III. RENFORCER LES EFFORTS POUR RÉDUIRE LA FRACTURE NUMÉRIQUE DANS LES TERRITOIRES
A. LUTTER CONTRE LES INÉGALITÉS TERRITORIALES D'ACCÈS À UNE CONNEXION INTERNET DE QUALITÉ
1. Une fracture territoriale persistante dans l'accès au très haut débit dans les territoires ruraux, malgré des dynamiques positives
a) Le déploiement de la fibre optique progresse dans les RIP, même s'il reste beaucoup de chemin à parcourir
Le Plan France Très haut Débit (FTHD) a été lancé en 2013 afin d'améliorer la couverture numérique du territoire en plusieurs étapes, avec l'objectif ultime d'assurer la généralisation du très haut débit filaire (FttH) d'ici fin 2025.
Objectifs du plan FTHD
Couverture intégrale de la population en « bon » haut débit d'ici fin 2020
Couverture intégrale de la population en très haut débit d'ici fin 2022
Couverture à 80 % en fibre optique jusqu'au domicile (FttH) d'ici fin 2022
Généralisation du FttH à l'ensemble du territoire pour 2025
Pour rappel, les déploiements s'effectuent de manière différenciée sur deux zones , selon que l'initiative est privée ou publique :
• la zone d'initiative privée qui comprend la zone très dense (ZTD) , constituée de communes dont la liste est fixée par l'Arcep et la zone moins dense , dans laquelle la présence de l'initiative privée a été démontrée dans le cadre d'un Appel à manifestation d'intérêt d'investissement (AMII) ;
• la zone d'initiative publique correspond à des territoires plus ruraux, dans lesquels les déploiements sont réalisés par les collectivités territoriales dans le cadre de Réseaux d'initiative publique (RIP) ou par des opérateurs privés, en association avec la collectivité, dans le cadre d' appels à manifestation d'intentions d'engagements locaux (AMEL). Dans les zones RIP, le très haut débit se déploie sous l'autorité des collectivités territoriales dans le cadre de projets d'initiative publique qui sont accompagnés, instruits et suivis par l'ANCT.
Cartographie des zones de déploiement du
très haut débit
dans le cadre du plan
FTHD
Source : ANCT, 2021.
Afin de soutenir le déploiement des RIP, l'État a mobilisé 3,3 Mds€ dès 2013, auxquels se sont ajoutés 2 M€ en 2015 et 270 M€ en 2020 (auxquels il faut ajouter 300 M€ supplémentaires, issus de crédits non-consommés des RIP antérieurs).
Selon l'Arcep, le déploiement de la fibre avance à un rythme soutenu : 74 % des locaux en France sont désormais raccordables au THD filaire. Dans les RIP, le déploiement de la fibre affiche un dynamisme très soutenu : entre les deuxièmes trimestres de 2020 et 2021, le nombre de logements raccordés au très haut débit a augmenté de 40 % et le nombre de logements raccordés à la fibre a augmenté de 53 %, pour atteindre environ 7 millions de locaux.
Toutefois, la moitié des locaux ne sont pas encore raccordables à la fibre dans la zone RIP (8,4 millions de logements seraient raccordables sur un total de 16,4 logements, selon l'Arcep, soit un taux de 51 %), tandis que dans les zones très denses, la couverture en fibre optique était assurée à 86 % en fin d'année 2021 selon l'Arcep.
Cette situation est problématique non seulement pour les usagers, mais aussi pour les acteurs de l'inclusion numérique. La Défenseure des droits indique dans son rapport de mars 2022 que dans certains territoires dans lesquels le réseau internet est insuffisant, « l es acteurs, publics ou associatifs, qui pratiquent “aller-vers” doivent ainsi souvent se munir de clés 4G souscrites à leurs frais auprès des différents opérateurs pour pouvoir intervenir auprès des usagers ».
