C. ... ET EN INTENSIFIANT L'ASSISTANCE ET LA MONTÉE EN COMPÉTENCES DES PERSONNES ÉLOIGNÉES DU NUMÉRIQUE
Derrière le terme d'illectronisme se cachent des réalités diverses, appelant des solutions d'accompagnement différentes. Parmi les personnes éloignées du numérique, il faut distinguer :
• les « exclus du numérique » , qui ne disposent pas d'un accès aux équipements informatiques ou qui sont dépourvus de compétences pour les utiliser et dans l'incapacité de les acquérir. Ces personnes nécessitent une assistance renforcée pour réaliser leurs démarches en ligne , dans une logique de « faire à la place de » (7 % des Français seraient dans ce cas de figure) ;
• Les personnes capables de réaliser des démarches numériques mais nécessitant un accompagnement plus modeste pour ce faire et celles dont les compétences numériques sont très limitées mais ayant la capacité de les développer (près de 35 % de la population française serait dans l'une ou l'autre de ces situations).
Source : WeTechCare.
1. Garantir l'accès aux droits des personnes les plus éloignées du numérique et développer les possibilités d'assistance les concernant
Le développement de l'administration électronique est susceptible de générer des difficultés d'accès aux droits, en l'absence d'une politique d'inclusion numérique ambitieuse ( cf . supra ). Ce constat est particulièrement marqué pour certains publics, en particulier les plus précaires et les seniors .
Comme l'indique la Défenseure des droits dans le rapport précité, « même avant la dématérialisation, certaines personnes âgées éprouvaient de grandes difficultés pour réaliser de façon autonome des démarches administratives ou du quotidien. Mais la nécessité de disposer d'un outil supplémentaire a aggravé cet état de dépendance à un tiers qu'il soit familial, proche ou institutionnel. »
Afin d'assurer l'accès aux droits de ces personnes, la rapporteure préconise des évolutions selon trois axes .
a) Maintenir des guichets d'accueil pour les personnes rencontrant des difficultés dans leurs démarches dématérialisées
Il importe de maintenir un accueil physique ou téléphonique au sein des administrations et opérateurs de services publics pour la réalisation des démarches dématérialisées, et ce sur l'ensemble du territoire, à commencer par les territoires ruraux touchés par des difficultés d'accès aux services publics de proximité.
Cette recommandation figurait d'ailleurs parmi les propositions formulées par le Sénat en 2020 22 ( * ) .
b) Faciliter le recours aux démarches en ligne grâce à des outils pédagogiques destinés aux usagers
Dans une enquête intitulée « les Français et l'inclusion numérique » réalisée en 2020, la Banque des territoires relève que 51 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà renoncé à effectuer une démarche en ligne ; 68 % d'entre elles indiquent y avoir renoncé essentiellement en raison du manque de clarté de celle-ci .
En 2020, le Sénat mentionnait dans son rapport sur l'illectronisme que les principaux opérateurs de service public (La Poste, Pôle Emploi, CNAF...) avaient prévu d'élaborer une charge comprenant des engagements pour renforcer l'accessibilité de leurs démarches dématérialisées, notamment en fournissant un mode d'emploi des plateformes en ligne. Il semble toutefois que ce document n'ait pas encore été publié .
La rapporteure estime urgent d'imposer à tous les services publics la mise à disposition de modes d'emploi, par exemple sous la forme de vidéos pédagogiques, afin de faciliter la réalisation des démarches en ligne des usagers.
PROPOSITION N° 14 : Garantir l' accès aux droits des usagers par la mise à disposition sur les sites des administrations et opérateurs de services publics de « modes d'emploi » pour accomplir des démarches en ligne (par exemple sous la forme de vidéos tutoriels).
c) Étoffer l'assistance aux démarches en ligne des usagers, en s'appuyant sur les acteurs de proximité
Enfin, il est nécessaire de tisser plus étroitement la toile de l'accompagnement numérique dans les territoires .
Si la simplification de l'utilisation des plateformes en ligne à travers la mise à disposition d'outils pédagogiques permettra de faciliter les démarches numériques de nombreux Français, il importe de proposer des solutions d'assistance aux 7 % d'exclus du numérique que compte la population et, plus globalement, à toutes les personnes rencontrant des difficultés avec ce type d'usage numérique.
La rapporteure identifie des pistes pour mieux assister les personnes les plus éloignées du numérique dans leurs démarches en ligne, selon trois axes .
