-delà des études qualitatives, qui visent à recueillir leur opinion de façon indépendante par un tiers, nous mettrons en place un numéro vert pour les résidents, les familles et les proches. Nous nommerons des médiateurs et créerons des comités d'éthique proches des établissements.
Par ailleurs, au niveau des salariés, nous voulons progresser dans le dialogue social. Beaucoup de choses restent à faire et nous allons commencer maintenant dans ce domaine-là. Nous travaillerons notamment à la fidélisation des équipes, en mettant l'accent sur les parcours professionnels. Il s'agit de développer les politiques de rémunération pour valoriser les parcours de carrière de nos soignants. Nous devons également recruter beaucoup plus de jeunes talents. Nous envisageons d'engager 500 apprentis aides-soignants. Nous allons décentraliser notre fonction ressources humaines vers les établissements et vers les régions.
Pour répondre à Daniel Chasseing, nous achetons bien sûr également des produits alimentaires français. En ce qui concerne les laboratoires, j'ai entendu votre remarque ; nous allons l'examiner. Encore une fois, nous voulons donner plus d'autonomie aux directeurs d'établissement. Vous avez évoqué le traitement industriel en citant le versement d'une forte prime de départ. Il s'agit d'un groupe mondial. Nous sommes implantés dans vingt-trois pays. Le marché des dirigeants est ce qu'il est, avec une très grande complexité. Je suis assez heureux pour mon pays qu'une entreprise comme la nôtre puisse être une forme de signatures en dehors de nos frontières : un développement si rapide est la preuve que nous avons su apporter quelque chose hors de France pour l'accompagnement de nos seniors.
Au niveau des directeurs d'établissement et des directeurs régionaux, la qualité demeure l'objectif numéro un. D'ailleurs, quand la qualité n'est pas au rendez-vous, on supprime immédiatement la moitié des bonus. Rien n'est plus important que la qualité, c'est fondamental.
M. Jean-Christophe Romersi . - Monsieur Duffourg, les mesures d'avenir évoquées par M. Philippe Charrier, même si elles interviennent aujourd'hui, sont des notions que nous avons travaillées ces derniers mois et ces dernières années. C'est exactement ce que je veux dans l'entreprise, c'est-à-dire des équipes opérationnelles. Je connais parfaitement ce métier, je sais ce que méritent les équipes dans l'accompagnement et l'autonomie.
Monsieur Chasseing, nous respectons la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim. Celle-ci fixe des obligations nouvelles. Nous avons été entendus par le ministère en charge de cette transition pour savoir où nous en étions. Il semblerait que nous en sommes à un stade plus avancé que bon nombre d'autres acteurs.
Concernant les remplacements des auxiliaires de vie, Mme la ministre a dit elle-même sur France Inter samedi matin que les auxiliaires de vie pouvaient être admises au vu de la pénurie des personnels soignants en remplacement. Nous ne remontons pas les postes vacants en bénéfices, mais nous avons des auxiliaires de vie qui pallient toutes les difficultés sectorielles du recrutement des aides-soignants.
Monsieur Fichet, le tarif moyen en France dans les établissements Orpea est de 84 euros par jour. Dans dix-sept de nos établissements, le tarif mensuel est inférieur à 2 000 euros. Nous avons quatre établissements, soit 1,77 % d'établissements, dont le tarif mensuel est supérieur à 6 000 euros.
M. Jean-Luc Fichet . - Quel est le coût le plus faible et le coût maximum ? J'aimerais avoir un chiffre très précis.
M. Jean-Christophe Romersi . - Je compléterai ma réponse par des éléments que nous vous transmettrons pour vous répondre de manière très précise. Le tarif le moins cher est inférieur à 70 euros par jour. Quant à l'établissement de Neuilly, mais il ne s'agit que de quelques chambres faisant plus de 50 mètres carrés, certains tarifs sont supérieurs à 10 000 euros. Je le répète, le nombre d'établissements dont les tarifs sont supérieurs à 6 000 euros par mois en France sont au nombre de quatre.
Ces différences de prix s'expliquent tout simplement la localisation des établissements. Quand Orpea construit un établissement, l'achat du terrain et la construction du bâtiment ne relèvent d'aucun financement public, d'aucune aide. C'est l'entreprise qui assure cette charge. Or la charge foncière et le prix au mètre carré sont absolument différents selon qu'il s'agisse d'un établissement dans le centre de Paris ou en province et en zone rurale.
Depuis dix ans, Orpea a construit et rénové en France de nombreux établissements. Il en a assuré la maintenance. Orpea a repris beaucoup d'établissements vétustes, d'ailleurs M. le ministre Véran a annoncé des mesures pour le secteur public. Orpea en dix ans a investi plus de 1 milliard d'euros dans des établissements en France, y compris pour améliorer les qualités d'accueil, de prise en charge et d'accompagnement, sans oublier, bien sûr, la qualité de travail pour les équipes.
M. Jean-Luc Fichet . - Vous n'avez pas répondu à ma question sur les critères d'évaluation économique et les critères d'évaluation qualitative par établissement.
M. Jean-Christophe Romersi . - Comme nous l'avons souligné précédemment, nous disposons dans les établissements de critères qualité qui font l'objet d'auto-évaluations par les équipes. Nous les vérifions formellement deux fois par an, en dehors de l'accompagnement des équipes - infirmières coordinatrices régionales, médecins coordonnateurs régionaux, référents qualité régionaux. Les critères qualitatifs reposent sur 400 points de contrôle extrêmement larges, allant du soin, de l'accompagnement, de la prise en charge, jusqu'à la restauration, l'hébergement, les conditions d'accueil, le suivi des dossiers administratifs, le respect des droits et des libertés, le bon suivi des contrats de séjour, des contrats de travail, etc . Cet ensemble-là est vérifié tout au long de l'année.
Des plans d'action sont établis en cas d'écart via un logiciel spécialement dédié à ce suivi, avec des dates d'échéance. L'ensemble des inspections ou des contrôles dans nos établissements figurent également dans ce plan d'action. Ils sont suivis par les directions d'établissement, leurs équipes et les équipes d'appui au niveau régional. Comme l'a rappelé M. Charrier, si les critères qualitatifs ne sont pas atteints, cela a un impact immédiat sur les critères de performance financière de l'établissement. Il est en effet absolument important que la performance ne se fasse pas au détriment de la qualité.
M. Philippe Charrier . - Madame la présidente, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de nous séparer, je voudrais vous remercier de la qualité de votre écoute.
J'espère que nous avons répondu le plus précisément possible à vos questions et que nous avons été à la hauteur de vos attentes. Je mesure parfaitement le chemin qu'il nous reste à parcourir pour redonner confiance en notre groupe. Cela passera par des efforts, des explications, des réformes, mais aussi par de l'innovation et de l'initiative.
À cet égard, je voudrais vous faire part de deux décisions que j'ai prises, et qui contribueront à donner la bonne direction à Orpea.
La première est de maximiser la décentralisation des décisions et des responsabilités vers les établissements, de renforcer leur autonomie, de nous appuyer plus encore sur les directeurs d'établissement, les personnels qui travaillent au quotidien pour les résidents. Ce chantier va être prioritaire pour nous. Nous allons notamment, entre autres améliorations, instaurer des médiateurs famille, rapprocher les comités éthiques du terrain et améliorer le fonctionnement de notre plateforme d'alerte.
Dans le même esprit, la deuxième décision que je tenais à vous annoncer aujourd'hui est celle d'ouvrir les portes de tous nos établissements et de faire au mois de mai, si la Covid le permet, une journée d'états généraux du grand âge dans chacun de nos établissements : résidents, familles de résidents, élus, membres de la représentation nationale, personnel, presse locale, chacun sera convié à participer, à s'exprimer, à débattre pour faire émerger à la fois des critiques, mais aussi des solutions.
Je m'engage à ce que ce grand débat ait lieu partout en France et soit suivi d'un compte rendu, d'une synthèse de propositions concrètes, dont tous les participants seront destinataires, ainsi que la représentation nationale.
À la rentrée, la deuxième étape de ces états généraux donnera lieu à une réunion nationale associant les représentants de toutes les parties prenantes afin de présenter les grands axes et les propositions qui pourraient être menées à bien, précisément pour améliorer l'accueil, la prise en charge et les soins de nos résidents. Voilà comment nous voulons procéder.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vous remercie de vos réponses, qui ont été complètement différentes de celles de l'Assemblée nationale, cela tient sans doute à l'organisation choisie par notre présidente.
Je remercie également Victor Castanet. Sans son ouvrage, nous n'aurions pas les modifications attendues aussi bien en ce qui concerne vos groupes privés à but lucratif, mais aussi en ce qui concerne la prise en charge de nos aînés. J'espère que la remise de nos rapports en juin débouchera sur une loi grand âge, avec des moyens supplémentaires. Il importe d'en affecter partout : il ne s'agit pas seulement de parler des difficultés au niveau de vos résidences, mais de toutes les résidences pour personnes âgées.
Vous recevrez peut-être d'autres questions écrites d'ici à la fin de notre mission, auxquelles vous répondrez aussi sous serment, bien entendu. Vous nous annoncez des changements. Vous avez été nommés tous les deux depuis très peu de temps, c'est-à-dire depuis la sortie du livre. Mais quid des autres ? En voiture, si on fait un dépassement de vitesse minime, on a une petite sanction. S'il est plus important, on a une grosse sanction et s'il est très important, on a une suppression de permis. Or il semblerait, puisque vous l'admettez, que de nombreux changements vont s'opérer et que les responsables précédents ont commis beaucoup de fautes. Force est de reconnaître que la gestion des structures privées à but lucratif, en particulier la vôtre, a davantage visé le profit que le bien-être des résidents. Qu'en sera-t-il des précédents responsables de votre structure ? Que faut-il faire ? Des poursuites seront-elles engagées ? Pensez-vous les engager vous-mêmes ? Estimez-vous normal que le Gouvernement ou d'autres les engagent ? Il faudra bien que l'on trouve une solution. Bien sûr, je ne vous demande pas de me répondre aujourd'hui, c'est un peu trop compliqué.
Vous avez parlé des changements à venir, c'est important. Ce que vous nous dites est capital. Effectivement, l'autonomie des établissements me paraît indispensable. Il est également indispensable de redonner confiance à nos résidents. Nous serons sans doute amenés à proposer des modifications au niveau des établissements à but lucratif, à la fois dans les transferts d'autorisation, mais aussi dans l'application de ce que l'on souhaite pour nos personnes âgées. Peut-être faudra-t-il voir comment les systèmes public, privé, associatif ou privé à but lucratif peuvent fonctionner correctement ensemble sans dérives ou risques de dérives.
Vous évoquez aussi la journée de mai. Je rappelle que notre rapport sera publié fin juin. Notre objectif est de faire des préconisations et d'avancer des propositions, à la fois par rapport à vos structures à but lucratif, mais surtout pour l'ensemble des personnes âgées, notamment dans le cadre de la loi grand âge.
Vous avez prêté serment, j'espère que la sincérité de vos déclarations, notamment en ce qui concerne les changements, est réelle. En tout état de cause, nous condamnons fermement la façon dont ont été gérés précédemment certains établissements.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Nous avons pris bonne note de votre communication très bien préparée et léchée pour redorer l'image d'Orpea. Nous serons néanmoins très attentifs, car ce sont les actions que vous allez mener qui seront déterminantes. Comme l'a souligné Bernard Bonne, c'est le modèle des Ehpad qu'il convient de questionner. Nous aurons des propositions en ce sens.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Avant de terminer cette audition, je vous rappelle que nous attendons la communication de vos réponses écrites au questionnaire dans les meilleurs délais. Vous nous avez proposé également de nous transmettre les réponses aux interrogations des corps d'inspection. Nous souhaitons aussi que vous nous communiquiez à la fois l'ordre de mission et les résultats fournis par ces cabinets de réputation internationale qui font l'actualité.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de Mme Sophie Boissard,
directrice
générale de Korian
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons à présent Mme Sophie Boissard, directrice générale de Korian, premier acteur français du secteur des Ehpad, ainsi que M. Nicolas Mérigot, directeur général France de Korian.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés le 26 janvier dernier.
Cet ouvrage pointe, notamment, l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés non pas sur les groupes, mais sur les établissements et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.
C'est pourquoi notre commission a choisi de s'intéresser à la question du contrôle. Comme je l'ai rappelé en préambule de l'audition précédente, nous sommes ici pour comprendre et pour formuler des préconisations de politique publique.
Par ailleurs, il ne s'agit pas pour nous de jeter l'opprobre sur tout un secteur dont nous connaissons très bien les problématiques : l'état de dépendance accrue des résidents, la difficulté, dans un secteur de main-d'oeuvre qui souffre d'un déficit d'attractivité, à recruter, à former, à fidéliser des personnels et la question, non résolue, du financement.
Nous savons aussi la grande sensibilité du sujet, confirmée par le succès du livre, qui touche un public très large, chacun se sentant concerné pour ses proches ou anticipant la question de sa propre vulnérabilité.
En votre nom à tous, je voudrais redire notre confiance dans l'engagement des professionnels du secteur, comme notre volonté de soutenir les résidents et leurs proches.
Nous savons enfin quelle peut être la vulnérabilité d'une entreprise au risque de réputation. Nous avons voté la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 dans une logique de confiance, de souplesse et de convergence tarifaire. Faut-il aujourd'hui réexaminer cet état d'esprit ? Nous espérons que les auditions d'aujourd'hui permettront notamment d'apporter une réponse à cette question.
Je demanderai à chacun d'être concis dans les questions et les réponses.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Boissard et M. Nicolas Mérigot prêtent serment.
Mme Sophie Boissard, directrice générale de Korian . - Je vous remercie de nous donner l'occasion aujourd'hui, avec Nicolas Mérigot, directeur général de Korian France, de nous exprimer devant votre commission.
Nous connaissons le travail approfondi que vous menez de longue date au sein de cette commission, notamment sur les sujets liés aux politiques publiques de l'autonomie et de la dépendance. Il me semble essentiel aujourd'hui pour un acteur comme Korian, qui est l'une des entreprises actives dans ce secteur en France, mais aussi dans six autres pays européens, de pouvoir échanger avec vous lucidement, en responsabilité et, je l'espère, dans un contexte un peu plus apaisé que celui d'il y a quelques semaines.
Cette audition nous donnera l'occasion de revenir sur la situation dans les maisons de retraite de notre réseau et, au-delà, sur la conception que nous nous faisons, en tant qu'entreprise responsable, de notre rôle au côté des personnes âgées et des aidants. Il importe que nous étudiions ce qui fonctionne et ce qu'il convient d'améliorer incontestablement.
Deux mois après la sortie du livre Les Fossoyeurs , l'émotion reste encore légitimement très vive. Elle est très vive pour toutes les personnes qui ont été directement concernées par les révélations du livre sur Orpea, bien sûr, mais elle est très vive, plus largement, pour toute l'opinion publique. Vous l'avez souligné, madame la présidente, le sujet de la vieillesse et de la fin de vie touche intimement chacun d'entre nous, à la fois comme parent, comme aidant et aussi, évidemment, à titre personnel, pour soi-même.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire publiquement à plusieurs reprises, j'ai personnellement été très choquée par les faits et par le système très cynique décrit dans l'ouvrage de Victor Castanet. Je considère - c'est la raison pour laquelle que je suis là aujourd'hui - qu'être un acteur privé actif dans le secteur du soin et de l'accompagnement des fragilités suppose une éthique, une culture d'entreprise, des valeurs, mais aussi des garde-fous internes à la hauteur des responsabilités exercées, et ce à tous les niveaux de l'entreprise : dans les établissements, mais aussi dans l'état-major et à tous les niveaux qui soutiennent le fonctionnement des établissements au quotidien. C'est à tout le moins ce que je m'efforce de faire prévaloir et de mettre en oeuvre chez Korian depuis 2016.
Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de vous dire que tout est parfait. Je vous dis juste quel est vraiment et très profondément mon état d'esprit, mais aussi celui de toutes celles et de tous ceux qui travaillent avec moi chez Korian.
Pourtant, au-delà du cas de l'entreprise mise en cause dans ce livre, le débat né des révélations suscite aujourd'hui un choc de défiance globale, comme vous l'avez très largement abordé, madame la présidente. Depuis plusieurs semaines, le fonctionnement des maisons de retraite, notamment des maisons de retraite privées, est devenu la cible de critiques parfois virulentes, au point que certains appellent aujourd'hui à leur suppression pure et simple.
Sur le terrain, je mesure combien ces critiques sapent la confiance aussi bien du côté des familles et des résidents que du côté des personnels, notamment des soignants. Je vous avoue que cette situation m'inquiète. Je passe beaucoup de temps sur le terrain, je circule énormément, j'écoute les résidents et les collaborateurs : ces dernières semaines, ce qu'ils me disent, c'est leur découragement et leur désarroi de se sentir directement ou à travers l'entreprise à laquelle ils appartiennent - en l'occurrence Korian - stigmatisés et mis en cause parce qu'ils travaillent dans une entreprise privée.
La semaine dernière, j'étais à Toulouse où j'ai entendu des infirmières et des médecins travaillant chez nous depuis longtemps et donc expérimentés dire, alors qu'ils n'avaient jamais pensé à baisser les bras au cours des deux années de pandémie extrêmement éprouvantes que nous avons traversé, qu'ils avaient le sentiment d'être face à la crise de trop. Ils m'ont exprimé leur envie de raccrocher et de quitte le secteur. Je crains cet effet de découragement et de désengagement irréversible, même parmi les plus fidèles et les plus expérimentés, alors qu'on a tant besoin d'eux pour accompagner nos aînés, mais aussi pour transmettre leur savoir et mettre le pied à l'étrier des jeunes soignants qui s'engagent dans la carrière, et dont nous avons un besoin impératif.
Je voudrais partager avec vous un message qui me tient à coeur. Si nous voulons faire progresser le grand âge et réformer ce qui doit l'être impérativement, il faut le faire non contre, mais avec les soignants et avec les institutions, publiques et privées, aujourd'hui investies dans le secteur.
Par ailleurs, les critiques qui se sont exprimées aujourd'hui ont le grand mérite de remettre la question du grand âge au coeur du débat public. Ce sujet a souvent été oublié alors même que nous savons que notre pays sera confronté, comme tous les pays européens, à ce défi démographique sans précédent. D'ici à 2030, le nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans augmentera de 40 % dans notre pays. C'est dès maintenant que, tous ensemble, nous devons nous organiser pour que chacun puisse être accompagné et entouré comme il ou elle le souhaite, pour que les aidants, qui sont en première ligne et qui sont souvent bien seuls, soient soutenus. C'est maintenant surtout - j'insiste - qu'il importe de planifier le nombre de soignants supplémentaires à former et c'est maintenant qu'il faut promouvoir la lutte contre l'isolement ainsi que les permanences des soins dans les territoires.
Nous avons commencé chez Korian, à notre échelle, modestement, à être actifs sur ces sujets, notamment en ce qui concerne la formation et l'accompagnement à domicile - j'y reviendrai dans le courant des échanges -, mais nous sommes évidemment prêts à y travailler beaucoup plus activement avec les pouvoirs publics.
Avant de répondre à vos questions, il est utile que je vous présente ce qu'est Korian, dont j'ai la responsabilité depuis six ans.
Korian, c'est d'abord une communauté humaine. C'est 56 000 femmes et hommes, dont 26 000 en France, qui ont choisi de se mettre au service des personnes âgées ou fragiles et des aidants, et qui font du respect de la dignité et du libre choix de chacun une valeur cardinale.
Nous sommes aussi, on l'oublie parfois, avant tout une communauté de soignants. Je n'en suis pas une, je le dis, modestement. Quoi qu'il en soit, 70 % des personnes qui travaillent pour Korian sont des professionnels de santé, paramédicaux ou médecins. Parmi les douze membres du comité de direction générale qui m'entourent, il y a quatre médecins de quatre nationalités différentes - un Français, un Allemand, un Belge, une Italienne -, qui ont tous une longue expérience clinique dans la gériatrie ou dans les spécialités qui y concourent.
Vous me croirez si vous le voulez, mais aucun des collaborateurs dans le groupe, quel que soit son rôle, quel que soit son parcours, n'est là par hasard. Plus important encore, aucun d'entre nous n'est là pour « faire du fric », pardonnez-moi la vulgarité de l'expression. Si tel était le cas, nous serions ailleurs.
