B. LE NÉCESSAIRE RENOUVELLEMENT GÉNÉRATIONNEL DES EXPLOITANTS AGRICOLES CONFRONTÉ AU DÉFI DE LA MIXITÉ DU MÉTIER
1. Les agricultrices confrontées à des difficultés spécifiques d'installation : les conditions d'octroi des aides à l'installation en débat
La nécessité de renouvellement des exploitants s'annonce massive dans les prochaines années : ainsi, d'après les chiffres de l'INSEE, 55 % des agriculteurs avaient plus de 50 ans en 2019.
Or le nombre de femmes à la tête d'une exploitation agricole stagne, depuis dix ans environ, autour de 24 à 25 % des exploitations.
LES FEMMES EN AGRICULTURE AUJOURD'HUI
Le nombre d'agricultrices en 2018
Chef d'exploitation
¼ de femmes (108 600 sur 448 500) - dirigeant ou co-dirigeant 29 % des exploitations ou entreprises agricoles contre 8 % en 1970.
16 000 nouveaux chefs installés en 2018 dont 35 % de femmes (5 800) dont la majorité a moins de 40 ans (52 %), 34 % ont plus de 40 ans et 14 % accèdent au statut de chef par transfert de l'époux (départ à la retraite).
Conjoint collaborateur
21 200 femmes en 2018 (sur 26 000) - environ 15 % du total des conjointes des chefs d'exploitation hommes.
En 10 ans, l'effectif de collaboratrices d'exploitation a été divisé par deux. Les effectifs restent orientés à la baisse avec un faible nombre d'entrées : 250 en 2018, soit 1 % du stock.
Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation
Les chiffres fournis à la délégation par la représentante de la MSA, Anne Gautier, lors de sa table ronde du 3 juin 2021, sur la population féminine non salariée en activité, sont les suivants : « en 2019, celle-ci se compose de 107 100 cheffes et 19 300 collaboratrices d'exploitation, soit un total de 126 500 femmes, représentant 27,1 % des non-salariés. Près d'un chef d'exploitation sur quatre est donc une femme, chiffre stable depuis une décennie. Ces femmes sont en moyenne plus âgées que leurs homologues masculins, leur âge moyen s'élevant à 51,7 ans, stable depuis 2018, contre 48,3 ans chez les hommes. 20,7 % de ces femmes ont plus de 60 ans, contre 12 % des hommes, ce qui révèle bien le profil de nos fermes et la proportion de femmes qui ne deviennent cheffes d'exploitation qu'après le départ en retraite de leur conjoint. Enfin, les femmes sont très présentes dans l'agriculture dite traditionnelle : culture de céréales, élevage bovin, lait. Elles sont surreprésentées dans les filières d'élevage porcin et avicole, qui sont souvent sur des exploitations au départ céréalières, des ateliers secondaires, puis développées lors de l'installation de madame ».
LES FEMMES EN AGRICULTURE AUJOURD'HUI
Le portrait type de la femme cheffe d'exploitation - données 2018
Âge moyen des cheffes d'exploitation : 52 ans (contre 48 ans chez les hommes) - 20 % ont plus de 60 ans.
16 % des effectifs femmes cheffes dans l'élevage de bovins-lait, 17 % dans les cultures céréalières et industrielles, 13 % dans les cultures et élevages non spécialisés et 12 % dans la viticulture.
Très implantées dans la filière cheval mais quasi-absentes dans les exploitations de bois, les entreprises paysagistes, la sylviculture et les entreprises de travaux agricoles.
62 % des cheffes exercent leur activité dans une entreprise sociétaire et 38 % exercent leur activité agricole sous forme individuelle.
Les revenus professionnels (assiette sociale) des femmes sont en moyenne 30 % inférieurs à ceux des hommes.
Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation
Le défi du renouvellement générationnel combiné à la stagnation depuis une dizaine d'années du nombre de femmes cheffes d'exploitation pose donc la question cruciale de l'installation des femmes en agriculture , comme l'a notamment souligné Françoise Liébert, haute-fonctionnaire à l'égalité du ministère de l'agriculture et de l'alimentation lors de la table ronde de la délégation du 3 juin 2021.
Comme l'a fort justement rappelé Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA lors de cette table ronde, « le métier d'agricultrice est un métier d'avenir et le renouvellement des générations d'exploitants sera un enjeu des prochaines années. Nous communiquons sur le sujet, dès que nous le pouvons, en intervenant dans les écoles, dès le primaire ».
