II. LES PROPOSITIONS
1. Maintenir un soutien à la relance jusqu'au retour à la normale de l'activité
Dans ce climat incertain, la situation du secteur de la création reste fragile . Si le soutien de l'État a permis d'éviter la défaillance d'établissements en 2021, les inquiétudes pour 2022 sont fortes. Le risque de disparition d'un nombre important de structures et d'artistes ne peut encore être écarté : les établissements ont déjà constaté une certaine hémorragie avec une hausse des départs pour cause de reconversion professionnelle. Le début des échéances de remboursement des prêts garantis par l'État et l'attitude des assurances constituent des sujets majeurs de préoccupation pour les structures privées l'an prochain.
Pour conserver au plan de relance son effet puissant, contrarié par la lenteur de la reprise, il apparait dans un premier temps essentiel qu'aucun des crédits qui y étaient inscrits ne soit redéployé à d'autres fins. Cette mesure est indispensable pour permettre au spectacle vivant de surmonter les incertitudes qui s'annoncent en 2022, mais aussi pour laisser suffisamment de temps aux DRAC de réaliser le travail de repérage de nouvelles structures qui jouent un rôle structurant dans les territoires.
Recommandation n° 1 : Reporter sur 2022 les crédits non consommés du plan de relance en 2021 en leur conservant leur affectation initiale.
Le retour à la normale n'étant pas espéré avant 2023, il est essentiel que le secteur de la création demeure accompagné pendant cette période de reprise progressive de son activité . Malgré la fin annoncée du « quoi qu'il en coûte », il serait regrettable que le soutien public massif dont a bénéficié le secteur jusqu'ici ne produise pas les résultats escomptés sous l'effet de son interruption trop brutale. Les crédits ordinaires du programme 131 « Création » ont vocation à soutenir le secteur en rythme de croisière et non à en assurer la relance après avoir été sinistré par une crise majeure.
Recommandation n° 2 : Prolonger les mesures exceptionnelles de soutien pour garantir la préservation de l'écosystème de la création.
Dans le secteur du spectacle vivant, la question des modalités d'accompagnement des structures se pose de façon d'autant plus aiguë que la crise a entamé une partie des capacités financières du CNM et de l'ASTP. Hors subvention de l'État et crédits exceptionnels qui leur ont été octroyés dans le contexte de la crise, les ressources fiscales de ces deux opérateurs sont assises sur la billetterie, aujourd'hui atone. La recherche de nouvelles modalités de financement pérennes revêt donc un caractère majeur d'ici 2023. En attendant, l'État pourrait d'ores et déjà contribuer au redémarrage des établissements en leur apportant sa garantie financière pour leur permettre de continuer à prendre des risques en investissant dans de nouvelles créations, compte tenu de la frilosité dont ils font preuve dans un contexte marqué par un retrait des assurances.
Recommandation n° 3 : Instaurer une garantie financière temporaire de l'État pour faciliter le redémarrage des établissements compte tenu du retrait des assurances, en l'assortissant de contreparties en termes d'emploi et d'investissement dans la création.
2. Aider les établissements à reconquérir et étendre leur public
Le retour du public dans les lieux de création apparait comme l'un des enjeux majeurs de cette période de reprise . S'il appartient avant tout aux établissements de mener un travail individuel pour reconquérir leur public, l'État peut contribuer à réinstaurer un climat de confiance stable entre le public et les lieux de création et de diffusion et encourager le public à y revenir.
Les professionnels du secteur n'excluent pas que la faiblesse actuelle de la fréquentation soit partiellement imputable aux différences de règles sanitaires applicables en fonction de la nature et de la configuration du lieu ou du spectacle. Ils jugent essentiel que des clarifications leur soient apportées et qu'elles soient largement diffusées auprès du grand public. La complexité des règles est de nature à déstabiliser le public si celles-ci ne sont pas suffisamment expliquées et motivées.
Recommandation n° 4 : A ctualiser les éléments publiés sur le site internet du ministère de la culture pour permettre à tous de disposer d'informations précises concernant les obligations qui s'imposent en matière d'accueil du public dans le contexte épidémique (pass sanitaire, port du masque selon la jauge ou la configuration du lieu ou du spectacle).