Au-delà des maisons de retraite, qui est l'activité dans laquelle le groupe s'est historiquement développé, nous nous sommes efforcés ces dernières années de nous investir aussi dans la prévention des fragilités, dans le maintien à domicile, sous toutes ses formes. Certains d'entre vous connaissent peut-être le réseau des colocations Âges & Vie dans les territoires ou le réseau national d'aide à domicile Petits-fils ? Sans parler des cliniques et établissements de santé spécialisés, qui sont de plus en plus présents en matière de suivi ambulatoire des patients chroniques. Aujourd'hui en France, 80 % des personnes - patients, résidents, personnes fragiles - qui sont en contact avec l'une de nos structures le sont, en réalité, à travers l'un de ces réseaux d'aides de maintien ou de retour à domicile.
Notre dernier trait caractéristique est notre investissement dans la formation, l'alternance et l'insertion professionnelle. J'en ai fait l'un des objectifs principaux du groupe puisque nous avons pris l'engagement ferme de parvenir à 10 % de collaborateurs engagés dans une formation diplômante. Cela va du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) au diplôme universitaire d'approfondissement pour les médecins. Nous avons pris ces engagements en 2019 où ce taux s'élevait à 4 %. L'année dernière, j'ai eu la joie de constater que nous avions déjà atteint notre objectif de 10 %, notamment en France. Nous avons énormément mis l'accent sur l'alternance et les formations d'approfondissement. Nous avons désormais nos propres écoles, nos propres centres de formation en alternance et nous avons noué des partenariats avec des universités, en particulier de médecine, dans chaque pays.
Nous faisons aussi du dialogue, notamment, social une priorité. L'une des caractéristiques de Korian en France est que 7 % des collaborateurs ont un mandat, ce qui est énorme. Il s'agit de représentants de proximité et des comités sociaux et économiques (CSE) pour les structures régionales. C'est un comité central et c'est aussi un comité européen, avec les quatre principales organisations syndicales, très actives dans le groupe.
Nous dialoguons également avec les familles et les élus locaux à travers les conseils de la vie sociale (CVS), on y reviendra dans la discussion, mais aussi à travers un conseil des parties prenantes, en France, aux Pays-Bas et en Belgique. L'objectif est qu'il y en ait dans chaque pays. On y retrouve à la fois des représentants des associations de familles, des organisations syndicales, des principales organisations de médecins et d'infirmiers ainsi qu'un certain nombre de personnalités qualifiées. C'est Françoise Weber, ancienne directrice générale de Santé publique France, qui préside depuis maintenant trois ans ce conseil des parties prenantes. Elle nous a aussi beaucoup accompagnés pendant le Covid pour trouver le bon réglage entre fermeture et protection des maisons, maintien des contacts avec les familles et organisation des visites.
Dernier trait caractéristique, l'ancrage territorial est au coeur de notre projet. Nous sommes un groupe local, décentralisé, présents dans 700 bassins de vie, à travers 1 000 établissements et réseaux de soins. Par ailleurs, 50 % nos implantations sont situées en milieu rural. C'est là que nous nous développons aujourd'hui le plus vite. À l'heure actuelle, nous ouvrons une collocation Âges & Vie par semaine et l'on constate que ces structures résidentielles de proximité correspondent à un besoin énorme dans les territoires.
Cet ADN de la proximité et de l'investissement durable dans les territoires, nous le devons à notre premier actionnaire, qui est Crédit Agricole assurances. Crédit Agricole assurances soutient le développement de Korian depuis l'origine. Avec Malakoff Humanis, il détient aujourd'hui un tiers de notre capital. Nous le devons aussi à notre collaboration avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque des territoires, qui sont nos partenaires avec le Crédit Agricole pour développer Âges & Vie, et qui sont aussi des actionnaires significatifs.
Parmi les acteurs privés du grand âge, nous sommes aujourd'hui les seuls à compter de tels acteurs institutionnels et de long terme à nos côtés. Cela fait la différence par rapport à un certain nombre de fonds d'investissement, qui ont des visions beaucoup plus financières et de court terme.
La mention de ces principaux actionnaires m'amène enfin à dire quelques mots sur le modèle d'activité, qui fait partie des questions que vous vous posez, et des profits.
En tant qu'entreprise, nous nous devons évidemment par nature d'avoir une activité profitable : c'est la seule manière d'assurer la pérennité de nos missions, pour les patients et les résidents au premier chef, et de garantir à nos collaborateurs des conditions d'exercice de qualité.
Compte tenu de la nature même de notre mission, qui participe du bien commun, j'en suis pleinement consciente, les profits que nous réalisons sont un moyen au service d'une prise en charge de qualité. Ils ne sont en aucun cas - j'insiste - une fin en soi. Plus encore, nos profits se doivent d'être raisonnables.
Il y a, sur ce point, un complet alignement avec nos principaux actionnaires et avec nos parties prenantes. C'est ce qui nous a conduits, d'ailleurs, après un cheminement qui a pris plusieurs années, à opter pour le statut d'entreprise à mission, qui nous permettra d'ancrer ces facteurs-là dans nos statuts afin d'en faire des éléments opposables et contraignants. Nous allons préparer ce statut d'entreprise à mission avec l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise et des parties prenantes externes pour le soumettre à l'assemblée générale des actionnaires en 2023.
Ce sont les profits que nous réalisons qui nous permettent aujourd'hui d'investir dans nos établissements, dans nos structures d'accueil, et d'améliorer l'accompagnement ainsi que la prise en charge que nous pouvons offrir. Je citerai quelques chiffres précis pour appuyer mon propos. En France, nous avons généré en 2020 un peu plus de 1,8 milliard d'euros de revenus. Sur cette somme, presque 60 %, soit 1,1 milliard, ont été consacrés aux salaires et aux charges des collaborateurs. Près de 500 millions ont été dépensés en achats externes et en loyer. Le résultat net de 74 millions a représenté 4 % du chiffre d'affaires français.
Dans le même temps, les actionnaires ont perçu sur la totalité du périmètre du groupe, c'est-à-dire 3,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires - donc pas seulement sur la France, qui est aujourd'hui une partie un peu minoritaire -, 30 millions de dividendes, soit moins de 1 % du chiffre d'affaires total du groupe. Sur ces 30 millions, ils en ont réinvesti 15 millions dans l'entreprise, soit la moitié.
Au cours de ce même exercice 2020, nous avons pu investir 400 millions dans le seul réseau français. Nous avons engagé depuis 2017 un plan de rénovation très vaste sur le parc médico-social, qui sera terminé d'ici à 2025, soit plus de 1 milliard d'euros dans les 270 établissements médico-sociaux du groupe. Il s'agit de les adapter aux situations de grande dépendance, notamment cognitives, madame la présidente, de revoir complètement la configuration des bâtiments et de prévoir des espaces de vie aux étages. Je n'oublie pas non plus les grandes salles à manger du rez-de-chaussée qui ne fonctionnent pas du tout et les investissements en termes de domotique pour détecter les chutes. Repenser ces établissements est un gros travail, c'est long, les établissements sont évidemment exploités et l'investissement est considérable. Nos actionnaires soutiennent financièrement et politiquement, année après année, le déploiement de ce programme. C'est pour moi essentiel.
Nous pouvons le faire sans nous endetter de manière déraisonnable et - j'insiste - sans recourir à des ventes à la découpe. Nous n'avons pas recours chez Korian - cela se pratiquait avant mon arrivée - aux fameuses locations meublées professionnelles (LMP). Nous recevons tous, en tant qu'épargnants, de telles publicités qui offrent des rendements invraisemblables. Je considère aujourd'hui que ce n'est pas le bon dispositif pour investir durablement. Nous ne voulons pas risquer de nous retrouver dans des situations de propriétés morcelées, avec des loyers exorbitants, ce qui pourrait nous mettre dans l'incapacité totale d'assurer durablement l'activité.
Dernier point de ce propos liminaire, je voudrais insister sur un élément qui me paraît essentiel : nous ne réalisons aucune marge sur les dotations publiques perçues au titre du soin et de la dépendance allouées à nos maisons de retraite en France.
Sur chacun des quatre exercices de la période 2017-2020, soit après l'entrée en vigueur de la loi ASV, les dépenses réalisées à ce titre ont été chez Korian supérieures aux financements alloués. Cela se traduit dans l'évolution comparée des dotations soin, d'une part, qui ont progressé d'un peu plus de 12 % sur ces quatre exercices sous l'effet de la convergence tarifaire, c'est-à-dire de l'effort consenti par la représentation nationale pour le grand âge, et de la masse salariale sur cette section, d'autre part, qui a progressé dans le même temps de 16 %, ce qui traduit l'augmentation du taux d'encadrement moyen qui est d'un peu moins de 0,7 % aujourd'hui, la progression des salaires et le renforcement du temps des médecins, le recrutement d'infirmiers référent, de psychologues ou d'ergothérapeutes. Bref, le renforcement du soutien médical et paramédical de proximité.
J'ai bien conscience que cette question du bon usage de l'argent public est essentielle dans le rétablissement du climat de confiance. De ce point de vue, les mesures de transparence, de clarification et de contrôle renforcé qui ont été annoncées par le Gouvernement il y a quelques jours sont les bienvenues. Elles permettront, je l'espère, de lever les doutes pour l'avenir. C'est indispensable. Bien entendu, nous y contribuerons pleinement, c'est d'ailleurs notre devoir.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Notre mission a pour volonté de contrôler les contrôles afin d'étudier ce qui a failli dans le système. Comment corriger le tir ? Quelles propositions ou préconisations permettront-elles demain d'éviter de telles dérives ?
L'intérêt du livre de Victor Castanet est d'abord d'avoir dévoilé les pratiques des groupes privés à but lucratif. Je dis bien « les » groupes privés à but lucratif. Cela signifie qu'il n'y a pas qu'Orpea. Tous les groupes privés à but lucratif, y compris Korian, sont concernés. Ce n'est pas à nous d'en juger aujourd'hui, mais il va falloir revoir un peu toutes ces pratiques. L'aspect lucratif de ces entreprises nécessite des précisions. Au niveau législatif ou autre, il faudra certainement revoir le système pour l'améliorer.
Vous admettez vous-même, comme les représentants d'Orpea tout à l'heure, que des modifications sont à apporter et qu'il y a eu des erreurs dans le passé. Vous voulez trouver des solutions, c'est ce que vous nous avez dit. Depuis que vous avez été nommée, vous avez apporté des modifications. Cela signifie que le système n'était pas tout à fait au point et qu'il fallait contrôler un peu mieux ce qui se faisait dans ces établissements.
Autre gros avantage pour nous du livre, c'est qu'il a mis l'accent sur les difficultés des établissements qui reçoivent des personnes âgées en général. On sait pertinemment qu'il y a un manque de moyens, on sait pertinemment que la loi grand âge devrait arriver avec des moyens supplémentaires que tout le monde attend. C'est un point qui nous paraît extrêmement important. J'espère que les propositions que nous ferons d'ici au mois juin, donc en dehors de tout contexte politique, permettront au nouveau Gouvernement de prendre des mesures réelles pour accélérer un peu la mise en place de la loi grand âge, ainsi que les moyens qui vont avec. Toujours est-il que ces établissements à but lucratif ont nécessité des enquêtes de la part de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF).
Nous n'auditionnerons pas toutes les structures privées à but lucratif, mais un grand nombre d'entre elles seront entendues, soit en commission plénière, soit en commission rapporteur. Toutes s'exprimeront sous serment. Si besoin, nous les reconvoquerons.
Des difficultés ont été constatées. Les rétrocessions de fin d'année (RFA) ont été largement évoquées ; nous attendons des clarifications à ce sujet. M. Mérigot nous avait indiqué que les RFA n'existaient pas. Madame la directrice générale, vous avez soutenu que celles-ci avaient été supprimées à votre arrivée. Si le livre de M. Castanet comporte des inexactitudes, il vous revient de nous le dire !
Comment les prestations effectuées par les sociétés sont-elles effectuées ? Les résidents en bénéficient-ils réellement ? Je rappelle que celles-ci sont financées par de l'argent public.
Vous répondrez aux différentes questions que nous vous avons adressées par écrit, puis nous aimerions connaître le fonctionnement interne du groupe Korian. Quel est le nombre de vos directeurs régionaux ? Quel est leur rôle par rapport aux directeurs locaux ? Ces derniers disposent-ils d'une certaine autonomie ? Dans quelle mesure le groupe influence-t-il les achats effectués auprès des sociétés ?
J'en viens au prix de journée. Dans une émission, vous avez déclaré que le prix de revient des repas journaliers s'élevait à 4,35 euros, ce qui est insuffisant pour nourrir une personne correctement - d'autant que bien manger représente l'un des plaisirs des personnes âgées. Or vous pratiquez des prix de journée relativement importants. Comment expliquez-vous cette situation ?
Entre 2005 et aujourd'hui, combien de lits ont-ils été créés ou rachetés par Korian, via des transferts d'autorisation ? Je souhaiterais disposer d'un chiffre exact, car nous souhaiterions faire des propositions afin d'encadrer ces pratiques des établissements privés à but lucratif.
Mme Sophie Boissard . - Depuis mon arrivée en 201, je n'ai pas eu connaissance de pratiques de marges arrière ou de remises de fin d'année. À l'époque, l'ARS Île-de-France n'avait pas rejeté le compte de régulation - la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement n'avait pas encore été votée - et n'avait pris aucune mesure à l'encontre de notre groupe. Je n'ai pas retrouvé de traces plus précises de cette procédure.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Lors d'une audition qui s'est tenue à l'Assemblée nationale le 9 mars dernier, M. Yves Le Masne, alors directeur général d'Orpea, déclarait : « La marge du résultat d'exploitation avant loyers - la plus proche du résident - était en 2018 de 26,2 % pour Korian et de 26,7 % pour nous, la légère différence s'expliquant notamment par le fait que nous avons des établissements en Suisse. En 2019, elle était à nouveau de 26,2 % pour Korian, contre 26,3 % pour nous, soit moins de 0,1 point d'écart - je ne fais pas là de publicité pour Korian... ». Madame la directrice générale, cette marge existe donc bien.
Mme Sophie Boissard . - Monsieur Le Masne compare les marges des groupes, c'est-à-dire les activités réalisées à l'échelle européenne. Or les rapports annuels des deux groupes nous indiquent que Korian a réalisé une marge opérationnelle avant loyers de 24,8 % en 2020, contre 26,8 % pour Orpea, sur le périmètre France-Benelux, le Benelux représentant une petite activité. J'ai donc constaté un écart de deux points, considérable pour une activité comme la nôtre. Ce même écart se retrouve en 2017, 2018 et 2019. Je récuse donc l'analyse de M. Le Masne, selon laquelle, en France, la rentabilité de Korian serait équivalente à celle d'Orpea, qui a réalisé durablement une marge significative.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pouvez-vous affirmer aujourd'hui que vous ne pratiquez pas de rétrocessions ou des prestations de service ?
Mme Sophie Boissard . - J'affirme que les achats font systématiquement l'objet d'appels d'offres sur le fondement de cahiers des charges très détaillés recensant des caractéristiques précises pour chaque type de produit. Plusieurs sociétés sont ensuite mises en concurrence. Nous établissons une liste de prix avec les entreprises retenues. Nous veillons à ce que ceux-ci soient inférieurs aux prix pour les achats en détail : en 2019 et 2020, l'écart moyen constaté s'élève à 20 %. Nos établissements ont accès à cette liste et peuvent passer commande directement auprès des fournisseurs référencés. La direction du siège n'intervient pas dans ce processus. Les établissements choisissent d'utiliser ce portail ou de commander directement auprès d'un distributeur local.
Le volume de livraison de certains de nos fournisseurs est très important. Dès lors, le siège de Korian internalise le suivi de certaines opérations, telles que la facturation. Nous réalisons une prestation de service pour ces gros fournisseurs, qui, en échange, nous rémunèrent. Ces contrats, sur lesquels nous payons la TVA, sont déclarés et ne sont pas clandestins.
Sachez par ailleurs que 55 collaborateurs du siège de Korian accomplissent un certain nombre de prestations de soins au profit des établissements. Ces prestations ne sont pas refacturées ou prises en compte dans les dotations relatives aux soins.
Deux mondes coexistent. Premièrement, les établissements disposent de leur dotation et de leur personnel propre et peuvent acheter des produits de qualité à des prix préférentiels. Deuxièmement, les fonctions du siège ne bénéficient de dotations d'aucune sorte et ne font pas l'objet d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM). Elles interviennent en soutien des établissements.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Ce matériel est payé avec de l'argent public. Est-ce à dire que lorsque vous payez le matériel 80 euros au lieu de 100 euros, Korian récupère les 20 euros restants ?
M. Nicolas Mérigot . - Non. Les tarifs facturés aux établissements et les charges transmises aux agences régionales de santé (ARS), dans les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD), correspondent aux tarifs négociés, c'est-à-dire les tarifs obtenus après la remise de 20 %. La collectivité profite donc de notre capacité de négociation, puisque la remise consentie par les fournisseurs bénéficie aux établissements, en plus des subventions publiques dont ceux-ci disposent.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - C'est donc l'inverse de ce que pratique Orpea ?
M. Nicolas Mérigot . - Je ne connais pas les pratiques d'Orpea.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je suis sûr que vous les connaissez bien.
M. Nicolas Mérigot . - Je connais les pratiques de mon groupe. Je vous le répète : les établissements ont majoritairement recours à la centrale de référencement, qui propose des tarifs plus intéressants que les prix publics. Les fournisseurs facturent directement chaque établissement afin d'assurer la traçabilité des consommations dans les ERRD.
M. Bernard Bonne . - Quel degré d'autonomie Korian accorde-t-il aux directeurs d'établissements par rapport aux directeurs régionaux ? Les directeurs locaux sont-ils suffisamment autonomes ?
M. Nicolas Mérigot . - Le directeur d'établissement est autonome : il établit le projet d'établissement et il prépare le budget, qui fait ensuite l'objet d'échanges avec le siège afin de le consolider. Il est libre de passer commande auprès de la centrale de référencement ou de tout autre fournisseur de son choix. Il valide les recrutements et il dispose d'une grande latitude lorsqu'il doit remplacer des absents : je n'adresse aucune instruction visant à limiter les remplacements.
Cela dit, il existe un partage de compétences entre l'établissement et le siège, qui apporte son expertise et assure le contrôle de la qualité du service rendu. Le directeur d'établissement doit respecter les manuels opératoires et les bonnes pratiques définis par le siège.
M. Bernard Bonne . - Les normes que vous évoquez sont-elles édictées par les autorités de tutelle ou par les directions régionales de Korian ?
M. Nicolas Mérigot . - Ce sont les directions régionales qui s'en chargent dans le cadre du CPOM et qui assurent la régulation des financements complémentaires.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Madame la directrice générale, avez-vous eu accès au rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF) ?
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Vous insistez sur le fait que votre groupe est fortement décentralisé, contrairement au groupe Orpea.
Mme Sophie Boissard . - Le livre de M. Castanet insiste longuement sur ce point. Korian se caractérise par une organisation décentralisée, à tel point que cela engendre parfois trop de procédures hétérogènes : nous devons veiller à établir des règles identiques pour l'ensemble de nos établissements.
Mme Michelle Meunier . - Pouvez-vous nous donner les chiffres des personnes recrutées en CDD et en CDI ? Quel est le niveau du turnover et de l'absentéisme des personnels, notamment au niveau de la direction ?
M. Nicolas Mérigot . - Le taux de recours aux CDD est stable : il s'élève à 19 % en 2021, contre 18,69 % en 2020. Nous souhaitons que ce taux diminue. En 2019, nous avons proposé de transformer 900 postes de CDD d'aides-soignantes en CDI ; finalement, seules 400 personnes ont accepté. Le CDI ne représente pas nécessairement le Graal d'une carrière. Certaines personnes préfèrent conserver plusieurs employeurs afin de disposer d'un niveau de vie plus élevé.
Le recours aux CDD s'explique également par le taux d'absentéisme, qui s'élève à environ 12 %. Celui-ci a fortement augmenté durant la pandémie de covid-19.
Mme Sophie Boissard . - Lorsque nous avions engagé cette démarche de transformation de CDD en CDI, nous espérions que chaque établissement puisse disposer de deux équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, afin de simplifier le travail des directeurs en diminuant le recours aux remplacements pour pallier les absences imprévues. Or nous avons constaté que les personnes en CDD disposaient déjà d'un CDI dans d'autres structures : c'est aujourd'hui une réalité dans l'univers des soins. Il convient de doubler le nombre de personnels médicaux et paramédicaux pour faire face aux besoins, sinon nous devrons affronter des situations terribles.
Nous avons également constaté que les personnels étaient attachés à conserver un poste permanent et souhaitaient éviter de changer de service régulièrement.
Dans l'idéal, le taux de personnes en CDI devrait s'élever à 90 %.
La validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les aides-soignants a été multipliée par trois depuis 2018, avec des taux de succès de 70 %, contre 30 % en moyenne. Malheureusement, les capacités des jurys sont insuffisantes : en 2022, seules 60 personnes pourront se présenter à l'examen dans la région Île-de-France. À lui seul, notre groupe présentera 20 candidats.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Cette difficulté sera abordée dans la loi consacrée au grand âge, que nous attendons tous avec impatience.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Vous avez insisté à juste titre sur les difficultés de recrutement. Toutefois, je conserve le souvenir de l'émission Cash investigation durant laquelle une journaliste, qui ne dispose d'aucune formation, est recrutée au pied levé pour assurer un remplacement. Or c'est le manque de personnel et l'absence de formation qui entraînent les situations de maltraitance des personnes âgées. Quels sont les garde-fous prévus par votre groupe à cet égard ?
Mme Sophie Boissard . - Je suis moi-même intervenue dans cette émission. La journaliste en question, Marie Maurice, a déposé sa candidature dans un établissement en très grande difficulté : sa directrice était décédée d'un cancer quelques semaines auparavant et plusieurs membres du personnel souffraient du covid-19. Dans son CV, vraisemblablement faux, Mme Maurice avait indiqué disposer d'une expérience de trois ans auprès des personnes âgées dépendantes. Cette pratique est indigne. Elle a été recrutée non pas en tant qu'aide-soignante, mais en tant qu'auxiliaire de vie. Je reconnais toutefois un dysfonctionnement au niveau de la traçabilité du médicament au sein de l'établissement. Des sanctions ont ensuite été prises. Je souscris à votre analyse : les pratiques alors constatées ne sont pas acceptables.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Elles sont même dangereuses.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - On ne peut pas se contenter du seul CV lors de l'examen d'une candidature. Une personne peut très bien se présenter avec un faux diplôme d'infirmière par exemple.
M. Nicolas Mérigot . - Nous vérifions systématiquement les diplômes pour tous les emplois réglementés. En l'occurrence, Mme Maurice évoquait dans son CV non pas un diplôme, mais une expérience. Je reconnais que nous aurions dû vérifier ses références.
Fréquemment, nous mettons un terme à des périodes d'essai lorsque des personnes récemment recrutées sont incapables de produire un diplôme dont elles prétendaient être titulaires. Nous avons parfois été contraints de licencier des personnels qui nous avaient fourni de faux diplômes ou qui avaient fait l'objet d'une interdiction d'exercer.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Dans ce documentaire, il est aussi question de directives des ressources humaines pour ne pas remplacer certaines personnes pendant leur absence - congé, maladie, etc . Qu'en est-il ? Comment mener les contrôles pour éviter ce risque de dérives et d'écart entre les personnels annoncés et ceux effectivement présents ?
M. Nicolas Mérigot . - Pour mesurer les effectifs, il faut s'appuyer sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), l'état réalisé des recettes et des dépenses (ERRD) et l'annexe sur les personnels. Régulièrement les services des conseils départementaux ou les ARS réalisent des tests ou nous demandent de fournir les contrats de travail. La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes d'Occitanie et de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) ont d'ailleurs réalisé des contrôles à ce sujet, nous demandant à plusieurs reprises de justifier les effectifs figurant dans les EPRD et ERRD. La Cour n'a émis aucune remarque à ce sujet.
Il n'existe pas de directive visant à ne pas remplacer les personnes absentes. Il est possible dans la matrice budgétaire de déterminer des taux de remplacement des personnes. Il y a deux manières de les utiliser : la mauvaise vise à les employer comme des variables d'ajustement budgétaire ; la bonne consiste à les utiliser pour anticiper les absences inopinées qu'il sera difficile de remplacer. On sait en effet qu'à certaines périodes il est impossible de remplacer les absents à 100 % : on a ainsi enregistré de nombreux arrêts maladie entre Noël et le jour de l'an à cause de la vague omicron ; il est aussi difficile de trouver des remplaçants au mois d'août. Il est donc raisonnable d'anticiper ces difficultés et de prévoir une répartition des tâches adaptée au cours de l'année pour ne pas surcharger certaines périodes.
Mme Sophie Boissard . - J'indique aussi que les dotations soins et dépendance, essentiellement destinées à couvrir la masse salariale des soignants, sont totalement consommées.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Avez-vous procédé à des rachats d'autres établissements ces dernières années pour augmenter votre nombre de lits ?
M. Nicolas Mérigot . - Nous vous transmettrons la liste exacte des structures qui ont été rachetées. De mémoire, on n'a racheté aucun établissement associatif ou issu du secteur public depuis 2017.
M. Bernard Bonne . - J'aimerais savoir ce qu'il en est depuis 2005 pour pouvoir apprécier quelle a été l'évolution entre les secteurs public et privé. Votre groupe semble enregistrer une forte progression du nombre de lits depuis 2005.
M. Nicolas Mérigot . - Depuis la canicule de 2003, des créations de lits ont eu lieu et le privé a investi et a financé les investissements immobiliers nécessaires à ces créations. Nous n'avons pas eu de nouvelles autorisations depuis 2017, si ce n'est des autorisations relatives à des lits complémentaires ou à des autorisations d'accueil de jour en plus de l'accueil permanent. Je vous transmettrai le compte exact des lits par année et par département.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Quel est l'écart de prix entre l'établissement le moins cher et le plus cher ?
M. Nicolas Mérigot . - L'établissement le moins cher est à 60 euros par jour, le plus cher est autour de 180 euros par jour, quant au prix moyen par jour, il s'élève à peu près à 86 euros. J'ajoute que 12 % du parc est habilité à l'aide sociale.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Dans ce cas, les départements peuvent réaliser des contrôles plus facilement : sont-ils nombreux ? prévus ou inopinés ? L'habilitation entraîne-t-elle davantage de contrôles ?
M. Nicolas Mérigot . - En 2018, nous avons eu 13 contrôles des ARS ou des départements dans la toute la France, 10 en 2019, 7 en 2020 et 7 en 2021. On n'observe pas une fréquence de contrôles plus élevée en cas d'habilitation à l'aide sociale. Ces contrôles sont de qualité. Ils peuvent s'accompagner de recommandations ou d'injonctions.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Les contrôles sont-ils prévus ou inopinés ?
M. Nicolas Mérigot . - Il est très rare d'avoir un contrôle inopiné le jour même ; les contrôles sont annoncés quelques jours à l'avance pour s'assurer que les responsables de l'établissement seront là.
Nous regrettons que ces contrôles ne donnent pas lieu à des rapports de clôture. Entre 2018 et 2021, nous n'avons reçu qu'un seul rapport de clôture, alors que nous avons répondu à toutes les remarques faites.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il faut revoir le système. J'ai en tête un rapport de 2018, qui ne concerne pas votre établissement, dont les préconisations n'ont toujours pas été réalisées.
M. Nicolas Mérigot . - Outre les contrôles externes des ARS et des conseils départementaux, nous avons mis en place des contrôles internes, des audits à 360 degrés, menés par des auditeurs internes venant du siège et qui sont séparés des directions opérationnelles. Nous avons comme objectif de réaliser un audit complet des établissements tous les deux ans ; quand des établissements sont classés C ou D dans notre grille, qui va de A à D, nous organisons des visites de contrôle interne tous les six mois et la direction de la qualité aide l'établissement à construire son plan d'amélioration de la qualité.
Un autre élément de contrôle réside dans les autoévaluations sur les médicaments ou l'hygiène par exemple. Enfin, nous nous sommes engagés depuis 2019 dans le processus de certification selon la norme ISO 9001 ; 41 Ehapd ont été certifiés en 2021, et nous prévoyons d'obtenir la certification de tous nos établissements en France par l'Afnor d'ici trois ans. Nous sommes très satisfaits de ce système de certification fondé sur une norme opposable, comme cela existe dans le domaine sanitaire défini avec le référentiel défini par la Haute Autorité de santé. Nous poussons le Syndicat national des établissements et résidences privés et services d'aide à domicile pour personnes âgées (Synerpa) à devancer l'appel du Gouvernement. Nous pourrions parvenir à un système fondé sur des contrôles externes régaliens en cas de dénonciation ou de risque important, sur une certification de qualité afin de rassurer les tutelles, les médecins prescripteurs, les patients et les familles sur les performances de chaque établissement, et enfin sur des audits internes menés par les groupes.
Mme Michelle Meunier . - Vous avez l'objectif de certifier l'ensemble de vos établissements en 2023 : cela s'accompagnera-t-il d'embauches d'évaluateurs ?
Mme Sophie Boissard . - Nous devons installer dans chaque établissement médico-social un référent qualité. C'est pour cela que nous embauchons des infirmiers référents et complétons les équipes pour que chaque équipe soignante soit dotée d'un référent qualité. Nous avons aussi déjà une équipe d'audit interne importante ; enfin nous nous appuyons aussi sur organismes de certification spécialisés, comme l'Afnor ou Bureau Veritas, qui nous offrent un regard extérieur.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Dans la mesure où les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) sont définis au niveau des groupes et des régions, ne faut-il pas y voir une source d'opacité pour les contrôles au niveau des établissements ? Le risque est de ne pas déceler des fautes au niveau d'un établissement.
Mme Sophie Boissard . - Définir les CPOM au niveau départemental permet de constituer des réseaux entre les établissements, en mutualisant certaines fonctions d'expertise : à l'échelle d'un département, un établissement peut ainsi se spécialiser dans la prise en charge des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, d'autres dans l'accueil de jour, etc . Cette possibilité de mutualisation, y compris des dotations, me paraît bénéfique.
En revanche, on n'a pas été assez loin pour définir, avec les autorités, ce qui doit être restitué, et avec quel degré de précision, dans les ERRD, ni pour définir les modalités du dialogue de gestion aux niveaux des établissements, départemental, voire régional. Il ne faut évidemment pas masquer ce qui se joue au niveau de chaque établissement, mais il faut conserver la fluidité d'organisation. Les CPOM sont un bon outil, la mutualisation permet de travailler en réseau, ce qui semble indispensable si l'on veut aider les gens à rester à domicile et privilégier la prévention. En revanche, un CPOM ne se réduit pas à un simple document de papier, il doit constituer le socle d'un dialogue de gestion qui doit avoir lieu avec chaque établissement de manière régulière.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Et vous trouvez que ce dialogue de gestion est dynamique en ce moment ?
Mme Sophie Boissard . - Les CPOM datent de 2017 pour notre secteur. À peine ont-ils été signés, en 2018 ou 2019, que la crise sanitaire a éclaté ! Il existe évidemment des marges de progrès, mais l'essentiel désormais est de regarder l'avenir, en exploitant au mieux le potentiel du CPOM. Certaines fonctions - pilotage de la qualité, orientation médicale, formation, recrutement, etc . - relèvent d'un niveau plurirégional ou national. Il serait sans doute pertinent de créer une agence référente pour définir un contrat-cadre. Le problème est que l'on n'a pas tiré toutes les conséquences des règles existantes : ce manque de clarté est pénalisant tant pour les pouvoirs publics que pour nous.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Sur quel budget imputez-vous la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ou la taxe sur les salaires ? En cas de remplacement d'une aide-soignante par une auxiliaire de vie, opérez-vous un glissement du salaire vers le forfait soins ? Enfin, arrive-t-il que le taux d'occupation soit supérieur à 100 % dans certains établissements ?
M. Nicolas Mérigot . - La taxe sur les salaires est imputée sur les sections « soins » et « dépendance » ; la CVAE et la C3S sont imputées sur la section « hébergement ». Cette imputation a fait l'objet de contrôles réguliers par les ARS dans le cadre du dialogue de gestion. Elle a aussi fait partie du contrôle réalisé par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes d'Occitanie et de PACA.
Quand une personne remplace quelqu'un qui relève du forfait soins, son salaire est imputé sur le forfait soins. Les personnes exerçant des professions réglementées sont imputées par défaut sur le budget des sections « soins » et « dépendance » ; il appartient au directeur d'établissement d'imputer nominativement les remplaçants et d'opérer les reclassements entre les sections « hébergement » et « soins ».
Enfin, nous n'avons pas de suroccupation à plus de 100 % dans nos établissements.
M. Jean-Luc Fichet . - Ma première question portait sur la démarche qualité et la certification. Vous avez répondu, je n'y reviens pas. Je souhaiterais connaître les montants minimal et maximal facturés mensuellement aux usagers, et ce qui explique la différence de tarifs.
M. René-Paul Savary . - Quel a été le taux d'occupation moyen d'occupation dans votre groupe au cours de ces dernières années ? Quel est le coût repas journalier (CRJ) par résident ?
Mme Annie Le Houerou . - Je voulais également vous interroger sur le CRJ. Certaines prestations sont prises en charge au niveau national dans le domaine médical : de quelles natures sont ces fonctions ? Comment les financez-vous et comment les répercutez-vous sur les établissements ?
Quelle est la durée moyenne des CDD dans votre groupe ? Quel est le taux de travail moyen en CDI et en CDD ? Enfin, comment traitez-vous les plaintes ou les réclamations ?
Mme Chantal Deseyne . - La parution du livre dénonçant certaines pratiques chez Orpea vous a-t-il menés à analyser vos pratiques ou à les modifier ?
Mme Catherine Deroche , présidente . - Vous avez nié la réalité de certaines allégations parues dans la presse : avez-vous engagé des poursuites ?
M. Nicolas Mérigot . - Les prix mensuels facturés aux résidents varient entre 1800 et 5400 euros. Il convient toutefois de ne pas oublier le ticket modérateur sur la dépendance, qui correspond à une perte d'autonomie évaluée en GIR 5 et 6, d'un montant de 5 euros par jour environ. Les prestations supplémentaires - coiffure, manucure, etc . - sont à la charge des résidents.
M. Jean-Luc Fichet . - Comment expliquer cette différence de prix ?
M. Nicolas Mérigot . - La différence s'explique par la qualité de l'hébergement : hébergement en chambre simple ou double ; taille plus ou moins grande de la salle de restaurant ou des salons d'étages ; présence ou non d'un jardin, etc . La différence de prix est directement liée à la différence de qualité des prestations ou d'emplacement des établissements : les établissements les plus chers sont ceux situés à Paris intra-muros, car le foncier est plus cher.
Avant la crise sanitaire, notre taux d'occupation s'élevait à 92 ou 93 % ; le 31 décembre 2021, il s'élevait à 87 %.
Le CRJ est de l'ordre de 5 euros. Ce montant inclut uniquement les coûts d'achat de denrées brutes non transformées. Nous n'achetons pas de plats cuisinés ni de préparations industrielles. Les repas sont préparés sur place par des cuisiniers salariés de Korian. Nous sommes très vigilants sur l'apport nutritionnel quotidien, environ 2100 calories par jour, sur l'apport en protéines - alors que la norme prévoit un apport de 1,1 gramme de protéines par kilogramme en fonction du poids de la personne, l'apport dans notre groupe s'élève à 1,2 gramme.
M. René-Paul Savary . - Pratiquez-vous un rationnement ?
M. Nicolas Mérigot . - Non. Je cite des grammages, car lorsque les cuisiniers mettent au point des recettes, ils s'expriment en grammes. Les cuisiniers sont libres de leur approvisionnement ; en revanche, nous fixons les menus pour veiller à la qualité nutritionnelle et à la variété. Les cycles de menus sont changés toutes les quatre semaines. Nous sommes aussi très attentifs à ce que la préparation des menus soit adaptée à la situation des personnes. Nous sommes vigilants à ce que les compléments alimentaires reposent sur des prescriptions médicales, dans le cadre de régimes. Ils ne sont en aucun cas une solution de facilité. De même, les mixés et les texturés, destinés à faciliter l'alimentation des personnes ayant des troubles de la déglutition, doivent faire l'objet d'une prescription médicale. Nous travaillons aussi sur des enrobés, des « bouchées gourmande », pour les patients ayant des troubles cognitifs puissent s'alimenter sans avoir à tenir des couverts.
Si la dimension économique est évidemment importante, dans la mesure où nous gérons des quantités importantes, environ 30 millions de repas par an, elle ne se fait pas au détriment de la quantité ni de la qualité : nous avons ainsi renégocié dans notre dernier appel d'offres sur l'alimentation des garanties sur la qualité : la viande est issue en majorité de labels de qualité français, de même que nos poissons sont issus en majorité de la pêche raisonnée ; 30 % de nos fruits et légumes sont consommés à moins de 100 kilomètres de l'endroit où ils ont été produits. Notre but est que les repas restent un plaisir. Les enquêtes de satisfaction montrent qu'il s'agit d'un point à travailler : nous devons réfléchir sur les textures, les couleurs, le goût, les horaires des repas, etc . L'aide aux repas est fondamentale ; en jouant sur les horaires, on peut prévenir la dénutrition, même si elle s'avère irréversible en cas de démence.
Mme Sophie Boissard . - L'important est que les produits sont préparés sur place : nous n'achetons pas de madeleines à l'extérieur par exemple, celles-ci sont préparées l'après-midi pour le goûter. On essaie de faire en sorte que les repas deviennent un élément de partage en commun entre les résidents. Nous travaillons avec Gault et Millau : une cinquantaine d'établissements sont labellisés Gault et Millau. Notre groupe compte 900 chefs cuisiniers et comporte un centre de formation des apprentis (CFA) des Chefs. Nous organisons un concours des recettes, ce qui crée une émulation entre les établissements.
M. Nicolas Mérigot . - Sur le temps de travail, 82,6 % de nos contrats sont des contrats à temps complet. La durée moyenne du CDD est de 11 jours ; la loi nous oblige à rédiger un contrat par mission ; plusieurs contrats peuvent donc s'enchaîner.
Nous sommes très vigilants sur les évènements indésirables graves (EIG). Tout professionnel de santé doit déclarer un EIG dont il a connaissance. La plupart du temps, c'est le directeur d'établissement qui centralise et transmet les informations.
M. Bernard Bonne . - Vous transmettez directement aux ARS ?
M. Nicolas Mérigot . - Oui. Il n'y a aucun filtre. Notre groupe a aussi une plateforme interne de déclaration des EIG. Nous possédons des indicateurs sur le niveau de fréquence et de gravité des incidents. Je porte autant d'attention aux établissements qui déclarent de nombreux problèmes, qu'à ceux qui n'en déclarent aucun. La direction de la qualité aide les établissements concernés à établir un plan d'action correctif. Tout cela est récapitulé dans notre plateforme Pélican, où nous recensons les EIG et les plans d'action. Les EIG sont classés en fonction de leur gravité. Je vérifie chaque mois le taux de clôture des EIG pour m'assurer que les établissements suivent bien leurs plans d'action.
De même, les établissements déclarent les réclamations sur cette même plateforme, selon le même dispositif : déclaration, plan d'action, etc . Les familles peuvent appeler un service dédié, séparé de l'opérationnel pour garantir son indépendance, qui reçoit les réclamations, les suit et les traite. Nous avons créé un comité pour suivre les incidents, toutes les semaines pour la partie Ehapd et tous les quinze jours pour la partie sanitaire.
Nous avons aussi installé cette année un médiateur, qui est un ancien magistrat, pour résoudre les conflits. Cette voie permet de mieux écouter les personnes, d'échanger, de mieux se comprendre : une trentaine de médiations ont eu lieu cette année ; seules deux réclamations se transformeront probablement en contentieux judiciaire.
Mme Sophie Boissard . - Nous avons enregistré environ 600 réclamations l'an dernier : 80 % se règlent dans le dialogue au niveau des établissements ; seuls 20 % d'entre elles nécessitent une remontée au siège.
Le livre Les Fossoyeurs pointe le système d'une entreprise. À sa lecture, j'ai été choquée par certains faits : les entraves - supposées - au dialogue social ; le système managérial, car les objectifs donnés aux directeurs d'établissement semblent tournés exclusivement vers la performance économique ; et enfin la dimension relative à l'éthique des affaires.
Korian a une longue tradition de dialogue social : 7 % des salariés exercent un mandat dans ce cadre. Des instances de dialogue social existent à tous les niveaux, car nous considérons que le dialogue social de proximité participe à la détection et à la résolution des difficultés. Nous formons les représentants du personnel et les directeurs d'établissement au dialogue social pour l'animer et le faire fonctionner.
La culture d'entreprise est importante : nos résidents sont souvent des personnes fragiles ; il faut respecter l'intimité des familles, etc . Notre métier est très délicat sur le plan humain et exige une grande maturité émotionnelle et affective. C'est pourquoi l'existence d'une culture d'entreprise, de valeurs, de lieux de dialogue ou de supervision est cruciale, tant pour garantir la bientraitance que pour l'équilibre moral et mental des salariés.