Au moment de s'installer, les femmes rencontrent en effet des difficultés spécifiques, liées à un accès plus difficile au foncier et aux prêts bancaires. En outre, s'installant généralement plus tardivement que leurs confrères masculins, elles sont souvent exclues du bénéfice des aides à l'installation pour lesquelles l'Union européenne a fixé une limite d'âge à 40 ans. Dans le rapport précité de 2017 sur les agricultrices, la délégation avait formulé des recommandations pour faciliter l'accès des femmes aux aides à l'installation et aux terres, en communiquant mieux sur ces aides, notamment celles du Fonds de garantie à l'initiative des femmes (FGIF).
Aujourd'hui encore, la question de l'évolution et de la modulation des aides à l'installation pour favoriser notamment l'installation des femmes en agriculture fait encore débat comme a pu le constater la délégation lors de sa table ronde du 3 juin 2021 .
Comme l'a fort opportunément rappelé Christine Valentin de l'APCA lors de la table ronde de la délégation : « il existe pour l'instant deux formes d'aides à l'installation. La DJA est une dotation pour les jeunes agriculteurs de moins de 40 ans justifiant d'une formation agricole niveau bac et s'engageant dans un respect de norme de revenu et d'investissement, ayant défini un business plan. Ces jeunes ont des droits mais également des devoirs. Nous identifions, en outre, une notion de « nouvel installé », personne installée depuis moins de cinq ans, quel que soit son âge. Dans la programmation PAC que nous terminons, certaines régions en charge du programme installation au travers de la PAC peuvent également accompagner ces nouveaux installés, quel que soit leur âge et quelle que soit leur formation. Les montants sont certes différents, les engagements n'étant pas les mêmes, mais ces deux dispositifs coexistent ».
Au cours de cette table ronde, Françoise Liébert, haute fonctionnaire à l'égalité du ministère de l'agriculture avait, dans un premier temps, indiqué devant la délégation : « nous constatons que 20 % seulement des dotations jeunes agriculteurs (DJA) sont attribuées à des femmes. 44 % des femmes, contre 80 % des hommes, s'installent avant l'âge de 40 ans. Le ministère est favorable à un report de l'âge limite de la DJA au-delà de 40 ans. D'autres pays de l'Union européenne y sont également ouverts. Des discussions sont en cours mais je ne dispose d'aucune information quant à leur aboutissement ».
Mme Liébert avait toutefois dû nuancer ses propos a posteriori en précisant que, face au constat d'une installation plus tardive des femmes en agriculture, les conditions d'octroi de la DJA seraient à réinterroger.
En effet, suite aux propos de Mme Liébert devant la délégation le 3 juin 2021, Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, avait lui-même réagi le 4 juin 2021, lendemain de la table ronde de la délégation, et déclaré sur Twitter « Je tiens à confirmer qu'il n'est absolument pas question de modifier le critère d'âge d'accès à la DJA. Bien entendu, nous devons accompagner toutes celles et tous ceux qui souhaitent s'installer en agriculture (indépendamment de l'âge) mais pas en changeant la DJA ». En outre, l'entourage du ministre avait également démenti l'existence de négociations au sein de l'Union européenne sur ce sujet.
Dans ce débat, les représentantes de la Coordination rurale , Natacha Guillemet, et de la Confédération paysanne , Céline Berthier, se sont montrées favorables à une modulation des conditions d'octroi de la DJA afin de permettre à ceux qui s'installent après l'âge de 40 ans de bénéficier aussi de cette aide.
Ainsi, Natacha Guillemet, de la Coordination rurale , a expliqué à la délégation : « je me suis installée à plus de 40 ans. (...) Je pense que nous ne devrions plus parler de jeunes agriculteurs, mais de jeunes installés. L'agriculture doit évoluer avec la société. La carrière d'un jeune installé de 40 ans devrait encore durer vingt-cinq ans. Cette durée est longue, et permet de rembourser un prêt bancaire. (...) Parler de jeune installé, ou de nouvel installé, pourrait à mon sens constituer une solution ».
De même, Céline Berthier, de la Confédération paysanne , a indiqué : « nous réfléchissons (...) à l'établissement de critères de modulation de la DJA, pour permettre aux femmes de s'équiper, puisque nous savons qu'elles accèdent difficilement au foncier. Réfléchissons plus largement aux outils qui permettent de faciliter l'accès au métier d'agricultrice pour les femmes ».
