B. RENFORCER LES CAPACITÉS D'ACCOMPAGNEMENT NUMÉRIQUE AU NIVEAU LOCAL, EN FAVORISANT LA CONSTRUCTION DE PARCOURS ADAPTÉS À CHACUN...

1. Généraliser l'utilisation des outils permettant d'appréhender les fragilités numériques et les forces en présence dans les territoires

Afin d'élaborer une stratégie locale d'inclusion numérique, l'identification des vulnérabilités de la population et des forces en présence est un préalable indispensable pour les collectivités territoriales.

a) Systématiser l'évaluation des vulnérabilités de la population à travers l'indice de fragilité numérique

L'indice de fragilité numérique permet d'identifier la probabilité que sur un territoire donné, une partie significative de la population se trouve en situation d'exclusion numérique, à partir de quatre dimensions, selon une méthodologie et un outil définis par la MedNum ( cf . supra ).

La métropole du Grand Lyon a par exemple cartographié les risques de fracture numérique sur son territoire à partir de cet outil :

Source : Métropole du Grand Lyon.

Plus une zone tend vers le rouge, plus sa population est susceptible d'être en situation d'exclusion numérique.

Dans le cadre de la consultation en ligne des élus locaux, 21 % des sondés ont déclaré que l'obstacle principal à l'élaboration d'une politique d'inclusion numérique sur leur territoire était la difficulté à disposer d'informations concernant les besoins de la population .

Ainsi que le souligne l'AdCF, la généralisation de « cet outil faciliterait le diagnostic des risques et la prise de conscience du creusement des écarts au sein d'un même territoire, écarts souvent invisibles en matière d'inclusion numérique alors qu'ils le sont en termes d'infrastructures numériques ».

En 2020, le Sénat 17 ( * ) avait d'ailleurs préconisé la diffusion d'un système de cartographie locale de l'exclusion numérique, avec l'appui de la MedNum et des Hubs. La rapporteure n'a pas pu obtenir de chiffres concernant le nombre de cartographies de ce type existant à l'heure actuelle sur le territoire.

La nécessité de généraliser ce travail de diagnostic ressort toutefois avec force des auditions menées par la rapporteure et ce, d'autant plus que l'outil mis à disposition par la MedNum en facilite désormais la réalisation.

Toutefois, pour disposer d'une approche suffisamment fine des besoins de la population, cet outil doit être complété d' enquêtes plus qualitatives , voire d'enquêtes sociologiques. En effet, les cartographies de la vulnérabilité numérique de la population constituent des projections : comme l'indique Anne-Claire Dubreuil, directrice de projet Transformation numérique à la communauté d'agglomération du Sicoval , cet indicateur « permet de pointer des “facteurs de risque” sans forcément décrire une réalité vécue (...) » 18 ( * ) .

À titre d'exemple, le Sicoval 19 ( * ) a complété la mesure de l'indice de fragilité numérique sur son territoire par une analyse, avec l'appui de La Poste qui a mené des entretiens auprès d'une population choisie en amont, constituée de ménages modestes et de personnes âgées de plus de 70 ans.

b) Généraliser la cartographie des acteurs de l'inclusion numérique dans les territoires

Les données concernant la fragilité numérique de la population doivent être superposées au recensement des acteurs de l'inclusion numérique présents sur le territoire sous la forme d'une cartographie, afin de faciliter la bonne répartition des moyens d'accompagnement des usagers.

C'est ainsi qu'a procédé le Sicoval , cité en exemple par l'AdCF qui indique que la communauté d'agglomération « a expérimenté avec le SGAR de Haute-Garonne la définition d'un indicateur de fragilité numérique qu'il a ensuite croisé avec une carte de l'offre de médiation de proximité. Cela a permis de s'apercevoir que de nombreuses communes cumulaient un risque fort de fragilité numérique et aucun service de médiation » .

Le département des Pyrénées-Atlantiques a quant à lui analysé les secteurs à vulnérabilité numérique de son territoire (sans toutefois recourir à l'indice de fragilité numérique) d'une part, et les besoins d'accompagnement numérique du public d'autre part, afin d'évaluer l'adéquation entre l'offre de médiation numérique et les besoins.

La réalisation de cartographies des acteurs de l'inclusion numérique fait partie des missions confiées aux Hubs . Parmi les 11 Hubs labellisés lors de la première vague (2019), six ont d'ores et déjà mis une cartographie des lieux d'inclusion numérique à disposition sur leur site internet . La couverture de l'ensemble du territoire ne semble donc pas encore atteinte. Le développement des Hubs, permis par la seconde vague de labellisation et l'attribution d'une dotation financière, comme le préconise la rapporteure ( cf . supra ), pourrait permettre de faciliter la généralisation de cet outil.