• Premièrement, les agents travaillant auprès d'administrations ou d'opérateurs de services publics, en particulier ceux exerçant des fonctions en contact direct avec le public, sont susceptibles d'apporter un appui aux usagers dans leurs démarches en ligne. Si de nombreux agents apportent déjà une telle assistance, la Banque des territoires relève dans son enquête de 2020 que seul un Français sur deux sait qu'il peut trouver de l'aide auprès de services de proximité comme Pôle Emploi, les médiathèques, les Maisons du service public, les points d'information médiation multi-services (PIMMS) ou encore les mairies.
Cela suppose d'une part, de renforcer les compétences numériques des agents publics territoriaux. En audition, la métropole du Grand Lyon a souligné la nécessité « d'encourager les agents publics territoriaux à se former à l'inclusion numérique » . Le département des Pyrénées-Atlantiques a quant à lui appelé à « une montée en compétences des agents dans les communes et intercommunalités, pour faire face à la dématérialisation à marche forcée des services publics » .
D'autre part, les enjeux liés à l'inclusion numérique (détection des personnes éloignées du numérique, accompagnement de ces personnes dans la réalisation de démarches....) doivent être intégrés à l'offre de formation des agents publics territoriaux.
Entre octobre 2019 et février 2021, le Conseil national de la fonction publique territoriale a mené une étude prospective sur les impacts de la transition numérique sur les métiers de la fonction publique territoriale. Près de 40 métiers ont été identifiés comme requérant une montée en compétence importante dans l'usage des outils numériques mais aussi dans l'assistance aux usagers, parmi lesquels les secrétaires de mairie et les chargés d'accueil.
À la suite de cette étude, le CNFPT a étoffé son offre de service selon six axes :
• conduire un projet de développement territorial et promouvoir un écosystème numérique ;
• repenser la relation à l'usager ;
• faire de la donnée une ressource de l'action publique locale ;
• dialoguer avec les opérateurs de services publics ;
• s'approprier l'usage des nouvelles technologies dans l'organisation et la conduite des activités ;
• maîtriser les fondamentaux des outils et usages et acquérir une culture numérique.
Le panel de formations proposées par le CNFPT en matière d'inclusion numérique comprend des volets d'inclusion numérique (notamment une formation intitulée « l'inclusion numérique : entre accès aux droits et risque de fracture numérique » destinée aux cadres territoriaux impliqués dans la lutte contre l'exclusion), l'offre destinée aux agents d'accueil et aux secrétaires de mairie pourrait être développée.
En outre, la nouvelle offre de formation du CNFPT étant très récente, on ne dispose pas encore de données chiffrées sur le nombre d'agents territoriaux en ayant bénéficié.
Dans le Plan national de formation des aidants et médiateurs numériques publié en mars 2021 , l'ANCT et le CNFPT préconisent d'ailleurs d'inclure un volet « inclusion numérique » dans l'offre de formation destinée aux secrétaires de mairie ou encore de développer les compétences numériques des agents d'accueil chargés d'informer, d'orienter et d'apporter un appui aux démarches des usagers.
Enfin, la rapporteure souhaite que soit explorée la possibilité d'élargir le dispositif « Aidants Connect » à de nouveaux acteurs, afin d'intensifier l'accompagnement des personnes en difficulté avec les outils numériques, en particulier dans les zones rurales caractérisées par une part de personnes âgées de 65 ans et plus (26 % en 2013) 23 ( * ) supérieure à la moyenne nationale (moins de 18 % en 2013).
Le dispositif « Aidants Connect »
Piloté par l'ANCT, le dispositif « Aidants Connect » a été instauré dans le cadre du Plan de relance (10 M€). Il s'agit d'un service public numérique permettant à un aidant professionnel de réaliser des démarches administratives en ligne pour le compte d'un usager rencontrant des difficultés avec les outils numériques, et ce de manière légale et sécurisée.
Actuellement, sont éligibles les personnes morales de droit public ou privé (administration, association ou entreprise) remplissant l'un des critères suivants :
- intervenir dans le cadre d'une mission de service public d'accompagnement à la réalisation de démarches pour les usagers (MSAP, structures titulaires du label « France Services », agents des collectivités au contact du public, CCAS, services publics de proximité, PIMMS, centres médico-sociaux et EPN) ;
- être membre du Réseau national de la médiation numérique ou contenir dans son objet social la médiation ou l'inclusion numérique ;
- participer à la politique d'animation de la vie sociale et développer des prestations de services, individualisées et spécialisées au sens de la circulaire n° 2012-013 de la CNAF ;
- être titulaire d'un marché, d'une subvention ou d'une prestation d'accompagnement en matière d'accompagnement des usagers pour la réalisation des démarches administratives ou d'inclusion numérique (exemples : les écrivains publics) ;
- intervenir dans les pratiques professionnelles définies à l'article D. 142-1-1 du code de l'action sociale et des familles (exemple : les travailleurs sociaux).