A contrario , Manon Pisani, membre du Bureau des Jeunes Agriculteurs (JA), s'était dite fermement opposée, lors de la table ronde de la délégation le 3 juin 2021, à cette évolution des conditions d'octroi de la DJA : « ce dispositif est réservé aux jeunes de moins de 40 ans présentant un réel projet d'entreprise. Je suis consciente que nous devons accompagner les personnes souhaitant s'installer au-delà de cet âge, mais j'estime que cet accompagnement devrait passer par un dispositif distinct de la DJA qui devrait être réservée exclusivement aux jeunes. Leurs besoins ne sont pas les mêmes ». Elle ajouté : « la DJA doit rester destinée aux jeunes, sans pour autant mettre les hommes et les femmes ayant dépassé 40 ans sur la touche ».
En outre, elle a estimé que tendre vers une parité complète entre hommes et femmes chefs d'exploitation ne constituait pas une solution privilégiée par les JA : « selon nous, le renouvellement des générations constitue le défi majeur. Lorsque nous entendons que la moitié des exploitants agricoles seront en âge de prendre leur retraite dans dix ans et que les chiffres prévoient une installation pour trois départs à la retraite, nous nous attendons nécessairement à un blocage. L'enjeu majeur, c'est bien de nous assurer de notre souveraineté alimentaire. Nous ne le ferons qu'avec des femmes et des hommes formés. Sur ce sujet, en effet, la moitié des effectifs des classes en formation agricole est constituée de filles. Pourquoi ne s'installent-elles pas ? ».
2. Des avancées en matière d'évolution du métier vers une moindre pénibilité physique
La délégation a pu constater, lors de sa table ronde précitée du 3 juin 2021, que, sous l'influence notamment des femmes présentes dans la profession agricole, les conditions d'exercice du métier d'agricultrice avaient évolué favorablement, ces dernières années, vers une moindre pénibilité.
Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA a ainsi indiqué à la délégation : « concernant l'évolution du métier, je pense que les agricultrices elles-mêmes doivent communiquer sur ce sujet pour montrer qu'il peut aujourd'hui s'exercer dans des conditions de moindre pénibilité. La commission des agricultrices a conduit un travail auprès des constructeurs agricoles pour les alerter sur des systèmes d'attelage à l'utilisation plus simple. Nos demandes ont été entendues, ce qui rend également service aux agriculteurs. Les agricultrices doivent s'impliquer dans tous les organismes pour apporter leur contribution afin d'améliorer leur situation ».
De même, Natacha Guillemet de la Coordination rurale s'est enthousiasmé : « le matériel a connu des progrès fantastiques. De nombreux outils existent et rendent la tâche des agricultrices bien plus facile. La MSA verse d'ailleurs une aide spécifique pour simplifier notre travail et éliminer certains problèmes d'ordre physique ».
À ce sujet, Anne Gautier de la MSA a d'ailleurs indiqué à la délégation que : « les fortes charges ou les vibrations peuvent avoir sur nous des conséquences physiques d'une autre nature que sur le corps de nos collègues masculins. Il est important que les femmes soient accompagnées par nos services de prévention pour améliorer l'utilisation des outils-machines en fonction de ces besoins spécifiques ».
Toutefois, des efforts supplémentaires en matière d'adaptation du matériel agricole peuvent être réalisés. Dans un grand nombre de domaines, le matériel reste encore inadapté ainsi que le soulignait Céline Berthier de la Confédération paysanne lors de la table ronde de la délégation le 3 juin 2021 : « les sacs de ciment sont également très lourds, puisqu'ils pèsent 35 kg. J'espère qu'un jour de plus petits sacs seront vendus ! Il faut exercer un effort physique significatif pour brancher la prise de force ou atteler certains outils. Je pense que nous permettrons également aux hommes de bénéficier d'un matériel moins pénible à utiliser. Nous aurons ainsi tous moins mal au dos pour nos vieux jours ! ».
Ce matériel inadapté peut entraîner des pathologies spécifiques aux femmes et avoir des conséquences sur la santé des agricultrices qui ne font pas toujours l'objet d'un suivi médical régulier.
