B. UNE MISE EN oeUVRE DES CRÉDITS QUI MANQUE D'EFFICIENCE
1. Une exécution efficace mais insuffisamment « collective »
a) Un pilotage spécifique garantissant une bonne consommation des crédits
L'exécution du plan de relance constitue une priorité pour le Gouvernement. Une organisation dédiée a été mise en place pour en assurer le suivi budgétaire régulier et veiller à la bonne tenue d'engagement des crédits sur deux ans .
Même si la gestion des crédits destinés à la création a été confiée au ministère de la culture, la direction du budget suit plus étroitement leur mise en oeuvre que pour les crédits ordinaires du programme 131. Le ministère de la culture s'est par ailleurs doté de deux organes spécifiques, réunis sur une base régulière : un comité de pilotage du plan France relance et un comité de suivi avec les DRAC.
Les sous-préfets à la relance jouent un rôle marginal dans la mise en oeuvre du plan de relance pour la culture. Ils exercent tout au plus une mission d'information des acteurs locaux, mais n'ont pas pris part à l'élaboration du plan ni à son pilotage.
Après quelques lenteurs dans les premiers mois du fait des processus administratifs , le taux de consommation des crédits s'est accéléré depuis la fin du printemps . Il s'établissait aux alentours de 78 % en autorisations d'engagement et 73 % en crédits de paiement à la fin du mois de septembre, un taux légèrement supérieur à celui habituellement enregistré en ce qui concerne les crédits ordinaires. Ce taux devrait augmenter significativement une fois l'annonce des lauréats du plan de la commande publique « Mondes nouveaux » effectuée, dans la mesure où il est envisagé de verser des crédits de recherche oscillant entre 5 000 et 10 000 euros à chacun d'entre eux.
Quoi qu'il en soit, le ministère de la culture estime que les crédits pourront être intégralement consommés d'ici la fin de l'année 2022.
Le taux de consommation des crédits du plan de relance
Source : Ministère de la culture
b) Un dialogue contrasté avec les collectivités territoriales et les professionnels du secteur
En dépit du partage de la compétence en matière culturelle et du rôle majeur joué par les collectivités territoriales dans le financement de la culture, ni l'élaboration, ni la mise en oeuvre du plan de relance n'ont fait l'objet d'une véritable concertation avec les différents échelons de collectivités territoriales . Les collectivités territoriales n'ont pas été consultées sur les besoins de leurs territoires. Les résultats de la consultation des élus locaux lancée sur le site internet du Sénat dans le cadre de la présente mission présentés ci-dessous en fournissent une illustration.
Un manque de concertation manifeste des
collectivités territoriales
dans l'élaboration comme dans la
mise en oeuvre du plan de relance
Les conseils des territoires pour la culture (CTC), qui ne sont d'ailleurs toujours pas installés dans l'ensemble des régions, ont, au mieux, été mobilisés pour informer les collectivités des actions menées dans le cadre du plan de relance, mais ils n'ont pas été des lieux de décision ni même de simple consultation.
Le dialogue avec les collectivités s'est limité à des discussions bilatérales menées par les DRAC en fonction des soutiens octroyés au titre du plan de relance.
Ces modalités de fonctionnement n'apparaissent pas optimales, puisqu'elles réduisent l'effet de levier qu'auraient pu avoir les crédits du plan de relance et peuvent être à l'origine de carences ou d'un doublonnement des actions.
Les professionnels du secteur déplorent, pour leur part, un manque de clarté sur les priorités du plan de relance et sur les critères qui ont présidé à l'attribution des aides , dans la mesure où des disparités d'application ont été constatées d'une région à l'autre. La réactivation des comités régionaux des professions du spectacle (Coreps), instances de dialogue entre l'État, les collectivités et les syndicats d'employeurs et de salariés, n'a pas été effective dans toutes les régions. Des structures équivalentes n'existent pas pour les arts visuels, où toutes les régions ne sont pas encore dotées de schémas d'orientation pour le développement des arts visuels (Sodavi).
2. Une efficience qui n'est pas toujours au rendez-vous
a) Des effets pervers suscités par l'obligation de consommer les crédits en deux ans
La limite temporelle du plan de relance, fixée au terme de l'année 2022, se révèle être un frein à la construction d'une véritable politique culturelle par son biais et à la réalisation de certaines de ses ambitions .