Dès lors qu'une structure a été sélectionnée, les aidants sont invités à suivre une formation d'une journée sur les sujets suivants : accompagnement de l'usager, RGPD, France Connect, prise en main d'Aidants Connect. Aidants connect active ensuite le compte de l'aidant pour lui permettre de réaliser des démarches administratives à la place de l'usager.
20 000 aidants devraient être formés à Aidants Connect selon l'ANCT.
Comme l'a souligné Wetechcare, « il faut capter davantage de relais de proximité dans les réseaux . Cela veut dire [...] élargir des réseaux à de nouveaux types d'acteurs de proximité (ex. commerçants, acteurs de la santé, proches aidants, etc.) » .
PROPOSITION N° 15 : Développer et promouvoir l'offre de formation à l'inclusion numérique des agents publics territoriaux en charge de l'accueil, de l'information ou de l'aide aux démarches en ligne.
PROPOSITION N° 16 : Envisager l'élargissement de l'habilitation « Aidants Connect » à d'autres acteurs de proximité, comme les aides à domicile.
2. Assurer un maillage plus étroit de l'offre de médiation numérique dans les territoires
a) Une offre de médiation numérique qui peine à se développer dans certains territoires, malgré des initiatives récentes innovantes
La médiation numérique est définie par la MedNum comme l'ensemble des « techniques, permettant la mise en capacité de comprendre et de maîtriser le numérique , ses enjeux et ses usages, c'est-à-dire développer la culture numérique de tous, pour pouvoir agir, et développer son pouvoir d'agir, dans la société numérique » . Plus simplement, elle désigne l'accompagnement jusqu'à l'autonomie de tous les publics dans les usagers quotidiens des technologies, services et médias numériques.
Si l'offre de médiation numérique se développe depuis de nombreuses années dans les territoires, portées par des acteurs publics, privés et associatifs, on dispose de peu de données pour évaluer leur répartition à l'échelle du territoire national et identifier d'éventuels clivages territoriaux. La diffusion des cartographies des lieux de médiation numérique, portée par les Hubs territoriaux en particulier, devrait permettre de renforcer l'information sur ce sujet ( cf . supra ).
Au travers des travaux menés par la rapporteure, des difficultés d'accès à ces services ont toutefois été relevées s'agissant en particulier des zones rurales.
L'association Wetechcare note ainsi que « comme sur beaucoup de sujets de services publics, les territoires ruraux sont confrontés à l'absence ou l'éloignement des solutions d'accompagnement numérique ». Partageant ce constat, la MedNum préconise dans un plaidoyer publié en mars 2022 d'assurer l'accès à un lieu de médiation numérique à 20 minutes de chez soi pour tous les Français 24 ( * ) .
Par ailleurs, lors de la consultation en ligne, 52 % des répondants ont indiqué qu'il n'y avait pas d'offre de médiation numérique sur le territoire de leur commune ou à proximité .
Accueillir des activités de médiation numérique de façon permanente n'est pas possible dans toutes les collectivités territoriales, pour des questions financières et d'insuffisance de la demande. En revanche, la médiation numérique en itinérance constitue une piste intéressante qui se développe sur certains territoires dotés d'une offre de médiation numérique faible ou insuffisante.
Dans les territoires ruraux, ces initiatives sont particulièrement pertinentes. Ainsi, le département des Pyrénées-Atlantique s a organisé un service de médiation numérique itinérant afin d'aller vers les publics les plus éloignés de l'offre de médiation numérique. Trois conseillers numériques France Services ont été recrutés à cet effet : ils dispensent des stages sur plusieurs demi-journées au cours d'un mois, pour des ateliers allant de 6 à 8 personnes et ayant lieu dans un local mis à disposition par la collectivité.
Le déploiement de « Bus France Services » équipés de matériel informatique et de médiateurs numériques, pour lesquels le ministère de la Cohésion des territoires a lancé un nouvel appel à manifestation d'intérêt en septembre 2021, peut également constituer un levier pour accompagner et former les personnes les plus éloignées du numérique dans leurs démarches en ligne, y compris dans les zones les plus reculées.
La Défenseure des droits , soulignant que dans les territoires dans lesquels les usagers n'ont pas un accès facile à des services de médiation ou d'accompagnement numérique, ce type de dispositif constitue un « exemple d'initiative “d'aller vers” » intéressant.
