SYNTHÈSE
Les difficultés inhérentes aux décharges sauvages constituent une part importante de l'action quotidienne des élus locaux . En effet, les dépôts illégaux de déchets ont des impacts multiples et directs tant sur la qualité de vie des citoyens (nuisances), que sur l'environnement (pollutions) et la santé publique (maladies). Les enjeux sont d'autant plus importants que l'inaction des élus en la matière constitue une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'administration.
L'importance cruciale de ce sujet pour l'action publique locale a conduit à l'élaboration en 2021 de deux guides à destination notamment des élus locaux.
En premier lieu, l'Association des Maires de France (AMF) et la Gendarmerie Nationale ont édité un Mémento sur la gestion des atteintes à l'environnement . Ce document très pédagogique vise à :
• clarifier la notion de déchets et de dépôt sauvage,
• approfondir la connaissance de la réglementation particulière en matière d'atteinte à l'environnement,
• expliquer l'articulation et le rôle des différents acteurs impliqués dans leur traitement,
• permettre la mise en oeuvre rapide, coordonnée et efficace de réponses adaptées (déclinées dans plusieurs fiches pratiques).
En second lieu, l'engagement des pouvoirs publics en faveur de l'économie circulaire a conduit le ministère de la transition écologique à concevoir un guide destiné aux élus relatif à la lutte contre les abandons et dépôts illégaux de déchets . Ce guide comporte des fiches outils et des exemples de bonnes pratiques existantes concernant la prévention et la répression des dépôts sauvages. Comme vient de le souligner le Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en réponse à une question écrite de notre collègue Daniel Gremillet, les élus ont un rôle déterminant à jouer dans ce domaine : « Les collectivités territoriales peuvent également mettre en place un plan de propreté à l'instar notamment des villes de Bordeaux, Metz ou Cannes. Ces plans (...) consistent en une démarche qui prévoit à la fois des actions de sensibilisation et de communication, un dispositif de collecte adapté et des mesures de sanction, en y adjoignant les ressources humaines et financières à la mesure des enjeux et des spécificités des territoires concernés » 1 ( * ) .
Consciente du vif intérêt des élus sur ce sujet et soucieuse de nourrir sa propre réflexion, votre délégation a souhaité recueillir certaines bonnes pratiques en organisant une table ronde le 13 janvier 2022 , avec :
- M. Fabien Kees, maire de Dannemois,
- M. Philippe Vignon, Vice-Président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin,
- le Général Sylvain Noyau, chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique.
Cette table-ronde a fait ressortir certains éléments utiles qu'il a paru important de porter à la connaissance du plus grand nombre et, en particulier des élus locaux, par le truchement du présent rapport. En effet, le constat, partagé par les trois intervenants, est sans appel : le phénomène, qualifié de « fléau » par M. Fabien Kees, s'aggrave d'année en année .
Ainsi , M. Philippe Vignon a déclaré : « Nous avions 46 dépôts sauvages en 2019 et leur nombre est passé à 153 en 2020 ».
De même, le Général Sylvain Noyau a fait part de sa vive préoccupation : « Près d'un maire sur deux considère aujourd'hui que ce phénomène est en aggravation. D'après le questionnaire qui a été transmis aux élus pour identifier leurs besoins, il s'agit de leur deuxième sujet prioritaire. Le nombre d'infractions liées aux dépôts de déchets sauvages constatés par la gendarmerie a augmenté de 85 % entre 2017 et 2021. C'est une préoccupation pour 90 % des collectivités territoriales si l'on en croit l'étude réalisée par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME), qui a dénombré près de 36 000 décharges à ciel ouvert sur le territoire. »
La table ronde a montré que les dépôts sauvages sont majoritairement effectués par des professionnels, appartenant généralement au secteur du bâtiment. L'association « Gestes propres » recense un million de tonnes de déchets abandonnés chaque année sur l'ensemble du territoire français.
Les intervenants ont mis en avant les capacités d'action et d'innovation des élus, véritables « inventeurs de solutions » comme le souligne régulièrement notre délégation.
Neuf pistes de réflexion ont été avancées par les participants afin d'améliorer la lutte contre les décharges sauvages : certaines requièrent une modification des textes (loi ou règlement), d'autres relèvent davantage des « bonnes pratiques ».
1 ère piste : Légiférer pour clarifier l'usage des pièges photographiques et caméras de chasse .
En effet, les élus, M. Fabien Kees et M. Philippe Vignon ont tous deux appelé de leurs voeux une consolidation juridique du recours aux pièges photographiques et aux caméras de chasse, dont ils ont souligné le grand intérêt pratique dans la lutte contre les décharges sauvages.
2 ème piste : Mettre en place une amende forfaitaire délictuelle en cas de décharges sauvages afin de permettre une sanction pénale plus rapide.
M. Philippe Vignon a invité à réfléchir « dans le cadre de l'arsenal répressif, à une amende forfaitaire délictuelle, afin d'éviter la lourdeur des procédures arrivant devant le tribunal ». Le Général Sylvain Noyau s'est déclaré favorable à l'instauration d'une telle amende, susceptible d'être « un vecteur de simplification des procédures » .
3 ème piste : Contraindre les professionnels du bâtiment chargés d'éliminer les déchets de présenter au commanditaire des travaux une preuve de dépôt en déchetterie .
Les échanges ont souligné que les dépôts sauvages résultent fréquemment de comportements d'entreprises du bâtiment qui veulent s'affranchir du coût des déchetteries, ce qui ne les empêche pas de les facturer à leurs clients. Faire peser sur les entreprises du bâtiment une telle charge de la preuve pourrait ainsi éviter certains dépôts sauvages.
