B. AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ : MOBILISER LA COMMUNAUTÉ MÉDICALE ET SCIENTIFIQUE POUR AMÉLIORER LA QUALITÉ DES SOINS
1. Inscrire pleinement les soins palliatifs dans la formation des soignants
a) Enseigner les soins palliatifs : consacrer une spécialité autant qu'insuffler un changement de culture soignante
Des nombreuses auditions de la mission a émergé une remarquable unanimité dans le constat que la formation des professionnels soignants était inadaptée aux enjeux posés par l'accompagnement de la fin de vie.
Ce constat n'a rien de nouveau. En 1995, le Pr Maurice Tubiana consignait déjà dans son ouvrage destiné au grand public sur l'histoire de la médecine le « relatif désintérêt [des médecins] pour la lutte contre la douleur » et déplorait « l'insuffisance de la formation » à ces questions : « aujourd'hui encore, lutter contre la douleur n'est pas ressenti comme une branche noble de la médecine. Les médecins s'y consacrent peu [...]. Cela est particulièrement important dans les phases terminales de la maladie, à un moment où les seuls soins dont [le patient] puisse bénéficier sont les soins palliatifs qui accroissent son confort. [...] Les besoins sont immenses et tous les médecins devront y participer, d'autant qu'on aura de plus en plus tendance [...] à limiter le séjour dans les hôpitaux et à laisser le plus longtemps possible le malade chez lui » 196 ( * ) .
Il s'en faut de beaucoup toutefois que, depuis un quart de siècle pendant lequel la sensibilité à ces questions s'est aiguisée dans la société française 197 ( * ) , ce biais de sensibilité ait été corrigé. « Les médecins sont formatés pour sauver des vies [...] La technicité de la médecine a pris le pas sur la clinique. La première chose à faire est d'écouter le patient, alors que tout prédispose à ce qu'on soit tenté de s'en passer », estime le Dr Élisabeth Hubert 198 ( * ) . Un constat partagé par le Pr Régis Aubry, qui conclut même par une étonnante observation : « l'enseignement est fondamental, non pas tant des soins palliatifs eux-mêmes, quoique des progrès aient été faits, mais de son raisonnement [...] Il faut parler de la finitude - c'est aussi un sujet pour l'éducation nationale. Il ne faut pas enfermer les soins palliatifs dans le médical et le sanitaire [...] Songez que, dans les études médicales, le mot de “mort” n'est même pas employé ! » 199 ( * ) .
Avant d'en appeler à former les soignants autrement, il faut s'arrêter un instant sur le diagnostic. Si « l'histoire des attitudes devant la mort est une dérivée de l'espérance de vie » 200 ( * ) , il faut en effet attribuer ce refus des sociétés occidentales contemporaines de voir la mort en face aux progrès médicaux, qui ont tari la mortalité infanto-juvénile et permis le doublement de l'espérance de vie au cours du dernier siècle. Mais, plus profondément, depuis les années 1950 en Angleterre, 1960 en France, les sciences humaines n'hésitent plus à y voir rien moins qu'un bouleversement anthropologique, car tout se passe comme si la mort avait remplacé le sexe comme tabou par excellence de la modernité : si celui-ci est désormais omniprésent, celle-là ne doit plus être vue 201 ( * ) . En sous-traitant la gestion de la mort à la rationalité médicale conquérante comme elle le fait du deuil au travail intime de chacun, nos sociétés croiraient se tirer à bon compte du mystère de la finitude. Les drames nés de la crise du covid-19 ont montré qu'elles se trompaient.
Voilà pourquoi, comme le souligne le Pr Didier Sicard, les soins palliatifs sont « considérés en France comme de l'humanitaire, et pas comme de l'universitaire » 202 ( * ) .
Il faut donc changer de perspective, mais comment ? Les soins palliatifs sont-ils une spécialité technique exigeant des formations pointues, une propriété transversale de l'art médical exigeant l'adaptation de tous les enseignements existants, ou bien s'agit-il d'un volet de connaissances fondamentales à serrer entre deux autres volets d'enseignements de premier cycle ? Il serait regrettable d'interpréter de cette dernière façon l'intention du législateur de 2016, lequel a disposé que « la formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs » 203 ( * ) .
Au terme de ses auditions, les rapporteures se sont convaincues que l'enjeu de la formation en soins palliatifs n'est sans doute pas uniquement de positionner la palliatologie comme une discipline autonome, mais aussi de viser l'acquisition par le plus grand nombre de compétences transversales liées à la fin de vie.
b) Ouvrir massivement la formation initiale des soignants aux enjeux des soins palliatifs
• Les soins palliatifs apparaissent de manière trop tardive, trop ponctuelles et trop hétérogènes dans la formation initiale des médecins .
Les professeurs Donatien Mallet et Laurent Calvel ont en particulier insisté auprès de la mission sur la double nécessité de permettre à un étudiant de découvrir la médecine palliative assez tôt dans son cursus et de manière continue tout au long de son parcours, afin de développer la réflexion, de graduer les compétences transmises et d'éviter le saupoudrage de connaissances.
Pour l'heure, les formations fondamentales aux soins
palliatifs sont hétérogènes, car la morphologie des
programmes et le détail des enseignements restent propres à
chaque faculté, de même que leur volume horaire. Certaines
facultés, comme celle de Rouen et d'Angers, ont pris l'initiative
d'organiser des séminaires de soins palliatifs de quatre à six
heures, en petits groupes, non mutualisés toutefois avec les autres
filières
- dont les formations sont plus courtes - mais,
d'après l'association nationale des étudiants en médecine
de France (Anemf), elles font figure d'exceptions
204
(
*
)
.
Lorsqu'ils existent, ces cours de premier cycle, d'ailleurs parfois mutualisés entre la médecine, la kinésithérapie, les soins infirmiers ou la maïeutique, restent très théoriques et assez techno-scientifiques 205 ( * ) . Ils font certes connaître le cadre légal. En deuxième cycle, les enseignements se limitent à ce que sanctionneront les épreuves conditionnant l'accès à l'internat et se limitent en moyenne à six heures.
Les épreuves de l'internat ont certes été réformées en 2020 206 ( * ) . Les enjeux légaux et médicaux de la fin de vie pourront ainsi être abordés dans la poursuite des objectifs terminaux relatifs aux « droits individuels et collectifs du patient », aux « approches transversales du corps », ainsi que, sans doute, ceux relatifs à l' « éthique médicale ». Trois objectifs terminaux sont encore spécifiquement consacrés aux « Soins palliatifs pluridisciplinaires chez un malade en phase palliative ou terminale d'une maladie grave, chronique ou létale », qui s'intitulent respectivement « Principaux repères cliniques. Modalités d'organisation des équipes, en établissement de santé et en ambulatoire », « Accompagnement de la personne malade et de son entourage. Principaux repères éthiques », et « La sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifiques et complexes en fin de vie. Réponse à la demande d'euthanasie ou de suicide assisté ».
Ces « items » participent de la nouvelle approche « par compétences » promue par la réforme de 2020, qui substitue aux épreuves classantes nationales un système mixte assis pour 60 % sur des épreuves dématérialisées sanctionnant la maîtrise de ces savoirs, pour 30 % sur des examens cliniques et pour 10 % sur la valorisation du parcours universitaire. Sans doute est-ce un progrès mais, à nouveau, les soins palliatifs ne sont pas qu'une « compétence », et les rapporteures, à la suite de l'Anemf, doutent que ces changements de maquette suffisent à modifier la culture soignante.
L'enseignement des soins palliatifs doit encore faire leur place aux nombreuses autres disciplines susceptibles d'éclairer la pratique de l'accompagnement de la fin de vie . Comme l'a souligné le Dr Françoise Ellien, secrétaire générale de la société française et francophone de psycho-oncologie, « La médecine ne s'exerce pas seule. Les équipes doivent être pluri-professionnelles. Il faut donc des médecins, infirmiers, des psys, des travailleurs sociaux, etc. afin de permettre des regards croisés » 207 ( * ) .
