II. ACCOMPAGNER DAVANTAGE LES FEMMES DANS LEURS PARCOURS DE CARRIÈRE EN CONSTRUISANT UNE VÉRITABLE POLITIQUE DES RH DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Lors de la table ronde du 24 février 2022, Amélie de Montchalin, alors ministre de la transformation et de la fonction publiques, avait indiqué devant la délégation : « le renforcement de la place des femmes ne se fera que par la construction d'une véritable politique de ressources humaines dans notre fonction publique ».

La délégation souscrit à cette conviction et estime que la construction de cette politique des ressources humaines en faveur, notamment, des femmes de la haute fonction publique doit avoir pour finalité un meilleur accompagnement des femmes tout au long de leur carrière, en leur garantissant plus de transparence quant aux critères de nomination au sein des postes d'encadrement, aux postes à pourvoir et aux procédures de sélection pour ces postes.

Mettre en place une véritable politique des ressources humaines au sein de la haute administration impose également d' agir sur le vivier de femmes, non seulement au niveau du recrutement initial mais aussi aux différents échelons d'une carrière .

A. AGIR SUR LE VIVIER

1. Au niveau du recrutement initial

Lors de son intervention devant la délégation, la ministre Amélie de Montchalin a indiqué travailler « sur le vivier de femmes au recrutement initial pour la haute fonction publique, dans les écoles de service public, et en particulier l'Institut national du service public (INSP) qui a remplacé l'ENA depuis le 1 er janvier 2022 ».

Elle a ainsi précisé que la première promotion de l'INSP comptait 44 % de femmes, soit 39 des 89 élèves admis au concours en soulignant que ce chiffre était « historiquement élevé ». En outre, elle a rappelé qu'il était nécessaire d'agir au niveau des classes préparatoires aux concours de la haute fonction publique en promouvant l'égalité des chances, notamment au travers des classes Talents ouvertes pour les boursiers. À cet égard, elle a souligné : « dans les 74 classes Talents que j'ai pu ouvrir en dehors de Paris, dans les universités partout dans le pays, nous comptons près de 50 % de femmes, voire plus. Les classes préparatoires traditionnellement connues, notamment parisiennes, en accueillaient généralement moins de 40 %. Lorsqu'on enlève les freins de l'autocensure géographique et sociale, les femmes se présentent donc largement pour préparer ces concours ».

S'agissant de la promotion interne, l'évolution de la part des femmes parmi les candidats admis aux concours internes de la fonction publique est la suivante d'après les données fournies à la délégation par le ministère de la transformation et de la fonction publiques :

Proportion de femmes parmi les candidats admis aux concours internes
de la fonction publique

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Institut national des études territoriales (INET)

48%

54%

35%

52%

58%

58%

75%

36%

50%

50%

École Nationale d'Administration (ENA)

34%

28%

61%

34%

51%

53%

41%

38%

38%

41%

Directeur d'hôpital (EHESP)

50%

45%

65%

40%

37%

Directeur d'établissement sanitaire, social et médico-social (EHESP)

55%

71%

71%

53%

57%

Source : ministère de la transformation et de la fonction publiques - réponses au questionnaire de la délégation (mars 2022)

La délégation partage la conviction selon laquelle il est nécessaire d' agir dès la formation initiale afin d'encourager plus de femmes à s'engager dans la voie de la haute fonction publique et ainsi enrichir le vivier d'origine. Le constat, ces dernières années, d'une désaffection des filles pour les filières de recrutement dans la haute fonction publique inquiète la délégation qui y voit un échec des politiques d'incitation à la parité dans la haute administration.

2. Sur le long terme, aux différentes étapes de carrière des hauts fonctionnaires

Agir au niveau du recrutement initial est certes une priorité du point de vue de la constitution d'un vivier de femmes hautes fonctionnaires en début de carrière. Toutefois la délégation estime également indispensable de se placer dans une perspective intergénérationnelle afin que ce vivier ne se rétrécisse pas au fur et à mesure des différentes étapes de la carrière des hauts fonctionnaires et que les femmes ne se heurtent plus au plafond de verre souvent rencontré en milieu de carrière.

Les interlocuteurs de la délégation ont d'ailleurs soulevé, au cours de la table ronde du 24 février 2022, la question du vivier de femmes dans la haute fonction publique aux différentes étapes de carrière.

Ainsi, Agnès Arcier , représentant le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, a observé « des difficultés à développer les viviers, notamment dans les ministères, alors qu'au niveau interministériel, un travail important a pu être réalisé ».

De même, Françoise Belet , déléguée nationale de l' Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), a souligné la nécessité d'une approche intergénérationnelle en rappelant que « les carrières des femmes sont souvent plus lentes, pour des raisons qui nous sont connues. Elles doivent elles aussi pouvoir être intégrées aux viviers. C'est bien de penser à l'accompagnement des jeunes générations mais il faut à mon sens prendre en compte les carrières des femmes sur toute la durée ».