Cet outil peut être particulièrement pertinent dans les communes de petite taille qui ne sont pas en capacité d'apporter elles-mêmes une assistance aux usagers. Dans le cadre de la consultation en ligne, un élu a ainsi indiqué : « Nous ne sommes pas en mesure avec nos faibles moyens (une secrétaire de mairie surchargée et des élus sans temps à dégager) d'aider les gens dans leurs démarches. La dématérialisation des procédures administratives de l'État, nécessite un accompagnement pour nos populations que nous ne sommes pas en mesure d'assumer. »
Au demeurant, la médiation numérique en itinérance constitue également une perspective intéressante pour certains territoires urbains, comme les quartiers de la politique de la ville. Le groupe Huawei a ainsi institué un « Digitruck » , un camion reconverti en salle de classe connectée avec 20 postes de travail équipés d'ordinateurs, tablettes et de smartphones reconditionnés, afin de proposer des ateliers de formation numérique dans des territoires urbains. Ces ateliers, durant de 1 heure 30 et 3 heures, se concentrent sur trois objectifs : utiliser pleinement et en toute sécurité les outils informatiques, avoir accès aux services administratifs numériques et améliorer sa compétitivité en matière d'emploi. Certains ateliers répondent également à des besoins spécifiques tels que « mettre en forme son CV », « postuler à des offres d'emploi sur Internet » ou « réserver une consultation avec un professionnel de santé via une application » . Une première tournée du DigiTruck a été effectuée entre juillet et novembre 2021 dans la Région des Hauts-de-France. 9 villes étapes (Béthune, Dunkerque, Calais, Boulogne-sur-Mer, Lille, Arras, Lens, Roubaix et Saint-Quentin dans l'Aisne) ont ainsi pu bénéficier de ce programme.
La rapporteure estime que le recours à la médiation numérique en itinérance doit être encouragé dans les territoires qui ne sont pas en mesure de proposer une offre suffisante de ce type de services à leurs usagers. À ce titre, elle regrette que dans le cadre de la consultation en ligne, près de 81 % des sondés aient déclaré ne pas disposer de services de médiation numérique itinérante sur le territoire de leur commune .
Elle estime que d'autres solutions peuvent également être développées, comme la médiation numérique à domicile pour les personnes les plus éloignées des services de médiation numérique, à l'instar du réseau « Mon assistant numérique » qui propose des formations informatiques à domicile pour les seniors sur une grande partie du territoire national.
b) Un financement par l'État des conseillers numériques France Services à pérenniser
Le plan de relance a permis de renforcer les moyens dédiés à l'inclusion numérique : le département des Pyrénées-Atlantiques a ainsi salué les dispositifs prévus par le plan de relance (à hauteur de 250 M€), qui ont permis de « doter considérablement les territoires ». Toutefois, de nombreux acteurs ont fait part de leurs inquiétudes de ne pas disposer de davantage de visibilité au-delà de 2022, en particulier s'agissant du financement des 4 000 conseillers numériques France Services (200 M€ dans le cadre du plan de relance), déployés depuis 2021 sur l'ensemble du territoire. C'est notamment le cas de la métropole du Grand Lyon et du réseau des Interconnectés .
Il est prévu que l'État apporte un soutien financier à hauteur de 50 000 euros par poste pour le recrutement de ces conseillers, sur une durée de 24 mois. Au-delà de deux ans, la prise en charge des conseillers revient donc à la structure de recrutement. Patrick Molinoz, vice-président de l'Association des Maires de France (AMF) , considérant que « l'accompagnement de la population ne sera pas terminé dans 24 mois » , s'alarme : « Au terme de cette période, que ferons-nous ? Serons-nous capables de les faire continuer à travailler ? » 25 ( * ) . De nombreux acteurs craignent en effet que le déploiement du dispositif ne soit déstabilisé par l'arrêt du soutien financier de l'État et estiment qu'une durée d'amorçage plus longue serait nécessaire.
L'ANCT indique que sur les 4 000 conseillers numériques France Services prévus, 3 998 sont recrutés ou en cours de recrutement, 2 261 conseillers sont formés et en poste et 580 autres sont en cours de formation.
Répartition géographique des conseillers numériques France Services en métropole et en outre-mer
Guyane
Source : Gouvernement 26 ( * ) .
88 000 Français auraient déjà été accompagnés depuis le 1 er septembre 2021 grâce à ce dispositif, selon la Banque des territoires . Afin de ne pas entraver cette dynamique positive, la rapporteure recommande de pérenniser le financement des conseillers numériques France Services au-delà du délai de deux ans initialement prévu et d'envisager de nouvelles vagues de recrutement, si cela s'avère nécessaire.