La conceptualisation d'un tel mode d'enseignement a été tentée il y a déjà plus d'une décennie par les professeurs Régis Aubry et Donatien Mallet, au nom du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie 208 ( * ) . Leur article identifie ainsi les quatre grandes compétences susceptibles de mettre en oeuvre la sollicitude envers la personne souffrante et le noyau éthique qui fonde la pratique médicale :
- une compétence techno-scientifique , qui est tout à la fois acquisition d'un savoir bio-physico-chimique et empirique, capacité à l'appliquer de manière adaptée au lit du patient, et distanciation épistémologique, c'est-à-dire conscience des limites de ce savoir ;
- une compétence relationnelle , qui désigne la capacité à transmettre des informations médicales au patient, à son entourage et aux autres acteurs du soin, ce qui suppose une relation engagée et authentique, écoute active, accompagnement et volonté de dialogue ;
- une compétence éthique : elle concerne toutes les décisions prises au chevet du patient, qui relève d'une argumentation techno-scientifique, mais aussi d'une délibération attentive à de nombreux autres éléments subjectifs et contextuels. Cherchant à tenir un questionnement sur le sens de l'action, cette compétence est nécessairement interdisciplinaire, et bénéficie donc de l'éclairage des sciences humaines et sociales, s'enrichit de diverses approches philosophiques et cherche à penser les interactions entre la médecine et l'ensemble de la société ;
- une compétence de coopération , qui implique de connaître le système de santé, de pouvoir interagir avec les autres professionnels soignants, administratifs, associatifs ou pharmaceutiques, d'exercer des compétences de gestion et d'administration.
Cette réflexion conduisait ses auteurs à proposer un parcours théorique et pratique s'étalant de la première année à la fin de l'internat, comprenant d'abord, précocement, une réflexion épistémologique faisant appel « aux grands auteurs de la philosophie, mais aussi à des historiens ou sociologues des sciences » et proposant à l'étudiant de réfléchir sur la finalité de la médecine. Un deuxième temps du parcours « serait consacré à la dimension de la rencontre avec l'autre souffrant », et un troisième à « des interactions entre médecine, santé et société », faisant appel, notamment, à des situations cliniques précises.
Les rapporteures sont persuadées de l'importance d'un tel enseignement fondamentalement transdisciplinaire interrogeant l'acte de soin et le rapport à la finitude. Aussi leur semble-t-il déterminant, sans prétendre tracer de maquettes pédagogiques précises, d'acculturer les futurs professionnels du soin au questionnement éthique au moyen d'unités d'enseignement interfilières, croisant si possible les regards de tous les acteurs du système de santé.
Proposition n° 33 : systématiser un enseignement de l'éthique médicale pour les étudiants en médecine et dans les filières paramédicales par la généralisation d'unités d'enseignement interfilières en sciences humaines et sociales s'appuyant sur les retours des associations de patients et les patients experts
• Les jeunes médecins sont par ailleurs bien trop peu confrontés aux soins palliatifs sur le plan pratique , et, en conséquence, d'après de nombreux interlocuteurs de la mission, moins bien formés à ces situations que les professionnels des soins infirmiers.
Après la réforme de l'internat, les étudiants accompliront toujours, trente-six mois de stage 209 ( * ) , mais le principal obstacle au développement d'une culture palliative ne sera pas surmonté puisque l'importance donnée aux enjeux de la fin de vie restera dépendante de celle que leur accordent les médecins encadrant les stages. Autrement dit, la connaissance par les étudiants des objectifs susmentionnés pourra très bien demeurer parfaitement livresque.
La visite de la maison médicale Jeanne Garnier a ainsi permis à la mission de constater une incongruité : le plus grand centre européen de soins palliatifs ne peut accueillir les internes en médecine générale désireux de s'y former car les services de soins palliatifs n'entrent pas dans les lieux de stage servant à valider cette partie de leur formation.
Les professeurs Mallet et Calvel proposent encore de différencier les expériences pratiques selon la position dans le cursus et le degré de spécialisation, et recommande en conséquence de distinguer les stages en structure spécialisée de niveau 3 - en USP ou en EMSP - des stages de « découverte » de tous les étudiants en santé qui pourraient se faire dans les autres structures ayant une forte activité de soins palliatifs tels l'HAD, les réseaux - tout en y associant la contribution d'encadrement et de recours expert des équipes spécialisées.
Généraliser l'expérience pratique des jeunes praticiens, généralistes compris, à tous niveaux de leur cursus, semble indispensable. Le principal obstacle réside encore dans la faiblesse du vivier susceptible de les accueillir ; les autres propositions du présent rapport entendent contribuer à le surmonter.
Proposition n° 34 : introduire un stage obligatoire dans une unité ou équipe mobile de soins palliatifs au cours de l'internat dans certaines spécialités médicales (spécialités ayant à prendre en charge des malades atteints de pathologies graves ou chroniques telles que la cardiologie, la néphrologie, l'oncologie ou encore la neurologie) mais aussi en médecine générale
• Muscler les outils de spécialisation et structurer une filière universitaire
Comme l'a dit à la mission, entre autres, le Dr Virginie Fossey-Diaz, « Les gériatres ont une sensibilité à part entière. Mais palliatologue et gériatre, ce n'est pas la même chose. » 210 ( * ) La revalorisation de la discipline passe ainsi également par le renforcement des outils de spécialisation.
Une telle ambition figurait en bonne place dans les priorités du dernier plan national de développement des soins palliatifs, volet dont l'Igas a dressé à l'été 2019 un bilan plus que mitigé, comme le rappelle le tableau ci-dessous.
Évaluation par l'Igas des mesures du plan
national
pour le développement des soins palliatifs 2015-2018
consacrées à la formation
Mesure |
Actions relatives à cette mesure |
Degré de mise en oeuvre |
Commentaire |
Mesure n° 4 : renforcer les enseignements pour tous les professionnels |
Action 4-1 : faire travailler ensemble les professionnels autour des soins palliatifs : inciter à la création d'une unité d'enseignement interdisciplinaire entre étudiants en santé des différentes filières |
Totale
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L'instruction ministérielle conjointe DGOS/DGSIP à destination des présidents d'université, des doyens des UFR de médecine, des directeurs généraux d'ARS et des coordonnateurs pédagogiques en soins infirmiers mettant en oeuvre ces deux actions au plan national a été publiée le 10 mai 2017. La mise en oeuvre locale est très faible, tant pour l'unité d'enseignement que pour les stages. |
Action 4-2 : favoriser pour chaque étudiant, en filière médicale et paramédicale, la réalisation d'au moins un stage dans un dispositif spécialisé en soins palliatifs |
Totale
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Action 4-3 : inscrire les formations aux soins palliatifs comme prioritaires dans les actions de développement professionnel continu de la fonction publique hospitalière et des professionnels de proximité |
Partielle |
Les soins palliatifs sont inscrits comme prioritaires pour le DPC, mais parmi plus de 460 thèmes prioritaires. Un guide a été publié par l'ANDPC en 2018. De rares actions sont proposées par l'ANFH au niveau de son catalogue national. |
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Action 4-4 : fixer des objectifs de formation aux soins palliatifs pour les professionnels des établissements d'hébergement et services sociaux et médico-sociaux |
Très partielle |
La mise en oeuvre a été initiée par la plupart des ARS mais son déploiement sur un nombre important de structures de petite taille se heurte à de nombreuses difficultés et ne fait pas l'objet d'un suivi homogène. |
|
Mesure n° 5 : former les professionnels
particulièrement concernés
|
Action 5-1 : mettre en place dans le troisième cycle des études médicales une formation spécialisée en soins palliatifs / douleurs |
Partielle |
La réforme du troisième cycle, avec la suppression des DESC et la mise en place des FST a un impact direct sur la formation en soins palliatifs, puisque la durée de la formation spécialisée est réduite de moitié et que les conditions d'accès sont plus limitantes. |
Action 5-2 : donner accès de la médecine palliative à une filière universitaire |
Partielle |
Une sous-section du CNU (46-05) a été créée en décembre 2016. Néanmoins aucun PU-PH n'a été nommé entre 2015 et 2018 faute de candidats répondant aux critères de nomination et le nombre de professeurs associés a diminué. La modification de l'intitulé de la sous-section en 2019 (médecine palliative) a permis de nommer 12 professeurs associés en 2019. |
|
Action 5-3 : financer chaque année au niveau national des postes d'assistants offerts aux internes pour suivre la formation spécialisée en soins palliatifs |
Totale |
40 postes ont été financés. |
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Action 5-4 : permettre aux professionnels paramédicaux exerçant dans les structures dédiées de soins palliatifs et dans les équipes mobiles de suivre des formations spécifiques |
Abandonnée |
Action formulée en des termes très généraux et donc abandonnée |
Source : Igas, 2019
Le plan n'a pas eu d'impact sur les diplômes universitaires et interuniversitaires concernant les soins palliatifs qui existent dans presque toutes les facultés de médecine, mais qui restent non qualifiants - il faut certes leur ajouter le master de recherche « médecine palliative : soins, expertise, management, pédagogie », rattaché à l'université Paris XII, lequel forme une douzaine d'étudiants par an.