La crise sanitaire a constitué un choc inédit. Nous avons organisé un retour d'expérience après le premier confinement, pour savoir comment chacun l'avait vécu, et comprendre pourquoi nos personnels étaient restés. On a découvert finalement que chacun avait le sens de sa mission. Ce travail est une vocation. Je me souviens d'une aide-soignante qui m'expliquait qu'elle ne pouvait pas ne pas venir travailler, alors même que les transports en commun étaient perturbés, car elle ne pouvait laisser seuls ses patients.
Nous avons beaucoup travaillé sur nos valeurs : au fond la confiance - celle que les familles nous font, celle qui existe au sein des membres d'une équipe - est fondamentale, de même que le sens des responsabilités et la capacité d'initiative. Nous avons travaillé sur les attitudes et lancé une formation entre pairs : les établissements et les équipes s'auditent mutuellement pour améliorer les pratiques ; c'est ce que nous appelons le projet « le soin à coeur ». On peut multiplier les audits, tout commence par l'attitude humaine au sein des équipes ; l'exemplarité depuis le plus haut niveau est fondamentale.
Peu de CVS sont vraiment actifs malheureusement. Il faut proposer systématiquement aux élus de participer, car nos maisons de retraite s'inscrivent avant tout dans un territoire.
Qu'allons-nous changer ? Je souhaiterais d'abord disposer d'une vision centralisée des audits de qualité ; un comité se réunit déjà tous les mois pour vérifier que le système de gestion de la qualité fonctionne. Nous allons sans doute réunir sous l'autorité de la directrice de l'audit comptable et financier du groupe l'animation de tous les audits, financiers et de qualité, pour développer une communauté d'auditeurs internes. Cette directrice, qui intervient déjà devant le comité d'audit du conseil d'administration, interviendrait aussi devant le comité d'éthique et de qualité.
En ce qui concerne la gouvernance de l'entreprise, le conseil d'administration a décidé que toutes les parties prenantes, notamment les familles, devaient être mieux associées à tous les niveaux. Les salariés sont déjà représentés par le biais des deux représentants des salariés et du secrétaire du comité d'entreprise français. Un conseil des parties prenantes pourrait être le garant du respect de nos engagements en termes de qualité de prise en charge ou de politique sociale. Il pourrait faire intervenir un organisme auditeur tiers. C'est pourquoi nous voulons devenir une entreprise à mission ; cette démarche nous permet de définir aussi quel est notre apport spécifique, ce qui nous distingue, et comment on peut l'évaluer. Nous travaillons avec les associations de patients ou les syndicats dans ce sens ; ces derniers peuvent devenir des tiers de confiance et nous aider à progresser. Nous nous donnons un an pour y parvenir. Nous consulterons largement les patients, les salariés, nos partenaires, etc . Ce n'est pas parce qu'une entreprise est cotée que sa logique est exclusivement financière.
Lorsque j'ai été nommée en 2016, les objectifs des directeurs d'établissement étaient exclusivement financiers. Cela a changé ; nous avons introduit des objectifs de qualité : nous tenons compte de la qualité des soins, des résultats des enquêtes menées auprès des familles par des organismes externes, d'indicateurs sociaux, notamment concernant la santé et la sécurité au travail, car les taux d'absentéisme ou d'accidents du travail sont trop élevés - un accord a d'ailleurs été signé l'année dernière pour les faire reculer -, etc . Les objectifs que m'a fixés le conseil d'administration sont pour moitié non financiers. Cette démarche permettra d'ancrer les bonnes pratiques dans notre culture d'entreprise.
Enfin, pour répondre à la question sur l'absence de poursuites en diffamation : il était surtout important pour nous de répondre aux questions de Victor Castanet. M. Mérigot l'a reçu et nous avons répondu à son questionnaire dans une note écrite. Il nous semble que le livre en tient compte. En ce qui concerne l'émission Cash Investigation , j'ai exigé de m'expliquer en direct. Nous avons ensuite publié un communiqué de presse très précis.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vous remercie. Notre rôle est de nous intéresser à ce qui ne fonctionne pas et de faire des préconisations. Nous vous adresserons un questionnaire complémentaire. Je voulais vous demander aussi si vous aviez embauché d'anciens responsables d'ARS ou de services départementaux ?
M. Bernard Bonne , rapporteur . - L'intérêt de chacun est d'améliorer la prise en charge des personnes âgées et d'éviter les maltraitances.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de présidents de conseils départementaux
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder, dans le cadre de notre mission d'information sur le contrôle des Ehpad, à l'audition commune de quatre présidents de conseil départemental : MM. Jean-Luc Gleyze, Michel Ménard, Georges Siffredi et Christophe Le Dorven, respectivement présidents des conseils départementaux de la Gironde, de la Loire-Atlantique, des Hauts-de-Seine et de l'Eure-et-Loir.
Je salue nos collègues qui participent par visioconférence à la présente audition. Celle-ci fera l'objet d'une captation vidéo.
Dotée des prérogatives des commissions d'enquête, cette mission d'information a été créée à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs , qui met en évidence l'inadéquation, dans leur forme actuelle, des contrôles opérés non sur les groupes, mais sur les établissements, ainsi que l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser au contrôle.
Messieurs les présidents, le modèle issu de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui repose sur la souplesse et la confiance a priori , vous paraît-il devoir être adapté, voire remis en cause, à la suite de l'affaire Orpea ?
À l'issue de vos propos liminaires, vous serez interrogés par nos deux rapporteurs, Bernard Bonne et Michelle Meunier. J'invite chacun à la concision, afin que nos échanges soient aussi riches que possible dans le temps qui nous est imparti.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
(MM. Jean-Luc Gleyze, Michel Ménard, Georges Siffredi et Christophe Le Dorven prêtent serment.)
M. Michel Ménard, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique . - La Loire-Atlantique dispose de 15 600 places, réparties en 178 Ehpad. Peu nombreux, les dix-sept établissements privés n'accueillent que 9 % des résidents ; cinq d'entre eux sont gérés par Orpea, quatre par Korian.
Notre département se distingue par le nombre de ses Ehpad associatifs. Chaque association ne gère souvent qu'un établissement, en sorte que le nombre de gestionnaires est très élevé.
Nous consacrons 145 millions d'euros par an aux Ehpad, soit 10 % de leur budget, dont 63 millions d'euros au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Le financement de l'hébergement des personnes sans ressources représente 23,3 millions d'euros, eu bénéfice de 2 000 personnes environ ; le département a réévalué son taux directeur pour 2022, à la demande des établissements.
Les révélations de Victor Castanet nous ont vivement interpellés. Nous n'avons pas repéré sur notre territoire de faits aussi graves que ceux qu'il met en lumière. À la suite de la parution de son livre, nous avons lancé une inspection des cinq établissements Orpea présents dans le département. Nous avons constaté des dysfonctionnements, mais pas de faits particulièrement graves.
Toute la lumière doit être faite sur les graves accusations contenues dans ce livre, qui constitue une alerte préoccupante, mais sans jeter l'opprobre sur l'ensemble des Ehpad. Nombre d'établissements fonctionnent bien, avec des personnels bienveillants.
Notre dispositif de suivi et de contrôle des établissements repose notamment sur une réunion hebdomadaire commune de l'Agence régionale de santé (ARS) et du département. Les réclamations qui nous parviennent y sont examinées.
Les contrôles conjoints de l'ARS et du département sont lourds et prennent du temps. Les révélations de M. Castanet ayant montré la nécessité de contrôles plus nombreux, j'ai lancé des enquêtes flash, plus légères mais inopinées. Les gestionnaires doivent intégrer qu'un contrôle peut intervenir à tout moment.
Les départements doivent être confortés pour ce travail de contrôle, car ils ont l'avantage de la proximité. Nous connaissons bien les gestionnaires et entretenons avec eux des relations fluides.
Les établissements ont l'obligation de déclarer les événements susceptibles d'affecter la prise en charge des usagers ou les événements indésirables graves. Une messagerie électronique commune aux départements et à l'ARS assure le recueil des réclamations émanant des résidents ou de leur famille.
Les inspections inopinées menées ces dernières années, sans doute insuffisantes, n'ont pas, je le répète, mis au jour de faits très graves.
L'association Alma 44 est le relais du dispositif 3977 dans le département. Des commissions communes à Alma 44 et au département traitent des difficultés.
Le nombre de réclamations a augmenté de 35 à 111 entre 2018 et 2021, essentiellement, selon nous, du fait de la crise sanitaire.
Au cours de nos inspections, nous avons constaté une instabilité excessive du personnel et une propreté des locaux parfois peu satisfaisante. Par ailleurs, le protocole pour les situations de maltraitance est peu connu des personnels.
Les mesures correctives que nous préconisons tiennent notamment à la sécurisation des locaux de stockage, à l'élaboration d'une procédure d'enregistrement et de traitement des réclamations et à la préparation d'un plan d'action pour la stabilité des effectifs.
Au total, nous sommes plutôt rassurés sur le fonctionnement de nos établissements, même s'il y a des marges d'amélioration.
M. Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde . - Je vous remercie de nous offrir cette occasion de témoignages et d'échanges sur les politiques en direction de nos aînés vivant en Ehpad.
Dans la grande majorité des établissements, les missions sont assurées avec professionnalisme et humanisme, dans un contexte de tension sur les effectifs. L'implication des directeurs et salariés des établissements médico-sociaux a été maintes fois constatée, particulièrement pendant la crise sanitaire.
Il s'agit de restaurer la confiance au sein de ces établissements et de prévenir d'autres crises.
Les mécanismes de rentabilité à tout prix récemment mis au jour, s'ils sont confirmés, menacent la part la plus vulnérable de notre humanité. Cet enjeu appelle de notre part une mobilisation forte, bien au-delà du temps médiatique, et des réponses concrètes au plan départemental comme au plan national.
D'abord, le recueil des informations préoccupantes et le contrôle des établissements doivent être améliorés. Il faut aussi donner sens au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) par un véritable dialogue de gestion.
Ensuite, départements et ARS doivent mieux coopérer pour promouvoir ce type d'accueil, en lien avec le choix du maintien à domicile, et faciliter la mise en réseau des acteurs de l'autonomie.
Par ailleurs, la recherche du profit ne doit pas nuire à une mission éminemment sociale. C'est une exigence morale : porter atteinte à la dignité de nos aînés, c'est porter atteinte à l'intégrité de la société.
Enfin, la citoyenneté doit être reconnue et encouragée au sein des établissements.
En 2018, au moment où, monsieur le rapporteur, vous publiiez votre rapport d'information « Ehpad : quels remèdes ? », j'adressais un courrier à Mme Buzyn pour l'alerter sur la situation et publiais une tribune, intitulée « De quoi l'Ehpad est-il malade ? ». J'ai mené de nombreuses consultations sur le sujet pendant deux ans.
À la suite du travail remarqué de Dominique Libault, nous avons appelé de nos voeux une loi autonomie, non comme un dû mais comme une nécessité face au vieillissement et à la multitude des acteurs. La crise sanitaire ne peut à elle seule expliquer une politique à la découpe, avec les conclusions que nous connaissons autour du Ségur de la santé. Ce sont les premiers de corvée, derniers de cordée, qui en sont les principales victimes.
Je rejoins à cet égard le constat de la Cour des comptes : les difficultés systémiques ne sont pas prises en compte.
M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine . - Les 108 Ehpad des Hauts-de-Seine totalisent 10 296 places, dont 40 % sont habilitées à l'aide sociale départementale. Les établissements privés lucratifs représentent 53 % des places, les établissements privés associatifs 25 % et le secteur public 22 %.
Les contrôles sont assurés par le département et l'ARS, au titre respectivement de la dépendance et du soin. Dans les Hauts-de-Seine, nous avons grand mal à mener ces contrôles conjoints, d'abord parce que l'ARS a une approche régionale, ensuite, nous dit-on, parce que son personnel n'est pas suffisamment nombreux.
Les contrôles doivent-ils toujours être conjoints ou un seul contrôle pourrait-il regrouper les deux dimensions ? Il faut se poser la question.
Par ailleurs, aucun contrôle ponctuel d'établissement ne permet d'accéder aux éventuelles marges arrières des sociétés ; cela relève d'instances aux compétences plus larges, comme l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
J'ajoute que, malgré un récent décret, nous manquons encore d'un référentiel de contrôle opposable, qui permettrait l'application de sanctions. Avant les mesures extrêmes que sont la mise sous administration provisoire et la fermeture administrative, des sanctions financières pourraient être appliquées. Mais, en l'absence de référentiel opposable, elles ne sont que rarement mises en oeuvre, voire jamais.
Reste que le problème de fond, dans mon département comme ailleurs, tient au manque de personnel dans l'ensemble du secteur médico-social. Si un référentiel fixe des taux minimaux d'encadrement mais que le personnel manque, comment fait-on ? Un enfant de la crèche, on peut le rendre à ses parents, même si ce n'est pas facile pour eux...
Pour certaines catégories de personnels, comme les aides-soignants, il faudrait une formation et un accompagnement renforcés. Peut-être certains métiers doivent-ils aussi être revalorisés.
Enfin, l'Ehpad de demain sera-t-il le même que celui d'aujourd'hui ? L'Ehpad doit-il être un lieu de vie ou de fin de vie ? Du fait du développement du maintien à domicile, les personnes sont dans des situations de plus en plus complexes à leur entrée en établissement. Nous avons lancé une réflexion avec les professionnels sur ces sujets.
Par exemple, des personnes en situation de handicap qui vieillissent pourraient être hébergées dans des Ehpad renouvelés, pour apporter plus de jeunesse. Des personnes pourraient aussi séjourner en Ehpad de façon temporaire ou séquentielle, pour permettre à l'aidant de souffler. Quant aux personnes qui ont le plus besoin de soins, peut-être faudrait-il les rattacher au milieu hospitalier ?
M. Christophe Le Dorven, président du conseil départemental d'Eure-et-Loir . - Je vous remercie pour votre invitation. Il est toujours appréciable que la représentation nationale s'intéresse aux territoires, et je sais que le Sénat y attache une importance particulière.
L'Eure-et-Loir est un département très peu peuplé - vous connaissez peut-être la Beauce et ses grandes plaines... Mais le problème du vieillissement y est caractérisé : sur 430 000 habitants, 114 800 ont plus de 60 ans et 41 200 plus de 75 ans. Nos 43 Ehpad hébergent 4 186 personnes, dont environ les deux tiers à l'aide sociale.
Notre maillage territorial des Ehpad, calqué sur la carte des anciens cantons, est le fruit de la vision humaniste d'un de mes prédécesseurs, votre ancien collègue Martial Taugourdeau.
Sur ces établissements, 32 sont habilités à l'aide sociale, un est associatif et 10 sont privés à but lucratif, dont un seul du groupe Orpea. Ce groupe a vendu un autre établissement, qui n'était pas en milieu urbain. De fait, les groupes privés s'intéressent d'abord aux villes et, sans les collectivités territoriales, il n'y aurait plus rien à la campagne.
Si je voulais faire sourire M. Siffredi, je dirais que le budget social de son département est supérieur au budget total du mien... Sur un peu plus de 500 millions d'euros, nous consacrons 50 millions d'euros aux personnes âgées, dont 10 millions d'euros pour l'aide sociale à l'hébergement et 16,5 millions d'euros pour l'APA.
Le prix de journée moyen est de 58 euros. Dans les Hauts-de-Seine, pas sûr qu'un Ehpad privé fasse son beurre à ce tarif...
Dans une société où l'individualisme est grandissant, les valeurs familiales se délitent. La société évolue, la solidarité aussi. Depuis neuf mois que je suis président, je considère la solidarité envers les aînés comme une nécessité absolue, un devoir moral et une priorité. Nous le devons aussi aux familles - quand elles existent.
Dans cet esprit, j'ai lancé un plan pour le bien-vieillir, destiné principalement au milieu rural.
Il s'agit notamment de favoriser de nouvelles formes d'habitat, intermédiaires entre l'habitation historique et l'Ehpad, où l'on entre de plus en plus vieux et de plus en plus dépendant. Nous devons traiter la période de transition pendant laquelle les personnes, sans subir une perte majeure d'autonomie, ne peuvent plus rester à leur domicile.
L'Ehpad doit devenir une plateforme de services de proximité. Il faut aussi des plateformes pour l'aide à domicile.
Seulement voilà : comme il a déjà été souligné, nous manquons cruellement de personnel dans les établissements médico-sociaux, mais aussi dans les associations et les sociétés d'aide à domicile.
Si nous ne faisons pas un effort en matière de formation, d'attractivité, de rémunération et de conditions de travail, nous n'y arriverons pas. Car le pire est à venir en matière de vieillissement et de dépendance.
J'en viens à la question des contrôles. Un Ehpad d'Eure-et-Loir, qui a été repris par Orpea, est cité dans le livre Les Fossoyeurs . Depuis 2018, le conseil départemental a lancé un contrôle systématique de tous les Ehpad. Il n'en est pas ressorti de problème majeur dans la gestion de la dépendance. J'ai demandé à ce qu'on poursuive cet effort, y compris pour ce qui concerne les établissements accueillant des personnes handicapées et les établissements accueillant des enfants de l'aide sociale.
En effet, ce que vous avez pu lire dans Les Fossoyeurs , vous pourriez également le lire pour ce qui concerne des établissements de l'aide sociale à l'enfance (ASE). En tant que présidents de département, nous pourrions avoir honte de placer des enfants dans certains établissements.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous avons déjà rencontré le représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF), pour évoquer l'autonomie des personnes âgées. Toutefois, nous le savons, chaque département a une politique particulière, vous venez d'ailleurs d'en témoigner.
Je le rappelle, ce livre a eu un intérêt considérable, en soulevant un problème que nous n'avions pas envisagé auparavant, celui des établissements privés à but lucratif, pour lesquels les contrôles sont souvent inopérants, dans la mesure où il faudrait contrôler la totalité du groupe.
Ainsi, Orpea s'était organisé pour que tout remonte au niveau régional, voire au niveau national. Le rapport IGAS-IGF a permis de dévoiler, au niveau des groupes, des dysfonctionnements, voire des malversations.
Le livre a également révélé le fait que l'État et les départements ne consacrent pas suffisamment d'argent aux personnes âgées. Nous attendons tous une loi sur l'autonomie, qui aurait dû arriver depuis de très nombreuses années. Elle devra donner aux établissements des moyens suffisants pour fonctionner correctement.
Qu'il s'agisse du livre de Victor Castanet ou du rapport de l'IGAS et de l'IGF, on observe certaines constantes. Par ailleurs, le nouveau président directeur général d'Orpea, M. Charrier, a mis en place des audits indépendants, qui témoignent des mêmes dérives. L'enquête judiciaire est en cours, mais il me semble que l'on peut d'ores et déjà parler de malversations, auxquelles il convient de mettre fin.
Vous avez évoqué la difficulté à harmoniser les contrôles. Certains ont évoqué des contrôles communs, d'autres, des contrôles successifs. Il s'agit aujourd'hui de savoir qui contrôle, comment on contrôle et ce qu'on contrôle.
Il y a le contrôle de la qualité de l'accueil des personnes âgées, le contrôle du personnel, le contrôle exercé par le département, celui des ARS, et le contrôle de la réalité des états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD). Par ailleurs, certains agents relèvent à la fois du département et du budget soins.
Ma première question concernera donc l'organisation de la gouvernance, sujet sur lequel notre mission d'information devra trancher. Sans doute une gouvernance unique simplifierait-elle beaucoup les contrôles et la mise en place des budgets par les directeurs d'établissement.
Dans un précédent rapport, nous avions proposé de mener une expérimentation dans le cadre de laquelle cinq départements se chargeraient de toute la gouvernance, tandis que cinq ARS feraient la même chose sur d'autres territoires.
Régler ce problème de gouvernance permettra d'éviter un certain nombre des dérives constatées.
Les questions sont nombreuses et je souhaite que vous puissiez détailler vos réponses par écrit, car nous n'aurons pas le temps de tout évoquer ce soir. Je souhaiterais toutefois que vous puissiez nous dire ce que vous pensez des failles observées, en matière de contrôle, pour ce qui concerne les établissements privés à but lucratif, qu'il s'agisse des départements ou des ARS.
Pour ce qui concerne les personnels, il faut absolument trouver des ratios et des référentiels. Récemment, la HAS a publié un référentiel que nous devrons réussir à rendre opposable.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Les questions vous ont été envoyées par écrit, et nous comptons, comme vient de le dire mon collègue, sur vos réponses écrites.
Vous avez, messieurs les présidents, une bonne connaissance de la population de votre territoire, notamment de celles et ceux qui sont accueillis en Ehpad. Selon vous, en matière de connaissance de la population - je pense aux résidents, mais aussi aux professionnels -, qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?