D'ailleurs, dans le cadre de la consultation en ligne, près de 84 % des élus locaux interrogés ont déclaré ne pas disposer d'un recensement des lieux de médiation numérique sur leur territoire .

Afin de fournir une information suffisamment précise aux usagers et acteurs locaux sur les lieux d'inclusion numérique, la cartographie doit intégrer des critères tels que le type de public accueilli, le caractère labellisé « APTIC » ou non des structures ou encore la possibilité de bénéficier d'une formation ou d'une aide pour effectuer une démarche.

À titre d'illustration, en Occitanie, le Hub RhinOcc a réalisé une cartographie des 484 lieux d'inclusion numérique localisés sur les quatre départements (Gers, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées et Aude) qui composent son territoire.

Cartographie des lieux d'inclusion numérique réalisée par le Hub RhinOcc

Source : Site internet de RhinOcc.

La rapporteure ne peut qu'encourager la généralisation de la cartographie des acteurs de l'inclusion numérique dans tous les territoires, afin de renforcer la lisibilité des écosystèmes locaux. Il importe également que ces cartographies soient des outils « partagés », qui puissent être complétés par l'ensemble des parties prenantes (collectivités territoriales et acteurs de l'inclusion numérique en particulier) et accessibles par elles . À ce titre, certains Hubs (comme le Hub MednumBFC de Bourgogne-Franche-Comté et Rhin Occ ) intègrent un formulaire sur leur site internet permettant à tout acteur de l'inclusion numérique de compléter et mettre à jour la cartographie.

Il serait également opportun que les Hubs intègrent à leurs cartographies les acteurs habilités « Aidants Connect » , susceptibles d'aider les usagers éloignés du numérique dans la réalisation de démarches administratives. À titre d'exemple, le Hub Hinaura en Auvergne-Rhône-Alpes intègre ces lieux à sa cartographie.

Extrait de la cartographie des lieux d'inclusion numérique du Hub « Hinaura » (localisation des acteurs habilités « Aidants Connect » dans l'agglomération lyonnaise)

Source : site internet de Hinaura.

Disposer de ce type d'outil est essentiel face au foisonnement des initiatives d'inclusion numérique et à la multiplicité des acteurs impliqués sur le sujet (collectivités, associations, entreprises...). Comme le souligne la Défenseure des droits, cette multiplicité de l'offre « suppose que les usagers soient accompagnés de près pour pouvoir s'y retrouver et ne permet pas de garantir à tous un accès égal aux services proposés. Même certains professionnels de l'accompagnement social ont du mal à savoir quel est le bon simulateur ou la bonne formation, ou le bon interlocuteur, quel est le service effectivement rendu, à s'assurer de sa pertinence ou de sa qualité. »

Enfin, la réalisation de cette cartographie peut être l'occasion d'encourager des acteurs locaux à s'engager dans des démarches d'accompagnement numérique et, ainsi, d'étoffer le réseau de l'inclusion numérique local. C'est ce qu'indique l'expérience du département du Morbihan qui a réalisé, en parallèle des enquêtes menées pour appréhender les besoins de la population, un travail de cartographie des structures dotées de capacité d'accompagnement du public (médiathèques, centres sociaux, agences des opérateurs de services publics, associations...). Il ressort que si 70 % des structures interrogées recevaient déjà des demandes d'accompagnement numérique, « les trois quarts d'entre elles ont exprimé le souhait de faire partie d'un réseau » 20 ( * ) .

PROPOSITION N° 11 : Généraliser la réalisation de cartographies locales de l'exclusion numérique et des acteurs de l'inclusion numérique sur l'ensemble du territoire, avec l'appui de la MedNum et des Hubs si nécessaire.

2. Mieux « saisir » et aiguiller les publics rencontrant des difficultés avec le numérique à partir de l'échelon de proximité
a) « Saisir » les publics éloignés du numérique, à travers la détection et la sensibilisation des usagers

La première étape, pour renforcer la montée en compétences des personnes éloignées du numérique au niveau local, est la construction d'un véritable parcours d'accompagnement des usagers.

Source : WeTechCare .

• « Saisir » les personnes rencontrant des difficultés avec les outils numériques implique, d'une part, de les identifier et, d'autre part, de les convaincre d'accepter une solution d'assistance ou une formation numérique.

L' identification des personnes éloignées du numérique s'appuie en grande partie sur les acteurs qui travaillent en contact avec le public, comme les secrétaires de mairie, les agents de guichet travaillant dans des administrations ou des opérateurs de services publics (Pôle emploi, La Poste, CAF, CCAS...). Ces agents, qui peuvent constituer de véritables « sentinelles de l'illectronisme », comme l'indiquait le Sénat dans son rapport de 2020, doivent être formés à repérer les personnes rencontrant des difficultés avec les outils numériques.