Conjuguée au risque de remontée des crédits en fin d'année vers l'administration centrale, voire de leur éventuel transfert vers le budget général, elle a pu compromettre l'objectif d'une large ouverture du bénéfice des crédits « relance » . Faute de temps et de moyens humains suffisants, certaines DRAC ne semblent pas être véritablement parvenues à soutenir de petites structures qui passaient jusqu'ici sous le radar du ministère comme l'ont fait d'autres DRAC (Bretagne, Centre-Val de Loire). Repérer de nouveaux établissements qui ont une action structurante sur le territoire nécessite du temps. Quant à la procédure d'appel d'offres, elle se révèle elle aussi chronophage et fastidieuse pour les DRAC comme pour les éventuelles structures bénéficiaires.
Des projets ont également été abandonnés et ont donné lieu à des redéploiements de crédits en raison, soit du coût des opérations initialement envisagées, soit de l'impossibilité de les réaliser dans les délais impartis du fait de leur immaturité.
Au final, les aides profitent majoritairement aux acteurs les plus structurés , comme le relève également la Cour des comptes dans son audit consacré au soutien du ministère de la culture au spectacle vivant pendant la crise de la Covid-19.
b) Un calibrage initial des crédits mis à mal par la durée et l'ampleur de la crise
Le montant du plan de relance pour la création avait été déterminé au cours de l'année 2020 sur la base d'une estimation des besoins du secteur, dans un contexte où la reprise était attendue dès le début de l'année 2021. C'est la raison pour laquelle l'essentiel des crédits de soutien au fonctionnement avaient été concentrés sur l'année 2021.
73 %
81 %
Répartition des crédits du plan de relance entre les années 2021 et 2022
Enveloppes (en millions d'euros) |
2021 |
2022 |
||
Montant |
% |
Montant |
% |
|
Soutien au fonctionnement des opérateurs |
55 |
89 % |
7 |
11 % |
Soutien à l'investissement des opérateurs |
20 |
35 % |
37 |
65 % |
Soutien à la relance du spectacle vivant musical privé |
122 |
81 % |
28 |
19 % |
Soutien à la relance du théâtre privé |
10 |
100 % |
0 |
0 % |
Plan de commande artistique |
20 |
67 % |
10 |
33 % |
Soutien à l'emploi artistique |
13 |
100 % |
0 |
0 % |
Soutien au spectacle vivant musical en régions |
23 |
77 % |
7 |
23 % |
Soutien au spectacle vivant non musical en régions |
20 |
67 % |
10 |
33 % |
Fonds de transition écologique |
10 |
50 % |
10 |
50 % |
Total |
293 |
73 % |
109 |
27 % |
Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Rouverts seulement au mois de mai, les établissements culturels n'ont toujours pas repris une activité pleine et entière . Ils sont encore soumis à un certain nombre de contraintes liées à la situation sanitaire, en particulier les salles de concert debout dont la jauge maximale demeure fixée à 75 % dans les départements dans lesquels le taux d'incidence dépasse 50 pour 100 000 habitants. Ils constatent par ailleurs un retour timide du public dans les salles depuis cette seconde réouverture, malgré le pass sanitaire : billetterie atone, réduction du nombre d'abonnements, non-présentation d'une part significative du public (30 %) pour les représentations qui ont fait l'objet d'un report. Il est encore trop tôt pour déterminer si ce phénomène est conjoncturel ou traduit un changement profond des habitudes des publics. Le Centre national de la musique (CNM) évalue la perte de chiffre d'affaires des spectacles musicaux et de variétés sur l'ensemble de l'année 2021 à 1,8 milliard d'euros par rapport à 2019, soit près de 80 %.
Si le montant des crédits du plan de relance n'est globalement pas contesté, la manière dont ils ont été répartis entre les années 2021 et 2022 se révèle plus problématique face à la mollesse de la reprise . Les établissements culturels sont soumis à un risque majeur d'effet « ciseau » , compte tenu de l'augmentation rapide de leurs charges alors que les perspectives de recettes demeurent limitées et incertaines. Il s'agit d'une réelle menace pour la création dans les années à venir . Ce contexte, conjugué à la difficulté actuelle que rencontrent les établissements pour faire venir des artistes internationaux, engendre une certaine frilosité parmi les programmateurs, qui pourrait, à terme, se traduire par un resserrement des propositions artistiques.