Première table ronde :
Orienter et former pour davantage de
mixité
Animée par Annick Billon,
présidente de
la délégation aux droits des femmes
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
Notre première table ronde est consacrée aux sujets d'orientation et de formation. Nous le savons, encourager la mixité dans les entreprises implique une action en amont, auprès de nos jeunes, étudiants, lycéens, collégiens et même écoliers. C'est dès le plus jeune âge qu'il faut agir.
Notre premier axe de réflexion porte sur les obstacles qui freinent aujourd'hui la progression de la mixité et de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Pourquoi, encore aujourd'hui, les jeunes filles n'investissent-elles pas davantage les secteurs manuels, techniques ou scientifiques ?
Pourquoi ne représentent-elles qu'un quart des salariés du secteur du numérique, où le potentiel d'emploi est pourtant important. Cette proportion ne semble pas en voie d'amélioration : les filles ne représentent que 3 % des lycéens suivant la spécialité « Numérique et Sciences Informatiques » et 7 % des étudiants d'école d'ingénieur suivant la spécialité « Informatique et science informatique ».
Pourquoi les femmes sont-elles moins nombreuses à occuper des postes à responsabilités opérationnelles et techniques, alors qu'elles sont aujourd'hui plus nombreuses que les hommes à être diplômées de master et aussi nombreuses à être diplômées des grandes écoles ? À noter néanmoins : elles ne représentent que 28 % des étudiants en école d'ingénieur, un taux qui stagne depuis dix ans.
Pourquoi, à l'inverse, les secteurs du soin, de l'aide à la personne et du social sont-ils féminisés à plus de 75 % ?
Dans ce cadre, sans doute faut-il aussi s'interroger sur l'impact de la réforme du lycée mise en oeuvre depuis 2019. En effet, la part des filles dans les enseignements de mathématiques en filière générale a brusquement chuté, retombant en 2021 à 40 %, soit le niveau de 1994. Ces résultats risquent de diminuer à nouveau la part des femmes en école d'ingénieur ou dans les autres filières scientifiques et, par conséquent, de réduire leur présence dans les secteurs de l'industrie et du numérique.
Notre second axe de réflexion est davantage prospectif et opérationnel. En tant que parlementaires, nous nous intéressons à l'évaluation des mesures mises en place et aux recommandations de politique publique en matière d'orientation et de formation. Notre démarche est également pragmatique, valorisant les initiatives locales ou les programmes concrets qui ont fait leurs preuves et gagneraient à être davantage connus et généralisés.
Pour nourrir nos réflexions, nous accueillons Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, chancelière des universités, co-auteure d'un rapport intitulé Faire de l'égalité filles-garçons une nouvelle étape dans la mise en oeuvre du lycée du XXI e siècle , remis au ministre de l'éducation nationale le 9 juillet 2021, et M. Jean Charles Ringard, Inspecteur général Éducation, sport et recherche, co-auteur du rapport précité ; Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes ingénieures ; Fabienne Birot-Pauly, vice-présidente de L'Outil en Main France et cheffe d'entreprise, et Maurice Loué, président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne ; et Mélanie Rault, directrice régionale de l'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne.
Je vous souhaite la bienvenue à toutes et à tous.
Nous nous réjouissons d'entendre vos témoignages et de voir comment, chacun dans vos champs d'intervention spécifique, vous réfléchissez au sujet de la mixité et, surtout, menez des initiatives concrètes qui contribuent à améliorer la mixité dans tous les secteurs.
Sophie Béjean, rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, chancelière des universités
En tant que rectrice, je suis évidemment engagée pour faire progresser les enjeux de mixité dans les formations et dans les enseignements de la voie générale et technologique, mais aussi dans la voie professionnelle. J'étais ce matin avec des associations, des entreprises du numérique et des jeunes filles, élèves de nos collèges et lycées, pour leur montrer tout l'intérêt des métiers du numérique. Je serai plus tard dans la journée avec Capital fille , association engagée de longue date aux côtés de l'Éducation nationale avec des entreprises de tous secteurs d'activité, des parrains et des marraines, pour lutter contre les stéréotypes de genre mais aussi sociaux dans les choix d'orientation. Ce soir, avec la présidente de la région Occitanie et la présidente régionale du Medef, nous lancerons le plan régional d'action pour plus d'égalité filles-garçons, plus de mixité dans les formations et dans les parcours d'orientation.
Je suis aussi présidente de l' Association pour les femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Afdersi), qui promeut la place des femmes dans les postes à responsabilités dans l'enseignement supérieur, l'université et la recherche. Ces secteurs n'échappent ni au plafond de verre, ni à ce qu'on appelle parfois le « tuyau percé ». Nous travaillons avec bien d'autres réseaux féminins du secteur public, mais aussi du secteur privé, dans le cadre d'une plateforme intitulée 2GAP , Gender & governance action platform , dont fait partie l'association Femmes ingénieures , représentée ici par Aline Aubertin.