En troisième cycle, la réforme de 2016 211 ( * ) a conduit à remplacer le diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) de « médecine de la douleur - médecine palliative » par une « formation spécialisée transversale » (FST) en soins palliatifs, ouverte aux étudiants provenant de diverses filières et comportant sur le plan théorique quatre séminaires et un enseignement numérique, ainsi que deux semestres de stages dans des structures agréées. L'Igas rappelait toutefois en 2017 212 ( * ) les réserves exprimées par le collège national des enseignants universitaires en soins palliatifs (CNEFUSP), doutant qu'une formation d'un an, contre deux pour l'ancien DESC, suffise pour un exercice plein et entier de la discipline dans une structure de soins palliatifs, et regrettait que les conditions d'inscriptions après l'internat n'aient pas été définies avec assez de précision, ce qui lui semblait de nature à limiter le nombre de candidats.
L'Igas relève en outre qu'« un interne n'a le droit de s'inscrire qu'à une seule FST ou option au cours du troisième cycle et celle-ci doit s'effectuer pendant ce cycle, ce qui est un facteur limitant. Cette formation s'effectue en un an, ce qui réduit de moitié le temps de stage, et correspond, avec moins de souplesse, à l'équivalent d'un DIU/DU. Des incertitudes demeurent sur le nombre de candidatures alors que la discipline souffre d'une pénurie de médecins ».
Les rapporteures appellent par conséquent à amplifier les efforts de mise en oeuvre des priorités du précédent plan, mais également à les compléter . Il leur semble en effet qu'il manque à la formation des professionnels une nouvelle FST en formation continue pour les médecins souhaitant acquérir une formation à distance de la fin de leur cursus universitaire.
Il conviendrait en outre de réfléchir à la création d'un diplôme d'études spécialisées consacré à la médecine palliative pour orienter le cursus légèrement en amont de la spécialisation complémentaire, chantier qui a achoppé dans la mise en oeuvre du précédent plan, indique l'Igas, car « l'ambiguïté de la rédaction et les difficultés de coordination entre les responsables universitaires des deux disciplines n'ont pas permis de présenter une maquette de diplôme d'études spécialisées (DES) commun dans les délais requis par les ministères compétents. Des approches divergentes existent également au sein de la communauté universitaires des soins palliatifs entre partisans d'une compétence [...] transversale [...] et les partisans d'une discipline autonome. »
Proposition n° 35 : créer un parcours de formation spécialisée transversale (FST) ouvert à des médecins (et autres professionnels) après l'internat leur permettant d'acquérir une qualification complémentaire en soins palliatifs, notamment pour faciliter les changements d'orientation en cours de carrière
S'agissant de la structuration de la filière universitaire, la sous-section spécifique du CNU, créée en 2016 et dont l'intitulé a été modifié en septembre 2018 pour porter celui, plus explicite, de « médecine palliative », a été un progrès très remarquable, mais la discipline reste jeune. Elle ne comprend toujours qu'un seul titulaire, et 12 professeurs associés.
Il reste nécessaire, pour faciliter l'encadrement, organiser et animer la formation et la recherche en soins palliatifs, de renforcer le nombre et la répartition équilibrée entre les subdivisions de postes de professeurs associés lors de la création de postes hospitalo-universitaires et de chef de clinique.
Proposition n° 36 : structurer une filière universitaire de soins palliatifs, en renforçant le nombre de postes de PU-PH, de chefs de service et d'assistants
c) Organiser la montée en compétence des professionnels des soins infirmiers
L'appel de la mission à recentrer les soins médicaux sur leur dimension humaine davantage que technique emporte une autre conséquence : la nécessité de mieux valoriser le travail infirmier dans l'accompagnement de la fin de vie.
Comme l'indique la SFAP, sur l'étude de laquelle s'appuient les considérations qui suivent, « les infirmières passent plus de temps que les médecins avec les patients. L'intimité de la situation des soins amène souvent le patient à “se confier” à l'infirmière, de parler de son vécu de la maladie, ses conséquences et notamment les effets délétères des traitements. Cette étroite relation clinique contribue au fait que les infirmières sont souvent les premières à poser la question de la limite de l'obstination déraisonnable. Nous expliquons cela par la différence fondamentale des formations. Le contenu de la formation des infirmières est basée sur les concepts de : soin, personne, santé et environnement. Le focus holistique du “care” est porté sur la santé et l'autonomie de la personne, à l'inverse du contenu des études de médecine, ou le focus “cure” est porté sur les pathologies et leur guérison » 213 ( * ) .
L'extension aux soins palliatifs du diplôme d'infirmier en pratique avancée (IPA) est incontestablement une piste de réflexion . Ce diplôme n'est aujourd'hui délivré que dans quatre domaines : l'oncologie et l'onco-hématologie, les pathologies chroniques stabilisées et les maladies rénales depuis 2018 214 ( * ) , domaines auxquels s'ajoute, depuis 2019, celui de la psychiatrie et de la santé mentale 215 ( * ) . Il faut certes y ajouter l'infirmier de santé au travail, autorisé depuis la loi du 2 août 2021 à exercer en pratique avancée 216 ( * ) . Les rapporteures estiment que la création d'une nouvelle mention « soins palliatifs » serait de nature à remédier aux carences relevées dans le présent rapport.
- Les IPA en soins palliatifs pourraient d'abord faciliter le repérage des patients pouvant bénéficier d'un tel accompagnement. Ceux-ci peuvent être des patients atteints d'une maladie à évolution rapide comportant une phase terminale prévisible : l'IPA favoriserait alors le questionnement et le dialogue entre les professionnels, pour rendre la scission moins brutale entre le curatif et le palliatif. Ce peuvent également être des malades soumis au déclin graduel mais irrégulier de leur état : les IPA préviendront alors la fuite en avant des traitements. Dans le cas des personnes âgées atteintes de démence ou dont la santé connaît un déclin graduel et prolongé, l'IPA travaillerait en lien avec les autres acteurs pour évaluer la situation au fur et à mesure de son évolution.
- Les IPA en pratique avancée « soins palliatifs » pourraient ensuite participer à la prévention des cas d'obstination déraisonnable auquel conduit parfois l'apparition de thérapies nouvelles, en oncologie par exemple, et ainsi être les chevilles ouvrières des démarches de planification anticipée des soins 217 ( * ) , visant à améliorer l'expression des préférences et des volontés des patients.
- Les IPA en soins palliatifs pourraient encore assister les médecins dans leur prescription d'antalgiques, de technique sédative, de nutrition ou d'hydratation artificielle, rôle que l'absence de statut empêche pour l'heure les infirmières expérimentées d'exercer sereinement.
- Enfin, ces IPA spécialisées seraient un appui précieux à la formation des étudiants en santé et professionnels de santé, en formation initiale et continue, au sein de l'hôpital comme en extra-hospitalier, ce qui contribuerait à la diffusion de la culture palliative dans notre pays. La reconnaissance officielle de leur engagement dans le domaine de soins palliatifs au sein du système universitaire contribuera encore à renforcer la recherche infirmière, à l'instar des psychologues, formés à l'université depuis de nombreuses années.
La SFAP s'appuie enfin sur le constat que de tels professionnels en soins infirmiers spécialisés sont les pivots des équipes d'accompagnement palliatif dans de nombreux pays réputés plus sensibles que la France à ces questions, tels les États-Unis, les Pays-Bas, Israël ou encore le Canada 218 ( * ) .
À partir de l'Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France, la SFAP a estimé à 713 le nombre d'IPA nécessaire, si chaque structure spécialisée en soins palliatifs - EMSP, USP, PTA, réseaux de santé, etc. - en accueillait un. Un tel décompte exclut les LISP ayant aussi une EMSP, dont la part n'est pas connue, et laisse de côté les 7 400 Ehpad, les 649 maisons d'accueil spécialisées, les 981 foyers d'accueil médicalisées et les 314 équipes d'HAD. Pour les raisons évoquées précédemment, la mission plaide pour ajouter les Ehpad à ce décompte. La question de savoir s'il serait pertinent de doter les autres structures, éventuellement selon leur taille, d'un IPA en soins palliatifs, mérite à l'évidence d'être posée.
Il va de soi que la reconnaissance de cette compétence et l'encouragement à en doter les structures accompagnant les personnes en fin de vie devra s'accompagner de garanties de financement de ces formations, qui exigent des professionnels un investissement parfois important.
Proposition n° 37 : créer une spécialité d'infirmier en pratique avancée en soins palliatifs
Il va en outre de soi que, pour une population vieillissante et souhaitant majoritairement vieillir chez elle, les professionnels du domicile sont un maillon clé de la chaîne de prise en charge. Les auditions conduites par la mission n'ont pu faire que tangenter la question de l'adéquation aux besoins des formations à ces métiers. Il apparaît toutefois aux rapporteures que les maquettes des formations d'auxiliaire de vie sociale, d'aide médico-psychologique, d'aide-soignant ou d'assistant de vie dépendance font une place hétérogène et, en toute hypothèse, limitée aux enjeux de la fin de vie. Curieusement, le rapport remis au Gouvernement par Myriam El Khomri sur la revalorisation des métiers du grand âge 219 ( * ) , relève en introduction que ces accompagnants sont confrontés « à la mort même », mais ne contient aucune occurrence des termes « soins palliatifs » ou « fin de vie ». Aussi les rapporteures estiment-elles nécessaire d'inclure au moins cet aspect dans la réflexion sur les compétences de ces professionnels.
Proposition n° 38 : mieux prendre en compte les enjeux de la fin de vie dans les formations destinées aux professionnels du domicile
2. Mieux structurer la recherche sur les soins palliatifs et la fin de vie
Selon le Pr Régis Aubry, « la fin de vie est l'angle mort de la recherche en France » 220 ( * ) : nous manquons en effet de recherche non seulement épidémiologique mais aussi phénoménologique sur les conditions de fin de vie dans notre pays. Le sujet de la fin de vie y est resté longtemps tabou, si bien que la fin de vie ne s'est jamais véritablement imposée comme une priorité de la recherche sur la qualité des soins. La France a ainsi accumulé beaucoup de retard en matière de recherche et d'éducation à la fin de vie, par rapport aux pays anglo-saxons (Canada, États-Unis, Royaume-Uni), scandinaves (Suède, Norvège) et de tradition flamande (Pays-Bas, Flandre en Belgique).
Si l'on peut se féliciter de la création d'une filière universitaire en médecine palliative fin 2016 221 ( * ) -début 2017 222 ( * ) , la recherche en soins palliatifs doit dépasser la dimension médicale de la fin de vie et privilégier une approche interdisciplinaire en lien avec les sciences humaines et sociales . Comme le rappelle le Pr Régis Aubry 223 ( * ) , les médecins restent encore globalement mal préparés à la gestion des situations de fin de vie complexes, faute d'acculturation pendant leurs études aux enjeux médicaux, sociaux et éthiques de la fin de vie.
Or le renforcement de la qualité de la formation hospitalo-universitaire doit reposer sur une recherche dynamique capable d'alimenter en continu la réflexion interdisciplinaire autour de la fin de vie. La création de masters de recherche , notamment par les universités de Bourgogne Franche-Comté et Paris-Est Créteil Val-de-Marne, destinés à permettre à des internes de se former à la recherche en médecine palliative et sur la fin de vie, constitue une belle avancée mais ces initiatives demeurent encore trop isolées.
a) Améliorer la visibilité des équipes de recherche en soins palliatifs
La recherche sur les soins palliatifs et la fin de vie en France reste insuffisamment coordonnée et transversale et manque de visibilité à l'international. Cette situation tranche avec la structuration des efforts de recherche dans d'autres pays.
Exemples étrangers de structuration de la
recherche sur les soins palliatifs
et l'accompagnement de la fin de
vie
• En Suisse
La Suisse a mis en place une première stratégie nationale de développement des soins palliatifs pour la période 2010-2012, centrée sur la création d'unités de soins palliatifs et d'unités mobiles de soins palliatifs. La recherche s'est structurée plus tard, notamment en articulation avec le développement de la médecine palliative comme spécialisation médicale transversale en 2016. Un programme national de recherche sur la fin de vie a été mis en oeuvre par le fonds national suisse en 2012 pour cinq ans.
• En Belgique
Le « End-of-life care research group » de l'université libre de Bruxelles et de l'université de Gand en Belgique est un des plus engagés dans ce champ et publie un nombre important d'articles à l'international.
• Au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, plusieurs laboratoires travaillent sur ces thématiques : le « Cicely Saunders Institute of Palliative Care, Policy and Rehabilitation » du King's College, et le « International Observatory on End-of-Life Care » de l'université de Lancaster. Malgré une politique volontariste de la part de l'État britannique dans ce champ de la recherche, Irene Higginson - une des chercheuses phares dans ce domaine - remarquait en 2016 la nécessité d'un effort de recherche supplémentaire.
Source : Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie
À ce jour, il n'existe aucun appel à projets spécifique consacré à la fin de vie. Les projets de recherche sur la fin de vie et la médecine palliative ont été jusqu'ici essentiellement financés en s'insérant dans des appels à projets non dédiés à cette thématique.
Les voies actuelles de financement des projets de
recherche
en médecine palliative
Selon les données transmises par le Pr Régis Aubry, les principaux supports de la recherche sur la fin de vie et la démarche palliative ont été les suivants :
- via les déclinaisons du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC-N national, PHRC-I interrégional, PHRC-K en cancérologie), le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) et le programme de recherche sur la performance du système de soins (PRePS) : une trentaine de projets financés entre 2010 et 2018 pour un montant de huit millions d'euros ;
- les appels à projets de l'INCa (hors PHRC) : 15 projets financés entre 2009 et 2019 pour un montant de deux millions d'euros ;
- le programme européen Horizon 2020 224 ( * ) : dix projets financés à hauteur de quatre millions d'euros par projet pour un montant d'environ quarante millions d'euros ;
- la Fondation de France : 55 projets soutenus entre 2015 et 2019 pour un montant total de plus de trois millions d'euros.
Source : Réponses du Pr Régis Aubry au questionnaire de la mission d'information
Face à cette fragmentation de l'effort de recherche dans les domaines de la fin de vie et de la médecine palliative, la création de la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie représente un vrai progrès dans le sens d'une plus grande coordination des initiatives et d'une maximisation des sources de financement. Lancée à l'initiative du Pr Aubry, cette structure, pour l'heure dépourvue de statut formel, est un projet confié par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation à l'université Bourgogne France-Comté, le montage de projets de recherche en transversalité constituant l'un des principaux requis du financement consenti par le ministère.
Elle se donne principalement pour objectif de démystifier la fin de vie sur le plan médical et scientifique et d'en faire un sujet de recherche à part entière. Une de ses premières réalisations consiste en la constitution d'un annuaire national de 341 chercheurs 225 ( * ) travaillant de près ou de loin sur la thématique de la fin de vie dans différentes disciplines : médecine, droit, philosophie, sociologie... La plateforme s'attache également à créer du lien au sein de la communauté scientifique dans le champ de la fin de vie, en organisant des colloques et en prônant le développement de recherches multicentriques, et à accroître la visibilité des travaux français en amenant les équipes de recherche françaises à se positionner dans ce champ à l'international. Comme le souligne le CNSPFV 226 ( * ) , peu de chercheurs en France semblent en effet en capacité de participer à des études internationales et le centre reste aujourd'hui le seul organisme français présentant ses travaux à l'occasion des congrès internationaux 227 ( * ) .
Les missions, actions et moyens de la plateforme
nationale
pour la recherche sur la fin de vie
Missions
• Rassembler les forces de recherche dans le domaine de la fin de vie
• Constituer des espaces d'échanges interdisciplinaires et optimiser les rapprochements entre chercheurs et cliniciens au niveau régional, national et international
• Faire connaître et reconnaître la recherche sur la fin de vie, y intéresser les sociétés savantes, instituts de recherche et décideurs politiques
• Proposer des orientations stratégiques de recherche et oeuvrer à l'ouverture d'appel à projet spécifiques
Actions
Constituer un observatoire de la recherche
• Alimenter un annuaire national des chercheurs en ligne
• Constituer un répertoire des projets de recherche
• Établir une cartographie des équipes de recherche
• Publier chaque année un panorama de la recherche
• Recenser les thèses en cours
• Mener des enquêtes annuelles
• Décrire la production scientifique française grâce à la bibliométrie
Favoriser l'émergence d'appels à projets spécifiques
• Définir le champ de la recherche sur la fin de vie
• Établir des axes de recherche émergents prioritaires
• Rédiger des appels à projets dédiés
• Préparer les équipes de recherche à répondre à ces appels à projets
• Intégrer les actions de la plateforme au plan national pour le développement des soins palliatifs 2021-2024
• Rencontrer les décideurs, les instituts de recherche, les associations et les sociétés savantes concernées par le champ de la fin de vie
Animer la communauté scientifique nationale
• Organiser des colloques (journées scientifiques, journées doctorales), webinaires, séminaires et ateliers
• Inciter les membres du réseau à collaborer lors de journées de rencontres nationales et régionales et via la diffusion d'annonces
• Réaliser une veille active de l'actualité scientifique (publications, évènements, appels à projets, appels à communications, appels à articles...) et diffuser ces informations
• Valoriser la recherche par le biais de divers articles (portraits de chercheurs, dossiers thématiques) et sur les réseaux sociaux
• Développer les relations internationales
Coordonner des projets de recherche
• La plateforme a été exceptionnellement missionnée en 2020 pour coordonner une étude nationale sur la fin de vie et la mort en Ehpad pendant la pandémie de covid-19 (étude COVIDEHPAD) afin de recueillir l'expérience et le ressenti des personnes confinées dans les Ehpad
Fonctionnement, moyens et financement
La gouvernance, exercée à titre bénévole, de la plateforme repose sur deux coprésidents, un bureau et un comité scientifique. La plateforme dispose pour son fonctionnement d'une équipe salariée de 2,9 équivalents temps plein (ETP) en contrats à durée déterminée (CDD), dont une directrice, des chargées de mission et une assistante de gestion administrative. Portée par l'université Bourgogne Franche-Comté (UBFC), elle est hébergée à la maison de sciences de l'homme et de l'environnement (MSHE) de Besançon. Elle peut s'appuyer sur les services support de l'université (services financiers, ressources humaines et numériques).
La plateforme bénéficie des subventions suivantes :
- de la direction générale de la recherche et de l'innovation du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation : 100 000 euros par an ;
- de la direction générale de l'offre de soins du ministère des solidarités et de la santé : 67 500 euros par an ;
- de la Fondation de France : 50 000 euros, versés en une fois.
Une subvention de 50 000 euros de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) est actuellement en cours de négociation.
Source : Réponses du Pr Régis Aubry au questionnaire de la mission d'information
Les rapporteures soutiennent l'objectif que la plateforme s'est fixé d'organiser à court terme un appel à projets dédié à la recherche sur la fin de vie au travers d'un programme prioritaire de recherche (PPR) qu'elle porterait dans le cadre des investissements d'avenir, en lien l'agence nationale de la recherche, l'INCa et d'autres organismes financeurs. La plateforme serait ainsi chargée de piloter différents appels à projets s'inscrivant dans ce PPR et d'expertiser les projets en lien avec les opérateurs de recherche, comme le fait aujourd'hui l'institut de recherche en santé publique (IReSP).
Afin de sécuriser, sur le plan juridique et organique, le portage par la plateforme d'un PPR, les rapporteures recommandent qu'elle se dote d'un statut plus formalisé en privilégiant le groupement d'intérêt scientifique (GIS), sur le modèle de l'IReSP. Sans personnalité juridique, le statut de GIS offre toute la souplesse nécessaire pour formaliser la coopération entre plusieurs partenaires dans le domaine de la recherche : il a ainsi permis à l'IReSP de lancer, sur la période 2007-2019, 47 appels à projets, de financer 381 projets en allouant 48 millions d'euros.
Pourraient ainsi être rassemblés au sein de la plateforme, constituée sous la forme de GIS, les différents acteurs susceptibles de promouvoir et d'accompagner le développement de la recherche sur les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, dont en particulier :
- l'université Bourgogne Franche-Comté qui a jusqu'ici porté le projet de plateforme, mais aussi l'école des hautes études en santé publique (EHESP) ainsi que le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministère des solidarités et de la santé qui l'ont soutenu ;
- l'institut national d'études démographiques (INED), qui a réalisé plusieurs enquêtes sur la fin de vie en France et a créé l'institut de la longévité, des vieillesses et du vieillissement sous la forme d'un GIS, de même que la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), Santé publique France, la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et la CNSA qui ont tout intérêt à accompagner le développement de la connaissance des conditions de prise en charge de la fin de vie ;
- le CNSPFV qui, du fait de sa mission de diffusion de la connaissance sur la fin de vie au travers d'enquêtes et d'observations, a toute sa place pour orienter les axes prioritaires de la recherche sur la fin de vie ;
- l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), notamment du fait de son implication dans la collecte des données sur les causes de décès au travers du centre épidémiologique sur les causes médicales de décès (CépiDc), et le centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Proposition n° 39 : faire évoluer la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie en un groupement d'intérêt scientifique habilité à porter un programme prioritaire de recherche lui permettant de lancer des appels à projets dans les domaines des soins palliatifs et de la fin de vie
La constitution de la plateforme sous la forme d'un GIS réunissant les différents acteurs évoqués précédemment lui permettra également de préciser les axes prioritaires de recherche qu'elle sera appelée à soutenir. À cet égard, les rapporteures saluent le travail engagé par la plateforme qui a déjà permis d'identifier trois grands défis sociétaux autour desquels pourraient s'articuler les différentes problématiques de fin de vie à explorer :
Défis sociétaux de la proposition de
programme prioritaire de recherche élaborée
par
le conseil scientifique de la plateforme nationale
pour la recherche
sur la fin de vie
Défi sociétal n° 1 : Nouvelles figures de la fin de vie : faut-il faire évoluer l'organisation sanitaire et les droits des patients ?
Quelles sont les nouvelles figures de la fin de vie générées par la médecine contemporaine ? En quoi ces nouvelles réalités imposent-elles de repenser l'organisation des soins ou du droit ? Comment s'adapter à des situations de fin de vie inédites liées aux nouvelles menaces que sont les maladies émergentes et le réchauffement climatique ? La crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 et l'épisode caniculaire de 2003 auront été un triste exemple du manque de préparation de notre société pour la prise en charge d'un afflux massif de personnes malades, lesquelles ont terminé leurs vies seules, parfois dans des conditions déplorables. Dans la continuité de l'étude « COVIDEHPAD » actuellement en cours, coordonnée par la plateforme, les recherches contribueront à proposer des solutions afin que de tels drames ne se reproduisent pas.
- Quelles leçons tirer de la crise de la covid-19 en vue d'une amélioration de la prise en charge des personnes âgées dépendantes en fin de vie ?
- Comment articuler données de la science et décisions politiques ?
- Dans quels contextes les demandes et désir de mort anticipée s'expriment-elles (demandes d'euthanasie, de suicide assisté) et quelles réalités recouvrent-elles ? Des évolutions législatives doivent-elles-être envisagées ?
- Comment les droits des patients en fin de vie sont-ils respectés ? Quelle est la place des directives anticipées ? Sédation profonde : que provoque la sédation au regard des souffrances de la fin de vie ? Quelles pratiques à l'heure actuelle ? Avec quelles limites ?
- Quels sont les processus décisionnels d'arrêt de traitement ? Par exemple, quels enjeux dans les limitations de traitements en pédiatrie et pour les maladies rares ? Comment intégrer les temporalités induites par les nouveaux traitements que permettent les avancées de la médecine ?
- Comment définir la fin de vie ? Quand commence la fin de vie d'un point de vue biologique, médical, sociologique, etc. ?
- Quelles innovations méthodologiques pour déployer une recherche pertinente face à ces nouvelles temporalités extraordinaires de la fin de vie ?
Défi sociétal n° 2 : Politiques de santé publique pour le développement et l'accès aux soins palliatifs : comment innover pour améliorer les trajectoires de soin ?
Quels sont les besoins spécifiques liés à des pathologies comme le cancer ou les maladies neurodégénératives ? Comment prendre en charge les populations vulnérables (enfants, personnes en situation de précarité, de handicap, migrants) ? La plupart des gens déclarant souhaiter mourir à domicile, comment aller vers un renforcement de l'accompagnement des personnes et de leurs proches par des solidarités nouvelles ? Il est nécessaire d'envisager des pluralités de parcours, de lieux, de formes d'accompagnement.
- Accompagnement de la fin de vie et soins palliatifs à domicile : quelles problématiques pour quelles solutions ? Comment structurer l'articulation « ville-hôpital » et renforcer les réseaux de soins (équipes mobiles de soins palliatifs et de gériatrie) ? Quel pourrait-être l'apport de la télémédecine ?
- Repenser les lieux de la fin de vie (Ehpad, habitat intergénérationnel) : quelles innovations urbaines, structurelles et organisationnelles prévoir ?