En matière de démocratie sanitaire, il existe dans chaque établissement un outil, à savoir le conseil de la vie sociale, dont la création remonte à 2002. Sans doute cet instrument n'est-il pas forcément opérant. Avez-vous des recommandations concrètes à formuler en matière de vie sociale et de remontées pour le bien-être des personnes accueillies et des professionnels ? C'est un peu en tant que lanceur d'alerte que je souhaite vous entendre. Ainsi Mme Bourguignon a-t-elle proposé, me semble-t-il, que des élus siègent aux conseils de vie sociale.
Par ailleurs, avez-vous eu à connaître de transferts d'exploitation d'établissement ? On le sait, ces transferts existent et contribuent à renforcer considérablement le nombre des établissements privés à but lucratif.
Messieurs Gleyze et Ménard, puisque vos départements appartiennent, au sein de l'ADF, à l'Association des départements solidaires, avez-vous des préconisations particulières à formuler ?
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Permettez-moi de compléter ma question relative à la gouvernance.
Le point GIR (groupe iso-ressources), qui correspond au niveau de perte d'autonomie, est très différent d'un département à l'autre. Seriez-vous prêts, demain, à harmoniser ce point GIR, afin que chacun puisse recevoir la même aide, qu'il s'agisse de la dépendance ou de la médicalisation ?
M. Christophe Le Dorven . - Le point GIR vient d'être augmenté de 9,4 %. C'est dire à quel point nous avons conscience de la nécessité d'une harmonisation. Nous aimerions pouvoir financer l'aide à l'autonomie comme le font nos voisins des Yvelines ou de l'Essonne. Toutefois, notre budget n'est pas extensible en la matière. Pour les territoires les plus ruraux ou, en tout cas, les moins peuplés, l'effort serait plus important que pour les départements plus métropolitains.
S'agissant de la gouvernance, vous avez tout à fait raison. Nous menons le plus grand nombre possible d'actions avec l'ARS, du moins avec le directeur territorial. Mais les relations se grippent au niveau du directeur général.
Si nous avions la possibilité d'exercer la gouvernance, les contrôles devraient être menés, avec l'ARS, par le territoire et non pas depuis la ville préfecture de région. En effet, les services déconcentrés n'ont pas les mêmes préoccupations que nous. Néanmoins, je le répète, nous travaillons vraiment ensemble.
S'agissant des conseils de la vie sociale (CVS), peut-être vais-je vous choquer, mais je dirai que, si un directeur d'établissement souhaite que le CVS ne serve pas à grand-chose, celui-ci ne sert pas à grand-chose. Les familles des pensionnaires sont généralement assez dociles. Le CVS ne constitue pas forcément la structure la plus opérante.
M. Georges Siffredi . - S'agissant des contrôles, la réponse à votre question dépend aussi d'une certaine vision : convient-il de centraliser ou de décentraliser ? Pour ma part, je prône plutôt la décentralisation.
Au-delà de cette question, il convient de nous mettre d'accord sur un référentiel. Par ailleurs, pour avoir une vision globale du groupe et, donc, d'éventuelles marges arrières, il faut une instance supérieure.
Vous proposez d'expérimenter plusieurs types de gouvernance. Le département des Hauts-de-Seine est prêt à mener une telle expérimentation. Nous avons d'ores et déjà élaboré un référentiel comportant trois séries de contrôle.
Concernant les CVS, il faudrait réussir à les développer. Pour autant, même s'il paraît séduisant d'y faire siéger un élu, cela me paraît difficile concrètement. Ainsi, dans mon département, nous avons 108 Ehpad. Comment le vice-président ou le conseiller délégué pourrait-il siéger au CVS de chacun de ces établissements ?
L'important, selon moi, c'est que le CVS devienne un vrai lieu d'échanges et de vie, avec de vrais comptes rendus et de vraies remontées. Or, aujourd'hui, on a le sentiment que les familles y sont sous-représentées et s'y expriment peu.
Il s'agit d'un point important, qui est lié non seulement au contrôle de l'établissement, mais aussi à l'aspect qualitatif de la vie de l'établissement. Dans mon département, le nombre d'appels au 3977 était très faible. Depuis la sortie du livre, ils ont considérablement augmenté.
Sur la question du transfert d'établissements, ce sont les groupes privés associatifs qui ont tendance, depuis une dizaine d'années, à reprendre l'exploitation de petits établissements.
Faut-il harmoniser le point GIR ? Il faudrait déjà réussir, au sein d'un département, à opérer une harmonisation entre les différents établissements. Depuis 2015, nous oeuvrons en ce sens, malgré les difficultés que nous rencontrons. Pour autant, nous revalorisons chaque année le point GIR de 0,5 %.
M. Jean-Luc Gleyze . - Je répondrai à vos questions en m'efforçant de les mettre en perspective.
Les constats sont les suivants : les outils de contrôle sont insuffisants et nous n'avons pas de vision sur la section hébergement des établissements privés à but lucratif.
Les réponses actionnables sont trop binaires. En effet, il n'est pas possible de fermer les Ehpad ni de placer sous administration provisoire les établissements privés à but lucratif.
Je souhaite également insister sur la déconnexion entre les outils conventionnels, notamment les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, les CPOM, que l'on pourrait appeler les CPO, car il s'agit plutôt de contrats pluriannuels d'objectifs et non pas de moyens, et les financements, ce qui prive les autorités de tutelle d'une capacité de négociation, mais aussi de coercition, en cas de non-respect des termes de la convention.
Si les CPOM ont la vertu de créer un lieu d'échange tripartite, ils n'ont pas permis de mettre en place des outils de pilotage de la qualité au regard des financements.
Les dotations financières sont uniquement assises, vous l'avez dit, sur le niveau moyen de dépendance, qui est un élément évidemment important, mais empêche de tenir compte du statut du gestionnaire, du contexte territorial urbain ou rural et de la politique qui peut être menée dans l'établissement, notamment en matière d'innovation. Aujourd'hui, les innovations intéressantes sont uniquement appréhendées sous l'angle des appels à manifestation d'intérêt.
Depuis la loi ASV, la loi d'adaptation de la société au vieillissement, la disparition de la notion de ratios d'encadrement constitue un fait majeur. Pourtant, ce devrait être une condition essentielle de la prise en charge qualitative, qui est liée à la question des moyens.
Il manque aussi une politique d'évaluation de la qualité. Celle-ci repose aujourd'hui sur des outils perfectibles. Des évaluations externes relèvent d'un nouveau référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS), mais l'obligation faite aux établissements de mener les enquêtes de satisfaction en interne les laisse tout de même relativement libres des modalités de mise en oeuvre, ce qui peut créer un doute sur la neutralité du recueil de la parole des usagers.
Les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l'ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares, même si elles sont aujourd'hui en augmentation. Nous observons une grande difficulté à recouper les informations pour analyser correctement les signaux faibles.
Pour ce qui concerne la gouvernance et les contrôles, les vécus sont différents selon les départements. Or ces derniers devraient enrichir l'animation de la politique publique, notamment en s'appuyant sur leur connaissance des territoires et des parcours des personnes.
En se fondant sur ces constats, pourquoi ne pas imaginer un traitement différencié des Ehpad, selon le type de gestionnaire et le contexte dans lequel ils s'inscrivent ? Dans une telle perspective, il faudrait rendre possible une modulation des financements fondamentaux, au-delà de la seule question du niveau de dépendance moyen, pour créer des incitations à l'innovation, au partenariat avec les acteurs locaux, à l'Ehpad hors les murs, à la porosité entre l'Ehpad et le monde extérieur et à la mise en place de politiques de prévention, par exemple un système de bonus-malus. Surtout, il faudrait que les CPOM deviennent de véritables cadres de négociation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
J'en viens au GIR. Certes, on peut toujours définir un certain nombre d'indicateurs constituant un cadre d'évaluation. Je pense notamment au rapport soignants-résidents, à la présence d'infirmiers de nuit et d'un médecin coordinateur. En revanche, ces indicateurs ne font pas référence à la place donnée aux aînés, au projet d'établissement, aux relations avec la famille et l'environnement immédiat, ni aux ressources en santé du territoire, autrement dit aux leviers susceptibles de garantir une prise en charge plus qualitative.
Pilotage des ressources ne signifie pas qualité et respect du projet d'accompagnement. Il faut un pilotage de l'humain par l'humain. Permettez-moi de vous donner un exemple extrêmement concret. La grille GIR, c'est le constat de l'accompagnement à la perte d'autonomie, donc de la dépendance. On pourrait inverser cette grille et l'énoncer en termes de garantie, le plus longtemps possible, du maintien de l'autonomie.
La méthode dite SMAF, ou système de mesure de l'autonomie fonctionnelle, a été mise en oeuvre au Canada et en Dordogne. C'est un instrument d'évaluation de l'autonomie, qui prévoit 29 fonctions recouvrant les activités quotidiennes. Il permet d'estimer le temps de soins requis par un groupe d'individus hébergés.
J'ai eu l'occasion d'aller en Dordogne pour m'instruire sur le sujet. La grille est utilisable par l'ensemble des personnes présentes dans l'Ehpad, y compris par l'agent d'entretien, qui peut en faire un outil d'approche, d'évaluation et de compréhension de l'évolution de l'état de la personne âgée. C'est un outil précieux pour un gestionnaire parce qu'il permet d'adapter les besoins en personnels, en fonction des besoins réels et évolutifs des résidents. Il permet de créer 14 profils iso-SMAF, pour harmoniser les pratiques sur des groupes identifiés. L'un des avantages se situe au niveau du financement des structures, la méthode permettant de concilier efficacement les besoins des acteurs du système et d'allouer judicieusement les ressources humaines. Elle redonne du sens, en permettant de travailler sur l'autonomie et non plus sur la dépendance.
Pour ce qui concerne les outils de contrôle, il faut rendre possible, dans la mesure où la fermeture d'établissement constitue une vraie difficulté, l'équivalent de l'administration provisoire dans le secteur lucratif, en installant une autorité de contrôle nationale, qui soit capable de contrôler les sièges des établissements et de consolider les informations financières. Il convient ainsi de faciliter le recours au contrôle des établissements par les chambres régionales des comptes. Nous devons rester fidèles au principe de confiance aux partenaires, consubstantiel à la loi ASV, tout en musclant les leviers financiers et coercitifs.
Je propose aussi de mettre en place des modalités d'évaluation de la qualité reposant sur le recueil de la parole des usagers, en favorisant la liberté de parole, éventuellement par le biais d'un organe national indépendant. La parole doit être recueillie après la prise en charge de la personne. En effet, les familles ont parfois des difficultés à exprimer la réalité de ce qu'elles constatent, parce qu'elles ne veulent pas se trouver en difficulté et devoir placer ailleurs leur aîné.
Nous devons également mettre en place un outil de recueil intégré des informations de maltraitance et de négligence. Nous avons, en Gironde, un outil qui s'appelle la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), pour la protection de l'enfance.
S'agissant de nos relations avec les ARS, nous pouvons sans doute imaginer certaines évolutions. Ainsi, il convient de créer un comité de coordination des acteurs oeuvrant au recueil des signalements. Nous devons consolider une porte d'entrée unique en la matière, en nous appuyant sur une plateforme numérique de signalement gérée par l'ensemble des acteurs. À cet égard, nous faisons appel à l'aide de l'État, pour expérimenter une telle plateforme.
Nous imaginons aussi une commission conjointe des plaintes et des signalements. Nous sommes d'accord avec l'ARS pour faire évoluer le champ stratégique, en privilégiant les situations les plus graves et sensibles, pour construire un plan de contrôle.
Peut-être cette commission répond-elle à la question de la gouvernance. Plus qu'une gouvernance unique, c'est la manière dont nous pratiquons la collaboration et le partenariat entre l'ARS et le département qui nous permet de garantir, de façon intégrée, la gouvernance la plus efficiente possible, notamment pour ce qui concerne les contrôles. L'appui de l'État central serait le bienvenu dans ce cadre.
Nous avons amorcé avec l'ARS un plan de contrôle partagé, afin de recueillir les signaux faibles et plus forts et d'intervenir plus rapidement, notamment en mettant en place une administration provisoire, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas possible.
M. Michel Ménard . - Madame la rapporteure, l'association des départements solidaires a été créée pour expérimenter, innover et partager des expériences, particulièrement dans le champ de l'innovation sociale. Nous travaillons notamment sur les questions de l'habitat inclusif, des villages seniors, des résidences autonomie et des résidences sociales.
S'agissant de l'autonomie, faut-il renforcer les départements dans leurs compétences ? Ma réponse est oui. À mes yeux, il n'est désormais plus nécessaire de confirmer l'intérêt de la décentralisation, et j'appelle d'ailleurs à franchir une nouvelle étape en ce sens, et pas simplement pour ce qui concerne les personnes âgées. Il y a une tentation permanente de l'État de recentraliser face à certaines difficultés. Voilà peu, une proposition de loi visant à recentraliser la protection de l'enfance a été déposée.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Par M. Iacovelli, qui est membre de notre commission.
M. Michel Ménard . - Je pense que ce n'est pas une bonne idée. La responsabilité de l'État est totale pour ce qui concerne l'hôpital. Que les services centralisés améliorent les conditions d'accueil à l'hôpital avant de s'interroger sur la recentralisation de la prise en charge des personnes âgées !
Il ne s'agit pas de critiquer l'ARS, avec qui nous avons des relations de confiance. Nous constatons simplement que, si nous faisons quatre contrôles conjoints dans l'année, c'est parce que l'ARS nous dit ne pas avoir les moyens d'en faire plus. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai souhaité que nous menions unilatéralement des contrôles flash allégés et inopinés, afin d'envoyer aux gestionnaires d'établissement le message suivant : vous pouvez être contrôlés à tout moment.
Après la sortie du livre de M. Castanet, nous avons reçu les directeurs des cinq établissements Orpea de notre département. Ils étaient d'accompagnés de la directrice régionale, et nous avons eu le sentiment que la parole était assez encadrée.
L'État a un vrai rôle à jouer concernant le contrôle financier de ces groupes, et les services fiscaux pourraient se saisir de cette question, qui ne relève pas de nos compétences.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il faut effectivement une connaissance précise du groupe, à tous les niveaux. Il ne s'agit pas uniquement des remises de fin d'année (RFA) !
M. Michel Ménard . - Sur les transferts d'établissement, je sais qu'un établissement de Nantes a été transféré au groupe Korian.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Il s'agit surtout de savoir s'il s'agit d'une stratégie de la part de ces groupes...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous avons reçu la liste de tous les établissements transférés depuis dix ans ou quinze ans. Il y en a énormément !
M. Michel Ménard . - Nous n'en sommes pas informés, puisqu'aucune autorisation n'est nécessaire dans ce cadre. Sans doute y a-t-il là matière à agir au niveau législatif.
Comme mes collègues, je suis pour une vraie loi « grand âge » visant à octroyer les moyens financiers, et donc humains. En effet, même s'il existe des difficultés de recrutement, des moyens financiers élargis amélioreraient grandement les choses, en rendant les métiers plus attractifs. Il s'agit là d'une responsabilité nationale.
Quant aux départements, ils doivent pouvoir assurer entièrement leurs responsabilités, qu'il s'agisse des personnes âgées, des personnes en situation de handicap ou de la protection de l'enfance.
Mme Élisabeth Doineau . - La question de la gouvernance a été soulevée au Sénat dans le cadre du rapport de la Cour des comptes, qui avait été commandé par la commission des affaires sociales. L'augmentation du GIR moyen pondéré (GMP) nous montre que les personnes âgées accueillies en Ehpad ont désormais des pathologies très lourdes, le domaine sanitaire semblant prendre le pas sur le domaine médico-social, ce qui conduirait à confier la prise en charge aux ARS.
Néanmoins, j'entends bien votre désir de conserver dans le giron des départements cette compétence. En tant que conseillère départementale depuis vingt ans, c'est une politique qui me tient également à coeur.
Une expérimentation paraît donc nécessaire. Quoi qu'il en soit, relisez ce rapport de la Cour des comptes, car il me paraît important de tenir compte de son constat et de son analyse.
L'ADF a-t-elle fait une enquête sur le nombre de départements ayant lancé des CPOM ? Combien d'Ehpad sont-ils couverts par des CPOM dans vos départements respectifs ? Il s'agit en effet d'un cadre de négociation important.
J'avais suggéré au président de mon département de se lancer dans les démarches qualité. Nous le faisions depuis très longtemps pour le réseau Habitat Jeunes, avec les démarches RSO et le recueil des parties prenantes, donc des usagers, qui ont véritablement permis d'apporter une plus-value.
Le nombre de CPOM signés dans l'ensemble de nos départements serait intéressant à connaître. Ces contrats témoignent en effet d'un engagement et d'une culture de partage.
M. Christophe Le Dorven . - S'agissant des CPOM, seulement un tiers des établissements sont concernés en Eure-et-Loir.
J'évoquais tout à l'heure l'audit généralisé de l'ensemble des établissements d'Eure-et-Loir réalisé en 2018 et 2019. Or c'est sur la base de ce que nous avions constaté que ces CPOM ont été construits, et c'est essentiel à mes yeux.
Vous vous interrogez en effet, madame la sénatrice, sur un CPOM type. Certes, un document homogène, quel que soit le département et l'établissement, paraît nécessaire pour que l'ARS puisse s'y retrouver. Malgré tout, il faut vraiment tenir compte de la vie de chaque établissement. Je distinguais tout à l'heure les Ehpad ruraux des Ehpad urbains, et les contrats doivent tenir compte de la situation territoriale de chaque établissement.
M. Georges Siffredi . - Ne soyons pas trop sévères ! En 2022, nous arrivons à la fin des premiers contrats, qui ont débuté voilà cinq ans. En outre, la crise du covid est venue compliquer la situation pendant deux ans. Cherchons à améliorer la deuxième génération de contrats ! Dans mon département, l'ARS Île-de-France bâtit l'essentiel du CPOM.
Vous avez évoqué, madame la sénatrice, une médicalisation de plus en plus grande faisant davantage appel aux compétences de l'ARS. La partie « santé » doit-elle être rattachée à un hôpital ? Les Ehpad doivent-ils rester des lieux de fin de vie ou bien convient-il de réfléchir à l'Ehpad de demain, plus intégré, avec du qualitatif et de la vie, ouvert sur l'extérieur ?
Les Ehpad ne doivent-ils plus accueillir que des gens de quatre-vingt-quinze ans en fin de vie ? Je rappelle à cet égard que nous développons énormément le maintien à domicile. Pour ma part, je ne vois pas l'Ehpad de demain de cette manière. Il convient donc que les établissements continuent de relever de la compétence départementale.
M. Jean-Luc Gleyze . - Je tiens à rassurer mon collègue de Loire-Atlantique, je reste fondamentalement girondin. S'agissant des expérimentations proposées, vous aurez plus de candidats pour la place de pilote départemental que pour celle de pilote ARS !
Le CPOM est considéré davantage comme un outil de gestion financière et budgétaire que comme un outil stratégique de pilotage par la qualité.
Je pourrai vous communiquer le chiffre du nombre de CPOM signés en Gironde. Quoi qu'il en soit, nous avons un diagnostic partagé des fiches actions. Nous avons travaillé avec l'ARS Nouvelle-Aquitaine dans ce cadre. Il existe une forme de standardisation des CPOM, avec un cadre référencé et normalisé. Pour autant, les fiches actions sont personnalisables.
Pour faire du CPOM un outil utile, il faut un bon diagnostic, fondé sur l'offre existante du territoire et la réalité des besoins actuels et émergents. Un CPOM doit traduire concrètement les orientations politiques déclinées dans le schéma départemental et constituer, je l'ai dit précédemment, une forme de contrat de confiance fondé sur le dialogue entre la collectivité, l'ARS et les partenaires. Il peut donc être propice à l'innovation sociale. Un certain nombre d'établissements sont volontaires.
En Gironde, nous avons beaucoup évolué en matière d'habitat partagé et d'habitat inclusif. Par ailleurs, nous expérimentons des CPOM territorialisés, qui s'intéressent au parcours de vie des personnes âgées. L'idée est de mettre autour de la table, notamment, l'ARS, le centre hospitalier local, les centres locaux d'information et coordination (CLIC), les méthodes d'action pour l'intégration des services d'aide et de soin dans le champ de l'autonomie (MAIA), les services publics et privés d'aide à domicile, la MSA, la CAF. Cela permet à chacun d'apprendre à se connaître, tout en induisant un certain nombre de réflexes dans la prise en charge du parcours. Qui téléphone à qui ? Qui prend en charge ? Comment les choses se passent-elles durant le week-end ? Il s'agit de garantir une fluidité dans la continuité du parcours.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre des CPOM territorialisés, les directeurs des établissements sont-ils associés ?
M. Jean-Luc Gleyze . - Jusqu'à présent, nous sommes restés sur le sujet de l'aide à domicile. Toutefois, on peut imaginer, dans le cadre des parcours amont et aval, des séjours en Ehpad.
M. Michel Ménard . - Madame la sénatrice de la Mayenne, en Loire-Atlantique, 72 % des Ehpad ont signé un CPOM. Par ailleurs, pour 12 % d'entre eux, le CPOM est en cours de rédaction.
La négociation des CPOM est précédée d'une réévaluation du GIR moyen pondéré.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le contrôle des établissements doit s'accompagner d'un contrôle financier. C'est là que nous avons péché, en ne voyant pas les failles du système.
Il nous faut parvenir à contrôler au niveau local ces groupes privés associatifs ou à but lucratif, y compris pour ce qui concerne les prix d'hébergement. À l'heure actuelle, le secret des affaires nous empêche de le faire. Dites-nous comment vous envisagez des contrôles sur l'hébergement ou la réalité de la présence du personnel. En effet, Orpea n'est pas seul en cause. De nombreux autres groupes fonctionnent de la même manière.
Nous devrions rendre notre rapport en juin. Il traitera des différentes manières de renforcer le contrôle et incitera très certainement à l'application d'une loi « grand âge ».
M. Georges Siffredi . - Il faut un référentiel comptable !
Mme Catherine Deroche , présidente . - On parle souvent des familles, mais certains résidents sont souvent considérés - pour leur bien ! - comme des objets plus que comme des sujets à part entière.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Si vous le permettez, madame la présidente, j'ai envie de mettre en avant le mot de « confiance », qui a été utilisé plusieurs fois sur ce sujet. La confiance, toutefois, n'exclut pas le contrôle.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie, messieurs les présidents, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de votre participation à cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition d'anciens dirigeants du groupe Orpea
(Mardi 24 mai 2022)
Audition de M. Yves Le Masne,
ancien directeur
général du groupe Orpea
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons cet après-midi M. Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea.
M. Le Masne a souhaité être accompagné d'un de ses avocats, ce que j'ai accepté. Maître Christian Saint Palais assiste donc à cette audition.
J'indique que celle-ci fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que notre commission a constitué cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs, qui pointe notamment la difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.
Plus largement, nous nous interrogeons sur le modèle mis en place par la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui repose sur la souplesse et la confiance, et son adéquation aux réalités du marché.
Je rappelle, puisque des craintes ont été exprimées à cet égard par les conseils de M. Le Masne dans une lettre qu'ils m'ont adressée, que notre commission n'est pas un tribunal, et qu'il ne s'agit pas pour nous de rechercher des responsabilités individuelles, mais de comprendre ce qu'il s'est passé afin d'en tirer des préconisations de politiques publiques.
Je me réjouis que M. Le Masne, tout en ayant à coeur la préoccupation légitime de sa défense dans d'autres enceintes, « entende répondre aux interrogations légitimes de la représentation nationale ».
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yves Le Masne prête serment.
M. Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpea . - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais l'importance de vos travaux et la nécessité de mener une réflexion commune sur l'amélioration de l'accueil des résidents en Ephad et le contrôle par les pouvoirs publics des financements apportés par l'État. Ces questions sont légitimes, et nous devons des réponses, notamment aux familles et aux résidents.
Le groupe Orpea, que j'ai dirigé de 2011 à 2021, a certainement pu commettre des erreurs dont je m'excuse. Je souhaite toutefois préciser d'emblée que nous avons tous eu à coeur, au sein du groupe, de répondre au mieux aux besoins des résidents et de leurs familles.
La qualité de service aux résidents a été une préoccupation permanente pour moi. Je n'ai jamais donné d'ordre, que ce soit par mail, à l'oral ou par tout autre canal, visant à réduire les services ou les prestations auprès des résidents ou les coûts.
L'environnement du résident, les soins, l'aide à la dépendance et la partie hôtelière constituent à mes yeux un sanctuaire. Ma ligne a toujours consisté à considérer la qualité avant le financier - c'est aussi ce qui fait la réputation de chacun de nos établissements. Le mot « rationnement » m'est absolument étranger.
Avant de répondre à vos questions, je souhaite vous indiquer que depuis ma révocation mon état de santé s'est beaucoup dégradé, et que je prends des médicaments qui sont susceptibles d'altérer ma mémoire et parfois mon élocution. Je vous prie par avance de bien vouloir m'en excuser.
Si je vous parle de mémoire, c'est parce que je ne suis plus dans le groupe depuis presque quatre mois et, surtout, parce que j'étais directeur général du groupe depuis 2011, et que les sujets propres à la France étaient délégués auprès des directions concernées. Depuis 2015, nous avons adopté une organisation par zones géographiques, chacune étant placée sous l'autorité d'une équipe de dirigeants.
En ce qui concerne la France, il existait plusieurs divisions par type d'activité - Ehpad, cliniques de soins de suite, cliniques psychiatriques, domicile - qui ont été fusionnées en 2021 afin de créer une seule zone géographique multi-activités. Mes relations avec l'activité en France passaient par l'intermédiaire des dirigeants de cette zone géographique afin de ne pas interférer avec les responsabilités des collaborateurs. Dans un groupe international, tout ne peut être traité par le directeur général, qui doit faire confiance à ses collaborateurs et à ses équipes dédiées.
Orpea est en effet un groupe international présent dans vingt-trois pays. Lors de mes nombreux déplacements à l'étranger, l'une de mes principales tâches fut de développer le groupe, y compris dans des pays dépourvus de toute réglementation dans ce secteur.
En France, les maisons de retraite représentent un peu plus du quart du chiffre d'affaires du groupe.
Depuis de nombreuses années, mon rôle consiste à manager un peu plus d'une quinzaine de personnes : les dirigeants de chaque zone géographique, et une équipe d'experts corporate située au siège, à Puteaux.
En conséquence, les éléments de réponse que je vais essayer de vous apporter remontent à de nombreuses années, et je ne puis vous assurer de leur totale exhaustivité. Je précise que les chiffres que je vous fournirai sont parfois approximatifs puisque je ne dispose plus d'aucune donnée du groupe depuis plusieurs mois.
Pour vous répondre, je me suis surtout appuyé sur le rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et sur le pré-rapport Grant Thornton, ainsi que sur différentes auditions devant les assemblées parlementaires.
Je souhaite terminer cette présentation par un hommage aux salariés du groupe qui traversent cette période très délicate avec courage et dévouement, juste après une crise sanitaire qui les avait déjà largement éprouvés. Je puis vous assurer que sur le terrain, l'humain, le professionnalisme, l'humilité et la bienveillance sont le quotidien de chacun. Je pense également aux familles qui continuent à faire confiance au groupe pour la prise en charge de leurs proches.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le rapport IGF-Igas, mais aussi le pré-rapport de l'audit indépendant confirment la plupart des éléments pointés dans Les Fossoyeurs.
Nous n'entendons nullement interférer avec le volet judiciaire, mais dans le cadre du contrôle, nous avons un certain nombre de questions relatives à l'organisation que vous aviez mise en place avec M. Marian, et dont, en tant que directeur général, vous êtes directement responsable.
Je vous demanderai de bien vouloir répondre précisément par écrit aux questions que nous vous avons adressées en amont de cette réunion, en complément des éléments de réponse que vous nous donnerez aujourd'hui.
Durant votre passage à la direction générale du groupe, comment décririez-vous, factuellement, la stratégie du groupe pour développer son offre en France ? Quelle a été la part de création de places, de rachat de places dans le privé lucratif ou non lucratif et dans le public ? Je ne vous demande pas de répondre précisément tout de suite, mais j'attends une réponse écrite.
Lors de votre audition devant l'Assemblée nationale vous sembliez indiquer que les marges de profitabilité du groupe se trouvaient dans la propriété du parc immobilier. Pourriez-vous développer ce point ?
M. Yves Le Masne . - Permettez-moi tout d'abord de préciser que depuis que je suis dans le groupe, nous avons repris très peu d'établissements associatifs et pratiquement aucun établissement public.
Dans un établissement classique, le résultat brut d'exploitation est de l'ordre de 20 % à 30 %. Ce qui a fait l'originalité d'Orpea, c'est d'essayer d'avoir les loyers les plus bas possible tout en étant le mieux placé possible. En effet, nous nous sommes efforcés de construire nous-mêmes nos immeubles, ce qui permet d'économiser les coûts de promotion immobilière, qui représentent 10 % à 20 % du coût d'une construction classique. Dans la moitié des cas, nous conservons la pleine propriété des immeubles de manière à ne pas payer de loyer. Avant loyer, les différents acteurs de notre secteur ont à peu près la même profitabilité que nous, mais comme nous économisons les loyers, notre profitabilité après loyer est meilleure.
Par ailleurs, aucune nouvelle autorisation n'étant octroyée depuis quelques années, nous avons développé notre activité de résidence de services. Or dans ce secteur également, la situation géographique et la stratégie immobilière sont fondamentales.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous avez indiqué que très peu d'établissements avaient été rachetés...
M. Yves Le Masne . - J'ai dit que nous avions racheté très peu d'établissements associatifs - moins d'une dizaine. En revanche, entre 2000 et 2015, 170 établissements, très majoritairement privés, ont été rachetés.
Par ailleurs, il est très difficile d'estimer la part des établissements véritablement créés, car nous avons souvent acquis de petits sites que nous avons regroupés ou étendus. Nous avons aussi racheté des autorisations.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pourquoi a-t-il été mis fin à vos fonctions ? Quelle est la forme juridique de cette séparation ? Quel est le montant des indemnités qui vous ont été versées à cette occasion et sur quelle base juridique ?
M. Yves Le Masne . - Dans les jours qui ont suivi la parution de ce livre qui nous a tous surpris, nous étions sous le choc psychologique de l'emballement médiatique qui en a résulté. J'ai été hospitalisé le dimanche 30 janvier et, le soir même, le président m'a téléphoné pour m'indiquer que le conseil venait de mettre un terme définitif à mon mandat. Il n'a pas indiqué de motif. Indisponible pour raisons médicales, j'étais temporairement dans l'impossibilité de diriger le groupe dans ces jours extrêmement importants.
Je pense que la décision du conseil a été prise au regard de la déflagration médiatique et de la nécessité de donner une réponse franche et directe. Je faisais partie du triumvirat qui avait dirigé le groupe plusieurs années, et sans doute fallait-il passer à autre chose. Le statut de mandataire qui était le mien en tant que directeur général prévoit qu'il peut être mis fin aux fonctions à tout moment ad nutum , c'est-à-dire sans justification ni préavis.
À ce jour, aucune indemnité ne m'a été versée. Celle-ci pourrait s'élever au maximum à deux ans de salaire primes comprises, c'est-à-dire, dans mon cas, à 2,5 millions d'euros brut.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le 9 mars dernier, vous avez indiqué devant l'Assemblée nationale que l'ouvrage Les Fossoyeurs est en complet décalage avec la réalité d'Orpea. Maintenez-vous cette une déclaration après la publication du rapport IGF-Igas et du point d'étape de la mission d'évaluation indépendante commandée par le groupe Orpea ?
M. Yves Le Masne . - Oui, je la maintiens. Si l'ouvrage pointe des défaillances inadmissibles, j'en conviens, il extrapole en en faisant une règle générale, un « système », ce que ne démontrent ni le rapport IGF-Igas ni le pré-rapport Grant Thornton.
Au-delà des valeurs humaines et de bientraitance qui sont primordiales à mes yeux, même si je conviens que cela soit difficile à entendre aujourd'hui, permettez-moi de revenir sur trois accusations précises : le rationnement de protections hygiéniques, le rationnement alimentaire et le manque d'autonomie les directeurs dans le recrutement.
Sur le premier point, les deux rapports montrent que s'il y a eu parfois des manques ponctuels de protections hygiéniques, il n'y a pas eu de rationnement.
S'agissant du rationnement alimentaire, dans le cadre des échanges avec l'IGF et l'Igas, Orpea a indiqué que le responsable nutrition suit la base de données de référence de la composition nutritionnelle des aliments, et le pré-rapport Grant Thornton indique clairement qu'il n'y a pas de rationnement alimentaire.
Ce même pré-rapport souligne qu'il n'y a pas de système visant à organiser une situation de sous-effectif au sein des établissements.
Je précise à ce titre que les directeurs d'établissement peuvent recruter des salariés en cas d'urgence, ce qui correspond à un peu plus d'un quart des embauches, et que même s'ils doivent en référer à leur directeur régional dans les autres cas, il n'y a eu que 0,79 % de refus de la part des directeurs régionaux, c'est-à-dire à 40 embauches sur 4 700.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il me semble que l'autonomie des directeurs ne peut se résumer aux cas d'urgence, et que les rapports pointent le manque d'autonomie de ces derniers. Pourquoi un tel degré de centralisation ?
M. Yves Le Masne . - Le rapport IGF-Igas pointe un fonctionnement trop centralisé, mais il reproche aussi aux établissements de prendre trop de libertés. C'est quelque peu ambivalent...
Par ailleurs, lorsqu'on parle de centralisation, celle-ci s'opère au niveau des zones géographiques, chacune étant indépendante. Il est vrai que les directeurs d'établissement et les directeurs régionaux avaient un peu moins d'autonomie en matière d'achats référencés, mais c'est le cas dans la plupart des groupes. S'agissant des embauches, le rapport de l'IGF-Igas précise que dans 25 ou 27 % des cas le directeur décide de l'embauche sans en référer à son directeur régional. Et je rappelle que dans 99,2 % des cas d'embauche non urgente, les embauches ont été acceptées par les directeurs régionaux dans des délais extrêmement courts.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le rapport IGF-Igas souligne que les documents financiers obligatoires transmis aux tutelles par les Ehpad sont insincères et présentent des pratiques d'imputation non réglementaires de charges sur les forfaits soins et dépendance. Comment justifiez-vous cette situation et le recours à des mises en réserve d'une partie des forfaits soins ?
M. Yves Le Masne . - L'IGF-Igas interprète de façon très stricte des textes réglementaires qui manquent parfois de détail - même si depuis un mois, on a quelque peu remédié à cette situation -, alors que la plupart des agences régionales de santé (ARS), qui sont plus proches du terrain, ont une vision plus souple.
Je rappelle que sur les quatre dernières années, les dotations se sont élevées à 1,3 milliard d'euros, et que les accusations d'imputations insincères portent sur 50 millions d'euros.
Celles-ci concernent principalement les auxiliaires de vie faisant fonction d'aide-soignante. Dans l'annexe 5 page 56 du rapport IFG-Igas, il est indiqué que « l'étude de secteur fait ressortir que les Ehpad emploient tous régulièrement des “faisant fonction” d'aide-soignant pour pallier la pénurie de personnel et les difficultés d'attractivité sur les métiers qualifiés ». Tous les établissements sont concernés, et pas simplement ceux du secteur privé.
À ma connaissance, les états remontés aux ARS sont transparents dans ce domaine, c'est-à-dire que lorsque ce sont des auxiliaires de vie qui sont employées, il est bien indiqué « auxiliaire de vie » et non « aide-soignante ». En tout état de cause, c'était le cas jusqu'à 2015 - le rapport Grant Thornton le confirme.
Ces transferts sont liés au manque d'aides-soignantes dans notre pays.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Cette modification des plannings était-elle organisée afin de détourner le forfait soins et d'utiliser de l'argent public pour payer ces personnes ?
M. Yves Le Masne . - Les 28 millions d'euros de rémunération des aides-soignantes représentent entre 1,2 % et 1,3 % de la dotation de 1,3 milliard d'euros que j'évoquai précédemment. Autrement dit, c'est l'épaisseur du trait, et cela n'a rien d'organisé : l'objectif pour notre groupe est évidemment d'avoir des aides-soignantes diplômées partout, et si possible en CDI - du fait de la pénurie, certaines aides-soignantes préfèrent travailler en CDD pour être mieux payées, ce qui désorganise les services.
À défaut, nous n'avons d'autre option que d'embaucher des aides-soignantes en CDD, et parfois, des auxiliaires de vie disposant de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Quel serait l'intérêt pour nous d'organiser un système dans lequel on paye plus cher des personnes qui ne sont pas tout à fait diplômées ? Nous nous sommes toujours efforcés de faire exactement l'inverse.
L'autre accusation porte sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Or celle-ci a été divisée par deux en 2020 et depuis cette année, elle est supprimée. Je rappelle par ailleurs que la CVAE est une charge directe, c'est-à-dire que quand l'État donne 100, il reprend directement 1,5, si bien qu'il ne donne que 98,5. Nous avons simplement tenu compte de cela dans nos calculs. Le rapport IFG-Igas indique d'ailleurs, non pas que la mise en réserve est fautive en soi, mais que nous avons trop mis en réserve.
À ma connaissance, les éléments pointés ne sont pas insincères. Certes, ils ne correspondent pas à l'attente de l'Igas, mais les ARS s'en satisfont dans la mesure où, je le rappelle, les montants concernés restent faibles puisque 98,5 % des remontées sont valides.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Tous vos établissements avaient-ils une personnalité juridique autonome et comment s'organisait la relation entre la direction régionale et les directeurs d'établissements ?
M. Yves Le Masne . - Je peux vous dire ce qu'il en était dans les années 2010-2013.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Et après ?
M. Yves Le Masne . - Après je suis directeur général, et à ce moment-là, ma fonction consiste à développer le groupe, à m'assurer qu'il fonctionne bien. La direction générale France, que vous avez auditionnée, est mieux placée pour vous répondre.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Tout le monde se renvoie la balle...
M. Yves Le Masne . - Durant les quatre ou cinq dernières années, j'ai passé les trois quarts de mon temps à l'étranger.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Et vous ne vous occupiez plus du tout de la France ?
M. Yves Le Masne . - Je m'occupais des orientations et des grands sujets de l'année. La France est une zone géographique parmi sept.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Et vous ne voyiez plus du tout les directeurs d'exploitation ni les directeurs régionaux ?
M. Yves Le Masne . - Je ne les connaissais plus, ces dernières années. Il y a environ 90 directeurs régionaux, pour 900 établissements...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vous parle des 350 établissements de France.
M. Yves Le Masne . - Sur les 15 personnes que je supervisais, seule une s'occupait de la France. Je comprends que cela puisse être étonnant, mais c'est ce qui fait la qualité d'un groupe international qui a des spécialistes dans chaque zone géographique.
Sur les rapports entre les directeurs régionaux et les directeurs d'établissement, je vous répondrai par écrit, mais sans doute que Jean-Claude Brdenk, qui s'est occupé directement de l'exploitation, pourra mieux vous répondre.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - M. Marian n'était au courant de rien, vous non plus...
M. Yves Le Masne . - Je m'occupais pour ma part de l'aspect financier et du développement du groupe. MM. Romersi et Charrier pourront mieux vous répondre.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Oui, mais ils occupent leur poste depuis peu de temps. Qui était directeur général avant M. Romersi ?
M. Yves Le Masne . - C'était M. Brdenk. M. Romersi était directeur des maisons de retraite ; maintenant il est directeur France des maisons de retraite et des cliniques. M Stéphane Cohen est directeur des opérations des maisons de retraite en France.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je croyais que le précédent poste de M. Romersi était celui de directeur régional...
M. Yves Le Masne . - Oui, mais c'était il y a dix ou quinze ans. Avant d'être directeur général France - poste qu'il occupe actuellement -, M. Romersi a été directeur des maisons de retraite, et avant cela il était directeur de division pour les maisons de retraite. Lorsque nous avons souhaité donner davantage d'autonomie aux zones géographiques, nous avons supprimé cette dernière direction.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Comment contrôler des établissements qui n'ont pas ou peu d'autonomie et qui sont placés sous l'autorité de directions régionales qui n'ont pas toutes les responsabilités, mais qui en ont quelques-unes ? Au fond, personne ne semble responsable de rien... Nous avons besoin de comprendre comment se passe l'évaluation de ces maisons de retraite et comment l'argent public est redistribué.
M. Yves Le Masne . - Dans un grand groupe, chacun a des tâches bien précises. Jean-Claude Brdenk, qui s'est davantage occupé de l'exploitation proprement dite, pourra sans doute mieux vous répondre, et M. Romersi est également un bon interlocuteur. En ce qui me concerne, j'étais plus éloigné des questions opérationnelles...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Mais vous ne l'étiez pas au début...