4 ème piste : S'appuyer davantage sur les gardes-champêtres dans la lutte contre les décharges sauvages, ces agents étant dotés d'attributions importantes en matière de police de l'environnement.
En effet, les intervenants ont salué l'importance des gardes-champêtres dans ce domaine . Ainsi, M. Philippe Vignon a déclaré : « Le garde-champêtre a des pouvoirs importants en matière de police de l'environnement, notamment au titre de l'article 24 du code de procédure pénale, qui lui permet de rechercher et constater les délits portant atteinte aux propriétés privées et publiques situées sur les communes pour lesquelles ils sont assermentés. L'article L. 172-4 du code de l'environnement leur permet également de conduire des enquêtes d'un bout à l'autre, ce qui libère de cette charge la police et la gendarmerie. Contrairement à la police municipale, qui ne peut qu'interpeller l'auteur d'une infraction et le conduire devant l'officier de police judiciaire, le garde-champêtre peut conduire son enquête en totalité, c'est-à-dire constater l'infraction, procéder à des auditions libres de personnes mises en cause, procéder le cas échéant à des visites domiciliaires et terminer la procédure jusqu'à ce que celle-ci arrive au parquet. C'est donc un dispositif précieux »
Cependant, de nombreuses communes rurales ne sont pas en capacité d'avoir des gardes-champêtres à plein temps et, en conséquence, les possibilités de mutualisation intercommunale méritent d'être explorées. La loi engagement et proximité n°2019-1461 du 27 décembre 2019 a, rappelons-le, ouvert de nouvelles possibilités de mutualisation des gardes champêtres : à l'instar des policiers municipaux, leur mise à disposition entre communes et l'initiative de leur recrutement par le président de l'EPCI est désormais possible. En outre, les gardes champêtres pourront être recrutés par un EPCI et mis à disposition d'un autre EPCI ou d'une commune non membre de cet EPCI. Par ailleurs, la même loi a précisé dans le code de l'environnement que les gardes champêtres étaient qualifiés pour procéder à la recherche et à la constatation d'infractions en matière de déchets.
5 ème piste : Réfléchir à l'échelon d'intervention le plus pertinent entre la commune et l'intercommunalité (principe de subsidiarité).
Sur ce point, M. Philippe Vignon a souligné l'efficacité de l'échelon intercommunal en matière de lutte contre les décharges sauvages : « Depuis mai 2017, la communauté d'agglomération de Saint-Quentin s'est dotée d'une brigade d'intervention en matière d'environnement (BIE) ».
Votre délégation rappelle, à cet égard, que la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite « loi AGEC »), a étoffé l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales en donnant la possibilité aux maires de transférer les prérogatives de police qu'ils détiennent, au sens de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, pour réprimer les dépôts sauvages, au président d'un groupement de collectivités compétent en matière de collecte des déchets.
6 ème piste : Renforcer la coopération entre les maires et le parquet dans la sanction des auteurs de décharges sauvages (information, coordination, notification au maire des suites données à leurs signalements).
Cette piste rejoint une forte préoccupation de notre délégation : le maire, qui est au coeur du continuum de sécurité, doit être étroitement associé aux actions menées par le parquet, notamment dans le cadre des CLSPD (comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance) 2 ( * ) .
7 ème piste : Encourager les particuliers victimes d'un dépôt sauvage sur un terrain privé à déposer plainte , voire à se constituer partie civile.
L'article R 633-6 du Code pénal punit d'une amende prévue pour les contraventions de 3 ème classe le fait d'abandonner des déchets, matériaux, liquides insalubres ou tout autre objet sur un lieu public ou privé .
M. Fabien Kees a ainsi relevé que « le constat du dépôt sauvage et l'enquête sont faits de la même manière, que le terrain soit privé ou public ». Il a cependant indiqué que certaines « réticences s'exprimaient au moment de déposer plainte » car « des particuliers craignent d'être, par la suite, ciblés ou victimes de représailles ». Concernant la constitution de partie civile, M. Fabien Kees a également souligné la difficulté du chiffrage du préjudice (matériel ou moral) subi par le propriétaire privé du fait du dépôt sauvage sur son terrain. Un travail de pédagogie et d'information mérite donc d'être mené en direction des propriétaires de terrains privés.
8 ème piste : Mener des actions de prévention et de sensibilisation auprès des professionnels et des particuliers, notamment au travers des Opérations Territoire Propre (OTP).
Le général Noyau a souligné que « la gendarmerie intervient au travers des Opérations Territoire Propre (OTP), dont les premières ont vu le jour en 2020, avant d'être ralenties durant plusieurs mois du fait de la pandémie. Elles ont été réactivées début 2021. Ce sont des manoeuvres coordonnées, généralement au niveau des régions ou des groupements ». Ces opérations ont une vocation à la fois répressive et préventive.
9 ème piste : Instaurer un partenariat entre les communes et les chasseurs et/ou les associations de chasse , pour prévenir les dépôts sauvages.
En effet, les décharges sauvages sont le plus souvent localisées dans des endroits boisés, à l'abri des regards. Ce type de localisation géographique conduit naturellement les élus à souhaiter s'appuyer sur des associations de chasse , car leurs adhérents sont amenés à parcourir des lieux peu explorés par le grand public ou les forces sécurité.
* 1 Réponse du ministère publiée dans le JO Sénat du 17 février 2022, page 901 : http://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ211025085.html
* 2 Voir le rapport intitulé « L'ancrage territorial de la sécurité intérieure » ; Rapport d'information de M. Rémy POINTEREAU et Mme Corinne FÉRET, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales ; rapport n° 323 (2020-2021) du 29 janvier 2021.