- Quelles thérapies de rupture (« breakthrough therapies ») et quelles innovations pour de nouvelles prises en charge médicamenteuses et non-médicamenteuses ?
- Difficultés de recrutement des professionnels spécialistes en soins palliatifs : quelles causes ? Comment les contourner ?
- Quelle réflexion collective sur l'accès et la répartition des ressources sanitaires selon l'âge ? Quelles trajectoires pour les soins de fin de vie en métropole et dans les territoires d'outre-mer ?
- Quelle intégration de la dimension « spirituelle » dans l'accompagnement de la fin de vie ?
Défi sociétal n° 3 : Comment améliorer l'accompagnement du deuil dans les sociétés contemporaines ?
Les deuils ont des conséquences en termes de santé publique, d'emploi, de scolarité... Améliorer leur prise en charge permettrait de réduire leur impact sur la société.
- Comment mieux connaître et prendre en charge les conséquences du deuil en terme de santé et de santé mentale (deuil compliqués, ou pathologiques) ?
- Comment mieux accompagner le deuil chez les enfants et les adolescents ainsi que le deuil périnatal ?
- Comment adapter la prise en charge du deuil dans les situations de morts de masse engendrant un traumatisme collectif (attentats, catastrophes naturelles, pandémies...) ?
- Rites d'inhumation : faut-il les faire évoluer vers de nouvelles formes ? Comment limiter le coût économique et écologique du trépas (funérailles écologiques, cimetières et urbanisme) ?
Source : Réponses du Pr Régis Aubry au questionnaire de la mission d'information
Ces thématiques pourraient être précisées et complétées en concertation avec le CNSPFV qui, dans le cadre de ses enquêtes ponctuelles ou itératives, a pu identifier des sujets émergents qui suscitent l'intérêt de la recherche internationale, tels que les ruptures de parcours de patients hospitalisés en USP et la nécessité d'une réflexion sur les lits d'aval, ou encore l'enjeu de la chronicisation de la fin de vie.
Selon les rapporteures, doit constituer un axe prioritaire de la recherche l' étude des parcours complexes de prise en charge palliative et d'accompagnement de la fin de vie pour les personnes en situation de grande vulnérabilité . Comme l'a rappelé l'inspection générale des affaires sociales dans son rapport précité de 2018, les efforts de recherche dans ce domaine doivent en effet permettre de mieux comprendre et anticiper les besoins des patients et des proches pour garantir une fin de vie digne et apaisée pour :
- les personnes atteintes de maladies neurodégénératives , notamment celles qui sont gravement incapacitantes et sans issue telles que la sclérose latérale amyotrophique, ainsi que celles qui s'accompagnent d'un déclin cognitif affectant grandement la qualité de vie. À cet égard, les rapporteures considèrent qu'une attention toute particulière devra être portée à l'articulation entre le futur plan national pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie et le plan « Maladies neurodégénératives », dont le renouvellement n'a toutefois pas encore été confirmé ;
- les personnes cérébro-lésées , en état végétatif chronique ou pauci-relationnel, mais aussi les personnes polyhandicapées atteintes de défaillances graves ;
- les personnes atteintes d'un cancer au pronostic sombre . À cet égard, les rapporteures invitent fortement les pilotes de l'élaboration du futur plan national pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie à se rapprocher de l'INCa afin d'assurer la pleine cohérence de ce plan avec la stratégie décennale de lutte contre le cancer pour la période 2020-2030 ;
- les personnes mineures .
La recherche sur l'amélioration de la prise en charge palliative dans ces situations complexes permettra de déterminer dans quelle mesure les dispositifs prévus par la législation en vigueur (personne de confiance, directives anticipées, SPCJD) permettent d'y répondre et si des évolutions doivent être envisagées. Dans sa contribution à la révision de la loi de bioéthique en 2018 228 ( * ) , le CCNE avait en effet rappelé qu'« il ne peut être envisagé de faire évoluer la loi avant que n'ait été effectué un travail de recherche des situations dites exceptionnelles , afin de vérifier si elles ne peuvent pas déjà être traitées de manière satisfaisante par une pleine application de la loi actuelle ».
À la suite de la relance, au premier semestre 2021, du débat sur l'évolution du cadre juridique de l'accompagnement de la fin de vie par l'examen au Sénat et à l'Assemblée nationale de propositions de loi visant à légaliser l'aide active à mourir, le CCNE a annoncé, le 25 juin 2021, la constitution d'un groupe de travail sur la fin de vie animé par le Pr Régis Aubry, l'ancien député Alain Claeys et la docteure en éthique Florence Gruat. Outre un bilan de la situation de la fin de vie en France, ce groupe de travail se donne pour objectif d'identifier « les situations exceptionnelles, telles les maladies neurodégénératives à évolution lente, auxquelles le droit est confronté ».
Proposition n° 40 : identifier comme axe prioritaire de la recherche sur la fin de vie l'étude des parcours complexes de prise en charge palliative et d'accompagnement des personnes en situation de grande vulnérabilité
b) Renforcer la qualité de la collecte de données en matière de fin de vie
Enfin, le développement de la recherche dans l'étude des parcours de prise en charge palliative et d'accompagnement de la fin de vie requiert une modernisation des procédures de la collecte des données sur la fin de vie et un renforcement des moyens afférents . La collecte de ce type de données dans le cadre des grandes enquêtes nationales menées auprès des établissements de santé 229 ( * ) et des établissements médicosociaux 230 ( * ) mériterait ainsi d'être alignée sur une périodicité de deux ans, le volet relatif aux soins palliatifs étant aujourd'hui inséré tous les deux ans dans l'enquête SAE mais tous les quatre ans dans l'enquête EHPA. Il serait également utile que le contenu du volet « soins palliatifs » de ces enquêtes soit concerté avec le CNSPFV, la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie et le CépiDc de l'Inserm afin que les données recueillies puissent être exploitées de façon optimale dans le cadre de projets de recherche.
Le CNSPFV est appelé à être repositionné, en tant que centre de ressources et d'expertise sur la fin de vie, sur des missions de collecte et de traitement de données dans les domaines des soins palliatifs et de la fin de vie. Idéalement, le centre doit monter en puissance sur ce segment de son activité en développant des partenariats avec les différents organismes intéressés (Drees, Santé publique France, CNAM, CNSA, INED, INCa, Inserm...) afin de déployer la plateforme statistique et épidémiologique que l'inspection générale des affaires sociales a appelé de ses voeux dans son rapport d'évaluation en 2019 du dernier plan national de développement des soins palliatifs 231 ( * ) .
Au-delà de ces partenariats, les rapporteures proposent d' habiliter le CNSPFV à disposer d'un accès permanent aux données du système national des données de santé (SNDS) au titre de sa mission de centre de ressources et d'expertise. Cette habilitation suppose d'ajouter le CNSPFV à la liste des organismes, établissements et services bénéficiant d'un accès permanent aux données du SNDS en raison de leurs missions de service public, établie par l'article R. 1461-2 du code de la santé publique.
Proposition n° 41 : doter le CNSPFV d'un accès permanent aux données du système national des données de santé (SNDS) et charger ce centre de développer des partenariats avec les organismes pertinents pour le déploiement d'une plateforme statistique et épidémiologique sur les soins palliatifs et la fin de vie
Les rapporteures insistent, en outre, sur l'urgence, maintes fois réaffirmée par la commission des affaires sociales du Sénat, de progresser dans la collecte dématérialisée des certificats de décès - seuls 20 % environ des certificats de décès sont transmis par voie électronique - et d'harmoniser et d'affiner les informations qui doivent être saisies dans ces certificats afin d'alimenter efficacement les enquêtes épidémiologiques et la recherche sur la fin de vie.
Le constat d'un manque de données standardisées
sur les causes de décès a été renouvelé
pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de
covid-19, la surveillance épidémiologique de la mortalité
à domicile liée à la covid-19 ayant été
fortement entravée par les carences du suivi par les certificats de
décès : la covid-19 n'est ainsi pas
répertoriée dans ces certificats de
décès
- la mortalité liée à la
covid-19 à domicile est ainsi extrapolée par calcul de
la surmortalité constatée sur la période - et le
traitement des certificats en papier par le CépiDC peut prendre
plusieurs mois.
Les rapporteures plaident dès lors pour un renforcement de la qualité des informations sur la fin de vie susceptibles d'être saisies dans les certificats de décès afin que ces données permettent de mieux objectiver les trajectoires de fin de vie et d'alimenter la recherche sur la fin de vie. Il pourrait ainsi être envisagé d'y faire figurer non seulement les causes et le lieu du décès mais aussi d'y mentionner si le décès est intervenu à la suite d'une décision de limitation ou d'arrêt de traitement et, le cas échéant, d'une décision de mise en oeuvre de SPCJD.
Le manque de disponibilité des médecins pour dresser les constats de décès dans des délais raisonnables peut néanmoins devenir problématique pour le recueil des certificats de décès par les mairies. Dès lors, l'extension de la possibilité d'établir un certificat de décès, dans l'hypothèse où le décès était prévisible, à l'infirmier ayant dispensé des soins de façon régulière à la personne avant la survenue de son décès pourrait permettre de répondre à cette difficulté qui peut peser sur la qualité de la remontée d'informations concernant les conditions de fin de vie. Cet aménagement des compétences en matière d'établissement des certificats de décès a été avancé par une proposition de loi 232 ( * ) déposée en 2017 par la sénatrice Patricia Morhet-Richaud.
Proposition n° 42 : renforcer le contenu et la périodicité des volets « soins palliatifs » des grandes enquêtes nationales auprès des établissements de santé et des Ehpad et généraliser la saisie dématérialisée des certificats de décès
3. Améliorer le pilotage de la politique de développement des soins palliatifs
Les rapporteures plaident pour un renforcement de la cohérence entre le plan national pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, la stratégie nationale de santé - dont on peut regretter qu'elle ne comporte aucune mention des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie - et les autres plans sectoriels ou transversaux de santé publique appelés à décliner les objectifs de cette stratégie .
Elles recommandent ainsi une reconnaissance de la place
des soins palliatifs et de la fin de vie dans la prochaine
stratégie nationale de santé
- la stratégie
en cours arrivant à échéance en 2022 - : la
fin de vie fait en effet partie de la vie et l'amélioration de sa prise
en charge s'inscrit pleinement dans la thématique «
One
Health
» (« Une seule santé »).
Elles appellent en outre à garantir la pleine articulation des objectifs du plan national pour le développement des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie avec ceux des autres plans et stratégies en lien avec les maladies chroniques ou la dépendance : la stratégie « Vieillir en bonne santé » en faveur de la prévention de la perte d'autonomie, la stratégie décennale de lutte contre le cancer, l'éventuel futur plan « Maladies neurodégénératives », la stratégie « Agir pour les aidants » 2020-2022...
Proposition n° 43 : veiller à la cohérence et à l'articulation des objectifs du futur plan national pour le développement des soins palliatifs avec les autres plans et stratégies en lien avec le soutien aux personnes âgées, la dépendance et les maladies chroniques
Créé par le décret n° 2016-5 du 5 janvier 2016 233 ( * ) dans le cadre du plan national pour le développement des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie 2015-2018, dont l'axe 1 visait à « informer le patient, lui permettre d'être au centre des décisions qui le concernent », le CNSPFV devait initialement expirer au terme d'un délai de cinq ans, soit en janvier 2021. Par le décret n° 2021-114 du 2 février 2021 234 ( * ) , il a été renouvelé jusqu'au 31 décembre 2021.
Issu de la fusion de l'observatoire national de la fin de vie et du centre national de ressources « Soin palliatif », le CNSPFV est une structure atypique sur le plan juridique. Son statut formel n'est pas précisé par son décret constitutif qui en fait une instance placée auprès du ministre chargé de la santé 235 ( * ) , dotée de trois grandes missions :
- « contribuer à une meilleure connaissance des conditions de la fin de vie et des soins palliatifs, des pratiques d'accompagnement et de leurs évolutions, ainsi que de l'organisation territoriale de la prise en charge des patients et de leur entourage » ;
- « participer au suivi des politiques publiques relatives aux soins palliatifs et à la fin de vie » ;
- « informer le grand public et les professionnels afin de contribuer à la diffusion des connaissances sur la démarche palliative et sur la fin de vie, notamment à la promotion des dispositifs concernant les directives anticipées et la désignation des personnes de confiance ».
L'absence de personnalité juridique propre, son rattachement à un ministre et ses missions d'expertise dans le développement et le suivi des politiques publiques relatives aux soins palliatifs et à la fin de vie pourrait rapprocher le CNSPFV des commissions administratives à caractère consultatif placées auprès des autorités de l'État. Celles-ci sont également créées par décret pour une durée de cinq ans et ne peuvent être renouvelées qu'après la réalisation d'une étude permettant de vérifier que la mission impartie répond à une nécessité 236 ( * ) . Toutefois, le CNSPFV ne peut, pour l'heure, être pleinement assimilé à ce type de commission dès lors qu'il n'est pas amené à se prononcer pour avis sur les projets de texte ou de décision relevant de son champ d'expertise 237 ( * ) .
Par ailleurs, sur le plan fonctionnel, le CNSPFV se caractérise par une gouvernance originale. Celle-ci repose sur :
- un conseil d'orientation stratégique (COS) chargé de définir les orientations du centre et d'établir son programme de travail annuel et le calendrier de ses travaux. Il comprend 19 membres, nommés par le ministre chargé de la santé : un président et des représentants des administrations centrales de l'État concernées, de la fondation de OEuvre de la Croix Saint-Simon, des associations de patients et d'accompagnement, des sociétés savantes et des collèges de professionnels de santé particulièrement concernées par les soins palliatifs et la fin de vie, et du CCNE ;
- un service , comprenant 12 ETP dont un directeur, aux responsabilités et conditions de fonctionnement non précisées par le décret constitutif du CNSPFV. Il est porté administrativement par la fondation OEuvre de la Croix Saint-Simon au nom de laquelle sont conclus les contrats de travail, conformément au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) liant la fondation, ayant statut d'établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic), à l'État, représenté par l'ARS d'Île-de-France. À ce titre, la fondation perçoit de l'ARS une dotation de missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) d'un montant annuel de 1,207 million d'euros, le cas échéant complétée de dotations Migac complémentaires et non reconductibles pour l'organisation de campagnes de communication.
L'inspection générale des affaires sociales a écarté, dans son rapport précité de juillet 2019, la transformation du CNSPFV en une structure dotée d'un statut plus conventionnel, tel qu'un groupement d'intérêt public (GIP), une association ou encore un service à compétence nationale (SCN) : le dimensionnement actuel du centre, qui ne comprend qu'un peu plus d'une dizaine de salariés, ne se prête pas en effet à une telle évolution. Les rapporteures partagent ces analyses et préconisent également le maintien du CNSPFV dans sa forme actuelle , accompagné d'une clarification de ses missions, de sa gouvernance et de son fonctionnement .
Afin de « normaliser » la situation statutaire du CNSPFV et le rapprocher des commissions administratives à caractère consultatif, pourrait ainsi lui être reconnue une attribution consultative par la production d'avis sur des projets de texte ou de décision en matière de développement des soins palliatifs et d'évolution du cadre juridique sur la fin de vie, sous réserve de prévoir une formation restreinte du COS excluant les représentants de l'administration pour l'exercice de cette attribution. Il conserverait deux autres grandes missions qui recoupent ses attributions actuelles et qui feraient du CNSPFV :
• un centre de ressources et d'expertise sur les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie. Cette mission d'« observatoire » conduirait le CNSPFV à répertorier les ressources documentaires disponibles - notamment les travaux de réflexion scientifique et les documents et outils d'accompagnement produits par les sociétés savantes -, et à favoriser la collecte et l'exploitation de données permettant d'évaluer la qualité des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie et les pratiques dans ces domaines. À cette fin, le centre serait chargé de développer des partenariats avec différents organismes et institutions pour consolider ces ressources et données , notamment la Drees, Santé publique France, la CNAM, la CNSA, l'INED, l'INCa, l'Inserm et le CNRS, mais aussi les sociétés savantes et la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie.
Les rapporteures se félicitent ainsi du rapprochement entre le CNSPFV et la plateforme - cette dernière ayant inclus dans son conseil scientifique un représentant du CNSPFV - et appellent à le renforcer en prévoyant, par réciprocité, un représentant de la plateforme au sein du COS du CNSPFV. La suppression envisagée par le ministère de la santé, dans le futur décret de refonte du CNSPFV, des missions de « promo [tion] des axes de recherche en matière de soins palliatifs et de fin de vie » devrait achever de clarifier la répartition des rôles entre une plateforme dédiée au soutien à la recherche et un CNSPFV facilitateur de l'accès aux ressources et aux données ;
• un opérateur de l'acculturation du grand public et des professionnels de santé aux problématiques en matière de soins palliatifs et d'accompagnement de la fin de vie , par la diffusion la plus large possible de l'information sur les droits des patients et les pratiques dans ces domaines, notamment par l'organisation de rencontres annuelles via un grand colloque virtuel lors de la journée mondiale des soins palliatifs, et la poursuite des « soirées en région » déjà mises en place par le centre.