Il sera important que le Gouvernement fasse preuve de la plus grande vigilance si l'épidémie devait repartir à la hausse dans les mois à venir concernant la proportionnalité des mesures de restriction qu'il pourrait mettre en place en ce qui concerne les établissements culturels. Les effets sur la fréquentation des lieux culturels semblent avoir été beaucoup plus sensibles à l'issue de la seconde période de fermeture de ces établissements, dont la durée a été beaucoup plus longue que la première. Il n'est pas possible d'exclure à ce stade que la durée de la fermeture ait eu une influence durable sur les habitudes culturelles des Français.
Recommandation n° 5 : V eiller à la proportionnalité des mesures de restriction qui pourraient être de nouveau imposées en cas de nouvelle vague au regard de leur potentiel impact structurel sur la fréquentation par le public des lieux culturels.
Au-delà des crédits du plan de relance, la généralisation du Pass culture a été présentée par le Gouvernement comme l'un des instruments de la relance du secteur culturel. Au regard du faible nombre des réservations en matière de spectacle vivant, de pratiques artistiques et de visites effectuées par les jeunes qui ont participé à l'expérimentation, totalisant respectivement 1 %, 1 % et 2 % du nombre total de réservations et 1 %, 3 % et 4 % des montants dépensés par les jeunes, le Pass culture n'apparaît pas à ce stade comme un instrument de relance du secteur de la création . Pour qu'il remplisse cette mission, il est impératif que le Gouvernement demande à la SAS Pass culture d'accroître significativement la part des réservations effectuées dans ces trois domaines. Il s'agit aussi d'une priorité pour permettre au Pass culture d'atteindre son ambition de diversification des pratiques culturelles des jeunes, cet objectif apparaissant encore loin d'être atteint à ce stade.
Recommandation n° 6 : Faire du développement des réservations en matière de spectacle vivant, de pratiques artistiques et de visites sur le Pass culture une priorité pour 2022 afin de garantir que sa généralisation soit véritablement un instrument de relance.
Dans le cas où la fréquentation se maintiendrait à un niveau bas dans les mois à venir, il sera indispensable que le ministère de la culture analyse, courant 2022, les causes de la désaffection du public pour adapter ses politiques afin qu'elles répondent à cet enjeu. L'enquête d'opinion menée par l'Institut Harris Interactive et le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture, dévoilée fin octobre, n'y apporte à ce stade une réponse que partielle, dans un contexte où le risque sanitaire demeure encore très élevé dans les esprits.
3. Mieux connaître et informer les professionnels du secteur
Le secteur de la création est très dépendant de la programmation. Il a besoin d'une stabilité des normes et d'une bonne information pour être en mesure d'anticiper au moment des prises de décision. La crise a révélé des faiblesses au niveau des enceintes de discussion avec l'État et les collectivités territoriales, que ce soit dans le domaine du spectacle vivant et des arts visuels.
Recommandation n° 7 : Veiller à la mise en place de Coreps et de Sodavi dans chacune des régions pour faciliter le dialogue entre les représentants des filières et les collectivités publiques au niveau local et aboutir progressivement à l'adoption de contrats de filière .
Dans le secteur des arts visuels, il apparait clairement que le manque de connaissances des réalités du secteur a considérablement réduit l'efficience d'un certain nombre de mesures de soutien mises en place . Elles se sont révélées inadaptées aux spécificités de l'activité des artistes visuels, très différente de celle des artistes et techniciens du spectacle. Pour aller plus loin dans l'objectif d'améliorer le statut des artistes-auteurs, il serait indispensable de mettre en place un observatoire des arts visuels, comme un observatoire de l'économie de la musique avait été mis en place dans le cadre de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
Recommandation n° 8 : Créer un observatoire des arts visuels pour mieux comprendre les enjeux de ce secteur et construire des politiques qui lui soient plus adaptées.
Pour remédier au déficit de prise en compte du secteur des arts visuels, un Conseil national des professions des arts visuels a été instauré en décembre 2018. Placé auprès du ministre chargé de la culture, il peut être consulté par le Gouvernement sur toute question intéressant les arts visuels ainsi que les professionnels du secteur. Trois ans après sa mise en place, ce conseil peine cependant à montrer son efficacité, faute de disposer de moyens suffisants et d'une véritable méthode de travail . Sa mobilisation devrait faire figure de priorité tant cet organe était attendu par les professionnels des arts visuels pour combler le manque de reconnaissance du secteur et enregistrer des progrès significatifs sur les questions liées à la structuration du secteur et à l'emploi.