Afin de pleinement consolider ce dispositif dans la durée, elle souligne également la nécessité d'inscrire le métier de conseiller numérique dans une logique de parcours professionnel, comme l'indiquait déjà le Sénat dans son rapport en 2020.
PROPOSITION N° 17 : Pérenniser le financement par l'État des conseillers numériques France Services au moins jusqu'en 2025 et revoir leur nombre à la hausse si nécessaire.
c) Mieux doter les communes les plus rurales en équipements informatiques afin de favoriser l'accompagnement des usagers
Dans le cadre de la consultation en ligne, l'insuffisance de moyens financiers a été mentionnée par 23 % des sondés comme l'obstacle principal à l'élaboration d'une politique locale d'inclusion numérique . Un élu a par exemple indiqué : « il faudrait des moyens financiers pour pouvoir équiper les petites collectivités locales et que soit mis en place des heures de formation gratuites pour aider les populations novices et non formées au numérique. »
Un fonds de transformation numérique des collectivités territoriales a été instauré dans le cadre du plan de relance, à hauteur de 88 M€ et ce, afin de soutenir des projets numériques destinés à améliorer le quotidien des citoyens au niveau local.
Si cette évolution est intéressante, la rapporteure juge indispensable de mobiliser des outils financiers plus pérennes pour doter les collectivités territoriales rurales d'équipements numériques, notamment afin de faciliter le développement d'offres de médiation numérique.
La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), qui bénéficie à certaines communes de moins de 2 000 habitants en métropole et de moins de 3 500 habitants en outre-mer (article L. 2334-33 du code général des collectivités territoriales) et permet de financer des dépenses relevant de la section d'investissement, peut constituer un outil pertinent pour financer de tels équipements.
Si les chiffres concernant l'utilisation en 2021 ne sont pas encore disponibles, les données concernant l'année 2020 indiquent que moins de 500 projets mentionnant dans leur objet les termes « informatique » ou « numérique » ont été financés par la DETR, parmi plus de 20 000 projets . Parmi eux, tous n'avaient pas vocation à permettre l'équipement de locaux destinés à accueillir des services d'accompagnement numérique.
La rapporteure estime donc que l'utilisation de la DETR pour financer l'équipement numérique des EPCI et communes de la ruralité pourrait être renforcée. Cela impliquerait que les commissions locales de la DETR intègrent ces projets parmi les catégories d'opérations prioritaires à financer.
PROPOSITION N° 18 : Favoriser l'attribution de fonds au titre de la DETR à des programmes d'acquisition d' équipements numériques destinés à l'accompagnement des usagers.
3. Renforcer la montée en compétence des usagers en déployant mieux le pass numérique
a) Le pass numérique : un bilan qui demeure très contrasté après plus de trois ans de mise en oeuvre
Les pass numériques sont déployés selon un processus en trois étapes :
• La commande , c'est-à-dire l'achat par une structure commanditaire souhaitant développer la montée en compétences des citoyens ou d'usagers. Il peut s'agir de collectivités territoriales, d'opérateurs de services publics ou encore d'entreprises...). Selon l'APTIC, les collectivités territoriales représentent plus de 60 % des volumes de carnets commandés . L'achat se fait au travers d'un marché public, le plus souvent par une procédure de gré à gré, si le montant envisagé est inférieur aux seuils prévus par le code de la commande publique ou selon une procédure adaptée (MAPA).
Cet achat peut être financé par la collectivité territoriale par trois voies : un financement intégral par la collectivité, un achat co-financé par l'ANCT, dans le cadre d'appels à projets comme ceux qui ont été lancés en 2019 (49 lauréats, et 44 marchés publics publiés) et en 2020 (39 lauréats, et 32 marchés publiés) et, enfin, un financement s'appuyant sur des fonds européens, dont l'APTIC indique qu'il est encore largement sous-exploité.
• La prescription , c'est-à-dire la distribution d'un carnet de pass par un acteur de proximité à un usager dont il a préalablement identifié les difficultés numériques (collectivité territoriale, CCAS, établissement public, structure associative...).
• L' utilisation effective du pass par le bénéficiaire, se rendant dans un lieu qualifié « APTIC » afin d'y disposer d'une formation ou d'un accompagnement.
