C. UNE ATTENTION PARTICULIÈRE PORTÉE AU PARCOURS DE SORTIE DE VIOLENCES DES VICTIMES EN MILIEU RURAL
Outre l'accueil et l'écoute des femmes victimes de violences en milieu rural, la délégation recommande également d'améliorer les conditions dans lesquelles ces femmes sont prises en charge dans le cadre de leur « parcours de sortie » des violences.
À cet égard, plusieurs aspects doivent entrer en considération et font l'objet de propositions par la délégation.
1. Renforcer la mise à l'abri des victimes de violences et faciliter leur accès au logement
S'agissant du parcours de sortie de violences des victimes vivant en zones rurales, les problématiques de la mise à l'abri et d'hébergement des victimes sont bien évidemment essentielles.
Le lieutenant-colonel Denis Mottier, de la Gendarmerie nationale, a recommandé devant la délégation le 11 février 2021 d'accroître le « recours à des hébergements d'urgence dans une logique d'éloignement, en collaboration avec les maires et les conseils départementaux ». Il a également reconnu que « les solutions d'hébergement aujourd'hui offertes par les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et la plateforme d'hébergement d'urgence sont concentrées dans les zones urbaines où elles demeurent insuffisantes ». Le nombre des hébergements d'urgence en zone rurale est quant à lui trop faible pour permettre à la victime de ne pas être totalement déracinée de son lieu de vie ou de travail, du lieu de scolarité de ses enfants ou de l'ensemble de son équilibre de vie, nécessaire à sa reconstruction. Ces places d'hébergement sont pourtant essentielles. Elles devraient être accessibles 24h/24 et 7j/7, par l'intermédiaire de la plateforme d'hébergement ou par des plateformes SIAO centralisées afin de permettre aux gendarmes d'y accéder en cas d'urgence.
Lors de la présentation du bilan du deuxième anniversaire du Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes , le 3 septembre 2021, le Gouvernement a annoncé la création de 1 000 nouvelles places d'hébergement en 2020 et 1 000 autres en 2021, portant le total du parc à 7 800 places d'ici la fin de l'année 2021. Il a également précisé que le financement des nouvelles places en 2021 avait été revalorisé de 30 %, avec un coût à la place passant de 25 à 35 euros en moyenne sur le territoire national.
Source : ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances (3 septembre 2021)
La délégation estime également que les places d'hébergement et solutions d'accueil proposées doivent être spécialisées et diversifiées afin de s'adapter aux situations des femmes accueillies (suivant que les femmes soient véhiculées ou non, en situation d'emploi, avec des enfants...) et réparties sur de nombreuses communes.
Recommandation n° 58 : Augmenter le nombre de places d'hébergement d'urgence dans les zones rurales et faire en sorte que les places d'hébergement et solutions d'accueil proposées soient spécialisées et diversifiées afin de s'adapter aux situations des femmes accueillies.
Pour autant, dans les territoires ruraux, les hébergements spécialisés font souvent défaut et des solutions alternatives doivent être recherchées.
À cet égard, Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, a précisé devant la délégation le 11 février 2021 que, pour renforcer la mise à l'abri et faciliter l'accès au logement des femmes victimes de violences, des initiatives innovantes avaient pu voir le jour dans certains départements. Ainsi, « dans le Finistère, l'hébergement de femmes par des accueillants agricoles et ruraux permet de diversifier l'offre d'hébergement à destination des femmes victimes de violences. Elle implique la formation des accueillants et le dépassement d'un certain nombre de biais tels que l'isolement ou les difficultés de déplacement ».
La mise à l'abri et la protection des femmes victimes de violences en zones rurales peuvent aussi se traduire par des mesures d'éviction des conjoints violents .
À cet égard, la délégation recommande de développer dans les territoires ruraux des foyers destinés à prendre en charge, sur décision de justice, les hommes auteurs de violences conjugales , sur le modèle du Home des Rosati établi dans la Communauté urbaine d'Arras, premier foyer de ce type à avoir vu le jour en France. Ces foyers ont pour but l'éloignement des conjoints violents pour protéger les victimes et prévenir la récidive.