Il y a un an, le 8 mars 2021, le ministre Jean-Michel Blanquer installait un groupe de travail pour réfléchir à des actions susceptibles de dépasser les rigidités et les freins à la mixité dans les formations et les métiers au sein des parcours d'orientation des élèves. Ce groupe de travail, que j'ai présidé, a réuni des représentants des organisations syndicales, des associations, des parents d'élèves, des lycéens et des chercheurs spécialistes. Il a produit un état des lieux quantitatif, puis mené une enquête auprès de 5 500 lycéennes et lycéens représentatifs de l'ensemble du territoire, métropolitain et d'outre-mer. Privilégiant une approche individuelle, celle-ci a notamment révélé que les lycéens et lycéennes choisissent leur orientation en fonction de la possibilité d'avoir une diversité de parcours, et que leurs choix restent très marqués par des stéréotypes de genre bien qu'ils aient le sentiment de choisir par eux-mêmes.
Quels sont les principaux constats ? En dépit d'actions foisonnantes sur le terrain, dans les académies et les établissements scolaires, les inégalités sont persistantes. Le cadre réglementaire apparaît pourtant satisfaisant : l'égalité entre les filles et les garçons est inscrite dans la loi. L'engagement des acteurs publics n'est pas davantage en cause : de l'Éducation nationale bien sûr, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche mais également des ministères partenaires engagés par la convention interministérielle signée en 2019. La réforme du baccalauréat a-t-elle joué un rôle ? En offrant plus de diversité de parcours, elle a révélé des inégalités qui préexistaient mais qui étaient masquées par le fait que les élèves étaient réunis dans un nombre de filières - S, ES et L - plus réduit.
Quelques chiffres montrent que les choix des élèves sont encore très marqués par les stéréotypes de genre. Les élèves du lycée ont la possibilité de combiner des enseignements de spécialité, trois en première, deux en seconde. Les filles sont 82 % au sein de la doublette « Humanités, sciences économiques et sociales », et 81 % au sein de la doublette « Humanités, langues et civilisations étrangères ». La mixité allant dans les deux sens, on constate que les garçons ne s'intéressent pas suffisamment à ces filières. À l'inverse, la doublette « Mathématiques et sciences de l'ingénieur » ne compte que 12 % de filles, et la doublette « Mathématiques, numérique et sciences informatiques » 10 %. En revanche, elles sont plus de 53 % à choisir « Mathématiques et SVT ».
Dans l'enseignement supérieur, les formations médicales, paramédicales et sociales sont choisies à 84 % par des filles et, à l'inverse, elles ne représentent que 20 % des effectifs dans les formations d'ingénieurs, sans même distinguer celles qui relèvent des sciences de la vie ou de l'agronomie, qui sont plus choisies par les filles que les filières liées à l'industrie. Quant à la voie technologique, elle montre les mêmes déséquilibres.
À partir de ces constats, nous avons retenu cinq leviers d'actions.
En premier lieu, un pilotage volontariste à tous les niveaux : ministère, régions, académies et établissements scolaires, à partir d'une mesure nouvelle qui doit mobiliser l'ensemble de la communauté éducative. Nous mettons en place au lycée un label « égalité filles-garçons », à l'image du label en faveur du développement durable, qui doit inciter les établissements à développer un projet « égalité filles-garçons », y compris en matière de mixité, dans tous les enseignements ainsi que dans le choix des filières. Notre Premier ministre a également souhaité la mise en place d'une semaine de l'égalité autour du 8 mars. Dans l'académie de Montpellier, ce sera la deuxième semaine de l'égalité, puisque que nous avions anticipé avec une première semaine au mois d'octobre dernier.
Deuxième levier, le renforcement de la communication et de l'information en direction des jeunes, à travers des messages auxquels ils peuvent être sensibles. Le mentorat est très important, à l'image de ce que nous pratiquons avec l'association Capital filles , où des représentants du monde professionnel viennent mentorer, parrainer ou marrainer des jeunes élèves. Nous souhaitons aussi développer le mentorat réalisé par des étudiants, qui sont des modèles plus proches pour les élèves. Nous voulons favoriser l'accueil des filles dans les formations où elles sont peu nombreuses ainsi que dans les stages en entreprise. Dans la région Occitanie, nous lançons avec le Medef et l'ensemble des acteurs économiques une charte d'accueil pour les filles dans les stages en entreprise. Avec les régions, le monde économique, les branches professionnelles et l'appui de l'Onisep (Office national d'information sur les enseignements et les professions), il faut également continuer à communiquer sur la mixité des métiers, sur le fait que nos représentations des métiers et des formations sont périmées et que toutes les filières peuvent accueillir filles et garçons.
Troisième levier, l'orientation, pour laquelle nous avons décidé de doter l'Éducation nationale, les académies et les établissements scolaires d'un objectif cible de 30 % de mixité au lycée et dans les formations post bac. Le ministre souhaite également lancer une expérimentation de « bourses à l'égalité », pour inciter les filles ou les garçons à rejoindre les formations les plus déséquilibrées. Certains établissements d'enseignement supérieur le font déjà, notamment l'école de management de Montpellier qui a mis en place des bourses à l'égalité pour les filles qui rejoignent certaines formations.
Quatrième levier, l'action sur ce qui se fait dans la classe même, c'est-à-dire la façon dont les professeurs, dans leurs postures professionnelles ou dans certains enseignements - éducation à la citoyenneté, éducation aux valeurs de la République - vont pouvoir agir pour déconstruire les stéréotypes de genre. À cet égard, le grand oral, cette nouvelle épreuve du baccalauréat réformé, nous semble être un levier particulièrement intéressant. Moins encouragées que leurs homologues masculins à prendre la parole en classe, les filles ont souvent plus de freins à l'oral. À condition d'y avoir été correctement préparées par leurs professeurs, le grand oral constitue une formidable occasion pour les filles d'être mises en confiance et d'exprimer toutes leurs connaissances et leurs talents.
Le dernier levier concerne la formation initiale et continue de nos personnels et de nos professeurs. En réalité, nos professeurs ne savent pas toujours comment s'y prendre pour lutter contre les stéréotypes de genre. Quelles sont les postures professionnelles qui sont autant favorables aux filles qu'aux garçons ? Nous sensibiliserons également les membres des jurys et tous les acteurs de l'orientation.
Voici en résumé le plan d'action en cinq axes, comportant une vingtaine de mesures, des objectifs cibles clairs qui responsabilisent chacun à tous les niveaux. Nous le lancerons dès ce soir avec la présidente de la région Occitanie, la présidente du Medef Occitanie, des partenaires économiques, des universités, des établissements de l'enseignement supérieur et des associations.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
Ces propos font écho aux travaux que nous menons dans nos délégations respectives. Nous avons nettement perçu ces stéréotypes de genre, en matière d'orientation, dans le cadre de l'élaboration de notre rapport sur la ruralité intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité .
Jean-Charles Ringard, inspecteur général éducation, sport et recherche
Avec le rapport que nous avons remis au ministre, dont l'essentiel des propositions seront mises en oeuvre à la rentrée 2022, nous changeons de paradigme. Les premiers travaux sur l'égalité entre filles et garçons datent d'une quarantaine d'années : en 1984, Jean Pierre Chevènement et Yvette Roudy amorcent les premières réflexions sur la place des filles et des femmes dans les filières scientifiques. À l'époque, l'approche est centrée sur l'orientation, considérée comme une cause, plutôt qu'une conséquence. Nous changeons cela et, à cette fin, agissons sur deux niveaux.
Le premier niveau se situe dans la classe. Le rapport maître élève est tel que le geste professionnel d'un enseignant a une influence sur la représentation des filles, sur leur confiance en elles-mêmes et leurs choix futurs. Le premier changement de paradigme consiste à faire prendre conscience aux enseignants de leur influence sur les représentations, les stéréotypes, et, par conséquent, sur les projections de parcours. Notre rapport identifie un certain nombre de travaux scientifiques qui montrent combien on peut modifier le rapport aux mathématiques et aux sciences des filles à partir de la manière dont elles sont interpellées et stimulées dans la classe.
Le deuxième niveau se situe dans les établissements, qui doivent avoir des objectifs clairs. Nous nous sommes posé la question des quotas, à l'image des quotas de boursiers dans les classes préparatoires. Finalement, le ministre a retenu l'idée qu'entre 2022 et 2025, chaque enseignement de spécialité de lycée, chaque filière technologique et chaque filière sélective post bac devrait avoir au moins 30 % de mixité, ce qui va dans les deux sens, les garçons étant très peu présents dans les lettres et les humanités.
Au-delà du changement de paradigme, la Présidente Billon a annoncé des chiffres qui montrent un effondrement de la part des filles dans les filières scientifiques et mathématiques. À ce sujet, trois remarques.
D'abord, il ne faut pas comparer ce qui n'est plus comparable. Nous étions auparavant dans une logique de série : les séries A, B, C, D depuis 1965 puis L, ES, S à partir de 1994. La série est un menu complet. En 2018, plus d'un élève sur deux allait en série S. En vingt ans, le lycée a progressivement dérivé vers la série S, considérée comme une série d'excellence mais dont seulement 52 % des élèves se dirigeaient ensuite vers les filières scientifiques, avec des proportions à peu près symétriques s'agissant des filles. La nouvelle logique du lycée n'est pas une logique de menu mais une logique de choix à la carte. Ce choix à la carte part d'un principe pédagogique extrêmement simple, celui de la motivation des élèves lorsqu'on les invite à choisir une spécialité. Depuis le mois de janvier, il y a eu quelques polémiques autour des mathématiques. Je m'étonne un peu que certains mathématiciens comparent des choses qui ne sont pas totalement comparables. On ne peut comprendre le choix des filles et des garçons au lycée qu'en fonction de cette logique de choix, en fonction de leur appétence, et non à partir de la logique antérieure des séries.
Ma deuxième remarque porte sur la situation effective des filles dans le cadre du nouveau lycée. Certes, il y a potentiellement moins de filles dans les matières scientifiques, mais que deviennent, un an après, celles qui ont choisi mathématiques, physique, chimie, Sciences et vie de la terre (SVT), Numérique et sciences informatiques (NSI) ou Sciences de l'ingénieur (SI) ? Nous devons faire preuve de prudence méthodologique. La réforme n'a qu'un an, le contexte du Covid est présent, nous manquons de recul. Mais d'ores et déjà nous constatons un frémissement au niveau des quatre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques : un peu plus de filles les ont choisies. En l'état actuel, il est vrai qu'il y a moins de filles dans les parcours scientifiques, et particulièrement les plus mathématisés, mais il y a plus de filles qui s'orientent vers les sciences et les mathématiques après le bac.
Enfin, il importe que nous ne travaillions pas seulement sur l'aspect orientation, mais également sur les actions à mener dans les lycées, collèges et écoles. L'Éducation nationale a sa part de responsabilité dans la situation et ne peut s'en exonérer. Nous devons corriger ou atténuer certains effets de la réforme. Cette correction relève aussi de choix de société. Ce qui est sûr, c'est qu'à travers notre rapport, le ministre Blanquer prend une vraie orientation politique. C'est un travail de longue haleine qui nécessite une grande détermination.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
Notre collègue Marie-Pierre Monier, co-rapporteure avec notre collègue Max Brisson et moi-même du rapport de la commission de la culture sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, aura peut-être souri à vos propos. Pour choisir à la carte, encore faut-il qu'elle soit compréhensible et que l'on sache où tel plat vous emmène. Bien souvent, les élèves ne connaissent ni les attendus ni les prérequis des formations supérieures.
Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes ingénieures
Je suis directrice des achats chez GE Healthcare , dans un secteur très scientifique, et administratrice de la biopharma Oncodesign . J'ai fait toute ma carrière dans l'industrie et, depuis une trentaine d'années, je suis très engagée au sein de l'association Femmes ingénieures que j'ai le plaisir de présider depuis 2013. Nous agissons avec la conviction que l'égalité réelle est source de richesse, et sommes confortées par de nombreuses études montrant que plus une entreprise est féminisée, plus son « bas de page », diraient les financiers, est intéressant, plus elle est créative, plus elle innove, se développe et crée de la richesse. Forts de cette conviction, nous cherchons à valoriser les ingénieures pour inspirer notre société puisque, effectivement, seuls 30 % des élèves ingénieurs sont des filles.
Notre mission consiste à faire la promotion des métiers d'ingénieurs auprès des filles et des femmes. J'insiste sur le mot femme car il s'agit également de rendre les ingénieures plus visibles dans l'entreprise et dans la société en général, puisque les petites filles ne voient jamais d'ingénieures autour d'elles. Elles n'ont donc pas la possibilité de se projeter facilement et ne vont pas vers ces métiers.
Femmes ingénieures est une association d'intérêt général qui joue un rôle de think tank et d'influence. Elle existe depuis quarante ans et a été créée par des femmes ingénieures qui avaient envie de se rassembler pour se sentir un peu moins seules. Progressivement, l'association s'est ouverte également à l'adhésion des personnes morales. Les nombreuses entreprises membres marquent bien leur volonté de recruter plus de femmes. C'est d'ailleurs désespérant : les entreprises viennent auprès de Femmes ingénieures et nous demandent : « Que pouvons-nous faire pour avoir plus de femmes ? », alors que les filles investissent des filières où il n'y a pas forcément autant de métiers différents, ou le plein emploi comme chez les ingénieurs. Nous comptons aussi de nombreuses associations, notamment des associations d' Alumni .
Puisqu'on a parlé de changement de paradigme, la nouveauté depuis quelques années, c'est que des écoles d'ingénieurs commencent également à se saisir de cette problématique. Elles ne disent plus : « les filles sont les bienvenues, si elles ne viennent pas qu'y pouvons-nous, le problème se situe avant nous dans les classes prépa ». Aujourd'hui, les écoles elles-mêmes se disent qu'elles ne peuvent plus conserver cette posture et qu'elles doivent faire quelque chose. L'Observatoire des ingénieurs réalise chaque année une analyse statistique comparée de la population des ingénieurs hommes et des ingénieures femmes à partir des données statistiques de la Fédération de l'ensemble des associations d'ingénieurs, Ingénieurs et scientifiques de France , qui montre que la proportion de filles dans les écoles d'ingénieurs s'élève à 30 % aujourd'hui, soit dix points de plus qu'il y a trente ans. Les chiffres évoluent, mais très peu, et la tendance est plutôt à la stagnation depuis quelque temps.
C'est d'autant plus désespérant qu'en 2020, en pleine pandémie, 90 % des jeunes diplômées ont mis moins d'un an pour trouver un emploi et que 80 % avaient trouvé en moins de trois mois. Leur salaire d'embauche atteint deux fois le SMIC. Le chômage est inconnu dans la profession. Donc il n'y a aucune raison que les filles ne s'y dirigent pas. Une remarque quand même : dès l'embauche, les femmes ingénieures gagnent 4 % de moins que les hommes. Ce n'est pas toujours dans le même métier, d'accord, ce ne sont pas toujours les mêmes formations, d'accord, mais la posture qui est de dire : « On veut des ingénieures mais dès l'embauche, on commence à les payer moins que les hommes » pose problème et n'est pas très vendeuse.
Ceci étant posé, un autre chiffre extrait de l'enquête Gender scale à laquelle nous collaborons, donne une image de la perception des métiers scientifiques par des adolescents aux alentours de 11 ans. Il en ressort que les filles sont a priori beaucoup moins intéressées par ces métiers. S'agissant du numérique, 7 % des filles se montrent intéressées, contre 29 % des garçons à cet âge. C'est là où les propos de M. l'inspecteur général, avec tout le respect que je lui dois, me font bondir, car autant je n'ai jamais été favorable au fait d'avoir une filière d'excellence qui fausse les règles du jeu et qui menait certains élèves à choisir la filière S pour aller à Sciences Po, autant je ne suis pas d'accord avec ce que je viens d'entendre parce que, s'il y a un menu à la carte, on n'a pas expliqué aux filles que, suivant les choix qu'elles ont fait sur la carte, elles seraient potentiellement privées de dessert ! Si elles n'ont pas fait les bons choix, elles ne pourront pas aller vers les filières scientifiques et techniques, elles laisseront la place à des garçons qui auront des emplois mieux payés qu'elles, qui auront des carrières qu'elles auraient tout à fait pu s'offrir si elles avaient fait les bons choix et si on leur avait donné les bonnes explications. Je veux bien croire que ce n'était pas du tout l'objectif de cette réforme qui fait sens par ailleurs, mais force est de constater ses résultats et, si on ne fait rien, la proportion de femmes ingénieures va diminuer.
C'est un enjeu de société parce que l'on va manquer d'ingénieurs et surtout parce que les outils du numérique sont omniprésents dans notre vie. L'idée que les femmes pourraient demain être exclues de ce monde de technologies est impensable. D'ores et déjà, l'intelligence artificielle reconnaît mieux les visages d'hommes que les visages de femmes, les femmes blanches que les femmes noires. Chez GE Healthcare , on fabrique des mammographes. Croyez-vous vraiment qu'on peut inventer le mammographe de demain sans que, dans les écoles et les équipes de recherche et développement, il y ait une femme ? Pour moi, c'est absolument inenvisageable, et c'est pourquoi l'enjeu d'avoir des femmes dans la technologie est crucial.
Dernier chiffre, les résultats d'une enquête sociologique de 2016 - elle date un peu mais la réalité n'a pas changé - réalisée dans des écoles d'ingénieurs auprès de filles et de garçons cherchant à évaluer le vécu des filles et des garçons. Pour 72 % des filles et 75 % des garçons, la culture de leur école d'ingénieurs est encore très masculine. Le milieu n'est pas si accueillant que ça pour les filles, parce qu'il est hyper masculinisé. Les garçons disent que ça pourrait décourager les filles et ils le regrettent. Ils nous disent « Nous, on voudrait qu'il y ait plus de filles dans les écoles d'ingénieurs ». Ce faible pourcentage de filles active dès le départ le syndrome de l'imposture. Il est difficile aujourd'hui d'être dans une école d'ingénieurs quand vous êtes moins de 10 % de filles et que l'on vous renvoie le message que vous n'êtes pas à la bonne place, parce que vous ne ressemblez pas au monde qui vous entoure.
À chaque élection présidentielle, nous soumettons des propositions concrètes aux candidats. Nous venons de les actualiser avec nos amis des associations Femmes et mathématiques et Femmes et sciences . Elles sont au nombre de 26 et les axes majeurs sont les suivants.
Tout d'abord, il faut agir sur le grand public, les professionnels, les parents et, surtout, il faut repenser la place des sciences dans l'enseignement primaire et secondaire. À l'école primaire, les enseignantes ont majoritairement fait des études littéraires et ne sont pas à l'aise avec les mathématiques et les sciences. Bien malgré elles, elles véhiculent des stéréotypes - il n'est pas question de stigmatiser, mais la réalité est là.
Il faut encourager l'orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques et techniques. Des études scientifiques montrent que pour changer leur perception, il faut aller à leur rencontre à des moments clés de l'orientation et ce, à plusieurs reprises. La Fondation L'Oréal notamment a financé une étude qui prouve que lorsque des jeunes filles rencontrent des professionnels, elles vont davantage vers ces métiers mais que les résultats sont meilleurs quand elles les ont rencontrés peu de temps avant de faire leur choix dans Parcoursup , et encore plus si elles en ont rencontrés plusieurs fois.
Il faut également mettre en place un environnement non sexiste qui favorise la mixité dans les lycées et les établissements, et dynamiser la carrière des femmes pour éviter qu'elles ne se heurtent au plafond de verre.
Maurice Loué, président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne
Je suis président de L'Outil en Main des Sables-d'Olonne et membre du conseil d'administration de L'Outil en Main Vendée et Pays de la Loire. L'Outil en Main est un réseau national créé par Mme Marie Pascale Ragueneau en 1994, réunissant 235 associations partout en France depuis vingt-huit ans et, j'insiste, entièrement porté par des bénévoles.
L'Outil en Main apporte sa contribution à la mixité par une action concrète sur le terrain en familiarisant les jeunes de 9 à 14 ans, et notamment les filles, aux métiers manuels de l'artisanat, du patrimoine, du numérique, etc. Aux Sables-d'Olonne, nous accueillons les mercredis après-midi trente enfants, dont onze filles et dix-neuf garçons pour douze métiers différents : maçonnerie, mécanique, motorisation, zinguerie, plomberie, métallisation, électricité, menuiserie, marqueterie, couture, boulangerie-pâtisserie et peinture. Au cours de l'année, chaque jeune passera trois mercredis de suite dans chacun des métiers. Fin novembre dernier, nous avons accueilli durant une semaine entière 160 collégiens, avec toujours un pourcentage de 30 % de filles.
Dans toute la France, chaque semaine, 3 500 jeunes sont initiés à plus de cent métiers, dans de vrais ateliers, avec de vrais outils. Filles et garçons pétrissent la pâte, forgent, soudent, taillent la pierre, découpent du bois et manient le chalumeau. Tous les ouvrages réalisés leur sont remis en fin d'année, ainsi qu'un certificat d'initiation aux métiers manuels.
C'est par la transmission intergénérationnelle que nous travaillons toute l'année à changer le regard des jeunes filles et garçons sur les métiers et les savoir-faire, en leur faisant découvrir l'intelligence de la main et ce qui ne s'apprend pas dans les livres. Grâce à L'Outil en Main , les jeunes filles peuvent envisager un métier manuel comme horizon professionnel désirable et valorisant.
Fabienne Birot-Pauly, présidente de l'association L'Outil en Main de Saint-Nazaire, vice-présidente du réseau national
Au-delà de mes fonctions à L'Outil en Main , je dirige une entreprise de menuiserie. En France, une entreprise artisanale sur quatre est dirigée par une femme. Cette part a doublé en l'espace de trente ans, mais la répartition des hommes et des femmes par métier est loin d'être équilibrée dans les métiers manuels de l'artisanat et du patrimoine. Parmi les salariés des entreprises artisanales, les hommes occupent le plus souvent des postes de production alors que les femmes occupent majoritairement des fonctions transverses de secrétariat, de vente ou de comptabilité.
Je réalise des planches, je dessine des plans, je suis les chantiers. Il y a trente ans, il était tout à fait exceptionnel de voir des femmes dans le secteur du bâtiment. Pour légitimer sa place, il fallait prouver ses compétences. C'est encore un peu le cas et c'est bien dommage.
En fait, dans les métiers manuels, les choix d'orientation demeurent marqués. Doucement cependant, les métiers se féminisent : dans le BTP par exemple, en peinture, en électricité, mais très peu encore en menuiserie, en charpente, en maçonnerie, etc. Chez les apprentis, les femmes demeurent largement minoritaires, si bien que celles qui choisissent ces métiers évoluent dans un environnement masculin.
À L'Outil en Main , les filles et les garçons découvrent en s'amusant tous les métiers représentés dans un atelier. À Saint-Nazaire, vingt sont représentés, de la coiffure à la menuiserie, en passant par la charpente, la couture et le dessin industriel. Les enfants vont également passer trois mercredis d'affilée avec un bénévole qui va leur faire découvrir ces activités. Ils ne choisissent pas entre couture ou mécanique, ils seront initiés à tous les métiers proposés dans l'atelier, peu importe les idées reçues et les mécanismes d'autocensure. Chaque année nous observons des a priori chez les jeunes filles comme chez les jeunes garçons. Les jeunes filles démontent avec ferveur des moteurs de voitures pendant que les garçons s'appliquent sur leur ouvrage de confection. C'est là tout le sens du projet de L'Outil en Main qui consiste à déconstruire les idées reçues sur les métiers manuels. Nos 5 500 bénévoles y travaillent chaque semaine.
Nous sommes des architectes de l'avenir car nous savons que plus tôt nous intervenons, plus tôt nous pouvons semer des idées, des voies différentes, montrer que cela est possible. Nous savons tous que l'accès à l'entreprise est difficile pour les jeunes. Nous leur donnons la possibilité d'expérimenter, et même si la voie choisie plus tard n'est pas dans ce domaine, il est évident que l'état d'esprit aura évolué, la façon d'appréhender l'avenir sera différente. Il faut donc s'y prendre bien avant le moment de l'orientation, et pas uniquement à l'école, pour que les jeunes aient une idée réaliste de la noblesse et de l'intelligence de ces métiers. Comme nous le faisons dans nos ateliers, il faut être présent à leurs côtés pour leur montrer les gestes, répondre à leurs questions sans tabou, les inciter, ne pas les juger. Notre monde change, les bénévoles retraités ou encore en activité montrent le chemin. Il faut continuer, c'est ainsi que nous pourrons voir plus de jeunes et plus de filles embrasser des carrières dans l'artisanat et améliorer la mixité à tous les échelons de l'entreprise.
Maurice Loué
Je souhaite vous lire un témoignage. Il y a dix ans, Émilie franchissait la porte des ateliers de L'Outil en Main . C'était une fille assidue, appliquée et très intéressée. Voici la lettre qu'elle nous a adressée quelques années plus tard : « Les ateliers que j'ai préférés sont la menuiserie et la peinture. L'ambiance est super entre nous, on s'entend bien, on parle de nos réalisations. Les papys sont gentils, ils nous apprennent plein de choses, ils sont toujours là pour nous aider à réaliser nos objets. Nous avons découvert le travail manuel en situation réelle, les matériaux, les outils dans de vrais ateliers. J'ai découvert le métier que j'aimerais faire plus tard : ébéniste. Ils m'ont tous encouragée. Grâce à L'Outil en Main, par l'échange et la transmission des savoirs, des professionnels passionnés m'ont guidée vers le métier que je pratique maintenant. Ma formation en ébénisterie et menuiserie d'agencement achevée, mon CAP et Bac pro obtenus, je travaille dans une entreprise de menuiserie spécialisée dans l'installation de scènes de spectacles et je m'épanouis pleinement dans mon métier. Quand on me demande mon parcours professionnel, je cite toujours en premier L'Outil en Main et j'en suis très fière. Plus tard, j'intègrerai votre association pour redonner ce que l'on m'a transmis . » Je termine avec ma phrase favorite. « Des mamies et des papys comme ça ne se trouvent qu'à L'Outil en Main, ce sont des mamies et des papys en or ». Signé : Émilie.
Mélanie Rault, directrice régionale de l'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne
L'association Entreprendre pour apprendre de Bretagne, association loi 1901 reconnue d'intérêt général, a pour objectif le développement de l'esprit d'entreprise et de l'envie d'entreprendre chez les jeunes. Elle s'adresse aux jeunes publics de 12 à 25 ans, scolaires ou hors scolaires, aux personnes en insertion professionnelle, en situation de handicap ou en situation carcérale. Elle propose des parcours allant de la sensibilisation pendant une journée à des parcours de plusieurs mois pendant lesquels les jeunes créent leur entreprise en équipe, de trois élèves à une classe entière.
Nous partageons les valeurs de ce qui vient d'être dit. Nous faisons découvrir l'entreprise à travers le mentorat, pour travailler sur la mixité des filles et des garçons dans les parcours. L'idée d'entreprendre, au sens large, c'est aussi d'être acteur de sa vie. Nos jeunes ne seront pas forcément des chefs d'entreprise, mais nous leur montrons qu'à chaque niveau, on peut entreprendre, on peut s'engager, cela peut être en politique, cela peut être dans la société, en tant que chef d'entreprise. L'idée est de leur faire prendre conscience que, fille ou garçon, ils ont des talents.
Nous proposons trois parcours :
- un parcours de sensibilisation en une journée à partir d'une thématique, qui peut être Comment relever le défi des stéréotypes de genre ? Les jeunes ont d'excellentes idées, que nous allons relever ;
- des parcours intermédiaires, de 35 heures à peu près, sur le modèle d'une semaine de stage, où ils s'essayent à la création d'entreprise, jusqu'au prototypage. Les élèves définissent une idée sur une thématique de métier ou de secteur et ils y répondent concrètement. C'est ce que nous appelons la « mini-entreprise » ;
- des parcours de plusieurs mois, de la production jusqu'à la commercialisation. Ils découvrent le métier de menuisier en travaillant sur la récupération de palettes pour faire des meubles, ils récupèrent des gouttières pour en faire des jardinières, des tissus pour en faire des trousses, etc. Ils revendent ensuite leurs produits dans l'économie locale et circulaire, une occasion pour eux de créer du lien avec des entreprises locales. Les bénéfices sont distribués à des associations, l'idée étant aussi d'apprendre à entreprendre pour les autres.
Nous existons à travers une fédération nationale composée de dix-sept associations Entreprendre pour apprendre , que je vous invite à rencontrer sur vos territoires. Tous nos parcours sont habilités par le ministère de l'Éducation nationale et nous travaillons en étroit partenariat avec les équipes pédagogiques. Nous considérons également le mentorat comme fondamental. Nous avons constaté que les filles ont du mal à se projeter quand le mentor est un homme. Leur montrer des parcours féminins aussi riches et porteurs les incite davantage à se dire : « c'est possible, je peux ».
La question de l'égalité ne surgit pas vraiment au collège, mais plutôt au lycée, quand les jeunes filles commencent à se dire qu'elles veulent être maman et qu'elles vont donc se diriger vers tel type de carrière. Nous leur apprenons qu'on peut choisir d'être maman, évidemment, mais que cela n'est pas incompatible avec une carrière. Dans cette perspective, le mentorat est fondamental et nous avons besoin de femmes engagées. Nous nous appuyons à cette fin sur des réseaux féminins, Femmes de Bretagne , 100 000 entrepreneurs , et nous venons de faire connaissance avec L'Outil en Main . C'est effectivement en partageant ces valeurs communes et en fédérant ce tissu associatif que l'on ira plus loin sur le sujet de la mixité.
Emmanuelle Cadiou, présidente de Cadiou Industrie
Je dirige également une menuiserie, la société Cadiou, qui compte 750 collaborateurs. Pour changer de paradigme, il faut se dire qu'on ne fabrique pas des produits, mais que nos produits procurent du bien-être aux gens. Les femmes ont besoin de sens et de savoir à quoi elles servent ! Quelles sont les valeurs et la raison d'être de l'entreprise ? C'est en pensant « raison d'être » et « à quoi on sert ? » plutôt que « produit » qu'on les attirera. Pour ma part, je suis disposée à m'engager auprès du réseau breton pour être mentor dans votre association Entreprendre pour apprendre .
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
C'est le pouvoir magique d'une telle table ronde que de faire se rencontrer de belles personnes qui vont associer leurs talents pour progresser vers plus d'égalité et plus de mixité.
Laure Darcos, sénatrice
En tant qu'élue de l'Essonne sur le plateau de Saclay, je suis très intéressée par le milieu scientifique. De nombreuses associations essayent d'y valoriser les femmes. Ce qui me frappe, c'est la difficulté de leur prise de parole, notamment lorsqu'elles présentent des projets. J'ai connu l'année dernière l'expérience malheureuse d'une femme qui avait développé une start-up formidable. Elle en a fait la présentation à la Banque publique d'investissement (BPI) mais n'a pas été retenue. Avait-elle été trop virulente ? L'année suivante, son associé a présenté le projet dans les mêmes termes exactement : il a été accepté. Les femmes peuvent rencontrer des difficultés lors de leur prise de parole, liées à leur façon de poser leur voix ou d'exprimer les choses. En face, il faut aussi que dans les banques, Banque publique d'investissement (BPI) ou autres, ceux qui reçoivent nos projets soient plus ouverts. Au-delà d'apprendre plus de sciences aux femmes, il faut aussi, dès leur plus jeune âge, leur apprendre à ne plus avoir peur, à se dire « même si je ne coche pas toutes les cases, j'y vais ».
Aline Aubertin
Il y a quand même des études qui montrent que les femmes ayant un cursus scientifique ne demandent pas moins d'augmentation de salaire que les hommes, mais qu'elles les obtiennent moins. Quand on s'est pris dix fois la porte dans le nez, au bout d'un moment on se lasse ! D'autres montrent que les femmes sont aussi ambitieuses que les hommes. Je ne supporte plus d'entendre que les femmes n'osent pas. Ce n'est pas vrai, et si c'est vrai, c'est parce qu'elles ont tellement osé, elles se sont tellement heurtées au plafond de verre ! Cessons de leur faire porter la responsabilité !
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
Nous avons tous une responsabilité. Les statistiques d'occupation d'une cour d'école montrent que l'espace est occupé à moins de 30 % par les petites filles et le reste par les garçons. Les stéréotypes sont précoces ! Il faut avancer dans les représentations et les modèles.
Avec la rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat, Laurence Garnier, nous avons fait adopter une proposition de loi de notre collègue députée Marie Pierre-Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, sur l'égalité économique et professionnelle. Nous pouvons aussi nous appuyer sur la loi Copé-Zimmermann, qui a fêté ses dix ans l'an dernier, ainsi que sur l'index de l'égalité professionnelle. La bonne application de toutes ces mesures législatives doit cependant être contrôlée et il faut communiquer sur les résultats, car la société accepte de moins en moins les inégalités. Nous devons savoir quelles sont les entreprises qui n'accordent pas les augmentations de salaires ou les congés paternité. Nous devons également veiller à ce que l'égalité ne soit pas uniquement le souci des grandes entreprises.
Florence Blatrix Contat, sénatrice
J'ai récemment été invitée dans une école. Des élèves de CM1 et de CM2 m'ont demandé si c'était difficile d'être une femme au Sénat. Je leur ai expliqué qu'une femme pouvait tout faire, et un petit garçon me dit - c'est dans une commune forestière - « Mais une femme, elle ne peut pas être débardeuse quand même ? ». Les stéréotypes sont vraiment très présents et il faut les déconstruire dès le plus jeune âge. Vos actions auprès du grand public et des parents sont vraiment essentielles pour l'avenir.
S'agissant de la réforme des lycées, il y a très peu de filles dans le binôme maths et numérique, 10 à 12 %. C'est très inquiétant parce que c'est un secteur d'avenir qui est en train de se structurer, qui construit son système de valeurs, son système de management et si les filles et les femmes en sont exclues dès maintenant, ce secteur se détachera d'elles pour longtemps. Il faut vraiment redresser la barre.
La réforme est aussi inégalitaire parce que tous les élèves n'ont pas la même information sur les débouchés de telle ou telle spécialité. En général, quand il y a des inégalités, les femmes sont plus touchées que les autres, donc il faut vraiment travailler à mieux informer les élèves de ce qu'ils pourront faire après leur spécialité, c'est un enjeu et un travail à reprendre sur le lycée, si on ne veut pas que les filles soient privées de dessert.
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes
Vos propos font écho à une situation dans laquelle je me suis trouvée hier. Je présentais la délégation aux droits des femmes à une quarantaine d'élèves et un jeune d'une classe de 3 e m'a posé une question qui valait son pesant d'or : « Est-ce que la voix d'une sénatrice a le même poids que celle d'un homme ? »