N° 126

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la répartition territoriale des moyens alloués à la création ,

Par Mmes Sonia de LA PROVÔTÉ et Sylvie ROBERT,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial, Mme Mélanie Vogel .

AVANT-PROPOS

Intégré à la loi de finances pour 2021, le plan « France Relance » comporte plus de 400 millions d'euros de crédits en faveur de la création artistique à consommer d'ici la fin de l'année 2022. Alors que l'exécution de ce plan en est bientôt à mi-parcours et que s'annonce l'examen du projet de loi de finances pour 2022, Sonia de La Provôté et Sylvie Robert se sont penchées, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur les modalités de mise en oeuvre de ce plan de relance pour en évaluer l'exécution et l'efficacité et vérifier qu'il trouve une traduction concrète et appropriée dans l'ensemble des territoires.

Si les crédits du plan de relance ont constitué un soutien substantiel pour le secteur de la création, lui permettant de passer le cap de l'année 2021, les inquiétudes sont très fortes en ce qui concerne l'année 2022. Alors que l'essentiel des crédits de ce plan auront déjà été consommés, les acteurs de la création s'interrogent sur leurs perspectives en l'absence du maintien d'un soutien fort des collectivités publiques. Il apparait important que la dépense publique se montre plus efficiente et coordonnée pour mieux répondre aux défis qui menacent aujourd'hui l'avenir de la création. Le plan de relance ne doit pas se réduire à un simple plan de reprise.

I. LES CONSTATS

A. DES CRÉDITS EN FAVEUR DU REDRESSEMENT DE LA CRÉATION QUI PROFITENT INÉGALEMENT À SES ACTEURS

1. Un soutien financier significatif et chargé de sens

Mis à l'arrêt pendant une année complète du fait des périodes de fermeture successives, le secteur de la création a été durement frappé par la crise sanitaire et continue à en subir encore les effets.

L'État a débloqué des moyens importants pour venir à son secours depuis mars 2020. Outre les différents dispositifs transversaux mis en place - activité partielle, fonds de solidarité, exonérations ou aides au paiement des cotisations sociales, prêts garantis par l'État - dont les structures et les entreprises privées ont pu bénéficier, ainsi que l'instauration de « l'année blanche » pour les intermittents , le ministère de la culture a, de son côté, progressivement déployé une série d' aides sectorielles ciblées pour sauvegarder l'emploi, éviter les défaillances des différentes structures de création et de diffusion et rendre possible la reprise d'activité au sortir de la crise.

Ces mesures de sauvegarde ont été complétées dans le cadre du plan France Relance par l'octroi d'une enveloppe de 400 millions d'euros de crédits au titre des années 2021 et 2022 destinée à permettre « le renouveau et la reconquête de notre modèle de création et de diffusion artistique », à soutenir l'emploi artistique et à redynamiser la jeune création.

Ces crédits constituent un apport substantiel pour le secteur . Ils ont permis d' accroître de plus de 20 % le montant des crédits alloués par l'État dans le cadre du programme 131 « Création » au titre de ces deux années (861 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2021 et 915 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2022).

Compte tenu de l'impact terrible de la crise sanitaire sur le secteur, ils jouent un rôle primordial pour éviter la disparition de certaines structures , qui ne pourraient pas faire face en leur absence.

Malgré les problèmes de lisibilité budgétaire qui en découlent, l'inscription de crédits spécifiques au profit de la création au sein même de la mission « plan de relance » est aussi le signe de l'importance qu'accorde l'État à la reprise rapide et durable de ce secteur. En ce sens, elle peut être lue comme une reconnaissance de sa contribution au développement économique et au rayonnement de notre pays .

2. Une répartition des crédits centrée sur les entreprises privées du spectacle vivant et les grands opérateurs nationaux franciliens

Deux objectifs ont été assignés au plan de relance :

- sauvegarder les structures de diffusion toujours menacées par la crise, aux fins de préserver l'emploi artistique, la création et sa diffusion ;

- et relancer la création artistique au sens large.

Les mesures financées dans le cadre du plan de relance ne se distinguent guère des mesures mises en place depuis le début de la crise sanitaire. Loin de se limiter à des dépenses d'investissement, ces crédits financent, en fin de compte, essentiellement des mesures de compensation pour accompagner la reprise en mode dégradé et des mesures de soutien à la création et à la programmation.

Répartition des crédits du plan de relance destinés à la création en 2021 et 2022

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
sur la base des informations communiquées par le ministère de la culture

Pour préserver l'emploi artistique et relancer la création, le Gouvernement a décidé, à raison, d' ouvrir très largement le bénéfice des crédits du plan de relance aux acteurs qui n'étaient pas ou peu soutenus financièrement jusqu'alors .

40 % des crédits sont destinés aux structures privées du spectacle vivant, qu'il s'agisse des entrepreneurs du spectacle vivant musical et de variétés et des théâtres privés. Le Centre national de la musique (CNM) et l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), auxquels la gestion de ces crédits a été déléguée, ont reçu des consignes pour que les aides financées par ce biais ne soient pas réservées aux seuls contributeurs de la taxe sur les spectacles.

Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ont également reçu pour instruction de repérer les petites structures jusqu'ici non soutenues qui constituent des lieux de diffusion pour la jeune création afin de les subventionner. 18 % des crédits destinés à soutenir le spectacle vivant en régions seraient réservés à cet effet, dont plus de la moitié devraient être octroyés dans le cadre d'appels à projets.

a) Une territorialisation modeste des crédits

Alors que 30 % des crédits du plan de relance sont alloués au soutien des principaux opérateurs nationaux de la création, situés pour l'essentiel à Paris, seuls 20 % des crédits du plan de relance sont déconcentrés (80 millions d'euros) afin de soutenir les institutions, labels, réseaux et équipes en régions en fonctionnement et en investissement.

Le montant des crédits alloués à chaque DRAC ne repose pas sur une estimation préalable des besoins de chacun des territoires . Il a été déterminé en reprenant la même base de calcul que celle utilisée pour répartir les crédits ordinaires déconcentrés (« l'euro par habitant » par DRAC), même si un léger rééquilibrage a été opéré en faveur des DRAC habituellement sous-dotées par rapport à leurs besoins au titre du programme 131.

Les crédits déconcentrés sont répartis entre trois enveloppes :

- la première, comportant 30 millions d'euros (23 millions d'euros en 2021 et 7 millions d'euros en 2022), est consacrée au soutien au fonctionnement du spectacle vivant musical en régions - elle est désignée sous l'appellation « Plan musique ». Au sein de cette enveloppe, 1,1 million d'euros est destiné spécifiquement aux résidences de compositeurs et à l'aide aux écritures musicales ;

- la deuxième, également d'un montant de 30 millions d'euros (20 millions d'euros en 2021 et 10 millions d'euros en 2022), vise à soutenir le fonctionnement du spectacle vivant non musical en régions ;

Le soutien au spectacle vivant non musical en régions en 2021

Les moyens pour l'année 2021 ont été répartis entre les DRAC, pour financer les actions suivantes :

- le soutien à la production et à la diffusion de spectacles des labels et réseaux , orienté en priorité vers les structures subventionnées les plus dépendantes financièrement de leurs ressources propres (billetteries, recettes commerciales et artistiques, mécénat) ;

- l'accompagnement financier plus soutenu des équipes indépendantes les plus fragilisées par la crise, visant à compenser leurs pertes de ressources propres (liées aux annulations de tournées, ou à la baisse des produits de cession) et à relancer leur activité de création par un renforcement exceptionnel des aides aux projets, le financement des déplacements en tournées des compagnies ;

- le soutien des projets des tiers lieux et ateliers de fabrique , fortement touchés par la crise et qui ne seraient pas éligibles à d'autres dispositifs.

Source : Ministère de la culture

- la dernière enveloppe, dotée de 20 millions d'euros (10 millions d'euros chacune des deux années), constitue un soutien à l'investissement. Elle alimente un fonds de transition écologique qui devrait financer 104 opérations de remise aux normes et de transition énergétique des bâtiments.

D'autres crédits du plan de relance sont néanmoins susceptibles de se traduire dans les territoires . Mais l'équilibre territorial dans leur répartition demeure néanmoins aléatoire, aucune consigne précise ne semblant avoir été donnée à cet effet. Il ne pourra donc être apprécié qu' ex post .

Il s'agit en particulier :

- des crédits consacrés à la relance du spectacle vivant musical privé géré par le CNM, qui ont permis d'alimenter le fonds de sauvegarde, le fonds de compensation des pertes de billetterie et différentes aides octroyées par le CNM à la création, à la production et à la diffusion de spectacle vivant, ainsi qu'à l'aménagement et l'équipement des salles de spectacles ;

- des crédits destinés aux artistes fragilisés par la crise qui n'étaient pas correctement couverts par les dispositifs transversaux ;

La répartition des crédits soutenant les artistes non couverts
par les dispositifs transversaux

Dès le début de la crise a été identifiée l'existence de « trous dans la raquette ». Des mécanismes ont été mis en place pour accompagner les artistes qui étaient exclus des dispositifs transversaux.

Sur les 13 millions d'euros de l'enveloppe du plan de relance destinée aux artistes, dont l'intégralité des crédits sont inscrits exclusivement au titre de 2021, 7 millions d'euros sont destinés aux artistes et techniciens du spectacle . Ils visent à réabonder le fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle vivant et enregistré (FUSSAT) géré par Audiens.

Les 6 millions d'euros restants sont consacrés au soutien des artistes dans le domaine des arts visuels :

- 3,2 millions d'euros ont réabondé les dispositifs de soutien et d'acquisition du Centre national des arts plastiques (CNAP) en faveur des artistes plasticiens et des galeries d'art ;

- 0,5 million d'euros ont été attribués aux jeunes créateurs de mode, dans le cadre d'un appel à projets lancé pour l'aide au développement numérique des jeunes marques de mode et des métiers d'art de la mode ;

- 0,5 million d'euros sont enfin consacrés au soutien des métiers d'art, à travers un plan de restauration de 230 pièces issues des collections nationales (années 1930-1950) du Mobilier national, qui sera mis en oeuvre en 2021 et 2022 pour soutenir les artisans d'art. D'un montant total de 1 million d'euros, ce projet est cofinancé par la direction générale des entreprises (DGE) sur son propre programme budgétaire ;

- 1,8 million d'euros ont été délégués aux DRAC pour soutenir les acquisitions des FRAC et les structures non labellisées en région.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
à partir des informations transmises par le ministère de la culture

- et des crédits du plan de commande artistique « Mondes nouveaux ». Ce programme, qui vise à soutenir la conception et la réalisation de projets artistiques originaux, donne la possibilité aux lauréats de présenter leurs créations dans l'un des monuments du Centre des monuments nationaux ou l'un des sites du Conservatoire du littoral. Pour accroitre l'effet de ce programme de commande publique sur les territoires, il serait souhaitable d'autoriser les lauréats à choisir d'autres lieux de présentation que ceux de ces deux réseaux. Il pourrait également être envisagé de faire un second appel à manifestation d'intérêt pour rééquilibrer la répartition territoriale entre les lauréats si des crédits restaient disponibles à l'issue du premier appel à manifestation d'intérêt.

Le soutien du plan de relance aux opérateurs nationaux

Le plan de relance octroie 119 millions d'euros pour le fonctionnement et l'investissement des opérateurs nationaux dans le champ de la création.

Ces crédits portent pour l'essentiel sur trois établissements parisiens (l'Opéra national de Paris, la Comédie française et l'établissement public du parc et de la grande Halle de la Villette).

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
sur la base des éléments transmis par le ministère de la culture

b) Une faible prise en compte des besoins du secteur des arts visuels

Déjà décrit comme le parent pauvre du programme 131, le secteur des arts visuels ne se voit attribuer qu'une proportion extrêmement réduite des crédits du plan de relance .

Le soutien aux arts visuels dans le plan de relance,
hors crédits du plan de commande artistique

13,1 M€

3 %

des crédits

Ces crédits financent des mesures diverses, qui visent à la fois à :

- soutenir les artistes plasticiens, les galeries d'art, les artisans d'art et les jeunes créateurs de mode (6 millions d'euros, voir supra ) ;

- accompagner le Palais de Tokyo dans la reprise de son activité artistique (2,9 millions d'euros) ;

- subventionner certaines dépenses d'investissement des labels et autres lieux de diffusion des arts visuels en régions au travers du fonds de transition écologique (18 projets concernés pour un total de 4,2 millions d'euros).

À ces crédits devrait s'ajouter une partie seulement des 30 millions d'euros de crédits du plan de commande artistique, alors que le secteur des arts visuels, moins structuré et organisé que les autres champs de la création, espérait beaucoup de ce programme pour lui venir en aide. Si la commande publique est habituellement l'un des vecteurs privilégiés de soutien aux artistes visuels, l'appel à manifestation d'intérêt « Mondes nouveaux » est en effet ouvert aux artistes représentant les divers champs de la création (arts visuels, musique, spectacle vivant, écritures, design et arts appliqués).

Aucune répartition des crédits entre les différentes disciplines n'a été préétablie. Le président du comité artistique, Bernard Blistène, a laissé entendre que l'interdisciplinarité et l'équité feraient partie des principaux critères de sélection des lauréats parmi les 3 250 candidatures reçues. Ni la délégation aux arts visuels du ministère de la culture, ni le Centre national des arts plastiques (CNAP), ni les galeristes n'ont été associés à la mise en oeuvre de ce plan de commande artistique.

La faible prise en compte des besoins du secteur des arts visuels apparait peu cohérente avec la volonté exprimée par le Gouvernement d'améliorer le soutien aux artistes-auteurs .

La crise sanitaire a aggravé la précarité dans laquelle se trouvaient les artistes visuels, comme en témoigne la multiplication par dix du nombre de demandes déposées auprès du CNAP pour bénéficier de son dispositif de secours exceptionnel aux artistes.

Certes, un fonds exceptionnel de garantie des revenus artistiques, doté de 5 millions d'euros, a été mis en place pour aider les artistes visuels non couverts par le fonds de solidarité ou les dispositifs sectoriels. Toutefois, ses critères, identiques à ceux définis pour le fonds équivalent créé en faveur des artistes et techniciens du spectacle, se sont révélés inadaptés à la profession des artistes visuels. Il est impératif que le Gouvernement ne conclue pas à l'absence de besoins du secteur des arts visuels du fait de son faible taux de consommation.

Au contraire, ce bilan mitigé doit faire réfléchir le ministère de la culture à la nécessité de mieux connaitre les réalités économiques de ce secteur pour l'accompagner de manière adaptée . Les outils d'observation font aujourd'hui défaut , faute de moyens humains et financiers suffisants. Contrairement au spectacle vivant, le secteur des arts visuels reste peu structuré.

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