Le Gouvernement avait annoncé, il y a un an, en octobre 2020, sa volonté de créer sur le territoire national trente centres de suivi et de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA). Sur l'année 2020 , 18 premiers centres ont ouvert sur l'ensemble du territoire et l'ouverture de 12 autres centres est prévue en 2021 . Le Gouvernement a précisé lors de l'annonce du bilan du deuxième anniversaire du Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes, le 3 septembre 2021, qu'environ 3 000 hommes avaient été reçus par ces centres depuis leur ouverture.
La délégation recommande que certains de ces centres soient spécifiquement installés dans les zones rurales.
Lors de son intervention devant la délégation au cours de sa table ronde du 11 février 2021, Françoise Mar, cofondatrice et coprésidente de l'association Les Chouettes , a fait part de son souhait d'ouvrir une maison des hommes violents dans la Drôme, à titre expérimental. Elle a précisé, qu'« en attente de jugement, ces hommes violents pourraient, sur la base du volontariat, faire un séjour dans cette maison qui a fait preuve de son intérêt en termes de récidive. (...) J'imagine très bien cette expérience pilote dans notre département ».
Recommandation n° 59 : Développer dans les territoires ruraux des foyers destinés à prendre en charge les hommes auteurs de violences conjugales.
2. Doter tous les départements de « maisons de confiance et de protection des familles »
Suivant la recommandation de la Gendarmerie nationale, exprimée par la voie du lieutenant-colonel Denis Mottier lors de la table ronde du 11 février 2021, la délégation propose de doter tous les départements de maisons de confiance et de protection des familles, et de renforcer celles qui existent dans les départements qui le nécessitent.
Comme l'a indiqué le lieutenant-colonel Denis Mottier, « cet effort, évalué à 250 équivalents temps plein (ETP) pour la Gendarmerie, permettra de consolider le suivi des victimes et de systématiser le rappel des plus sensibles d'entre elles, afin de parvenir à une individualisation et un suivi particularisé de chaque situation. La victime, mais également son environnement, doivent être pris en considération : l'accompagnement des enfants ne peut être exclu de la prise en charge car ils sont des victimes indirectes ».
Recommandation n° 60 : Doter tous les départements de maisons de confiance et de protection des familles mises en place par la Gendarmerie nationale.
3. Favoriser la mobilité des victimes
Comme elle a déjà eu l'occasion de le souligner, la délégation identifie les entraves à la mobilité des victimes en milieu rural comme un problème central de la lutte contre les violences faites aux femmes dans ces territoires.
C'est pourquoi, elle recommande le développement des dispositifs favorisant la mobilité des victimes en milieu rural .
Là encore, des expériences innovantes existent déjà et ont été mises en oeuvre dans certains territoires dont la délégation recommande de s'inspirer.
Ainsi, Hélène Furnon-Petrescu, cheffe du service des droits des femmes, a précisé devant la délégation que « le programme budgétaire 137 finançant la lutte contre les violences faites aux femmes contribue au financement de dispositifs de mobilité depuis plusieurs années. C'est par exemple le cas dans l'Indre où un dispositif a été mis en place depuis avril 2019. Il met des véhicules à la disposition de femmes victimes de violences devant quitter le domicile conjugal, afin de les conduire dans des centres d'hébergement d'urgence. Un protocole très précis a été établi et fonctionne. En 2020, une quinzaine de femmes ont bénéficié de ce dispositif, correspondant à 804 kilomètres parcourus au total »
La Gendarmerie nationale a également pour objectif d'aider à la mobilité et à la prise en charge du transport des victimes de violences intrafamiliales. Comme l'a précisé le lieutenant-colonel Denis Mottier lors de la table ronde du 11 février 2021 : « nous souhaitons, dès l'instant où aucun soin ne doit leur être apporté, favoriser le déplacement des victimes et de leurs enfants, par la Gendarmerie, avec des véhicules adaptés au transport d'enfants en bas âge. Les militaires doivent donc être équipés de véhicules de grande capacité, bénéficiant de l'ensemble des modalités garantissant un transport des victimes en toute sécurité ».
Enfin, la délégation recommande de permettre, dans chaque département, un recours aux bons de taxi , et d'organiser, y compris la nuit, une permanence téléphonique laissant la possibilité aux gendarmes de demander un transport individualisé pour les femmes victimes de violence.
La FNCIDFF a fait valoir devant la délégation le grand intérêt, pour les femmes victimes de violences conjugales, du recours aux bons taxis qui, pour 90 % des CIDFF, sont adaptés à la situation des territoires ruraux.