Dans cette logique, le CNSPFV doit s'imposer, comme le recommande l'inspection générale des affaires sociales, comme un animateur proactif des débats sociétaux et scientifiques sur les soins palliatifs et la fin de vie . À cet effet, les rapporteures prônent la mise en place, dans les meilleurs délais, d'un partenariat entre le CNSPFV et le CCNE afin que le premier puisse s'appuyer sur les espaces de réflexion éthique régionaux et interrégionaux du second pour l'organisation de ces débats.
Proposition n° 44 : rapprocher le statut du CNSPFV de celui des commissions administratives à caractère consultatif en lui attribuant trois grandes missions : avis sur les projets de texte et de décision en matière de soins palliatifs et de fin de vie ; centre de ressources et d'expertise ; diffusion de la culture palliative auprès du grand public et des professionnels de santé et animation des débats sociétaux et scientifiques
En outre, il conviendrait de clarifier, dans le décret constitutif du CNSPFV, la répartition des responsabilités entre le COS et la direction administrative. Jusqu'ici, une certaine confusion a entouré le rôle du COS qui semble cumuler en pratique les fonctions à la fois d'un conseil scientifique et d'un conseil d'administration 238 ( * ) .
Selon les rapporteures, le COS doit continuer de définir les grandes orientations stratégiques lui permettant de remplir ses missions (définition du programme et du calendrier d'activités, établissement de partenariats...) - tout en prévoyant une formation restreinte excluant les représentants de l'État pour l'exercice de la mission de consultation sur les projets de texte et de décision -. La direction du centre, chargée de l'organisation administrative, budgétaire et financière, doit se voir, elle, reconnaître des responsabilités exécutives et des moyens opérationnels pour la mise en oeuvre de ces orientations.
À cet effet, il est indispensable que les moyens budgétaires et humains de l'équipe administrative du CNSPFV soient significativement renforcés . S'il est tenu compte des moyens alloués aux structures qui l'ont précédé - à savoir le centre national de ressources « Soin palliatif » (CNDR SP) et l'observatoire national de la fin de vie -, le budget du centre n'a pas augmenté depuis dix ans . Les moyens actuels dont dispose le CNSPFV sont manifestement sous-dimensionnés et ne lui permettront pas de devenir un centre de ressources et d'expertise sur les soins palliatifs et la fin de vie et un centre de référence pour les professionnels. En particulier, le développement de partenariats et le déploiement d'une plateforme statistique et épidémiologique requerront nécessairement des recrutements supplémentaires.
Proposition n° 45 : clarifier, dans le décret constitutif du CNSPFV, la répartition des responsabilités entre le conseil d'orientation stratégique et la direction et renforcer significativement les moyens humains et techniques du centre
* 196 Maurice Tubiana, Histoire de la pensée médicale , Paris, Flammarion, 1995 (pp. 358-359 dans l'édition de 1999).
* 197 Voir par exemple l'oeuvre de Marie de Hennezel, dont le premier d'au moins une douzaine de titres sur ces questions, La mort intime , paraît en 1995 chez Robert Laffont.
* 198 Audition du 1 er juin 2021.
* 199 Audition du 4 mai 2021.
* 200 Pierre Chaunu, Mourir à Paris (XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles) , dans Annales, vol. 31, n° 1, 1976, p. 35.
* 201 Voir les travaux de l'anthropologue britannique Geoffrey Gorer, notamment son article fondateur « The Pornography of death », 1955, repris dans « Death, grief and mourning », London, The Cresset Press , 1965, ou encore ceux de l'historien Philippe Ariès, par exemple ses Essais sur l'histoire de la mort en Occident , Paris, Seuil, 2014.
* 202 Audition du 10 juin 2021.
* 203 Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
* 204 Audition du 8 juillet 2021.
* 205 Donatien Mallet, Nathalie Denis-Delpierre, Caroline Gallé-Gaudin, Godefroy Hirsch, « La formation en soins palliatifs : une place singulière dans la formation médicale », dans Manuel de soins palliatif s, Paris, Dunod, 2020.
* 206 Voir l'annexe de l'arrêté du 2 septembre 2020 portant modification de diverses dispositions relatives au régime des études en vue du premier et du deuxième cycle des études médicales et à l'organisation des épreuves classantes nationales.
* 207 Audition du 19 mai 2021.
* 208 Régis Aubry et Donatien Mallet, « Réflexions et propositions pour la formation médicale », dans Pédagogie médicale vol. 9, n° 2, mai 2008.
* 209 Voir l'article 8 de l'arrêté du 8 avril 2013 relatif au régime des études en vue du premier et du deuxième cycle des études médicales.
* 210 Audition du 19 mai 2021.
* 211 Voir l'arrêté du 12 avril 2017 portant organisation du troisième cycle des études de médecine.
* 212 Igas, Évaluation de l'application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie , 2017.
* 213 SFAP, Argumentaire en faveur d'une mention soins palliatifs au diplôme d'État infirmier en pratique avancé , octobre 2020.
* 214 Décret n° 2018-633 du 18 juillet 2018 relatif au diplôme d'État d'infirmier en pratique avancée, et arrêté du 18 juillet 2018 fixant les listes permettant l'exercice infirmier en pratique avancée en application de l'article R. 4301-3 du code de santé publique.
* 215 Décret n° 2019-836 du 12 août 2019 relatif au diplôme d'État d'infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale et arrêté du 12 août 2019.
* 216 Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, article 34.
* 217 Cf. supra .
* 218 SFAP, document précité.
* 219 Myriam El Khomri, Plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 , octobre 2019.
* 220 Auditionné par la mission d'information le 4 mai 2021.
* 221 Un arrêté du 27 décembre 2016 a créé la sous-section 46-05 « Épistémologie clinique » au sein du conseil national des universités, cet intitulé ayant été renommé « Médecine palliative » par un arrêté du 21 janvier 2019.
* 222 Un arrêté du 1 er février 2017 a permis la nomination des membres de la sous-section 46-05.
* 223 Réponses au questionnaire de la mission d'information.
* 224 Via l'appel à projets « SC1-BHC-23-2018 - Novel patient-centered approaches for survivorship, palliation and/or end-of-life care ».
* 225 Au 22 septembre 2021.
* 226 Réponses au questionnaire de la mission d'information.
* 227 Tels que la « International Conference on End-of-Life: Law, Ethics, Policy and Practice ».
* 228 Avis n° 129 du 18 septembre 2018, Contribution du comité consultatif national d'éthique à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019 .
* 229 Enquête de la statistique annuelle des établissements (SAE).
* 230 Enquête en établissements d'hébergement pour personnes âgées (EHPA).
* 231 Dr Nicole Bohic, Dr Francis Fellinger, Louis-Charles Viossat et Mariane Saïe, Évaluation du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie , rapport n° 2018-140R de l'inspection générale des affaires sociales, juillet 2019.
* 232 Proposition de loi relative aux certificats de décès déposée le 21 juin 2017.
* 233 Décret n° 2016-5 du 5 janvier 2016 portant création du centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.
* 234 Décret n° 2021-114 du 2 février 2021 relatif au centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.
* 235 Le CNSPFV est répertorié parmi les commissions et instances consultatives placées auprès du ministre chargé de la santé dans le « jaune budgétaire » annexé au projet de loi de finances et établissant la liste des commissions et instances consultatives ou délibératives placées auprès du Premier ministre ou des ministres.
* 236 Article R. 133-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le dernier décret de renouvellement du CNSPFV est intervenu après la publication en juillet 2019 du rapport d'évaluation du dernier plan national pour le développement des soins palliatifs dans lequel l'inspection générale des affaires sociales a préconisé la reconduction du CNSPFV dans sa forme actuelle.
* 237 Aux termes de l'article R. 133-1 du code des relations entre le public et l'administration, « constituent des commissions administratives à caractère consultatif [...] toutes les commissions ayant vocation à rendre des avis sur des projets de texte ou de décision même si elles disposent d'autres attributions ».
* 238 Or le CNSPFV, qui n'est pas une personne morale, ne peut pas disposer d'un conseil d'administration.