M. Yves Le Masne . - J'ai commencé comme contrôleur de gestion, après quoi j'ai été directeur informatique puis directeur financier. Je n'étais donc pas sur les aspects opérationnels. Je peux essayer de vous répondre sur le fonctionnement des directeurs régionaux, mais je tiens à redire, même si cela peut paraître décalé aujourd'hui, que tout ce qui a été fait l'a toujours été au bénéfice de la qualité.
Par exemple, les directeurs n'avaient leurs primes que si leur établissement avait obtenu 90 % de réponses positives sur la qualité durant deux semestres consécutifs. Comme je l'indiquai précédemment, j'ai toujours veillé à ce que la qualité passe avant le financier.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pourrez-vous nous indiquer par écrit les fonctions précises des directeurs d'exploitation locaux, des directeurs régionaux et de la direction centrale ? Ne pensez-vous pas qu'une telle centralisation complique le contrôle par les autorités de tutelle ?
M. Yves Le Masne . - L'autonomie de chaque directeur est assez large pour que le contrôle s'opère au niveau de l'établissement. Les achats font certes l'objet de référencements, comme c'est le cas dans beaucoup de groupes, mais les directeurs sont tout de même autonomes en matière d'embauche, puisque 99,2 % des demandes sont acceptées par les directions régionales...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Ils avaient toute latitude ?
M. Yves Le Masne . - Oui, à condition de demander à leur directeur régional, et comme je vous l'indiquais, 99,2 % des demandes sont acceptées.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Il fallait donc une validation par le directeur ?
M. Yves Le Masne . - Sauf en cas d'urgence. Mais le directeur régional n'ayant que 10 établissements à sa charge, il est très disponible.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vais laisser la parole à mes collègues, mais je souhaite vraiment que chacune des questions écrites que nous vous avons adressées, et que nous compléterons peut-être, fasse l'objet d'une réponse écrite précise.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous avez indiqué que les primes des directeurs étaient attribuées sur des critères de qualité. Or, à la lecture du rapport, il me semble qu'un directeur qui atteint tous les objectifs quantitatifs, mais aucun objectif qualitatif touche des primes six fois plus importantes qu'un directeur qui atteindrait tous les objectifs qualitatifs, mais aucun objectif quantitatif.
L'endettement d'Orpea représente 200 % des capitaux propres du fait d'une politique soutenue de croissance externe, notamment à l'international. La politique de distribution des dividendes est tout aussi soutenue, ces derniers s'élevant à 33 % et pour certaines années jusqu'à 80 % du résultat net. Un haut niveau de résultat opérationnel est donc nécessaire. C'est d'autant plus vrai en France, car c'est surtout la France qui finance le développement d'Orpea à l'international.
Si désormais Orpea procède à une utilisation conforme des forfaits soins et dépendance et de leur éventuel excédent, s'il ne recourt pas aux remises de fin d'année ou aux revenus de prestation remontés au siège, la rentabilité exigée par le siège est-elle soutenable ? Ce modèle économique ne suppose-t-il pas des mécanismes incompatibles avec un bon usage des fonds publics ou le maintien de la qualité que sont en droit de temps d'attendre les personnes âgées ?
La section hébergement peut-elle générer un résultat opérationnel s'élevant à 15 % du chiffre d'affaires comme cela est constaté depuis plusieurs années et exigé par le fonds d'investissement qui compte parmi vos actionnaires ? Le groupe peut-il mener une telle politique de concentration et de croissance accélérée sans recourir à des mécanismes frauduleux ni dégrader la qualité des soins ?
Mme Pascale Gruny . - Je n'ai pas bien compris quelle était la fonction d'un directeur régional. Pourriez-vous nous l'expliquer ?
Il me semble qu'en tant que directeur général on doit tout de même vous informer des problèmes. Si vous ne disposez pas de ce retour, c'est que la grille de contrôle ne sert à rien. Je suis stupéfaite que vous n'ayez jamais été alerté. La rémunération substantielle que vous nous avez communiquée implique que l'on puisse compter sur vous, et que, au-delà de l'information des actionnaires, vous preniez soin du client final. Nous parlons tout de même d'êtres humains, pas de colis !
M. Yves Le Masne . - Les dividendes n'ont jamais dépassé 33 % du résultat net.
Vous m'interrogez sur ce qui se va se passer ensuite. Les excédents de 19,7 millions d'euros qui ont été réalisés sur quatre ans ont été provisionnés dans les comptes en tant que produit constaté d'avance. Rien ne changera à ce niveau. Le seul impact sur les résultats sera lié à l'imputation des remises de fin d'année (RFA), ce qui représente 3 millions d'euros par an. Compte tenu de la taille du groupe, cela ne changera pas beaucoup les résultats.
S'agissant du contrôle, il est vrai que tout ne peut pas remonter jusqu'à moi. Si je devais formuler un regret, ce serait d'avoir vu le verre à moitié plein. Nous étions assez satisfaits d'avoir un taux de recommandation de 95 %, mais nous aurions dû nous préoccuper davantage des 5 % restants, notamment des 1,4 % de plaintes ou de réclamations que nous avions chaque année.
Nous avons été alertés par l'établissement de Neuilly en 2015 dont le taux de satisfaction n'était que de 95 %, ce qui aurait dû nous interpeller immédiatement.
Par ailleurs, je suis informé chaque trimestre des plaintes importantes, notamment lorsqu'il y a eu un dépôt de plainte.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - S'agissant des RFA, vous avez affirmé devant l'Assemblée nationale qu'il n'y avait eu aucune rétro-commission sur ce qui relevait de l'argent public. Or les rapports confirment qu'il y en a eu. Maintenez-vous cette déclaration ? Estimez-vous que de telles pratiques sont normales, qu'il s'agisse de RFA ou de prestations de services ?
M. Yves Le Masne . - Toute la question est de savoir si ce sont des contrats de prestations de services ou des RFA. Depuis le mois d'avril, un décret encadre les RFA....
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous savons bien qu'un décret est sorti en avril. Ma question porte sur les pratiques antérieures.
M. Yves Le Masne . - Si un décret a été pris, c'est parce que le cadre juridique n'était peut-être pas suffisamment clair. Comme l'a indiqué M. Charrier, la distinction entre contrats de prestation de services pour le bien des résidents et RFA est discutable. Les RFA doivent redescendre au niveau des états récapitulatifs des dépenses (ERD), tandis que les contrats de prestation de services....
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Mais les RFA redescendaient-elles ?
M. Yves Le Masne . - Non, car elles étaient considérées comme des contrats de prestation de services.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Donc il y en avait ?
M. Yves Le Masne . - Je ne l'ai jamais affirmé, et comme je l'indiquais, cela étant considéré comme discutable, le groupe a décidé de ne plus recourir à cette pratique, que ce soit pour les RFA ou pour les contrats de prestation de services.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous reconnaissez donc que c'est anormal ?
M. Yves Le Masne . - Disons qu'il ne peut pas y avoir d'accord là-dessus. En tout état de cause, cela ne représente pas des sommes très importantes.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Elles ne le sont peut-être pas au regard du volume global, mais elles le sont pour chaque résident.
M. Yves Le Masne . - Exactement.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pouvez-vous nous répondre sur les centrales d'achat ?
M. Yves Le Masne . - Les deux centrales d'achat ont été créées pour répondre aux besoins de l'ensemble des pays...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous confirmez les énormes rémunérations ? Pensez-vous qu'elles soient logiques ou normales ?
M. Yves Le Masne . - Je ne pense pas qu'elles soient logiques. Il s'agit de personnes ayant travaillé très longtemps sur ces sujets. Elles ont mis en place un système très avantageux pour elles, tout en créant du résultat. Cela ne s'est pas fait au détriment des résidents, bien au contraire.
Ainsi, la centralisation des factures a permis de faire des économies de comptabilité, tout en conservant une qualité identique.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Globalement, monsieur Le Masne, nous ne sommes pas très satisfaits de vos réponses, qui ne correspondent pas à ce que nous avons pu lire dans les différents rapports, y compris l'audit demandé par Orpea.
La justice éclaircira tous les points problématiques.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean-Claude Brdenk ancien directeur
général délégué
en charge de
l'exploitation du groupe Orpea
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad, nous entendons cet après-midi, M. Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué en charge de l'exploitation du groupe Orpea.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que notre commission a mis en place cette mission d'information, dotée des prérogatives de commission d'enquête, à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs , qui pointe notamment la difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.
Plus largement, nous nous interrogeons sur le modèle mis en place par la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement, qui repose sur la souplesse et la confiance, et son adéquation aux réalités du marché.
Afin de laisser le maximum de temps aux échanges, je demanderai à chacun d'être concis dans les questions et les réponses. Nous disposons d'une heure.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Monsieur Jean-Claude Brdenk, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Claude Brdenk prête serment.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Monsieur Brdenk, vous avez la parole, pour une brève présentation.
M. Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué en charge de l'exploitation du groupe Orpea . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il me tient particulièrement à coeur, à la suite de la parution de ce livre, de répondre aujourd'hui à vos questions. En effet, j'ai un profond respect pour l'ensemble des résidents et des équipes concernés par cet ouvrage. Et j'ai été particulièrement affecté par la parution du livre Les Fossoyeurs .
J'ai intégré le groupe Orpea en juillet 1997 comme directeur d'exploitation au niveau national. Il s'agissait alors d'un groupe purement français, déjà leader sur son territoire, composé d'une quarantaine de structures.
Fin 2011, le groupe était devenu, depuis plusieurs années, international. L'internationalisation avait commencé en 2004.
J'ai été nommé naturellement, par le conseil d'administration, directeur général délégué en charge de l'exploitation, sous la responsabilité du directeur général. Dès l'origine, mes fonctions et responsabilités étaient concentrées exclusivement sur la gestion des sites sur le terrain, la prise en charge des patients et résidents en structures ou à domicile. J'étais accompagné pour ce faire de directeurs régionaux, puis, le groupe se structurant au fil des années, de directeurs de division, de directeurs d'exploitation nationaux et de directeurs de réseau, présents dans chaque pays.
Les limites de mon mandat étaient claires. Je n'ai nullement vocation à être généraliste. J'avais un champ de responsabilité limité au déroulement des opérations en matière d'hôtellerie, de restauration et de soins, en liaison avec les directeurs d'exploitation de chaque pays.
À cet égard, je n'ai pas compris qui dirigeait quoi dans le rapport de l'IGAS.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pardon ?
M. Jean-Claude Brdenk . - Je n'ai pas compris qui dirigeait la France.
Au début de l'année 2018, nous souhaitions démarrer un process d'augmentation de l'autonomie et de la latitude données aux directeurs sur le terrain et aux directeurs régionaux.
Un directeur de réseau médico-social et un directeur d'exploitation pour les Ehpad ont été nommés et ont pris leurs fonctions fin 2018.
Je n'étais donc pas en charge des fonctions classiques d'un siège. En réalité, il y avait des sièges dans plusieurs pays et plusieurs zones géographiques. Ainsi, je n'avais pas de responsabilité en matière de finances, d'arbitrage comptable ou financier, de reporting, d'achats, de développement, de ressources humaines, d'informatique ou d'immobilier.
Les établissements s'adressaient au siège national de chaque pays afin d'être destinataires des biens et services, ainsi qu'au support de reporting nécessaire à la conduite des opérations sur place.
Lors de la première vague de Covid début 2020, il a été reconnu que l'exploitation et ses équipes sur le terrain avaient fait face au mieux. Cela a été l'occasion de procéder à une revue de l'organisation de la société sur le plan international. Ainsi, début novembre 2020, le conseil d'administration d'Orpea s'est prononcé sur la fin, au 31 décembre 2020, de tous mes mandats au sein d'Orpea et de ses filiales. En effet, les structures mises en place sur le plan géographique devaient désormais asseoir leur autonomie, et ma fonction faisait doublon avec les directeurs exploitation nommés dans les différentes zones géographiques et pays.
Ne faisant plus partie de la société depuis fin 2020, n'ayant pas de données informatiques à ma disposition, je m'efforcerai de répondre aux questions, dans la limite de mes connaissances, sans aucun autre support que le rapport de l'IGAS, le rapport contradictoire Orpea et le rapport préliminaire interne.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous avons déjà reçu de nombreuses personnes d'Orpea. Surtout, nous avons pris connaissance du rapport Igas-IGF ainsi que de l'audit demandé par M. Charrier, qui vont dans le même sens.
Pourtant, vous avez déclaré devant l'Assemblée nationale que vous vous réserviez la possibilité de poursuivre l'auteur du livre en justice. Est-ce toujours d'actualité ?
Que pensez-vous des révélations du livre, qui ont été confirmées à 80 % par les différents rapports ?
M. Jean-Claude Brdenk . - L'ouvrage en question est un livre à thèse : il existerait un système organisé, qui aboutirait in fine , partout en France, à une maltraitance systématique. Son auteur prend pour exemple le site Orpea de Neuilly-sur-Seine. Les témoignages sont systématiquement à charge et dénoncent le manque criant de produits d'incontinence, pour ne pas dire leur rationnement, tout en supposant le rationnement alimentaire engendré par l'utilisation d'un compte-rendu mensuel du coût de revient journalier (CRJ). La forme de l'ouvrage ainsi que son lancement témoignent également d'un certain sensationnalisme.
Bien évidemment, j'ai été totalement bouleversé par la sortie du livre, d'autant que j'avais quitté Orpea. J'ai dû le relire deux fois. La première fois, je n'ai pas très bien compris ; la deuxième fois, j'ai pris des notes.
A contrario , le rapport IGAS ne note pas de rationnement en matière de produits d'incontinence, comme l'avait d'ailleurs souligné devant les députés la directrice de l'ARS Île-de-France, à la suite d'un certain nombre de contrôles effectués en 2019, notamment sur le site de Neuilly.
Le rapport de la mission évoque, page 49, des axes d'amélioration plutôt que des dysfonctionnements majeurs. Il note que « les documents fournis par la société ne lui permettent pas de trouver de garanties suffisantes pour que les besoins alimentaires des résidents soient satisfaits ».
Quant au rapport contradictoire rédigé par le groupe, il est extrêmement détaillé et argumenté sur ce dernier point, qui a été analysé et vérifié par un professeur de gériatrie. Celui-ci connaît manifestement Orpea et les possibilités offertes aux cuisiniers. Il conclut, chiffres à l'appui, à un bon équilibre sur cinq semaines en termes d'apports protéinés énergétiques.
Orpea rappelle également que, sur le plan clinique, le taux d'escarres de 3,4 %, considéré comme modéré, a été salué par la mission.
Par ailleurs, le taux de personnes dénutries après leur admission est de 45 %, tandis que, après six mois de résidence, une amélioration nutritionnelle est constatée pour 70 % de ces personnes.
Ces éléments cliniques sont autant de preuves de l'efficience de la politique nutritionnelle mise en place. Ils ne correspondent pas à une politique de rationnement généralisé.
Pour ce qui concerne le rapport interne, auquel vous avez fait référence, monsieur le sénateur, les enquêteurs ont visité, de manière inopinée, 21 établissements. Ils n'ont constaté ni manquement pour ce qui concerne les produits d'incontinence ni une quelconque politique de rationnement alimentaire. Ils ont d'ailleurs interrogé, sur deux jours, l'ensemble des chefs qui étaient présents. Ces derniers ont confirmé ne rencontrer aucune difficulté pour réaliser les menus tels que décrits, dans le respect des conditions de réalisation.
Près de 150 établissements du groupe ont fait l'objet d'une instruction ARS au cours de ces derniers mois. À ma connaissance, aucune n'a abouti à une fermeture ou à une mise sous tutelle, même temporaire. Les établissements ayant dû fermer n'étaient pas dirigés par Orpea.
J'ai été profondément blessé par la sortie de l'ouvrage. L'émotion très vive suscitée par les propos allégués rendait totalement inaudible toute tentative de prise de parole par l'entreprise, a fortiori par moi-même ou par les personnes nominativement citées.
À la lecture de ces données émanant du terrain et des contrôles et visites effectuées in situ , je maintiens donc mes propos : les faits tels que présentés dans le livre, inhérents au déroulement des activités sur le terrain, ne sont toujours pas avérés.
Manifestement, il n'y a pas chez Orpea de système organisé aboutissant à de la maltraitance. Il y a évidemment des erreurs, des axes d'amélioration et beaucoup de travail à réaliser, comme après chaque contrôle.
Les équipes des établissements ont été profondément choquées et abîmées à la publication de cet ouvrage. Celui-ci jette l'opprobre sur toute une entreprise, qui a fait le choix de répondre point par point, de façon transparente, aux allégations répandues.
L'entreprise a besoin de temps et de constance pour retrouver une certaine forme de sérénité. De ce fait, une action en justice de ma part, alors même que j'ai quitté cette entreprise bien avant la parution de ce livre, me semble à ce stade tout à fait inopportune. J'en ai clairement fait part aux députés, s'agissant des points concernant ma supposée « personnalité » ou mes prises de décisions irrationnelles - l'un des chapitres est totalement calomnieux et infondé -, je considère avoir été pris à partie de façon collatérale dans un livre dirigé contre Orpea, dans le cadre d'un débat qui me dépasse. Toutefois, je n'exclus pas d'entamer, à l'avenir, des poursuites si l'on me prête de nouveau des propos ou des décisions qui n'auraient pas été miens.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Ne parlons pas uniquement du livre. Je souhaitais simplement savoir si vous aviez l'intention de mener une action en justice contre son auteur.
S'agissant des rapports, vous venez de souligner les points positifs. Je vous rappelle tout de même que de très nombreux points sont négatifs. Il s'agit non pas de petites erreurs locales, mais d'erreurs organisées.
Vous avez évoqué les contrôles menés par les ARS, lesquelles n'avaient pas la possibilité de contrôler, entre les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) et les états de prévision de recettes et de dépenses (EPRD), la réalité de ce qui se passait dans chaque établissement.
Quelle était l'autonomie des établissements ? Laissiez-vous, personnellement, suffisamment d'autonomie à chaque directeur et même à chaque directeur régional ? Au niveau central, aviez-vous la volonté de faire en sorte que les directeurs régionaux aient une mainmise complète sur les directeurs d'exploitation ? D'après leurs propos et d'après les rapports, ils n'avaient aucune autonomie ou bien une autonomie très relative. Au niveau des conseils départementaux, il était impossible de contrôler les maisons d'Orpea, dans la mesure où tout était centralisé au niveau régional, voire national. Au niveau des ARS, il était également impossible de contrôler, pour l'ensemble du groupe, la réalité de ce qui était annoncé dans les EPRD et les ERRD.
Le livre a été un déclencheur. Ce qui compte, c'est ce qui est écrit dans les rapports et l'audit, et je ne me référerai qu'à ces documents. Comment expliquez-vous les différences entre la réalité sur le terrain et ce qui était présenté aux ARS ?
M. Jean-Claude Brdenk . - Monsieur le sénateur, votre remarque est extrêmement longue, mais je vais m'efforcer de répondre de la manière la plus concise possible.
Vous parlez d'autonomie des directeurs, et de leur incapacité à fixer leurs budgets.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je parle non pas de leur incapacité, mais de leur impossibilité : ce n'est pas pareil !
M. Jean-Claude Brdenk . - Le rapport contradictoire produit par Orpea est extrêmement dense. Le rapport de l'IGAS a pris en considération certaines remarques, mais n'a pas apporté de réponse sur d'autres points.
S'agissant des budgets, un sujet n'a pas été considéré à sa juste valeur, bien qu'il ait été évoqué par Jean-Christophe Romersi lors de son audition.
J'ai dirigé Orpea avec les directeurs de division, les directeurs régionaux et les directeurs d'établissement jusqu'en 2018. J'avais également des responsabilités internationales et je consacrais 10 % à 15 % de mon temps à gérer les directeurs de division, qui eux-mêmes géraient les directeurs régionaux et les directeurs d'établissement. En 2018, nous avons changé notre organisation. Jean-Christophe Romersi a pris ses fonctions de directeur du réseau médico-social, avec un directeur d'exploitation spécifiquement pour la France et les Ehpad.
Les directeurs ont en moyenne sept ans d'ancienneté, le turn-over étant de 12,8 %. Je pense très sincèrement que, au bout de sept ans, un directeur commence à maîtriser l'hôtellerie, la restauration, les soins et la coordination de ses équipes. D'ailleurs, chez Orpea, en 2018, 82 % des effectifs étaient en CDI. Je souhaitais bien évidemment atteindre le taux de 90 %. Mais nous étions confrontés, comme tous les groupes, à des difficultés de recrutement.
Par conséquent, les remplacements peuvent, le plus souvent, être planifiés. Les autres sont totalement implanifiables.
