B. POUR UN DISPOSITIF DE PERFORMANCE REFLÉTANT DAVANTAGE LA MISSION D'ACCOMPAGNEMENT GLOBAL DES MISSIONS LOCALES
Comme évoqué en première partie du présent rapport, le dispositif de performance des missions locales mis en place par l'État, qui institue une part variable de 10 % de l'enveloppe annuelle conditionnée à l'atteinte d'objectifs fixés dans le cadre du dialogue de gestion, fait l'objet de certaines critiques.
Surtout, le dispositif de performance ne permettrait pas de refléter la mission d'accompagnement global des missions locales .
Ce constat est d'autant plus problématique que la crise sanitaire et économique a considérablement fragilisé la situation des jeunes aux plans monétaire, matériel, sanitaire et moral , de sorte que ceux-ci ont plus que jamais besoin d'un accompagnement global et partant de leurs besoins concrets.
La Cour des comptes reconnaît également, rejoignant ainsi le constat des acteurs auditionnés par les rapporteurs, qu' « à ce jour, la démarche [d'évaluation des missions locales] présente plusieurs limites » , parmi lesquelles l' « absence de valorisation du travail d'accompagnement social des jeunes » et des « sorties positives limitées à l'obtention d'un emploi ou d'un contrat d'alternance » 23 ( * ) .
Plusieurs recommandations peuvent ainsi être formulées pour mettre en adéquation le dispositif de financement à la performance des missions locales avec la vocation de ses structures.
Premièrement, l'évaluation de l'action des missions locales doit se fonder sur une approche plus large.
Le système d'information actuel des missions locales (i-Milo) permet de retracer les actions menées par celles-ci concernant les aides apportées aux jeunes en matière de santé, logement, et de mobilité. Ces données donnent lieu à des indicateurs suivis dans le cadre de la convention pluriannuelle d'objectifs (CPO) 2019-2022, rassemblés au sein de l'objectif « lever les freins périphériques à l'emploi ». Cependant, ces indicateurs ne figurent pas parmi les 10 indicateurs-clés utilisés pour la détermination de l'attribution de la part variable.
La DGEFP, entendue sur ce point par les rapporteurs spéciaux, considère en effet que le ministère du travail a vocation à construire son dispositif de performance sur l'accès à l'emploi des jeunes, qui constitue le critère décisif à l'aune duquel mesurer l'efficacité de la dépense publique en faveur des missions locales.
En ce sens, la démarche de performance telle qu'elle est appliquée aux missions locales serait paradoxalement symptomatique d'une certaine forme de dévoiement de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 24 ( * ) , puisque la logique de résultats est conjuguée à une approche strictement ministérielle, à rebours de l'approche décloisonnée et par politique publique qu'elle a entendu impulser.
Les rapporteurs spéciaux considèrent dans ce contexte qu'une approche globale de la politique de l'emploi doit être adoptée par le ministère du travail pour ce qui concerne les jeunes en difficulté , en considérant que la levée des freins périphériques d'accès à l'emploi constitue une dimension essentielle de cette politique.
Pour cette raison, il conviendrait d'intégrer au dispositif de financement à la performance les indicateurs relatifs à la levée des freins périphériques d'accès à l'emploi .
Du point de vue de l'État, le dialogue de gestion, refondé sur cette base, pourrait tirer parti de la fusion au niveau régional des administrations déconcentrées chargées de l'emploi, de la cohésion sociale et de la solidarité au sein des nouvelles DREETS, afin de mieux croiser les approches de l'insertion sociale et de l'insertion professionnelle. La renégociation à venir de la CPO courant 2022 pourrait constituer un véhicule pertinent pour intégrer cette recommandation.
D'un point de vue plus prospectif, les évolutions de la gouvernance du réseau suggérées supra , en ce qu'elles seraient de nature à renforcer sa dimension interministérielle, pourraient également favoriser cette approche élargie de la politique de l'emploi des jeunes.