Au moment du lancement du pass en 2019, le Gouvernement avait affiché un objectif de déployer 1 million de pass afin de former 100 000 à 200 000 personnes entre 2019 et 2020 . Une enveloppe de 10 M€ a ainsi été mobilisée par l'État afin de co-financer des pass numériques via le premier appel à projets lancé de l'ANCT. Ce sont finalement 15,2 M€ qui ont été alloués par l'État au titre de l'AAP de 2019 et 3,65 M€ pour l'AAP de 2020.
Le déploiement du pass numérique ne produit toutefois pas encore les résultats escomptés : au total, 567 785 pass ont été livrés à des commanditaires depuis 2019, dont 520 700 pour le premier AAP 2019 et 47 085 pour celui de 2020 27 ( * ) . Ce résultat est nettement en deçà de la cible de 1 million de pass déployés fixé en 2019.
En outre, on observe une très forte déperdition entre l'étape de l'achat du pass et celle de sa distribution à un bénéficiaire, puis entre la distribution et l'utilisation du pass auprès d'un acteur labellisé APTIC pouvant dispenser une formation.
Dans son rapport sur la dématérialisation paru en 2022, le Défenseur des droits, citant des chiffres transmis par l'ANCT, indique que seuls 20 % des pass émis ont été distribués à des bénéficiaires .
Le même rapport indique qu'une fois les pass distribués, « un bénéficiaire sur quatre ne les utilise pas » . Sur les près de 600 000 pass achetés par des commanditaires depuis 2019, seuls 100 000 auraient été effectivement utilisés par les usagers afin de suivre une formation. La métropole du Grand Lyon a indiqué en audition que « seuls 12 % des pass achetés [étaient] finalement utilisés ».
L'APTIC confirme cet état de fait : « d'un commanditaire à l'autre, les réalités sont très différentes. Mais, nos entretiens avec nos commanditaires nous ont permis d'identifier que, pour des raisons très diverses (courbe d'apprentissage, difficultés d'identification des bénéficiaires, temps longs de montage de logique de distribution, surinterprétation des cadres juridiques, crise sanitaire), le taux réel de distribution est très faible et le médian de distribution atteint difficilement 40 % des pass #APTIC livrés. »
b) Différents freins identifiés dans le déploiement des pass, en particulier au stade de leur utilisation par le bénéficiaire
Résultats de la consultation en ligne des élus locaux (« Si vous n'avez pas eu recours au pass numérique, pour quelles raisons ? »)
Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés de déploiement du pass numérique, notamment :
- Au stade de l'achat de pass par un commanditaire :
o Le droit actuel impose à une collectivité de disposer d'une régie d'avance pour pouvoir commander des pass, ce qui n'est pas le cas de toutes les collectivités territoriales. 25 % des élus locaux sondés dans le cadre de la consultation en ligne ont déclaré ne pas avoir accès au pass numérique pour cette raison ;
o Une procédure de passation de marché public complexe et longue à mettre en oeuvre, en particulier pour les collectivités de petite taille. Dans le cadre de la consultation en ligne, près de 97 % des sondés ont répondu par la négative à la question « votre collectivité a-t-elle déjà commandé des pass numériques » , et 14 % ont indiqué ne pas y avoir recours du fait de la complexité de la procédure ;
o D'autres raisons peuvent être identifiées : durée de vie limitée à un an des pass (ils sont valables du 1 er janvier au 31 janvier de l'année suivante), manque de moyens des collectivités territoriales pour répondre aux appels à projets ( 21,4 % des sondés ont mis en avant cet argument dans le cadre de la consultation en ligne ), ou encore insuffisance de l'offre de sites habilités à accepter des pass sur le territoire (pour 11 , 5 % des répondants de la consultation en ligne ). À ce sujet, l'AdCF indique que « la volumétrie de commande des pass peut être difficile à fixer pour la collectivité sans savoir exactement quels seront les partenaires qui seront agréés pour les mettre en oeuvre sur son territoire. »
- Au stade de l'utilisation du pass numérique par l'usager :
o Un manque de structures labellisées sur le territoire de la collectivité commanditaire ou une répartition de ces structures ne permettant pas aux personnes éloignées du numérique d'y accéder facilement en raison de la distance à parcourir ou de l'absence de moyens de transport ;
o Le manque de cartographies des structures labellisées APTIC ;
o Un manque de fluidité des relations entre commanditaire, prescripteur et structure de formation : lors de la consultation en ligne, plus de 30 % des élus locaux ont mis en avant ce point comme la principale explication de l'écart entre le nombre de pass distribués et le nombre de pass utilisés par les bénéficiaires . Les sondés estiment aussi à plus de 26 % que le manque de sensibilisation des bénéficiaires à l'utilité du suivi d'une formation limite le déploiement effectif des pass. Selon Corentin Voiseux, directeur général d'Hypra, il existe une forte « déperdition entre distribution du pass et passage à l'action du bénéficiaire parce qu'il n'y a pas de chaîne de confiance, les structures publiques fonctionnant en silo » .