Lors de la consultation en ligne, de nombreux élus ont mis en avant la couverture internet insuffisante comme principal obstacle à l'élaboration d'une stratégie d'inclusion numérique sur leur territoire :
« L'État impose de plus en plus la dématérialisation. Toutefois, de nombreuses zones restent “blanches” ou mauvaises tant au niveau d'internet que des téléphones portables. »
« On rencontre des difficultés liées au réseau internet insuffisant. La fibre tarde à être installée... »
« Il conviendrait de commencer par permettre l'accès de tous au numérique par la modernisation des réseaux internet, qu'ils soient filaires, hertziens ou fibrés. »
b) Une progression notable de la couverture en 4G mobile, qui n'éteint pas certaines préoccupations
Le New Deal mobile, conclu en 2018 afin d'imposer aux opérateurs des objectifs d'aménagement numérique du territoire, semble présenter des résultats probants.
Selon les données de l'Arcep, la généralisation de la 4G mobile est en bonne voie : fin 2021, 830 sites mobiles étaient en service sur les 3 000 identifiés par arrêtés depuis 2018. Au 30 juin 2021, entre 97 % et 99 % des sites mobiles étaient équipés en 4G, le basculement de la 3G et la 4G se poursuivant.
Le Défenseur des droits note dans son rapport de mars 2022 que le New Deal mobile a permis « d'améliorer sensiblement la couverture numérique du territoire : elle est passée, en intégrant les outre-mer, de 72,7 % en 2017 à 85,4 % en 2021, soit une progression de près de 13 points en seulement quatre ans. »
Toutefois, les efforts doivent être maintenus afin d'assurer la couverture totale du territoire en 4G. En outre, une inquiétude subsiste concernant la qualité de la connexion 4G, qui présente des disparités territoriales. Selon une étude publiée par l' UFC Que choisir 13 ( * ) en janvier 2022, 25 % des consommateurs n'auraient pas accès à un débit de 8 Mbits/s, un taux qui atteindrait 32 % dans les zones rurales . L'Arcep a mis en place le site « Monréseaumobile.fr » qui permet à chacun de tester la qualité de sa connexion.
La rapporteure appelle le Gouvernement et l'Arcep à redoubler de vigilance s'agissant de la qualité de la connexion 4G dans les zones rurales et à prendre des mesures contraignantes vis-à-vis des opérateurs si cela s'avère nécessaire.
2. Renforcer la couverture du territoire en très bon haut débit en renforçant les moyens destinés à financer les raccordements complexes et les alternatives à la fibre
a) Le financement des raccordements longs et complexes : des moyens à pérenniser
À mesure que le déploiement de la fibre progresse, les opérateurs se trouvent face à des prises de plus en plus difficiles à réaliser, en particulier dans les territoires les plus reculés. On estime que 10 % 14 ( * ) du territoire en zone RIP comporte des raccordements particulièrement complexes et coûteux , qui constituent un défi pour la complétude de la couverture numérique de la France.
Diverses difficultés sont rencontrées, parmi lesquelles les plus fréquentes sont le défaut d'élagage, la difficulté pour l'opérateur à obtenir les autorisations nécessaires ou encore la méconnaissance des conditions préalables au raccordement des particuliers et l'absence d'accès au génie civil dans la commune concernée.
Afin de faire face à ce phénomène, le Gouvernement a mis en place un fonds destiné au financement des raccordements complexes dans le cadre du Plan de relance, à hauteur de 150 M€ . Ce fonds serait réservé aux RIP et seules les difficultés de raccordement liées à l'absence de génie civil (fourreaux, poteaux électriques...) en aval du point de branchement optique devraient y être éligibles.
Un projet de cahier des charges du fonds a été soumis à la consultation publique en janvier 2022.