Recommandation n° 6 : élargir la liste des indicateurs utilisés pour le dispositif de financement à la performance des missions locales mis en place par l'État en intégrant des indicateurs liés à la levée des freins périphériques à l'emploi (santé, logement, mobilité).
En outre, dans la lignée de la recommandation formulée antérieurement par la commission des finances concernant la mise en place de conférences locales des financeurs (voir supra ), les rapporteurs spéciaux appellent de leurs voeux une généralisation de ces conférences.
En effet, alors que les différents financeurs ont encore trop tendance à interagir « en silo » avec les missions locales et à poser séparément leurs objectifs, la mise en place de ces instances doit permettre de favoriser l'instauration d'un véritable dialogue de gestion globalisé, dans lequel l'État, représenté par le ministère du travail, aurait plus naturellement vocation à mettre en avant les objectifs de retour à l'emploi là où les autres financeurs, par exemple les régions au titre de leurs compétences en matière de formation et d'orientation ou les départements au titre de leurs compétences en matière d'action sociale, pourraient impulser une évaluation de l'action des missions locales reposant sur d'autres aspects.
Recommandation n° 7 : généraliser la mise en place de conférences locales des financeurs des missions locales de façon à permettre la tenue d'un dialogue de gestion commun prenant en compte les différents aspects de la mission d'accompagnement global des jeunes assumée par les missions locales.
L'approche élargie de l'évaluation des résultats des missions locales implique aussi de repenser la mesure des sorties dites « positives » du parcours d'accompagnement. En l'état de la CPO et des indicateurs de performance du programme 102 de la mission « Travail et emploi », sont considérées comme positives les seules sorties en emploi ou en alternance, à l'exclusion de toute sortie en formation professionnelle, choix fortement contesté par l'UNML. Le ministère justifie cette décision en considérant que la formation professionnelle faisant partie des outils à mobiliser durant le parcours, celle-ci ne saurait être considérée comme une sortie positive.
Cette argumentation paraît toutefois un peu simpliste, dans la mesure où la formation professionnelle peut difficilement être appréhendée comme un bloc monolithique. Il convient en effet de distinguer les formations qualifiantes et opérationnelles de formations de premier niveau ou « pré-qualifiantes » qui s'adressent aux publics les plus éloignés de l'emploi et visent à permettre une remise à niveau, une remobilisation, et une aide à la définition d'un projet professionnel. Aussi, pour un jeune ayant suivi avec succès une formation pré-qualifiante lors de son PACEA, l'accès à une formation qualifiante de nature à lui permettre d'accéder à un emploi stable et de qualité doit assurément être considéré comme une sortie « positive » de l'accompagnement en mission locale.
Recommandation n° 8 : élargir la définition d'une « sortie positive » d'accompagnement par les missions locales pour inclure la sortie en formation professionnelle qualifiante.
Enfin, une autre critique, déjà évoquée, du dispositif de performance des missions locales tient à ce que celui-ci susciterait une concurrence entre structures du fait de la référence à un groupe homogène de missions locales pour la définition de leurs objectifs annuels.
Sans remettre en cause l'approche par groupes homogènes, qui permet de fixer des objectifs pertinents à chaque mission locale, les rapporteurs spéciaux considèrent que le dialogue de gestion devrait s'attacher à laisser davantage de place, dans une logique plus individualisée en sus de la comparaison entre structures, à la prise en compte des progrès réalisés au fil du temps par une même mission locale .
Recommandation n° 9 : mieux prendre en compte, dans le dialogue de gestion entre l'État et chaque mission locale, les progrès réalisés par la mission locale d'une année sur l'autre sur les indicateurs clés.
* 23 Cour des comptes, « Les relations entre le ministère du travail et les acteurs associatifs : un pilotage à renforcer », Rapport public annuel 2021, janvier 2021.
* 24 Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances.