PARTIE 3 : UN EXAMEN DES DEMANDES D'ASILE CONFRONTÉ AUX DIFFICULTÉS TIRÉES D'UNE HARMONISATION EUROPÉENNE ENCORE INSUFFISANTE
En raison tant de l'importance que notre Constitution reconnaît au droit d'asile que des engagements internationaux et européens auxquels la France a souscrits, le parcours des demandeurs d'asile dans notre pays obéit à des procédures administratives et contentieuses spéciales, dont la mise en oeuvre repose principalement sur des opérateurs de l'État (OFPRA, OFII) et une juridiction (CNDA) spécialisés. Ces procédures sont ainsi distinctes de celles auxquelles sont soumis les étrangers en demande d'un titre de séjour, même si, dans les faits, ces publics peuvent pour partie se recouper.
La France est depuis plus d'une dizaine d'années soumise à une demande d'asile soutenue, en croissance continue malgré une légère baisse récente directement imputable à la crise sanitaire de 2020-2021. Ainsi, alors que l'OFPRA avait enregistré 44 782 demandes d'asile en 2011, ce nombre a atteint près de 103 000 en 2021, en légère diminution après le « pic » de 132 826 demandes enregistrées en 2019. De son côté, la CNDA, qui avait enregistré 31 983 recours en 2011, en a enregistré 68 243 en 2021.
Évolution du nombre de demandes d'asile, hors mineurs accompagnants
Source : commission des finances du Sénat, d'après Ministère de l'intérieur 102 ( * )
Si des efforts très substantiels - et qui méritent d'être salués - ont été faits au cours des dernières années pour doter ces deux institutions des moyens nécessaires pour faire face à cette augmentation importante, des points de blocage subsistent, qui sont en partie imputables à une coordination insuffisante entre États membres de l'Union européenne et à des dispositifs inadaptés. La mission d'information considère à cet égard que le statu quo n'est plus tenable et que des progrès substantiels doivent être réalisés sans tarder dans la définition de nouveaux équilibres à l'échelle de l'Union.
I. UNE RELATIVE MAÎTRISE DES DÉLAIS MOYENS D'INSTRUCTION, QUI NE REND PAS TOUJOURS COMPTE DE LA RÉALITÉ DU PARCOURS DES DEMANDEURS D'ASILE
A. UNE MAÎTRISE DES DÉLAIS DEVANT L'OFPRA ET LA CNDA PERMISE PAR UN EFFORT IMPORTANT DE CRÉATIONS DE POSTES
1. La fixation d'objectifs ambitieux
En l'état du droit, tout étranger qui sollicite la protection de la France au titre de l'asile est autorisé à se maintenir sur le territoire national pendant l'examen de sa demande 103 ( * ) . Même s'il bénéficie en principe dans cet intervalle des « conditions matérielles d'accueil » (à savoir une allocation et, en principe, un hébergement ainsi qu'un accompagnement social), sous la responsabilité de l'OFII 104 ( * ) , sa situation demeure précaire, et il est dans son intérêt que sa situation soit examinée dans les plus brefs délais possibles, tandis qu'un examen dans de tels délais constitue pour l'État un impératif pour prévenir les demandes dilatoires et lutter contre les détournements de procédure dont l'asile est parfois l'objet. Il s'agit également d'un levier important de maîtrise des dépenses d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile.
À cette fin, il a été prévu que l'OFPRA devrait en principe instruire les demandes dont il est saisi dans un délai de six mois 105 ( * ) , et la CNDA se prononcer sur les recours introduits devant elle en cinq mois , sauf pour les demandeurs d'asile placés en « procédure prioritaire », dont le recours doit être jugé en cinq semaines 106 ( * ) . Toutefois, dans son Plan d'action intitulé « Garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires », présenté en juillet 2017, le Gouvernement s'est fixé l'objectif plus ambitieux de parvenir à un délai d'examen global de six mois, dont 60 jours pour l'OFPRA .
2. Des objectifs qui ne paraissent plus hors d'atteinte
L'augmentation continue de la demande d'asile a toutefois mis ces deux institutions dans l'incapacité à tenir ces délais. Le délai moyen d'instruction à l'OFPRA atteignait ainsi 166 jours en 2019, tandis que le délai moyen de jugement constaté à la CNDA la même année était de sept mois et cinq jours (dont trois mois et ving-neuf jours pour les recours en procédure prioritaire).
Afin de les aider à y faire face, un effort très substantiel de créations de postes a été réalisé au cours des dernières années : l'OFPRA a notamment bénéficié d'une dotation de 200 ETPT supplémentaires en loi de finances pour 2020, portant ses effectifs à plus de 1 000 ETPT (voir graphique ci-dessous), tandis que les créations de postes renouvelées à la CNDA depuis 2018 ont permis de porter le nombre de rapporteurs à la CNDA à un niveau inédit de 339. Cet effort, dont les effets ont été transitoirement amoindris par les confinements de 2020-2021, ont ainsi permis d'atteindre un délai moyen d'instruction à l'OFPRA de six mois à la fin du mois de février 2022 (alors qu'il avait atteint neuf mois à l'été 2020) et un délai moyen de jugement à la CNDA de sept mois et huit jours en 2021 (dont quatre mois pour les recours en procédure prioritaire).
Grâce aux efforts réalisés, complétés par un recours accru à la dématérialisation pour l'envoi des convocations et la notification des décisions, l'OFPRA a adopté plus de 139 000 décisions en 2021, ce qui représente un niveau jamais atteint (+56 % par rapport à 2020 et +16 % par rapport à 2019) et en fait le premier office de protection au sein de l'Union européenne en termes de niveau d'activité, devant l'Allemagne. Il a ainsi déstocké près de 40 000 dossiers anciens en un an. L'âge moyen du stock de l'OFPRA est de 5,8 mois fin décembre 2021 et près de 40 % de son stock est composé de dossiers de moins de deux mois).
Source : DGEF
Source : commission des finances du Sénat 107 ( * )
Dans leur avis budgétaire, au nom de la commission des lois du Sénat, consacré à la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2022, Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère notaient ainsi, s'agissant de l'OFPRA, « que l'objectif d'une réduction à 60 jours du délai d'examen d'ici 2023 n'était pas hors de portée pourvu que le stock soit ramené à son niveau incompressible de 30 000 dossiers en cours d'année 2022 » 108 ( * ) .
S'agissant de la CNDA, ils estimaient en revanche que « les délais cibles [semblaient] toujours difficilement atteignables à moyen terme », en raison notamment des « contingences externes auxquelles est confrontée la Cour, en particulier le nombre réduit d'avocats spécialisés et la limitation du nombre de dossiers journaliers par cabinet et par audience » 109 ( * ) . En outre, la capacité de jugement de la Cour est affectée depuis l'automne 2021 par une grève intermittente d'avocats protestant contre le recours par la Cour aux ordonnances dites « nouvelles » 110 ( * ) , dont la proportion a pourtant légèrement baissé en 2021 (31 % du nombre total de décisions, contre 33 % en 2019 et 2020).
Conjugués à une diminution significative des délais d'enregistrement des demandes d'asile dans les guichets uniques pour demandeurs d'asile (GUDA) , passés de 18 jours en 2017 à moins de trois jours en 2021, ces efforts, qui contribuent à la maîtrise de notre politique migratoire, méritent d'être salués et poursuivis.
* 102 Repris du rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020, sur la mission « asile, immigration, intégration » du projet de loi de finances pour 2021 : http://www.senat.fr/rap/l20-138-316/l20-138-316.html
* 103 Selon des modalités précisées aux articles L. 540-1 et suivants du CESEDA, qui précisent notamment les cas dans lesquels l'exercice d'un recours devant la CNDA ne présente pas un caractère suspensif.
* 104 Articles L. 550-1 et suivants du CESEDA.
* 105 Article R. 531-6 du CESEDA, qui renvoie aux délais précisés à l'article 31 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale.
* 106 Article L. 532-6 du CESESDA.
* 107 Repris du rapport général n° 163 (2021-2022) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021, sur la mission « immigration, asile, intégration » du projet de loi de finances pour 2022 : https://www.senat.fr/rap/l21-163-316/l21-163-316.html
* 108 http://www.senat.fr/rap/a21-169-2/a21-169-21.pdf , page 14.
* 109 Idem.
* 110 Prévues à l'article L. 532-8 du CESEDA, qui permet notamment au président et aux présidents de section, de chambre ou de formation de jugement, après instruction, de statuer par ordonnance sur les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision d'irrecevabilité ou de rejet de l'OFPRA.