On note aussi un suivi insuffisant par les collectivités du déploiement des pass sur leur territoire, lorsqu'elles ont recours à cet outil : près de 81 % des participants à la consultation en ligne des élus locaux ont indiqué ignorer combien de pass avaient été distribués et utilisés sur leur territoire.
Par ailleurs, le montant du pass (50 à 100 euros maximum) interroge. Corentin Voiseux, directeur général d'Hypra, indique à ce sujet que ce montant est insuffisant pour permettre à un organisme de délivrer des programmes de qualité et fustige un outil qui « entretient la médiation numérique dans son cercle vicieux de précarité » .
Côté usager également, un rehaussement du montant du pass pourrait avoir des effets bénéfiques, ne serait-ce que pour permettre à l'usager de bénéficier d'un plus grand nombre de formations. La Défenseure des droits cite à ce sujet dans son rapport de mars 2022 le témoignage d'un usager : « Je vais deux à trois fois par semaine à l'association mais je souhaiterais pouvoir y aller cinq fois pour pratiquer afin de progresser plus vite. Car sans pratique régulière de l'outil on perd les apprentissages » .
c) Plusieurs pistes pourraient permettre de mieux déployer cet instrument à court terme
La rapporteure préconise, dans un premier temps, de faire évoluer le pass numérique selon trois axes afin d'accentuer son déploiement.
• D'une part, il convient de simplifier la procédure de commande pour les collectivités territoriales, notamment s'agissant de l'obligation pour la collectivité commanditaire de disposer d'une régie d'avance de recettes.
La rapporteure a recueilli des témoignages discordants sur cette question. La Banque des territoires a mentionné la nécessité de « clarifier l'obligation ou non de disposer d'une régie de recettes pour commander des pass numériques » et a indiqué qu'une étude juridique était en cours de réalisation au sein du Gouvernement.
La fiche pratique concernant les modalités comptables et financières du pass numérique, mise en ligne par l'ANCT, prévoit bien que les collectivités bénéficient de deux options pour la distribution de pass numériques :
- demander à un opérateur de les émettre et de procéder à leur distribution en interne grâce aux agents de la collectivité, via un système de régie d'avance ;
- demander à un opérateur de les émettre et de procéder à leur distribution directement aux bénéficiaires via la signature d'une convention de mandat prévue à l'article L. 1611-7-1 du code général des collectivités territoriales.
Interrogée sur ce point, la DGCL indique quant à elle que « l'article L. 1611-7-1 du CGCT ne prévoit pas la possibilité de conclure des conventions de mandat pour l'encaissement des recettes pour de tels biens » et que « compte tenu de telles restrictions, le maintien des régies d'avance semble nécessaire » .
La rapporteure estime nécessaire d'éclaircir la nécessité ou non pour une collectivité territoriale de disposer d'une régie d'avance pour commander et distribuer des pass numériques et, si cela s'avère nécessaire, d'envisager une simplification de ces modalités de distribution en favorisant par exemple le recours à des conventions de mandat.
• Ensuite, il faudrait accentuer les efforts de labellisation « APTIC » des lieux de médiation numérique , afin d'étoffer l'offre de lieux dans lesquels l'utilisation du pass numérique est possible. Ainsi que l'avait préconisé le Sénat en 2020, il conviendrait de confier une mission aux Hubs territoriaux pour un numérique inclusif pour labelliser les lieux de médiation numérique.
• Par ailleurs, il serait judicieux d'augmenter le montant du pass numérique et sa durée d'utilisation.
S'agissant du montant du pass , l'ANCT a d'ailleurs indiqué réfléchir « à l'opportunité d'augmenter la valeur de chaque pass numérique voire de déléguer à chaque collectivité le montant qu'elle souhaite attribuer par pass ».
S'agissant de la durée de vie du pass, si l' APTIC semble réservé sur cette idée , indiquant que le taux d'usage des pass est plus élevé lorsque la durée de vie des pass est courte, selon l' AdCF , cette péremption dissuade les collectivités qui ont tenté de mobiliser cet outil de renouveler leur achat, car 50 % des pass acquis seraient caducs avant leur usage . Cette durée de vie limitée à un an apparaît particulièrement problématique sur les territoires dans lesquelles l'offre de lieux de médiation numérique labellisée est faible.