Si l'instauration de ce fonds est une réelle avancée, plusieurs points d'inquiétude demeurent :
• la rapporteure estime, comme l'avait soulevé Jean-Michel Houllegatte dans son avis budgétaire sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire sur le PLF pour 2022, qu'un rehaussement des moyens et leur inscription dans la durée pourraient être nécessaires pour assurer la réalisation des raccordements ;
• l'aide de l'État est fixée à 12,5 % du montant des études et travaux et ce pour tous les cas de figure. Un choix que contestent l'ADF, l'Avicca et la FNCCR, qui indiquent regretter « qu'un des principes politiques fondateurs du Plan France Très Haut Débit, à savoir une aide différenciée qui tienne compte des situations territoriales, ne soit pas repris, et que le taux d'aide soit le même pour tous. L'abandon de la péréquation est toujours un mauvais signal envoyé à l'écosystème des RIP qui est chargé de déployer les zones que les opérateurs privés ne jugent pas, à raison, rentable de déployer » 15 ( * ) . Sensible à ces arguments et à la nécessité de maintenir un principe fort de solidarité numérique au sein des territoires, la rapporteure appelle le Gouvernement à étudier la possibilité d'un taux de financement tenant compte des spécificités locales.
PROPOSITION N° 9 : Garantir l'existence du fonds sur les raccordements complexes aussi longtemps que nécessaire pour assurer le déploiement de la fibre et en augmenter les montants si nécessaire.
b) Financer davantage les alternatives à la fibre au profit des ménages n'y ayant pas accès
Il importe de proposer des alternatives crédibles à la fibre pour doter d'une connexion haut débit, voire très haut débit les foyers et locaux qui ne seront pas raccordables immédiatement à la fibre, voire qui ne pourront pas l'être même au-delà de 2030, échéance à laquelle est prévu le basculement total du réseau cuivre vers le réseau fibré.
Plusieurs alternatives technologiques existent, parmi lesquelles le recours à la 4G fixe, au THD radio et à l'internet par satellite.
En 2019, le Gouvernement a lancé le dispositif « Cohésion numérique des territoires » (CNT) , piloté par l'ANCT, afin de soutenir l'acquisition de technologies sans fil ou hertzienne par les consommateurs. Ce programme s'inscrivait dans le plan FTHD qui avait fixé un objectif de « bon haut débit » pour tous pour la fin d'année 2020, objectif qui semble atteint selon les estimations de l'ANCT qui indiquait que fin décembre 2020, « près de 100 % des foyers et entreprises » disposaient d'un bon haut débit (8 Mbits/s) 16 ( * ) .
Le guichet CNT est arrivé à expiration fin décembre 2021. Le Gouvernement a annoncé sa reconduction au 1 er avril 2022 et ce, jusqu'au 31 décembre de la même année. En outre, le montant de l'aide accordée aux ménages éligibles devrait passer de 150 à 300 euros.
La rapporteure préconise de s'appuyer sur ce dispositif pour atteindre l'objectif de « très haut débit pour tous » fixé pour la fin d'année 2022 par le plan FTHD et ce, d'autant plus que le guichet CNT a pour l'heure été largement sous-exploité par les ménages (son déploiement depuis 2019 s'élève à 1,7 M€, un résultat éloigné de la cible initiale fixée à 100 M€).
Pour ce faire, elle propose trois évolutions :
• rehausser l'ambition du guichet CNT, en passant de l'objectif d'assurer à chaque Français un accès à un « bon haut débit » à celui de garantir l'accès à une connexion « très haut débit » pour tous ;
• prolonger l'application du dispositif au moins jusqu'en 2025 ;
• communiquer plus largement sur cet outil et le faire connaître, afin d'inciter davantage de ménages à y recourir.
PROPOSITION N° 10 : Mieux faire connaître le Guichet « Cohésion numérique des territoires » qui permet de financer l'accès à des alternatives à la fibre (THD radio, satellite et 4G fixe) pour les foyers. Relever l'objectif du dispositif afin d'assurer un accès au très haut débit pour tous (30 Mbits/s) et prolonger son existence jusqu'à 2025 au moins.
* 13 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-internet-mobile-queldebit-met-en-lumiere-l-inadmissible-fracture-numerique-n98 396/
* 14 Source : Allocution sur le déploiement de la fibre devant l'Avicca de Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, 25 novembre 2021.
* 15 https://www.avicca.org/actualite/pour-garantir-lacces-la-fibre-dans-les-zones-rurales-il-faut-aller-plus-loin