Pour cette raison, des programmes d'encouragement à la prise de responsabilités dans la haute fonction publique ont été développés. Ainsi que le rappelait la ministre Amélie de Montchalin devant la délégation : « il s'agit aussi de constituer et de renforcer un vivier de talents féminins pour notre haute fonction publique. Nous ne manquons pas de femmes mais de candidates postulant aux postes ouverts. Pour cette raison, j'ai lancé le programme Talentueuses à l'automne dernier. Nous avons pu sélectionner 50 femmes sur 374 candidates, chiffre témoignant de l'importance et du besoin d'un tel programme. Pour l'anecdote, sachez que les femmes sélectionnées pensaient qu'elles l'étaient en raison d'un faible nombre de candidates. J'ai pu les rassurer et leur confirmer que nous les avions bien choisies. Talentueuses vise à leur permettre d'être armées et soutenues pour accéder à un premier emploi fonctionnel - il s'agit de tous les emplois équivalents au poste de sous directrice ou d'experte de haut niveau. Il ne s'agit donc pas de coacher des femmes susceptibles d'atteindre dans l'immédiat les plus hautes responsabilités, mais de les soutenir pour qu'elles accèdent aux emplois juste en dessous, où nous constatons que le plafond de verre est le plus fort. C'est bien cette catégorie d'emploi qui constitue le vivier des futures femmes qui deviendront cheffes de service puis accéderont aux emplois dirigeants et, enfin, aux emplois à la décision du gouvernement ».

En outre, la ministre a annoncé la nomination d'un adjoint chargé des enjeux d'égalité et de diversité au sein de la Délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE), qui « s'assurera notamment que la constitution du vivier de femmes soit bien effective à chaque étape de la carrière de nos hauts fonctionnaires. De nombreux éléments chiffrés seront suivis pour les différents ministères. Les objectifs seront beaucoup plus précis et raffinés que ceux de la loi Sauvadet. La constitution de ce vivier est indispensable pour que la politique volontariste menée par le Président de la République depuis cinq ans puisse perdurer. (...) C'est bien pour cette raison que ce programme d'accompagnement, de coaching et de formation est indispensable pour lever les freins qui persistent encore trop souvent ».

Le ministère de la transformation et de la fonction publiques a précisé, dans ses réponses au questionnaire adressé par la délégation sur l'application de la loi Sauvadet, que le rôle de la DIESE est « de mieux identifier et accompagner les talents, de structurer une politique de viviers, d'orienter les cadres supérieurs dans la construction de leurs parcours, de structurer le conseil en évolution et en mobilité, d'encourager l'alternance entre les postes opérationnels et d'expertise et de faciliter les transitions professionnelles ».

La délégation estime en revanche que la question du vivier de femmes ne doit pas se muer en « arbre qui cache la forêt » car bien souvent le vivier existe mais les obstacles à la promotion des femmes dans les postes d'encadrement de la haute fonction publique sont d'ordre structurel voire systémique. Ainsi que le formulait Nathalie Pilhes , présidente de l'association Administration moderne devant la délégation lors de la table ronde du 24 février 2022 : « quels sont les obstacles ? Sont-ils systémiques ? Nous le pensons. En 2017, nous observions, parmi les nominations au ministère de la justice, que si le corps des magistrats était féminisé aux deux tiers, les postes de direction étaient masculins aux deux tiers. Derrière la question du vivier, nous constatons donc des sujets de résistance systémique ».

De même, Agnès Saal , haute fonctionnaire à la responsabilité sociale des organisations du ministère de la culture, a déclaré devant la délégation : « les femmes représentent plus de 54 % des effectifs totaux de notre ministère. Qu'on ne vienne donc pas nous dire que le vivier n'existe pas. Les femmes sont là. Elles sont compétentes et pleinement en mesure d'assumer des fonctions de haute responsabilité ».

Enfin, sur la notion de talents, Alban Jacquemart , maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Dauphine, a invité à « être attentifs » . Il estime que « les effets de corps peuvent avoir des effets négatifs pour les femmes, mais aussi des effets protecteurs lorsque celles-ci sont dans le corps. L'approche par talents peut avoir un effet pervers, qui n'est absolument pas propre à la fonction publique. Les parcours marginaux ou atypiques des hommes seront beaucoup plus facilement valorisés que ceux des femmes, qui doivent cocher les cases attendues des modèles de carrière dans leur secteur professionnel. Le talent, le génie, le charisme sont historiquement des notions favorables aux hommes. La plus grande attention doit être portée à ces sujets, notamment lorsqu'il s'agit de réformer les manières de faire carrière ».

Recommandation n° 7 : renforcer le vivier de femmes susceptibles d'occuper des postes de l'encadrement supérieur et dirigeant de la fonction publique, au niveau du recrutement initial et aux différentes étapes de carrière des hauts fonctionnaires.

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