• Enfin, la rapporteure souligne l'utilité d'instaurer une chaîne de la distribution du pass numérique ainsi qu'un véritable suivi du bénéficiaire, afin d'inciter davantage d'usagers à utiliser leur pass numérique.
Jean-Noël Saintrapt, formateur numérique au Greta du Limousin , évoque à ce sujet une difficulté récurrente pour « atteindre les bénéficiaires des chèques et leur faire une proposition adaptée à leurs difficultés, car le nombre de structures labellisées (23 en Creuse) crée une offre peu lisible et éparpillée, en l'absence de structure centralisatrice. »
À ce titre, les exemples de la métropole du Grand Lyon et du département des Pyrénées-Atlantiques sont particulièrement intéressants : ces collectivités ont mis en place un processus de distribution par lequel un acteur de « premier niveau » identifie la personne éloignée du numérique et l'adresse à un référent au sein de la collectivité commanditaire, chargé de proposer au bénéficiaire une formation adaptée à ses besoins puis d'assurer un suivi de son parcours de formation.
Le département des Pyrénées-Atlantiques indique que les pass distribués sur son territoire ont un taux d'utilisation de 99,97 %, grâce à la mise en place de cette « gouvernance technique du pass numérique, qui associe la collectivité territoriale, le prescripteur et les dix structures labellisées APTIC existant sur son territoire » . Le département ajoute que ce dispositif a permis que « chaque pass [soit] « monté » en amont de sa distribution à travers l'identification par un prescripteur de la structure de formation pertinente » , préalablement à l'envoi du chéquier au bénéficiaire.
d) À plus long terme, une évaluation indispensable de ce dispositif
Si ces propositions peuvent permettre des améliorations dans le déploiement du pass, la rapporteure estime que le Gouvernement doit s'interroger sur les résultats pour le moins mitigés du déploiement du pass numérique, tant au regard des enjeux (17 millions de Français rencontrent des difficultés avec le numérique) que des moyens financiers mobilisés par les pouvoirs publics (plus de 15 M€ depuis 2019 pour le déploiement du pass). Le Sénat avait d'ailleurs déjà fait part de ces inquiétudes en 2020 .
Plus encore, la rapporteure s'inquiète de l'absence d'évaluation de l'efficacité de cet instrument .
En mars 2021, la Cour des comptes a d'ailleurs dressé un bilan très critique du pass numérique dans son rapport annuel, indiquant qu'il en était toujours « à un stade expérimental » et qu' « il n'existe pas aujourd'hui d'évaluation de l'efficacité de cet instrument . Les retours d'expérience des premiers déploiements du pass sont, pour le moment, peu convaincants , les commanditaires rencontrant des difficultés à définir le public cible et à l'atteindre effectivement [...] par-delà les questions juridiques et techniques posées, dont certaines ont été récemment résolues, des difficultés de suivi et d'évaluation de l'impact des pass pour leurs bénéficiaires ressortent de la majorité des expériences, jetant un doute sérieux sur l'efficacité de l'instrument . »
À moyen terme, il serait donc indispensable de dresser un bilan de l'utilisation de cet instrument, afin de pouvoir mieux évaluer sa pertinence et son efficacité.
PROPOSITION N° 19 : À court terme, favoriser un meilleur déploiement du pass numérique pour donner toutes ses chances à cet outil, à travers :
- la simplification de sa procédure d'acquisition par le commanditaire ;
- le rallongement de sa durée d'utilisation par l'usager ;
- le rehaussement de son montant ;
- la mise en place d'une chaîne de distribution au niveau local entre les différents acteurs (commanditaire, prescripteur, bénéficiaire et formateur) afin d'assurer un véritable suivi des bénéficiaires.
PROPOSITION N° 20 : À moyen terme, dresser un bilan du pass numérique évaluant l'efficacité et la pertinence de cet outil et, si nécessaire, de l'adapter ou de concevoir un outil plus opérationnel.
* 22 Proposition n° 6 du rapport d'information n° 711 (2019-2020) « L'illectronisme ne disparaîtra pas d'un coup de tablette magique » du 17 septembre 2020.
* 23 Observatoire des territoires, « En France, des territoires inégaux face au vieillissement », 2017.
* 24 https://lamednum.coop/wp-content/uploads/2022/02/Plaidoyer-Mednum.pdf
* 25 https://www.lagazettedescommunes.com/775 257/inclusion numerique les elus locaux reclament la perennisation des moyens/ ?abo=1.
* 26 Source : Gouvernement (https://cartographie.conseiller numerique.gouv.fr/6108bf7f838083d339b7efda).
* 27 Source : APTIC.