Pour ce faire, il importe de les doter d'outils permettant un diagnostic rapide des difficultés numériques des usagers. En 2015, seules 20 % des structures de proximité disposaient d'une procédure de détection systématique des difficultés numériques des usagers selon Emmaüs Connect .

Depuis cette date, divers outils de diagnostic ont été instaurés, comme la plateforme « LesBonsClics » mise en place en 2017 par l'association Wetechcare ou encore ABC Diag , prolongement de l'outil Pix institué dans le cadre de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif de 2018, pour accompagner les publics en difficulté avec le numérique dans le développement de compétences numériques essentielles.

Il importe d'adapter le diagnostic aux contextes d'échanges avec l'usager. Comme indiqué dans les « Cahiers de l'inclusion numérique » 21 ( * ) , une revue élaborée par WeTechCare et Emmaüs Connect : « un diagnostic déclaratif est mieux adapté en cas de flux important alors que des exercices de mise en situation peuvent être pertinents dans le cadre d'entretiens longs ou dans des contextes plus calmes ».

L'évaluation des usagers peut également permettre, au fil des années, de mesurer l'impact des solutions apportées et d'appréhender les besoins non couverts par les offres proposées.

La sensibilisation au suivi d'une formation ou à une demande d'assistance est également incontournable pour inscrire l'usager éloigné du numérique dans un parcours d'accompagnement.

Comme l'a indiqué Corentin Voiseux , directeur général d' Hypra , entreprise sociale et solidaire spécialisée dans l'inclusion numérique, les acteurs de l'inclusion numérique se heurtent souvent à un paradoxe : bien que les exclus du numérique soient nombreux, peu de personnes franchissent les portes d'un lieu de médiation numérique, notamment du fait de freins psycho-culturels. Gérald Elbaze , fondateur d' APTIC , décrit également cette situation en disant qu' « en matière d'inclusion numérique , il y a des besoins mais il n'y a pas de demande » .

Jean-Noël Saintrapt, formateur numérique au Greta du Limousin indique à ce sujet : « la question de fond, c'est comment sensibiliser, atteindre et faire que des bénéficiaires s'engagent dans une formation » . Selon lui, cette problématique soulève plus globalement la difficulté « d'aller vers » les personnes éloignées du numérique : « La capacité d'une personne en difficulté avec le numérique, et donc aujourd'hui en difficulté sociale, à faire le premier pas vers une aide potentielle est à interroger. Quel canal utiliser pour aller vers elle ? Sur quelle structure s'appuyer quand ces personnes ont fait le choix de l'invisibilité ? ».

Face à ces difficultés, plusieurs possibilités s'offrent aux acteurs locaux, comme la conduite de campagnes d'information et de sensibilisation ciblant les « leviers de motivation » des personnes éloignées du numérique sur le territoire (ce qui peut impliquer la réalisation préalable d'enquêtes sur les besoins de la population) et le fait de positionner des accompagnants et médiateurs numériques au plus près des publics fragiles, à l'instar du Groupe SOS qui prévoit de déployer 75 conseillers numériques France Services dans des Ehpad, maisons d'hébergement et établissements médico-sociaux.

b) Orienter les usagers vers une offre d'accompagnement adéquate

• Enfin, l'identification de la personne rencontrant des difficultés numériques doit donner lieu à son orientation vers une offre d'accompagnement adaptée à ses besoins et à sa situation .

Pour ce faire, la rapporteure estime essentielle la mise à disposition de tous les acteurs en contact avec des personnes éloignées du numérique (secrétaires de mairie, agents publics de guichet, travailleurs sociaux, etc.) des cartographies des lieux d'accompagnement numérique ( cf . supra ).

En outre, elle recommande de doter systématiquement ces agents d'un outil d'orientation des personnes éloignées du numérique, afin de faciliter leur travail d'aiguillage et de fluidifier le partage d'information .

Or, il semble qu'à l'heure actuelle, aucun outil « clé en main » de ce type ne soit mis à disposition des collectivités territoriales. La métropole de Bordeaux aurait mis au point un tel outil permettant, à partir de la cartographie des lieux d'inclusion numérique, d'adresser un usager à un acteur susceptible de lui proposer un accompagnement. La métropole de Nice-Côte d'Azur travaille actuellement à l'élaboration d'un instrument similaire.

