D. RENFORCER LE VOLET « MIXITÉ SOCIALE »
La loi SRU est un succès relatif en termes de production de logements sociaux et d'homogénéisation géographique de leur implantation sur le territoire, mais la mixité sociale n'a pas progressé. Vos rapporteurs ont souligné qu'il y avait de nombreuses explications à cela, la première étant que le logement social est un outil sans doute à trop grosse maille pour y parvenir à lui seul. C'est d'ailleurs le caricaturer et caricaturer ceux qui y habitent que de considérer que n'y résident que des « populations à problème », les plus pauvres et les plus en difficulté.
Comme vos rapporteurs l'ont également fait observer, il serait donc nécessaire de mobiliser d'autres politiques en plus de la loi SRU. Pour autant, concernant celle-ci, faut-il se satisfaire de l'existant et ne rien changer ? Vos rapporteurs ne le pensent pas et proposent quatre réformes : établir un quota maximum de logement très social, introduire une pondération des logements sociaux, permettre une différenciation dans l'application du surloyer et les baux sociaux et, enfin, autoriser la déduction du prélèvement SRU des dépenses en faveur de la mixité sociale.
1. Créer une limite de 40 % de logements sociaux dans la loi
La loi SRU oblige les communes qui n'ont pas assez de logements sociaux à en avoir un minimum de 20 ou 25 %. Ses initiateurs espéraient ainsi créer un phénomène d'aspiration des populations en difficulté, de « vase communicant » entre les quartiers pauvres et les villes plus aisées.
Mais cet effet attendu ne s'est pas produit. Sans doute la production de logements sociaux n'a pas été suffisante, on estime à plus de 600 000 le nombre de logements sociaux manquants dans les villes SRU déficitaires. Mais il faut constater aussi que l'on a continué à construire beaucoup de logements sociaux là où ils étaient déjà très nombreux puisque la moitié de la production a eu lieu dans les communes non déficitaires. De plus, dans le cadre de la politique de renouvellement urbain, la tendance a été de remplacer un pour un les logements sociaux détruits et d'y reloger les habitants. Dans plusieurs quartiers bien que l'environnement ait été profondément transformé, les problèmes sont restés.
C'est de ces réflexions qu'est née l'idée de fixer un quota maximum de 40 % de logements sociaux parmi les résidences principales d'une commune .
En mars 2016, la région Île-de-France a adopté une résolution supprimant le financement des logements « ?très sociaux? » PLAI dans les communes qui ont déjà plus de 30 % de logements PLAI et PLUS. C'est pour elle une mesure anti-ghettos et de rééquilibrage territorial. Sur 1 300 communes franciliennes, 90 d'entre elles concentreraient 66 % du parc social. Il s'agit également « d'arrêter d'empiler la pauvreté sur la pauvreté ».
Cette idée a été reformulée par l'Institut Montaigne dans son rapport Les quartiers pauvres ont un avenir , proposant de fixer la limite à 40 % . Il relevait que dans 26 communes de France métropolitaine, la part des HLM parmi les résidences principales dépasse 50 %. « Cette trop forte densité du logement social accentue les trappes à pauvreté, avec un cantonnement géographique des immigrés, dont la Seine-Saint-Denis est l'exemple le plus édifiant. Dans l'optique de limiter ces risques, nous recommandons d'instaurer, dans le cadre de quotas SRU, un certain seuil de logements sociaux à ne pas dépasser - pourquoi pas 40 % ? - dans une même commune ».
Enfin, le Premier ministre Jean Castex y a apporté son soutien lors du Comité interministériel à la ville du 29 janvier dernier en la formulant toutefois un peu différemment. Il s'agirait d'apporter une mixité qualitative dans les communes comptant plus de 40 % de logements sociaux.
Extrait du discours de Jean Castex à Grigny
Comité interministériel à la ville du 29 janvier 2021
« Mais reconstruire, réhabiliter n'est pas suffisant. Il faut aussi agir en faveur de la mixité sociale déterminante pour garantir l'égalité des chances. La loi SRU, 20 ans après son adoption, présente de très importants résultats. Elle a permis la construction de logements sociaux dans les communes qui n'en comptaient pas ou pas assez. Il faut maintenir ce niveau d'exigence et poursuivre les efforts, en particulier dans les collectivités très éloignées du taux de 25 % prévu par la loi. Le Gouvernement, je le dis ici publiquement, demeure plus que jamais attaché à l'application de cette loi fondamentale et travaille à sa prolongation pour organiser la solidarité des territoires pour le logement des ménages modestes et de la classe moyenne. Sûrement que les questions d'intercommunalité seront posées à la faveur de ce prolongement. J'y suis personnellement très favorable, mais il est aussi temps de s'attaquer au phénomène inverse.
« Dans les communes déjà très dotées de logements sociaux, il est nécessaire d'assurer les conditions d'une mixité sociale à moyen terme. Nous avons donc décidé ce matin d'orienter la construction de logements sociaux dans ces communes au profit de la diversification de l'offre.
« En clair, pour les communes comptant plus de 40 % de logements sociaux dans leur parc global, l'État limitera les autorisations pour la construction de logements très sociaux aux projets ayant vocation à renouveler le parc existant ou destinés à accueillir des publics spécifiques comme les logements étudiants, les foyers de jeunes travailleurs, les résidences sociales ou les pensions de famille. Là aussi, c'est une action de longue haleine, mais extrêmement structurante pour assurer le renouvellement urbain sur le fondement de la mixité sociale.
« À côté de cette action aux effets à long terme, nous devons également mieux tenir compte des attributions et de l'occupation des logements existants. De ce point de vue, je ne peux que constater que les objectifs fixés par la loi sont loin d'être atteints. Seul un quart des territoires a adopté une convention intercommunale d'attribution, pourtant rendue obligatoire par cette loi qui date, je vous le rappelle, de 2017. Il s'agira donc de renforcer les dispositions législatives en question pour accélérer la conclusion de ces conventions et responsabiliser les acteurs sur l'atteinte de ces objectifs qui doivent, permettez-moi ce raccourci, devenir en quelque sorte le pendant de la loi SRU sur l'occupation du parc existant. Mesdames et messieurs, j'ai été long, mais le sujet le mérite. »
Ces propositions ont été fortement critiquées par une partie du champ politique et par de nombreux acteurs du logement social. Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH) qui fédère le mouvement HLM, a pu parler de « stigmatisation ». En pointant un excès de logements sociaux comme la cause des difficultés de certains quartiers, on caricaturerait la réalité. La remarque peut surprendre alors qu'à l'inverse l'objectif de 25 % ne serait pas stigmatisant...
Il est tout à fait exact que dans ces quartiers le logement social est bien plus souvent une solution alors que les populations pauvres habitent largement dans un parc privé dégradé. Les bailleurs réalisent également tout un accompagnement qui fait leur spécificité.
Dans le même temps, chacun convient que dans les territoires pauvres où se trouvent l'habitat social ancien et les loyers les plus faibles, il y a une spirale infernale consistant à y attribuer les logements aux personnes les plus en difficulté là où elles sont déjà les plus nombreuses conduisant à créer des ghettos.
Beaucoup de maires ont témoigné à vos rapporteurs du besoin de mixité, celle-ci débutant bien souvent au niveau du PLUS ! Ils aspirent à faire venir dans leurs quartiers des habitants qui ont un travail, des familles dans lesquelles les deux parents ont un revenu... Ils espèrent également pouvoir développer des programmes d'accession sociale à la propriété.
A contrario , lorsqu'un maire inscrit un « secteur de mixité sociale » dans son PLU, il a aujourd'hui l'interdiction d'y construire 100 % de logements sociaux car il n'y aurait plus de mixité. C'est ce qu'a jugé la Cour administrative d'appel de Marseille en 2014 (arrêt du 27 mai 2014, Préfet des Pyrénées-Orientales c/Cne Pia).
L'idée d'un quota maximum de logements sociaux est d'ailleurs largement soutenue par les maires qui se sont exprimés dans la consultation organisée par le Sénat. Près de 60 % approuvent l'idée d'un « article 55 à l'envers ».
Faut-il créer un « article 55 à l'envers » pour les communes qui comptent plus de 50 % de logements sociaux en créant un taux maximum de logements sociaux, par exemple 40 % maximum ?
Il ne s'agirait pas de ne plus faire de logement social du tout, ce qui n'aurait pas de sens, mais a minima d'arrêter de construire des PLAI là où il y a déjà plus de 40 % de logements sociaux.
Vos rapporteurs souhaitent que ce principe puisse être inscrit dans la loi « 4 D ».
David Bustin, maire de Vieux-Condé, Nord, 38 % de LLS : « Il faudrait pouvoir augmenter le barème d'intégration au logement social, afin d'ouvrir ces logements à des familles avec plus de revenus dans une optique de mixité sociale. Et pour les secteurs ou le taux de logement social est important (+/- 40 %) mettre en place de réelles aides sur ces quartiers pour permettre des programmes de diversification (acquisition, primo-accédant...). »
2. Introduire une pondération des logements sociaux
Les travaux de recherche sur la loi SRU ont montré que les maires pouvaient avoir tendance à contourner l'esprit de la loi en favorisant les logements-structures et les petits logements qui diminuent l'impact en termes de mixité sociale sur la population de la commune. Il convient également de remarquer qu'accueillir des étudiants, des personnes âgées ou de jeunes actifs célibataires coûte moins cher puisqu'ils n'ont pas besoin d'école ou d'équipements... Enfin, aujourd'hui, ce type de logement est décompté de la même manière dans le cadre de la loi SRU que de grands logements familiaux. Le T2 vaut la même chose que le T5 pourtant son impact n'est pas du tout le même.
En termes qualitatifs, depuis 2017, la loi a introduit un minimum de 30 % de PLAI et un maximum de 20 ou 30 % de PLS. Mais d'une part, il s'agit d'une obligation et non d'une incitation, et, d'autre part, les deux types de logement restent décomptés de la même manière alors que les coûts ne sont pas du tout les mêmes pour les communes. Construire des PLAI implique des subventions plus importantes et de mettre en place un accompagnement social renforcé au sein du Centre communal d'action sociale (CCAS).
Vos rapporteurs auraient souhaité pouvoir pondérer les logements sociaux selon ces deux critères, la taille et leur caractère plus ou moins social, mais cela s'avère complexe .
En effet, comment tenir compte de la taille sans connaître celle de l'ensemble des résidences principales d'une commune ? C'est sans doute complexifier encore plus le décompte.
En revanche, il est possible d'affecter un coefficient de pondération aux logements sociaux en favorisant ceux qui accueillent les populations les moins favorisées. Jusqu'à présent, cette proposition a suscité la critique de ceux qui y voient un moyen d'exonérer les communes déficitaires en abaissant l'objectif et donc en construisant moins de logements sociaux.
Pourtant vos rapporteurs sont convaincus que cela inciterait un grand nombre de maires à mieux prendre en compte les PLAI au lieu des PLS. Cela rendrait également justice à l'effort financier et social réalisé . Compte tenu également de l'impossibilité objective de nombre de communes d'atteindre le taux de 20 ou 25 % tel qu'il est aujourd'hui défini, il serait pragmatique de focaliser l'effort sur les logements les plus sociaux. Enfin, il est évident que si l'on souhaite utiliser le logement social comme outil de mixité, on a intérêt à se concentrer sur celui qui s'adresse aux populations les plus fragiles.
Vos rapporteurs souhaitent donc que, dans le décompte SRU, les PLAI puissent être surpondéré et valoir 1,5 ou 2 logements sociaux habituels.
Fabrice Cuchot, maire de Haute-Goulaine, Loire-Atlantique, 10 % de LLS : « Imposer des objectifs sur la tendance/flux de construction et non le stock/taux ; donner les moyens aux communes pour la mise en place de l'accompagnement social qui résulte des constructions de LLS. L'incitation à produire un nombre de logements pousse à construire de petits logements sans se soucier des besoins des familles et des évolutions de tendance (cf COVID, télétravail, éclatement familial). »
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Francis Vercamer, Hem, Nord, 34 % de LLS : « Pondérer les politiques de construction en fonction de la situation sociale de la ville ; tenir compte de la pauvreté des populations (en logement privé) ; prendre en compte la situation initiale dans les politiques de construction (stocks) ; prendre en compte les contraintes environnementales (champs captants, ...) dans la faisabilité ; mettre un critère sur la taille des logements à construire. »
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Gérard Spinelli, maire de Beausoleil, Alpes-Maritimes, 11 % de LLS : « Il conviendrait d'intégrer dans la définition des logements éligibles les logements destinés aux actifs des bassins d'emploi dont à la fois le niveau de revenu, mais également le niveau de vie sont plus importants. Cette mise en oeuvre nécessiterait des dérogations à certains dispositifs légaux relatifs au logement social, comme le bassin d'emploi franco-monégasque. Ces dérogations porteraient sur : le montant des plafonds des ressources locatives des occupants, des loyers applicables pour atteindre des niveaux identiques à ceux de la ville de Paris et de ses communes limitrophes (zone A bis ), les conditions d'attribution des logements, dans un cadre expérimental limité, le contingent préfectoral ne serait pas applicable, les règles liées au maintien dans les lieux des locataires : insertion d'une clause résolutoire en cas de cessation de l'emploi dans le bassin concerné. »
3. Prendre en compte la situation des territoires pauvres... et des territoires riches
Les travaux de vos rapporteurs ont fait ressortir deux problèmes qui méritent un traitement différencié selon que l'on se trouve dans un territoire plutôt riche ou au contraire dans un territoire pauvre : le surloyer et la durée des baux dans le parc social.
a) Revenir sur le surloyer dans les territoires pauvres
Un supplément de loyer de solidarité (SLS) appelé surloyer peut être réclamé au locataire dès lors que ses revenus excèdent de 20 % les plafonds de ressources exigés pour l'attribution d'un logement social. Le surloyer a été introduit dans les logements sociaux pour tenir compte du fait que certains locataires avaient vu leur situation s'améliorer par rapport au moment de l'attribution du logement et qu'il n'était pas juste qu'ils bénéficient d'un loyer anormalement bas au regard de leur situation sociale.