Ainsi, Béatrice Martin de la Confédération paysanne témoignait devant la délégation le 3 juin 2021 de problèmes de santé récurrents : « nous n'avons pas la même morphologie, ni les mêmes besoins en termes d'ergonomie, d'outils et d'aménagement. Ces éléments conduisent à des problèmes de santé récurrents. Un rapport a montré que les accidents du travail étaient moins nombreux chez les femmes, mais que nous étions touchées par davantage de maladies professionnelles musculo-squelettiques. Au travers de discussions, j'ai réalisé que nous étions nombreuses, dans l'agriculture, à être opérées pour des descentes d'organes. Personne ne nous en parle ».
Elle soulignait également le renoncement fréquent des agricultrices à un suivi médical pourtant primordial pour leur santé : « Nous recevons simplement un courrier nous invitant à consulter notre médecin traitant au bout de cinq ans. Celui-ci se trouve parfois à vingt-cinq ou trente kilomètres de notre domicile. Ce n'est pas notre priorité. Nous n'y pensons pas. Nous avons, nous devons le reconnaître, une culture de sacrifice. Nous passons toujours après nos animaux, après nos enfants. Prendre soin de nous-mêmes n'arrive qu'en dernier lieu ».
3. Une charge mentale toujours excessive
La relative amélioration des conditions physiques d'exercice du métier d'agricultrice ne doit pas occulter la persistance du poids de la charge mentale qui continue de peser très majoritairement sur les femmes en agriculture.
Ainsi que l'a souligné Françoise Liébert, haute-fonctionnaire à l'égalité entre les femmes et les hommes au ministère de l'agriculture et de l'alimentation lors de la table ronde du 3 juin 2021 de la délégation, « l'accès des femmes en agriculture à un statut professionnel a très peu remis en cause l'organisation historique du travail extrêmement genré dans ce secteur, notamment parmi les générations les plus anciennes. Elles ont poursuivi le travail qu'elles effectuaient auparavant et ont parallèlement continué les tâches administratives, l'élevage des petits animaux et autres. Surtout, une particularité forte en agriculture n'a pas été remise en cause par les différentes intervenantes, y compris dans les jeunes générations. En effet, la charge des enfants et des tâches ménagères incombe à 100 % aux femmes. (...) Cet élément culturel est très présent. Les jeunes générations elles-mêmes peinent à le bousculer ».
La délégation a ainsi pu constater, au travers des témoignages qu'elle a recueillis, que de nombreux stéréotypes de genre persistaient au sein de la profession agricole et qu'ils étaient « à l'origine de beaucoup de situations que nous observons actuellement, et pour lesquelles nous devrons élaborer des pistes d'amélioration » comme l'a parfaitement souligné Françoise Liébert.
Cette répartition encore très genrée des tâches au sein de la profession agricole augmente de fait le poids de la charge mentale pesant sur les agricultrices. Celles entendues par la délégation lors de sa table ronde du 3 juin 2021 ont d'ailleurs témoigné de cette charge mentale excessive qui pèse essentiellement sur les femmes dans le secteur agricole, charge mentale décuplée par la crise sanitaire, notamment au moment du premier confinement.
À cet égard, Céline Berthier de la Confédération paysanne a présenté à la délégation un ouvrage, sous forme de bande dessinée, qu'elle a coécrit, intitulé « Il est où le patron ? Chroniques de paysannes » et qui illustre notamment le poids actuel des stéréotypes de genre au sein de la profession agricole : « la bande dessinée (...) comporte une page représentant une femme sur un tracteur. Dans sa tête, elle pense au rôti à décongeler pour le repas du soir, à la déclaration TVA à envoyer avant la date butoir, à sa mère qui devrait garder les enfants durant quinze jours cet été, pendant la moisson, à la réinscription de sa fille Léa au foot, seule activité de la commune, à la réunion parents-profs au lycée se situant à trente-cinq kilomètres - elle devra voir si son mari peut s'occuper des chèvres pour qu'elle puisse s'y rendre - et, zut, elle a des boutons sur les pieds, elle a sûrement une mycose, mais ne sait pas à quel moment elle pourra placer un rendez-vous chez le médecin. Cette représentation s'approche du quotidien de ces femmes ! ».
Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA, a également insisté sur ce point devant la délégation : « concernant la difficulté d'articulation entre le temps professionnel et personnel, les agricultrices n'échappent pas au poids de la charge mentale ».