Enfin, la rapporteure préconise l'institution d'un numéro vert au sein de chaque EPCI permettant à toute personne rencontrant des difficultés numériques d'obtenir une information sur les services d'accompagnement ou de formation adaptés à ses besoins situés à proximité de son domicile. Dominique Pasquier, sociologue et membre du Conseil national du numérique , a d'ailleurs souligné l'opportunité d'une telle mesure.

PROPOSITION N° 12 : Encourager l'institution d'un numéro vert dans les collectivités territoriales pour orienter les personnes rencontrant des difficultés numériques vers une offre d'accompagnement numérique.

3. Outiller les collectivités pour faciliter l'élaboration de solutions d'inclusion numérique adaptées à leur population

Le Baromètre 2021 de la maturité numérique des métropoles, agglomérations et des grandes villes françaises, élaboré par France urbaine, indique que l' inclusion numérique figure parmi les thèmes « les moins matures » au sein des collectivités étudiées . Plus généralement, cette étude relève un écart croissant entre des collectivités « leaders » en matière de numérique (15 % des collectivités) et celles faisant figure de retardataires sur cette question (25 % des collectivités).

Dans la ruralité, la progression de la maturité des collectivités territoriales en matière de numérique, et plus particulièrement d'inclusion numérique, semble encore plus lente.

Dans le cadre de la consultation en ligne, de nombreux élus locaux ont fait part de leurs difficultés à élaborer des projets d'inclusion numérique sur leur territoire et certains ont exprimé un souhait d'être davantage accompagnés par l'État sur cette question, et de bénéficier du partage des bonnes pratiques existantes dans les territoires les plus matures. Un élu a par exemple préconisé la « création de guides pratiques à destination des collectivités territoriales pour trouver comment atteindre les personnes qui auraient besoin d'aide » . Un autre recommande de « réaliser un état des lieux des pratiques, partager les bonnes afin de structurer les démarches tout en laissant un degré d'autonomie » . Ce constat ressort également avec acuité des auditions menées par la rapporteure, plusieurs acteurs ayant fustigé des interventions « en silo » et la nécessité de centraliser au niveau national les pratiques intéressantes qui pourraient être dupliquées.

En audition, plusieurs acteurs ont souligné le manque patent de ressources à disposition des collectivités territoriales pour s'inspirer de pratiques d'autres territoires. Ainsi, l' AdCF a indiqué qu'une démarche qui « permettrait de mettre en commun les expérimentations et les bonnes pratiques et d'encourager les collectivités qui n'auraient pas encore pris conscience de la nécessité de travailler sur l'inclusion numérique » serait favorable. De même, le département des Pyrénées-Atlantiques a mentionné, parmi les principaux obstacles auxquels sont confrontées les collectivités territoriales dans l'élaboration de projets d'inclusion numérique le « manque de repères et d'exemples médiatisés pour “s'inspirer de” ».

Si la mutualisation et la valorisation des initiatives intéressantes en matière d'inclusion numérique constituent l'une des missions des Hubs territoriaux pour un numérique inclusif au niveau local, la rapporteure estime opportun d'assurer également leur diffusion à l'échelle nationale. À ce titre, l'ANCT a d'ailleurs créé une plateforme « ressource » pour aider les collectivités territoriales à structurer leurs projets d'inclusion numérique, via son programme « Société numérique ».

Cette plateforme semble cependant pour l'heure de taille modeste : seuls quatre exemples de stratégies locales d'inclusion numérique sont mis en avant, et la rubrique destinée à présenter des initiatives inspirantes n'est pas encore disponible.

Capture d'écran de la plateforme « ressource » pour les collectivités territoriales (Mission « Société numérique »)

Source : site internet « Société numérique » (ANCT) .

La rapporteure appelle donc l'État à s'investir davantage sur cette problématique. Au niveau national, une large diffusion des initiatives positives observées dans les territoires en matière d'inclusion numérique est indispensable.

PROPOSITION N° 13 : Enrichir la plateforme « ressource » des collectivités territoriales de l'ANCT en recensant plus largement des actions d'inclusion numérique mises en oeuvre dans les territoires (mettre en avant différents exemples issus de territoires urbains, ruraux, et de divers publics).


* 17 Recommandation n° 4 du rapport d'information n° 711 (2019-2020) « L'illectronisme ne disparaîtra pas d'un coup de tablette magique ! » du 17 septembre 2020.

* 18 https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2022-1-page-74.htm

* 19 https://www.lagazettedescommunes.com/705 239/les-cles-de-linclusion-numerique-la-proximite-et-les-partenariats/ ?abo=1

* 20 Les cahiers de l'inclusion numérique n° 4, « Accélérez l'inclusion numérique sur votre territoire », avril 2018.

* 21 Les cahiers de l'inclusion numérique n° 4, « Accélérer l'inclusion numérique sur votre territoire », avril 2018

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