La décision de recruter un CDI est prise à la fois par le directeur et le directeur régional. Lorsqu'il y avait un recrutement à faire, nous ne nous privions pas le faire !
Les directeurs recrutent essentiellement des CDD, parfois dans l'urgence. Ainsi, environ 25 % des recrutements étaient effectués directement par les directeurs, sans aucune intervention de qui que ce soit. Par ailleurs, 99 % des autres recrutements étaient immédiatement validés par le directeur et son directeur régional. Je ne sais donc pas si l'on peut dire que les directeurs n'avaient aucune autonomie pour recruter.
J'en viens à la construction budgétaire. Nous construisions les budgets avec l'aide, d'abord, des directeurs, puis des directeurs régionaux, et les informations remontaient par cascade. Certaines personnes ont estimé que cette remontée en cascade destinée à disposer d'une vision globale n'était pas cohérente. Une entreprise est obligée de s'assurer des grands équilibres.
La construction budgétaire s'effectuait en octobre, en novembre et en décembre. Vous le savez, l'EPRD est décalé dans le temps. Il fallait bien que les directeurs disposent de quelques pistes s'agissant de la manière dont ils pourraient piloter leur établissement, fondées sur l'historique et le taux d'occupation observé.
J'aimerais que les inspecteurs de l'IGAS m'entendent et vérifient une chose en termes de masse salariale : ces budgets étaient-ils respectés ou non ? Étions-nous « dans la plaque », en vertu d'un suivi budgétaire extrêmement contraignant ? Ces budgets étaient-ils inférieurs parce que nous rationnions les moyens ? Ou bien ces budgets étaient-ils dépassés ?
M. Romersi vous a donné un bon indicateur, à savoir le calcul de ratio et de comparaison, au sein d'un tableau, entre les ERRD et les EPRD. Or, de 2017 à 2020, les ERRD étaient toujours supérieurs aux EPRD. Depuis 2014, nous n'avons pas dépassé une seule année les budgets de masse salariale.
On ne peut donc pas parler de restrictions budgétaires, de pilotage à l'euro près ou de système dès lors que, chaque année, les budgets sont systématiquement dépassés. Par ailleurs, le taux de CDI est supérieur à 80 %.
On ne peut donc pas parler de rationnement en termes de budget. Peut-on parler de centralisation des budgets ? Par cascade, nous étions obligés de les remonter au siège...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous avons bien compris. Le problème n'est pas lié à la comparaison entre les ERRD et les EPRD. Vous le savez très bien, le rapport dénonce l'utilisation de l'argent public pour payer du personnel qui n'était pas affecté aux soins et à la dépendance. Le problème est là.
M. Jean-Claude Brdenk . - Pour répondre à votre troisième question, je ne suis pas un spécialiste des finances ni de la comptabilité. Par ailleurs, le rapport contradictoire met en évidence la nécessité d'une expertise en fiscalité, pour ce qui concerne la CVAE et les autres taxes.
Je pense que vous faites référence aux auxiliaires de vie faisant fonction. Sur l'ensemble des rapports à ma connaissance, ils étaient clairement notifiés ainsi.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous dites que, à chaque fois, il était bien précisé que les personnes payées par l'argent public étaient affectées aux soins ?
M. Jean-Claude Brdenk . - Il me semble...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous n'en êtes donc pas certain !
M. Jean-Claude Brdenk . - Tout le monde était confronté à cette difficulté.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous sommes d'accord sur ce point, qui ne fait pas l'objet de ma question.
M. Jean-Claude Brdenk . - Vous introduisez un doute dans mon esprit. Je relirai à ce sujet le rapport interne et le rapport contradictoire d'Orpea.
Je pense que ces documents ont été transmis avec sincérité aux ARS, comme en témoigne d'ailleurs le rapport de l'IGAS. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avons pas eu de remarques en la matière. Nous avons recensé seulement 3 rejets pour 4 établissements sur 226 établissements. Par conséquent, dans leur grande majorité, ces rapports étaient transmis et acceptés. Les ARS connaissaient les sites, qu'ils ont énormément contrôlés au fil des années. Ils observaient la présence d'auxiliaires de vie faisant fonction. Pourquoi les ARS acceptaient-elles une telle situation ? Le sujet est là.
Les ARS ont compris que la motivation de ces personnels était ainsi testée par les directeurs. Ces personnels étaient accompagnés, plus ou moins bien, comme j'ai pu le lire dans le rapport, pour assumer un certain nombre de tâches. Par ailleurs, elles observaient l'augmentation, année après année, du nombre de personnels diplômés aide médico-psychologique (AMP) ou accompagnant éducatif et social (AES), notamment grâce à la validation des acquis de l'expérience (VAE).
Lorsque nous avions épuisé la quasi-totalité des personnels susceptibles de prétendre à une VAE, nous demandions à ces personnels, de manière momentanée, d'assurer un remplacement.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vous arrête, car vous ne répondez absolument pas à la question que je vous pose.
Bien entendu, il faut utiliser au maximum les compétences des personnes et leurs envies. Bien sûr, il fallait que les ERRD et ERDS concordent !
Le reproche qui est fait, c'est que l'argent public servait à payer des personnes qui n'avaient pas à être payées avec l'argent public.
M. Jean-Claude Brdenk . - Je comprends et j'entends.
Je ne reviendrai pas sur le rapport El Khomry...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Claude Brdenk . - Effectivement, nous prenions, comme les autres opérateurs, des auxiliaires de vie faisant fonction.
Le rapport indique également que la différence entre le budget initial et l'EPRD s'explique simplement par un problème de temps. Vos collègues députés ont bien compris ce problème opérationnel, qui est remonté à plusieurs reprises au ministère.
Or on ne peut pas attendre six mois pour mettre en place un certain nombre de bornes et de recrutements, à l'aide des directeurs, et avec leur accord, pour piloter les établissements.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Ce n'est pas ce qui est reproché ! Ce qui est reproché, c'est l'utilisation d'argent public pour payer des personnes qui auraient dû être payées au titre, par exemple, de l'hébergement.
M. Jean-Claude Brdenk . - Permettez-moi de revenir sur l'un des arguments développés par Orpea. La clé de répartition de la dépendance est en réalité de 60 %. Si nous avions basculé les personnes auxiliaires de vie sur la partie dépendance, nous aurions mis en déficit cette partie, et, par fongibilité, la partie « soins » aurait payé.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Ce n'est pas la question que je vous pose ! Je parle de la partie, payée par l'argent public, dépendance et médicalisation, et de la partie payée pour l'hébergement.
Les ARS faisaient a priori confiance. Les CPOM ont été mis en place parce que nous voulions faire confiance aux établissements. Cette confiance a quelque peu empêché le contrôle.
Le système mis en place par les groupes ne permet pas un contrôle suffisant,dans la mesure où ces groupes sont répartis sur plusieurs départements et plusieurs régions. Or, aujourd'hui, personne ne contrôle l'ensemble. Si tel n'avait pas été le cas, sans doute aurions-nous pu éviter ces écueils. Car ce qui se faisait pour le personnel se faisait pour tout le reste.
M. Jean-Claude Brdenk . - La Cour des comptes le faisait, monsieur le sénateur.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pas partout, pas tout le temps et pas de la même façon !
La Cour des comptes estime d'ailleurs qu'elle devrait contrôler le système financier au niveau du groupe, ce qui n'a jamais été fait.
On reproche aux dirigeants d'Orpea et, sans doute, d'autres groupes -je souhaite qu'une enquête soit menée en la matière - d'avoir organisé non pas un système de maltraitance, mais de récupération financière exagérée.
M. Jean-Claude Brdenk . - Cela porte sur 27 millions d'euros et, dans la durée, sur 1,3 milliard d'euros. Ce n'était pas quelque chose d'organisé.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous savez très bien de quoi je parle ! Les fortunes faites en la matière sont considérables. La représentation nationale doit s'interroger : dans le cadre d'une mission sociale, est-ce normal ? Est-ce logique ?
Vous avez fait partie du Synerpa, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées, et vous êtes aujourd'hui chez Bastide. Il faut parler de ce sujet ! Sinon, la mission sociale disparaît au bénéfice du seul profit.
M. Jean-Claude Brdenk . - Je pourrais vous donner des tas d'exemples prouvant que Orpea ne considère pas uniquement le profit. Le dernier en date est celui de 2020. Nous avons dépensé sans compter ! On ne peut pas oublier tout l'historique. Cet épisode a engendré des millions d'euros de dépenses, sans que la direction générale ou les administrateurs n'y trouvent à redire. Cela nous a d'ailleurs valu d'être auditionnés, au mois de septembre 2020, par le Sénat, pour savoir pourquoi nous avions un certain nombre de procédures à disposition, alors que d'autres ne les avaient pas. Dans ce cas, vous ne pouvez pas dire que le groupe était tourné uniquement vers l'aspect financier des choses.
Si tel avait été le cas, nous n'aurions pas 80 % de nos sites, en France, dotés d'un médecin coordonnateur, alors que, en moyenne, seulement 60 % des sites français disposent d'un médecin. Lorsqu'un médecin prend en charge un établissement, c'est parce qu'il a confiance dans l'organisation et l'équipe qui est sur place.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous avons rencontré des médecins qui ont travaillé chez Orpea.
M. Jean-Claude Brdenk . - Factuellement, 80 % des sites sont dotés d'un médecin. C'est un bon indicateur.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je vous demanderai de répondre aux questions posées par écrit, qui vous engagent également. Ensuite, nous laisserons faire les procédures judiciaires.
Puisque vous êtes chez Bastide, monsieur Brdenk, j'aimerais que vous évoquiez rapidement les RFA, les remises de fin d'année.
M. Jean-Claude Brdenk . - Je ne dirigeais pas les achats, qui étaient sous la responsabilité de la direction générale.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous étiez au courant...
M. Jean-Claude Brdenk . - Je vois à peu près comment fonctionnent les achats. En vingt ans, je n'ai jamais participé à une seule négociation. Si quelqu'un vous affirme le contraire, il faut me le dire, et je l'attaquerai immédiatement en justice. Je veux être très clair, je n'ai pas signé un seul contrat ni assisté à une seule négociation.
Sauf erreur de ma part, un décret est paru le 29 avril dernier portant notamment sur la reconnaissance des rabais, remises et ristournes, qui devraient désormais être rebasculés sur les sites, ce qui n'était donc pas le cas avant. Je souligne que je ne suis pas juriste. Cela règle le problème des remises, rabais et ristournes. À un moment donné, je ne savais plus très bien si la négociation commerciale entre un opérateur et une entreprise était légale.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Oui, c'est légal ! Mais tout dépend de l'utilisation de cet argent !
M. Jean-Claude Brdenk . - D'après ce que j'ai compris des propos tenus par M. Charrier, en contrepartie des services octroyés par l'opérateur, Orpea facturait à son prestataire de services un montant forfaitaire. Je ne connais pas ce montant.
Permettez-moi de remonter à l'été 2008. À l'époque, le Synerpa n'existait pas encore. Nous avons découvert à cette époque ce que nous avons d'abord analysé comme une erreur. On nous demandait d'être responsables de l'acquisition et de la répartition des dispositifs médicaux. Nous savions à l'époque que le gouvernement avait décidé de réduire les dépenses de ville.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - M. Le Masne vient de nous expliquer cela.
M. Jean-Claude Brdenk . - Ainsi, Orpea s'est retrouvé, sans avoir pu anticiper, à déployer plusieurs milliers de dispositifs médicaux sur une bonne centaine de sites. Surtout, bon nombre de nos collaborateurs utilisaient ces dispositifs médicaux. Benoîtement, je pensais qu'il s'agissait uniquement des infirmières et des aides-soignantes. Non ! Les auxiliaires de vie utilisent également les dispositifs médicaux.
Il a fallu,d'un seul coup, acheter et négocier ces dispositifs médicaux, dans le respect des normes, et former des milliers de personnes, sans aucun outil informatique, aucune connaissance du secteur et aucune compétence sur le sujet.
Pendant quatre ou cinq ans, nous avons reçu 2,32 euros.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Une enveloppe limitative !
M. Jean-Claude Brdenk . - Nous n'avons jamais reçu d'explication sur cette somme, et nous avons dû nous débrouiller, comme vous le confirmez à l'instant, monsieur le sénateur.
Nous avons donc dû nous débrouiller, avec plusieurs milliers de résidents, plusieurs milliers de dispositifs médicaux, aucun système informatique, aucune compétence, pour installer ces dispositifs. Nous avons eu recours à l'un de nos partenaires. Nous n'avions jamais été financés pour mettre en place ce genre de choses. Nous n'avions pas d'acheteur spécialisé.
En 2020, lorsque je suis parti d'Orpea, il y avait un médecin-pharmacien, un acheteur spécialisé en biomédical, des approvisionneurs dédiés, un médecin qui faisait des formations, en interne, sur la réduction des troubles musculo-squelettiques et des infirmières hygiénistes, ce qui nous a permis, en 2012, de mettre en place, dans les établissements, un certain nombre de process , afin d'éviter les contaminations croisées.
Ces personnels ont été probablement utilisés non pas pour augmenter les dividendes des actionnaires ou les résultats de l'entreprise, mais pour travailler en matière de soins. Cela mérite d'être rappelé, dans la mesure où aucun des rapports n'en fait mention.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - La procédure judiciaire se mettra en place.
J'aurais souhaité vous entendre sur les points suivants : comment éviter ces dérives ? Comment faire en sorte que les contrôles soient réels ?
Vous avez été complètement dans le système, et vous disposez donc de toutes les pistes nécessaires pour éviter ce type de dérives au niveau des contrôles. Si vous avez des idées pour mieux contrôler les établissements et les groupes, faites-m'en part. Je le rappelle, le Synerpa a été surpris par les informations révélées par les rapports. Pour maintenir sa crédibilité, un groupe doit être exempt de toute critique, grâce au contrôle des organismes publics.
M. Jean-Claude Brdenk . - Je partage complètement votre avis, monsieur Bonne. Simplement, pour ce qui concerne le Synerpa, il est important de lire l'intégralité du rapport contradictoire, qui est diffusé en ligne.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Ici, nous avons lu complètement le rapport contradictoire.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Après votre audition et celle de M. Le Masne, j'ai l'impression que tout le monde était à l'étranger ! Par conséquent, qui dirigeait véritablement en France ?
Vous avez une mission de service social, mais pas une mission de profit. Je rappelle tout de même que le montant de vos salaires était exorbitant. Selon moi, quand on a un salaire aussi important, on doit passer du temps en France, notamment dans les missions de contrôle.
Participiez-vous au conseil d'administration et à l'assemblée générale ? Je n'arrive pas à comprendre comment les problèmes révélés par ce livre n'ont jamais été évoqués par le conseil d'administration ou l'assemblée générale.
Par ailleurs, quelle était véritablement votre tâche et celle de M. Le Masne en France ?
M. Jean-Claude Brdenk . - Je ne répondrai pas à la place de M. Le Masne.
Ma fonction était entièrement internationale et actée comme telle à partir de 2011. Effectivement, à partir de la fin de l'année 2018, Jean-Christophe Romersi a été nommé directeur du réseau médico-social France, qui comprenait les maisons de retraite, les résidences services et le domicile, avec deux réseaux, Adhap et Domidom.
La France était gérée comme n'importe quel pays ou zone géographique du groupe. Ma fonction était très clairement internationale.
Quant aux rémunérations, elles sont validées par le conseil d'administration. Le comité de rémunération prend en compte un certain nombre d'études sur les rémunérations. On ne peut pas sous-rémunérer ou sur-rémunérer un dirigeant international gérant autant de pays et autant de métiers. Ma rémunération était donc dans la norme du secteur. Elle a été fixée en 2011, puis augmentée une fois, en 2015 ou en 2016, le conseil d'administration ayant décidé de me rémunérer à hauteur de 60 000 euros pour mon mandat d'administrateur délégué de la Belgique. Je n'ai jamais demandé à être augmenté. Quiconque dira le contraire se verra confronté à des difficultés.
Par ailleurs, je n'étais pas membre du conseil d'administration. Ce point est extrêmement important, et je vous remercie de m'avoir posé cette question. Je n'assistais pas non plus à l'assemblée générale. Cela ne m'était pas interdit, mais je considérais que mes activités n'étaient pas concernées.
En revanche, j'étais convié, deux fois par an, à faire un reporting précis sur l'évolution d'un certain nombre d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs concernant le nombre de plaintes émanant de l'ensemble des pays. Ce document assez dense recensait la typologie des plaintes, ainsi que les difficultés ou les problèmes en cours. Si vous le demandez à Orpea, le groupe vous le transmettra bien volontiers.
Mme Véronique Guillotin . - Monsieur Brdenk, ne pensez-vous pas que les gros groupes présentent un intérêt pour ce qui concerne la mutualisation en matière d'équipement et la rationalisation des dépenses, comme ce qui se passe aujourd'hui avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ? Mais pour ce qui concerne la gestion de proximité et les ressources humaines, ces groupes n'ont pas la taille idéale.
Vous parlez beaucoup de reporting et de chiffres, ce que je peux comprendre, dans le cadre d'une gestion supra. Certes, la mutualisation des achats peut engendrer des économies. À la limite, c'est une bonne chose. Toutefois, pour la gestion, sur le terrain, des ressources humaines et des activités sanitaires et médico-sociales, l'échelle n'est sans doute pas pertinente.
M. Jean-Claude Brdenk . - C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais signé un contrat de travail, qu'il s'agisse d'un CDD ou d'un CDI, sur un site du terrain. Cela relève de la responsabilité du directeur, accompagné de son directeur régional, afin de garantir une homogénéité des pratiques.
En revanche, je l'ai compris à la lecture du rapport, il y avait des erreurs manifestes, qu'il convient de corriger. Je regrette notamment le nombre trop important de procédures.
Madame la sénatrice, les recrutements sont bien faits sur place. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les directeurs, qui connaissaient leurs équipes et avaient en moyenne sept ans d'expérience, pouvaient compter sur un personnel fidèle, grâce à 82 % de CDI.
Le recrutement se fait sur place, avec l'aide du siège et un service dédié aux RH, pour avoir plus de personnel potentiellement soignant.
Mme Véronique Guillotin . - Le pilotage du recrutement est fait non pas sur le terrain, mais à une échelle supra, à partir des indicateurs qui remontent du terrain !
M. Jean-Claude Brdenk . - Les directeurs dépassaient systématiquement le budget alloué en début d'année. Que l'on aille vérifier si la masse salariale de début d'année, fixée pour douze mois, était ou non dépassée ! J'ai prêté serment, je ne vais pas raconter de bêtises !
Mme Véronique Guillotin . - Je ne vous contredis pas sur ce point. Je parle non pas de chiffres, mais de pilotage des activités de gestion des centres.
M. Jean-Claude Brdenk . - Elle est faite par les directeurs, sur les centres.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous affirmez là que vous n'organisiez pas le pilotage général des directeurs régionaux et des directeurs d'exploitation.
M. Jean-Claude Brdenk . - Non, Mme Guillotin m'interroge sur les directeurs de centre, au plus près des recrutements sur le terrain.
Les directeurs d'établissement, dans le cadre du respect budgétaire, ...
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Oui, c'est cela, dans le cadre du respect budgétaire...
M. Jean-Claude Brdenk . - Ils le construisaient ensemble ! Ils calaient une borne basse et une borne haute. Ce qu'il est important de savoir, ce n'est pas qu'un indicateur est dans le vert ou dans le rouge, mais pourquoi il est dans le vert ou dans le rouge. Cela relève de la responsabilité des directeurs régionaux et nationaux.
Il y avait à peu près 65 000 personnes dans les cliniques et maisons de retraite, et, de mémoire, 22 000 salariés en France. Vous pensez bien que je ne dirigeais pas 22 000 personnes !
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je parlais des directeurs régionaux ! L'attitude difficile qu'ils ont ressentie était-elle réelle ?
M. Jean-Claude Brdenk . - Je ne dirigeais plus les directeurs régionaux depuis la fin de l'année 2014 ou 2015, après la création des directeurs de division. Seuls les directeurs de division pourront répondre à votre question.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - Et tout se passait bien ?
M. Jean-Claude Brdenk . - On ne fait jamais l'unanimité ! Il peut toujours y avoir des dissensions entre un directeur de division et un directeur régional, ou bien entre un directeur régional et un directeur d'exploitation, ou bien entre un directeur sur le terrain et un directeur régional.
Le rapport contradictoire rapporte la perception du management par les directeurs. Celle-ci n'était pas négative.
M. Bernard Bonne , rapporteur . - J'attends beaucoup de l'audit interne, qui doit se terminer fin juin.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie, monsieur Brdenk, mes chers collègues.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .