C. DONNER DE MEILLEURES GARANTIES COLLECTIVES AUX JOURNALISTES
Ce sujet a été extrêmement débattu durant les travaux de la commission d'enquête. Plusieurs pistes ont pu être évoquées, allant de l'indépendance des rédactions - que le Rapporteur avait défendue dans le cadre de la proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions rejetée par le Sénat le 27 janvier 2011 169 ( * ) à la validation par les journalistes du directeur de la rédaction, comme cela est déjà pratiqué dans le quotidien Le Monde .
Proposition 12 : n'autoriser la mutation ou le licenciement du président d'une SDJ qu'avec l'accord d'une organisation professionnelle de journalistes ou, à défaut, d'une commission paritaire qui statue en appel .
Certains membres de sociétés des journalistes (SDJ) souhaitent étendre au président de la SDJ les facilités de décharge horaire prévues à l'article L. 2143-13 du code du travail et élargir à leur bénéfice la liste de l'article L. 2411-1 du même code les protégeant contre le licenciement. De cette manière, la liberté des journalistes serait mieux assurée avec la protection dont bénéficierait le principal interlocuteur des directeurs de rédaction.
Cependant, cela semble difficilement compatible avec le respect des libertés syndicales , d'autant que l'adhésion à une SDJ n'est pas obligatoire et que celles-ci sont inégalement représentatives des rédactions. Une certaine protection serait cependant utile, mais sans qu'elle ne requière l'intervention d'un inspecteur du travail. Cette autorisation, par les pairs , de la mutation ou du licenciement d'un représentant de SDJ, existe notamment en Italie et aux Pays-Bas.
Proposition 13 : assurer une information motivée et étayée de la rédaction quand un changement de directeur de la rédaction d'un média est envisagé par l'actionnaire, dans des délais permettant aux organisations représentatives de faire valoir leur point de vue .
La commission d'enquête a été particulièrement sensible aux changements, dénués de justification, du directeur de la rédaction du JDD et de Paris Match . Sans revenir sur les pouvoirs de l'actionnaire, cette proposition donnerait aux rédactions un droit à l'information . Il convient de noter qu'une telle obligation d'information existe en Italie. Dans certains pays, l'équivalent de la société de rédaction peut alors prendre position sur la définition du profil souhaitable du candidat, sur le nom du candidat proposé par la direction, voire proposer un candidat alternatif.
Proposition 14 : mettre en place une commission actualisant l'état des lieux dressé en 2013 des conditions d'emploi dans les métiers artistiques, avec une présence du ministère du travail en tant que médiateur, afin d'aboutir à un salaire minimum conventionnel pour les réalisateurs de l'audiovisuel .
Après le rapport d'information du député Jean-Patrick Gille en 2013, en conclusion des travaux de la mission sur les conditions d'emploi dans les métiers artistiques, les négociations ont abouti à une convention pour la production cinématographique, qui octroie un salaire minimum pour les réalisateurs de cinéma. Les réalisateurs de l'audiovisuel n'en ont toujours pas , ce qui renforce la précarité de cette profession pourtant essentielle pour la réalisation de reportages, notamment d'investigation, et donc la diffusion de l'information.
Proposition 15 : accorder aux journalistes travaillant dans des agences de presse les mêmes droits que tous leurs autres confrères, en matière de clause de conscience ou de cession .
Dans des arrêts de 2001 170 ( * ) et 2016 171 ( * ) , la Cour de cassation avait estimé que les journalistes employés par une agence de presse ne pouvaient se prévaloir de la clause de conscience et de cession, et que les indemnités légales et conventionnelles de licenciement étaient limitées aux seuls journalistes de journaux et périodiques, et pas aux journalistes employés d'agences de presse.
Toutefois, un arrêt de 2020 de la Cour de cassation 172 ( * ) , réaffirme qu'il « n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas », et que les dispositions sur les indemnités légales de licenciement, à savoir « les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d'une entreprise de presse quelle qu'elle soit. » Les journalistes travaillant en agence de presse seraient donc assimilables aux autres journalistes professionnels pour leurs indemnités de licenciement et peuvent avoir recours à la Commission arbitrale des journalistes.
Cependant, l'article L. 7112-5 du code du travail, relatif aux clauses de cession et de conscience, mentionne toujours « les journaux et périodiques », et non les agences de presse. C'est notamment la raison pour laquelle la rédaction d'Europe 1 ayant un statut d'agence de presse, la direction et les syndicats ont mis en place, à l'automne 2021, un dispositif spécifique s'appuyant sur un mécanisme encadrant des ruptures conventionnelles individuelles, estimant que le mécanisme de la clause de conscience serait inapplicable.
Comme certains employeurs ont de plus en plus recours à des agences de presse internes, il convient de revoir la rédaction de l'article L. 7112-5 du code du travail pour prendre en compte les journalistes travaillant sous statut d'employé d'agence de presse afin de leur donner les mêmes droits que les autres journalistes.
* 169 http://www.senat.fr/rap/l10-238/l10-238.html
* 170 Cour de cassation, Chambre sociale, 06 février 2001, 98-44306 et suivant.
* 171 Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 avril 2016, 11-28.7130.
* 172 Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 30 septembre 2020, 19-12.885.