La délégation estime que ces bons taxis devraient faire l'objet d'un financement conjoint par l'État et les collectivités territoriales dans une logique de partenariat.
Recommandation n° 61 : Développer les dispositifs de nature à favoriser la mobilité des femmes victimes de violences (mise à disposition de véhicules pour les femmes devant quitter le domicile, généralisation des bons taxis financés par la collectivité, véhicules adaptés de la gendarmerie pour transporter les familles en toute sécurité dont les enfants en bas âge, etc.).
4. Prévoir une offre de sécurité itinérante et parfois dématérialisée, adaptée aux conditions de vie en milieu rural
Pour accompagner au plus près les femmes victimes dans leur parcours de sortie des violences, il est également important de leur proposer une présence « gendarmique » facilement accessible et itinérante .
À cet égard, ainsi que l'a précisé le lieutenant-colonel Denis Mottier devant la délégation le 11 février 2021, « certaines actions sont déjà opérationnelles mais elles doivent être amplifiées et mieux financées, comme par exemple l'accès au service public dans les Maisons France Services et le programme Petites villes de demain , auxquels la Gendarmerie participera afin d'offrir un service et un point d'écoute aux femmes victimes de violences. S'y ajoute l'ouverture, dans les villages et les villes, de tiers lieux ou de permanences en lien avec les mairies ».
En outre, des camping-cars ou des bus conduits par des réservistes circulent, notamment dans la Vienne ; ils permettent de couvrir les zones qui le nécessitent. Il est également fait appel aux réservistes de la Gendarmerie nationale pour assurer un maillage serré des permanences ou des patrouilles dans les territoires, sur les marchés et dans les nouveaux lieux de vie.
Enfin, la possibilité de recueil de plaintes dans les hôpitaux doit être amplifiée : 53 conventions avaient été signées à cet effet en 2020. Le Gouvernement a annoncé, le 3 septembre 2021, lors de la présentation du bilan du deuxième anniversaire du Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes, qu'à cette date 88 conventions départementales permettant la prise de plainte pour violences conjugales au sein des établissements hospitaliers avaient été signées permettant ainsi une plus grande coordination entre les forces de l'ordre et les directions des hôpitaux et des cliniques, en liaison avec les agences régionales de santé .
Lorsque l'itinérance de l'offre de sécurité n'est pas possible, il est nécessaire de développer l'accès aux services numériques afin par exemple de donner la possibilité aux victimes d'utiliser les appels vidéo pour obtenir des conseils à distance ou permettre aux gendarmes d'assurer un suivi simplifié des victimes . Pour les personnes isolées, notamment les seniors, la gendarmerie nationale doit développer et financer des services de téléassistance .
Recommandation n° 62 : Développer l'itinérance des points d'accueil et de permanence de la Gendarmerie nationale, la possibilité de recueil de plaintes dans les hôpitaux et l'accès aux services de téléassistance.
5. Favoriser l'insertion professionnelle et l'accompagnement social des femmes victimes de violences
Favoriser l'insertion professionnelle des femmes constitue un enjeu important dans la lutte contre les violences à leur encontre en milieu rural. L'autonomisation économique et financière des femmes peut en effet les amener à surmonter leur condition de victime.
Pour donner une chance aux femmes victimes de violences de sortir de la spirale des violences et de se défaire de l'emprise du conjoint violent, la délégation estime donc essentiel de créer les conditions économiques de leur parcours de sortie et de favoriser leur accompagnement social.
Recommandation n° 63 : Favoriser l'autonomisation économique et financière des femmes victimes de violences par l'insertion professionnelle et l'accompagnement social.
La délégation a donc pu le constater : de nombreuses réponses existent déjà dans les territoires ruraux. Une importante mobilisation et des partenariats sont essentiels pour les mettre en oeuvre. Et comme le rappelait fort justement Hélène Furnon-Petrescu lors de la table ronde du 11 février : « En zone rurale, (...) nous disposons paradoxalement de nombreux facteurs permettant de développer le partenariat et les solidarités de façon très concrète sur les territoires ». La délégation ne saurait mieux dire !
LES SEPT RECOMMANDATIONS DE LA GENDARMERIE NATIONALE
POUR AMÉLIORER LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
DANS LES TERRITOIRES RURAUX
TABLE RONDE DE LA
DÉLÉGATION DU 11 FÉVRIER 2021