C. UNE GESTION DU TEMPS QUI CONTRASTE AVEC LA RAPIDITÉ DEMANDÉE AU PARLEMENT
1. Allongement des délais de prise des textes d'application et accélération des délais d'examen des textes de loi : une incohérence qui se fait au détriment de la sécurité juridique
Le délai moyen de prise des textes d'application est, pour la première fois depuis 2014, supérieur à la limite de six mois que s'était fixée le Gouvernement dans la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 . Il atteint en effet sept mois et un jour pour la session 2019-2020, en augmentation de presque deux mois par rapport à la session 2018-2019 (cinq mois et 12 jours). Il faut remonter à la session 2013-2014 pour trouver un délai supérieur (huit mois et 15 jours). Ici encore, la gestion de la crise sanitaire a pesé.
Ce délai contraste avec la rapidité exigée du législateur par le Gouvernement : 26 des 43 lois promulguées au cours de la session écoulée ont fait l'objet d'un examen en procédure accélérée . Certes, la mise en oeuvre des mesures liées à la lutte contre la pandémie a pu justifier cette urgence : les sept projets de loi consécutifs à la situation sanitaire, examinés en 2019-2020, l'ont été en 18 jours en moyenne. À trois reprises, la navette parlementaire sur des projets de loi s'est même déroulée en moins de huit jours, et à sept reprises en moins de 35 jours. Mais, comme l'a déploré M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, les « conditions d'examen des textes [n'étaient] pas toujours dictées par une situation d'urgence avérée. » 30 ( * )
L'on pourrait, dans ces conditions, attendre du Gouvernement plus de cohérence . En effet, si l'on ôte les neuf lois d'application directe des 26 lois examinées en procédure accélérée, seules sept lois sur 17 étaient mises en application au 31 mars 2021 tandis que huit l'étaient partiellement, et deux n'étaient pas applicables. Cette confusion se retrouve tout particulièrement dans les conditions entourant l'application de la loi du 30 juillet 2020 permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action. Comme l'a souligné Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, ce texte constitue l' « exemple le plus caricatural » de la difficulté du Gouvernement à gérer le temps 31 ( * ) . La loi est en effet devenue caduque avant d'avoir reçu le décret d'application nécessaire alors qu'elle avait pourtant fait l'objet d'un examen en procédure accélérée.
Comme l'a rappelé M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, cette précipitation s'accorde mal avec l'exigence de qualité de la loi « nécessitant, quoiqu'on en dise, un délai d'examen suffisant pour mener à bien les travaux préparatoires permettant d'éclairer au mieux les parlementaires sur les effets induits par les réformes proposées au vote des représentants de la Nation. » 32 ( * ) La Secrétaire générale du Gouvernement a évoqué à cet égard une « dégradation » et souligné le « besoin de revenir à une forme de droit commun [et] à la vie normale [en matière de] production normative. »
2. La pérennisation des expérimentations avant leur évaluation
La pérennisation des expérimentations avant leur évaluation illustre aussi le rapport délicat qu'entretient le Gouvernement avec la gestion du temps et la portée de la décision parlementaire
Les expérimentations sont autorisées, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, par l'article 37-1 de la Constitution . Celui-ci dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limitée, des dispositions de caractère expérimental. » Leur principe même vise à étudier dans quelle mesure une disposition peut s'avérer efficace, avant d'envisager une pérennisation ou une généralisation à l'ensemble du territoire. Des rapports d'évaluation sont par conséquent indispensables. Le Conseil constitutionnel considère à ce titre que « le Gouvernement ne saurait être autorisé à procéder à la généralisation d'une expérimentation par le Parlement, sans que ce dernier dispose d'une évaluation de celle-ci ou, lorsqu'elle n'est pas arrivée à son terme, sans avoir précisément déterminé les conditions auxquelles une telle généralisation pourra avoir lieu. » 33 ( * ) Si la seconde option est envisageable, la première est bien préférable car elle renseigne le Parlement sur l'opportunité d'une généralisation. Sans la publication d'un rapport d'évaluation, l'expérimentation perd de son sens et donc de son utilité.
En pratique, ces obligations ne sont pas toujours respectées, ce qui avait d'ailleurs conduit le Sénat à s'intéresser tout particulièrement à cette question l'année dernière.
Cette année, la commission des affaires économiques a observé qu'il s'agissait d'une pratique courante : l'article 24 de la loi EGalim du 30 octobre 2018 prévoyait l'expérimentation de menus végétariens hebdomadaires dans la restauration scolaire des collectivités territoriales volontaires. Alors que l'évaluation de cette expérimentation devait être remise le 1 er mai 2021, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dit « Climat-Résilience »), déposé le 10 février 2021 sur le bureau de l'Assemblée nationale, proposait déjà de pérenniser cette expérimentation. Dans ces conditions, comme l'a relevé Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, afin d'éviter que cette procédure « ne se transforme pas en outil politique visant à obtenir un accord sceptique temporaire des parlementaires à une date donnée, il conviendrait sans doute de rendre obligatoire la publication des résultats d'une expérimentation avant sa prolongation ou sa pérennisation, à tout le moins de prévoir une durée d'expérimentation suffisamment longue pour n'avoir pas à décider d'une pérennisation dans la précipitation. » 34 ( * )
* 30 Compte rendu de la réunion de la commission des lois du 5 mai 2021.
* 31 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du 14 avril 2021.
* 32 Compte rendu de la réunion de la commission des lois du 5 mai 2021.
* 33 Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019.
* 34 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires économiques du 5 mai 2021.