Ce mécanisme vertueux qui devait éviter les rentes de situation et favoriser la rotation des logements et les parcours résidentiels se révèle insuffisant dans les territoires les plus favorisés et les plus tendus et délétère dans les quartiers pauvres. Il a fait fuir les ménages les moins en difficulté, que les bailleurs voudraient retenir pour créer de la mixité et incarner des exemples d'ascension sociale de proximité.
Vos rapporteurs ont recueilli de nombreux témoignages en ce sens de Ian Brossat, communiste, adjoint au maire au logement de la Mairie de Paris, à Bruno Arcadipane, membre du bureau du conseil exécutif du Medef et Président d'Action Logement Groupe.
Tous constatent que beaucoup de catégories sociales et professionnelles ont désormais quitté les cages d'escalier des logements sociaux des quartiers pauvres. Les surcoûts de loyer les découragent de rester.
L'article L 441-3 du code de la construction et de l'habitation prévoit déjà que le surloyer n'est pas applicable dans les zones de revitalisation rurale ainsi que dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Mais il conviendrait de réfléchir à en exempter d'autres zones en dehors des QPV .
b) Revoir la durée des baux dans le parc social
Plusieurs maires de territoires riches et tendus ont demandé à vos rapporteurs de pouvoir réduire la durée des baux des logements sociaux. Ils remarquent que malgré le surloyer, l'avantage de disposer d'un logement social par rapport au parc locatif privé, beaucoup plus cher, conduit à un blocage du parc et à des taux de rotation inférieurs à 5 %, moitié moins que la moyenne nationale. Dans ces communes, il n'y a parfois pas de marche entre le social et le privé qu'il s'agisse du logement intermédiaire ou de l'accession sociale. Cette situation bloque le parcours résidentiel et allonge l'attente d'un logement social.
Ils voudraient donc pouvoir revoir plus souvent la pertinence de l'attribution des appartements aux locataires en termes de niveau de revenu ou de taille et de fonctionnalité .
Charlotte Libert-Albanel, maire de Vincennes, Val-de-Marne, 11 % de LLS : « Il faut déjà revoir l'attribution "à vie" des logements sociaux en réévaluant tous les cinq ans la situation du demandeur, et pouvoir obliger les personnes qui occupent seules de grands logements à accepter un logement plus petit et moins cher pour elles... »
4. Déduire du prélèvement SRU les mesures en faveur de la mixité sociale
Enfin, pour renforcer le volet mixité sociale de la loi SRU, il est nécessaire de mener des politiques complémentaires d'accompagnement des nouvelles populations qui viennent habiter dans une commune.
Dans son rapport sur les quartiers pauvres, l'Institut Montaigne plaide pour « une ANRU des habitants » au côté de l'ANRU des bâtiments qui reste indispensable, en résumé marcher sur deux jambes : l'humain et l'urbain. Des chercheurs ont mis en évidence la quasi-absence de politiques de déségrégation géographique en France à la différence des États-Unis.
Les domaines de l'éducation, du sport et de la santé pourraient être éligibles : les cités éducatives, le soutien scolaire, le sport pour tous, notamment les jeunes filles, les actions de prévention ou d'information là aussi en direction des femmes.
Cela donnerait aux maires des moyens complémentaires et leur redonnerait la maîtrise de leur budget. Le prélèvement continuerait de peser non plus comme un moyen contraint de financer un autre échelon territorial ou une politique nationale, mais comme un fléchage obligatoire des dépenses au profit de la mixité.
Johann Mittelhauser, maire d'Angerville, Essonne, 11 % de LLS : « Ma commune dispose déjà du deuxième plus bas revenu médian de toute l'agglomération. Il est grand temps d'arrêter d'avoir une vision jacobine d'un sujet qui mérite au contraire une prise en compte des particularismes et contextes locaux. La prise en compte des indicateurs sociaux et de mixité doit être un préalable indispensable avant même de fixer un objectif aveugle en pourcentage au risque d'aggraver les déséquilibres et de nuire profondément à l'acceptabilité des projets et de la cohésion sociale des communes ».
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Régis Cauche, maire de Croix, Nord, 22 % de LLS : « Autoriser la construction d'une fraction de logements sociaux en zone de Politique de la ville ou NPRU dans le cadre de la résorption des friches urbaines ; prendre en compte la disparité de l'ensemble d'un territoire métropolitain selon les paramètres suivants : densité de l'habitat, disponibilité du foncier en pourcentage des friches urbaines réhabilitées ou en cours de réhabilitation ; tenir compte de la présence de propriétaires occupants éligibles aux minima sociaux dans le calcul des quotas à atteindre. »