Recommandation n° 9 : Doter le Conseil national des professions des arts visuels (CNPAV) de moyens et d'une méthode lui permettant d'avancer sur les questions intéressant la profession.
4. Rendre possible une véritable co-construction des politiques culturelles avec les collectivités territoriales
L'État et les collectivités territoriales ont trop souvent répondu à la crise sanitaire en parallèle plutôt qu'en interaction , faute de dialogue suffisant, en dépit des progrès réalisés avec la mise en place progressive des CTC dans les régions dans lesquelles il fonctionne et la création de la nouvelle délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle. Pour apporter une réponse coordonnée aux enjeux en matière de création, il convient qu'un véritable partenariat se mette en place avec les collectivités territoriales.
À défaut d'avoir fait l'objet d'une concertation avec les collectivités territoriales, il apparaitrait opportun que la mise en oeuvre du plan de relance puisse faire l'objet d'une évaluation en partenariat avec les collectivités territoriales . Par son caractère exceptionnel, ce plan constitue en effet une occasion unique de tirer les leçons du passé et de jeter les bases d'un partenariat renouvelé entre l'État et les collectivités territoriales en matière d'action culturelle sur les territoires. Il serait utile qu'une première évaluation puisse être organisée d'ici la fin de l'année pour rendre possible des adaptations dans la seconde année de l'exécution du plan.
Recommandation n° 10 : Consacrer, au niveau national et dans chaque région, une réunion du CTC à évaluer en commun la mise en oeuvre à mi-parcours du plan de relance .
Si leur fonctionnement n'a pas donné pleinement satisfaction jusqu'à présent, les CTC apparaissent néanmoins comme un cadre adapté pour coordonner l'action de l'État et des différents échelons de collectivités territoriales . Il pourrait y avoir un risque à voir les régions délaisser le champ culturel en créant de telles instances au niveau départemental, ce qui n'empêche pas ensuite les collectivités de se réunir à des échelons inférieurs. Il convient donc d'en achever l'installation dans toutes les régions pour leur permettre de se mettre au travail.
Le fonctionnement des CTC doit néanmoins être adapté pour les rendre pleinement opérationnels. Les collectivités territoriales attendent de ces instances qu'elles ne fonctionnent pas exclusivement selon une logique verticale , où elles seraient réduites à écouter les informations transmises par le Gouvernement. Les résultats de la consultation des élus locaux organisée par la présente mission ont montré qu'elles trouveraient importants qu'un certain nombre de sujets touchant aux politiques culturelles fassent l'objet d'une consultation obligatoire des collectivités territoriales dans le cadre des CTC . Elles estiment également que les CTC doivent assurer une meilleure prise en compte de la problématique de l'accès à la culture, en particulier dans les zones rurales , dans la mesure où cette dimension, dont le traitement nécessite par nature, une réponse coordonnée à l'échelle des territoires, n'est pas suffisamment prise en compte dans le cadre de la relation bilatérale que l'État entretient avec les collectivités.
Recommandation n° 11 : Achever la mise en place des CTC dans l'ensemble des régions et en faire de véritables instances opérationnelles d'échanges et de consultation des collectivités territoriales débouchant sur des décisions concertées.
La mise en place d'un véritable partenariat avec les collectivités territoriales apparait d'autant plus primordiale que les finances des collectivités ont été mises à rude épreuve par la crise et qu' une contractualisation plus poussée entre l'État et les collectivités pourrait permettre de mieux répondre aux besoins des territoires, tout en évitant que certaines collectivités ne soient tentées de se désengager financièrement. Cette contractualisation pourrait être l'occasion d'adapter davantage la politique culturelle de l'État à chaque territoire, compte tenu de la disparité des besoins qui existent d'un territoire à l'autre.
Recommandation n° 12 : Réserver chaque année 10 % des crédits d'intervention déconcentrés à des projets choisis avec les collectivités , sous réserve que ces dernières s'engagent à maintenir le niveau global de leurs subventions à la création (fonds « 10 % territoires ») .
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Si l'État s'est globalement montré au rendez-vous financièrement en débloquant des crédits importants pour sauvegarder le secteur de la création, ravagé par la crise sanitaire, il convient maintenant qu'il poursuive la mise en oeuvre du plan de relance en procédant à quelques ajustements et en agissant de manière plus transparente et concertée afin de garantir qu'il se traduise véritablement en une reprise durable et soutenable .