B. LA FORMULATION D'AMBITIONS ET D'EXIGENCES EN PHASE AVEC L'ACTUALITÉ
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ne se borne pas à porter une appréciation sur certaines situations particulières, d'États ou de catégories de personnes. Elle porte aussi politiquement des ambitions plus transversales, dans une logique d'intérêt général européen. Plusieurs échanges menés lors de ses travaux en plénière, au mois d'avril, se sont inscrits dans cette logique.
1. Une interrogation sur les certificats ou passeports de vaccination contre le SARS-Cov-2 : comment concilier les implications légales de ces dispositifs avec la protection des droits fondamentaux ?
En ouverture de la séance du mardi 20 avril au matin, sur proposition du groupe ADLE, l'Assemblée parlementaire a tenu un débat d'actualité sur les certificats de vaccination contre le SARS-Cov-2, en s'interrogeant sur la meilleure manière de protéger la santé en respectant les droits humains.
En introduction de la discussion, M. Damien Cottier (Suisse - ADLE), premier orateur au nom du groupe ADLE, a relevé que la sortie de la crise née de la pandémie en cours passait par la vaccination, qui se réalise de manière échelonnée dans les pays et à un rythme variable d'une région à l'autre. Il a noté que le projet de certificats ou de « pass » permettant de certifier son statut vaccinal faisait son chemin, de nombreux États planifiant son utilisation.
Cette perspective offre des opportunités car le fait de lever les restrictions aux droits fondamentaux lorsqu'elles ne sont plus justifiées par des considérations de santé publique pour certains segments de la population est, en soi, une finalité importante et réjouissante. Elle pose toutefois aussi de nombreuses questions, éthiques et juridiques : en effet, la possibilité de se faire vacciner ne repose pas encore sur un choix individuel, en de nombreux endroits, mais sur la possibilité d'accéder aux vaccins qui sont réservés, pour des raisons de santé publique, en priorité à certaines catégories de populations ; il y a donc un risque de discrimination et de société à deux vitesses si l'on n'y prend pas garde.
Il faut donc s'assurer que les critères de choix sont objectifs et veiller aux risques de stigmatisation des groupes non vaccinés. L'accès aux prestations et services de l'État doit être garanti ; celui aux prestations de prestataires privés est plus complexe, puisque les acteurs économiques privés jouissent en principe d'une liberté économique et contractuelle assez large, mais tout aussi essentiel lorsqu'il concerne les biens ou services de première nécessité.
M. Damien Cottier a fait valoir que des questions importantes se posent aussi en lien avec la protection des données et avec la sécurité des certificats et des circuits de distribution des vaccins. Il a aussi pointé la nécessité de traiter de manière similaire les différents moyens qui conduisent à une immunité ou à une absence de risque de transmission (vaccination, guérison et test de non contamination), ainsi que la préoccupation de ne pas instaurer des barrières technologiques à travers la systématisation du recours au smartphone pour ces certificats.
En conclusion, il a estimé que, dans ce contexte, les États membres devront plus que jamais s'inspirer des conventions et principes du Conseil de l'Europe comme boussole. De même, les Parlements nationaux et l'APCE auront aussi un rôle à jouer, en veillant à la manière dont les États traiteront ces questions et trouveront les bons équilibres.
Au cours de la discussion, M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a observé que, pour limiter la propagation du coronavirus responsable de la pandémie de covid-19, des restrictions à la libre circulation ont déjà été mises en place entre États membres au sein de l'Union européenne, telle la présentation par les voyageurs de divers types d'attestations comme des certificats médicaux ou des résultats négatifs de tests. Certains proposent de généraliser ce système pour permettre l'accès aux restaurants, aux équipements sportifs ou aux musées, par exemple, à l'instar d'Israël, alors que pour continuer à lutter contre le virus dans les mois à venir, des restrictions pourraient malheureusement apparaître encore nécessaires.
À cet égard, M. Claude Kern s'est demandé s'il fallait imposer la vaccination ou le rétablissement à la suite d'une infection par le virus comme condition pour lever les restrictions, ce qui reviendrait dans les faits à rendre la vaccination obligatoire. Or, imposer la vaccination heurte les droits et libertés de l'individu, notamment le droit à l'intégrité physique, qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme, ainsi que l'exigence d'un consentement libre et éclairé prévu par l'article 5 de la convention d'Oviedo. De même, quand elle est amenée à se prononcer sur une obligation vaccinale, la Cour européenne des droits de l'Homme elle-même apprécie la situation in concreto , en tenant compte de la gravité de la maladie, des effets secondaires des vaccins et des conséquences de la non-vaccination pour le plaignant. Dès lors, il apparaît impossible de contraindre légalement des citoyens à se faire vacciner en restreignant leur liberté de circulation s'ils ne le font pas.
M. Claude Kern a ajouté que l'influence de la vaccination sur la contagiosité était actuellement mal connue. Il en a déduit que, dès lors que cette incertitude scientifique demeure et pour garantir le respect des libertés individuelles de chacun, aucun passeport ou certificat ne devrait être délivré sur la base de la seule vaccination. En conclusion, il a exprimé son accord avec le choix de la Commission européenne en faveur d'un certificat vert numérique permettant de justifier soit de la vaccination, soit du rétablissement de la maladie, soit d'un résultat négatif à un test. Il lui a semblé qu'un tel certificat offrait des perspectives qui pourraient intéresser l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe.
2. La vision de l'Assemblée parlementaire sur les priorités stratégiques du Conseil de l'Europe pour les quatre années à venir
Lors de cette même première séance du 20 avril, l'APCE approuvé, sur le rapport de M. Tiny Kox (Pays-Bas - GUE), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution et une recommandation sur la vision de l'Assemblée parlementaire concernant les priorités stratégiques du Conseil de l'Europe.
En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a souligné que le Comité des Ministres devait examiner le cadre stratégique du Conseil de l'Europe lors de sa réunion en mai 2021, justifiant ainsi que l'APCE apporte au préalable sa propre contribution à ce processus très important.
Il a jugé évident que toutes les options stratégiques doivent contribuer à la réalisation de l'objectif statutaire du Conseil de l'Europe, tel qu'il est inscrit à l'article 1 er de son acte fondateur de 1949, à savoir parvenir à une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social. La priorité générale de l'Organisation devrait donc être, en ces temps difficiles et parfois dangereux, de rester le pilier de la sécurité démocratique et du véritable multilatéralisme en Europe et de préserver son identité en tant que forum indépendant de dialogue politique et de coopération.
Dans le même ordre d'idées, le système conventionnel du Conseil de l'Europe, dont la convention européenne des droits de l'Homme et la Charte sociale européenne constituent le coeur, doit être renforcé et soutenu par de nouveaux instruments destinés à répondre aux nouveaux défis. À cet égard, l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme ne pourrait que renforcer cet édifice et elle doit donc rester une priorité.
Le rapporteur a fait valoir que, dans le contexte de la pandémie actuelle, le Conseil de l'Europe doit plus que jamais mettre l'accent sur la protection des droits sociaux et économiques, promouvoir une véritable égalité et le respect de la dignité humaine, lutter contre toute discrimination, quel qu'en soit le motif. Des conventions novatrices telles que la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique sont déjà devenues une référence mondiale, de sorte que l'élargissement de leur mise en oeuvre doit être assurée.
M. Tiny Kox a ensuite considéré de la plus haute importance de travailler à l'élaboration de nouveaux instruments juridiques visant à garantir le droit à un environnement sûr, sain et durable pour les générations actuelles et futures. L'importance primordiale des objectifs de développement durable des Nations Unies exige l'amélioration de la coopération avec l'ONU.
En matière de nouvelles technologies, le Conseil de l'Europe devrait veiller à fixer des orientations et à contribuer à l'élaboration de cadres réglementaires mondiaux pour l'intelligence artificielle. Le renforcement du rôle des organisations de la société civile et des institutions nationales des droits de l'Homme apparaît tout aussi primordial, en mettant l'accent sur les jeunes et les enfants.
Naturellement, le Conseil de l'Europe doit poursuivre son travail de recherche de réponses communes aux défis sociétaux, aux problèmes qui mettent en cause l'État de droit tels la corruption, le blanchiment d'argent, le terrorisme et l'extrémisme violent, par la mise en oeuvre d'instruments et de mécanismes juridiques pertinents, voire l'édiction de nouveaux le cas échéant. Dans ce cadre, le suivi des obligations et des engagements des États membres constitue un moyen très important pour que ceux-ci se conforment à leurs devoirs. En la matière, une coordination plus structurée est nécessaire, tant au sein du Conseil de l'Europe qu'avec d'autres organisations internationales.
En conclusion, le rapporteur a insisté sur le rôle des Parlements nationaux, ainsi que sur le dialogue et les synergies entre l'Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres, notant sur ce dernier point que la nouvelle procédure conjointe permettant une réaction commune en cas de violation flagrante par un État membre de ses obligations statutaires constituait une avancée reconnue.
S'exprimant au nom du groupe PPE/DC, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) a jugé ce débat d'une grande importance puisqu'il constitue la contribution de l'APCE à la prochaine session ministérielle du Comité des Ministres prévue en mai 2021, au cours de laquelle les ministres devraient examiner le cadre stratégique du Conseil de l'Europe, fondé sur les propositions de la Secrétaire générale.
En tant qu'organe statutaire rassemblant les représentants de tous les Parlements nationaux des États membres et reflétant toutes les opinions politiques, y compris les oppositions, l'Assemblée parlementaire se doit de participer à cette réflexion. Les priorités stratégiques devront prioritairement contribuer à défendre le socle des valeurs historiques de la convention européenne des droits de l'Homme. Tous les États membres s'étant engagés à respecter cette convention, il incombe à l'Organisation de continuer à s'assurer de sa mise en oeuvre au sein de chaque pays, en restant le garant des quatre piliers que sont les droits humains, l'État de droit, l'indépendance de la justice et la sécurité démocratique.
De fait, l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme doit rester une priorité stratégique du Conseil de l'Europe. De même, les procédures de suivi sont nécessaires mais elles entraînent parfois une impression de sanction ou un sentiment de lassitude. Une meilleure coordination de ces procédures serait une évolution souhaitable mais elle doit s'accompagner d'un cadre plus structuré et plus transparent pour écarter toute demande de procédure reposant sur des motivations purement politiques.
Rappelant qu'au cours de ses 70 ans d'existence, le Conseil de l'Europe s'était doté d'un système conventionnel unique et juridiquement contraignant, reposant sur plus de 220 conventions, Mme Marie-Christine Dalloz a observé que certains de ces textes ont acquis un statut de référence mondiale et insisté sur leur mise en oeuvre effective. Elle a constaté, à cet égard, que le retrait annoncé de la Turquie de la convention d'Istanbul illustrait que rien n'était jamais acquis.
En conclusion, elle a salué la nouvelle procédure conjointe et attiré l'attention sur les risques de fragilisation de l'écosystème par un accent trop prononcé sur la protection des droits économiques et sociaux. Elle s'est également félicitée du rôle du Conseil de l'Europe dans l'élaboration d'un cadre réglementaire mondial pour l'intelligence artificielle, absolument nécessaire pour prévenir toute dérive.
Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a qualifié elle aussi d'important ce débat, suscitant trois observations de sa part.
La première est que le Conseil de l'Europe, cet espace de discussion porté par l'idée d'une synthèse raisonnable en faveur des libertés mais aussi d'élaboration du droit démocratique et des personnes dans un espace géographique donné, vise à inspirer plus largement les États et les autres organisations internationales du monde. Cette ambition suppose la mise en exergue des atouts de l'Organisation, à savoir son corpus juridique dans lequel les États et gouvernements acceptent de voir leurs pouvoirs limités et les droits des personnes garantis par l'idée de justice.
La deuxième observation porte sur le contexte. La pandémie de coronavirus a changé la vie des citoyens et modifié le fonctionnement des institutions démocratiques. Partout, les libertés d'aller et venir, de se réunir, le droit d'accéder à l'école ou de travailler, ont été remis en question au nom de la protection commune. Néanmoins, bien des restrictions demeurent après le temps de crise, ce qui implique une bonne expertise des décisions prises pendant la crise. À ce titre, le Conseil de l'Europe aura un rôle à jouer, en évaluant l'impact de la crise sur les piliers du système démocratique, y compris le fonctionnement des Parlements, et sur les droits sociaux.
La troisième observation concerne les libertés sociales. Partout, la question de l'égalité réelle est désormais concurrencée par celle des identités. De ce point de vue, le Conseil de l'Europe doit donner la priorité aux droits des migrants confrontés à la guerre, à la persécution, aux inégalités économiques et climatiques et renouveler ses idées et propositions pour que la lutte contre les inégalités soit le socle des libertés et des droits.
M. Alain Milon (Vaucluse - Les Républicains), premier vice-président de la délégation française , se référant à l'article 3 du Statut de 1949, a relevé que tout le monde, au Conseil de l'Europe, reconnaît le principe de la prééminence du droit et celui en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Il a estimé que cet idéal oblige et se montre exigeant ; il vient parfois contrarier certaines décisions nationales et sert la démocratie et les citoyens. À cet égard, la convention européenne des droits de l'Homme est un texte de rassemblement et non un facteur de division. Les quelques 220 conventions développées sous l'égide du Conseil de l'Europe concourent à sauvegarder et à promouvoir les idéaux et les principes communs ; elles favorisent le progrès économique et social des États parties, comme l'affirme l'article 1 er du Statut.
Déclarant souscrire à l'appel aux États membres ne l'ayant déjà fait à signer ou ratifier la Charte sociale européenne révisée, ainsi que son protocole additionnel prévoyant un système de réclamation collective, M. Alain Milon a jugé important que le Conseil de l'Europe mette l'accent sur la protection des droits économiques et sociaux, comme le demandait le Comité des Ministres à Helsinki.
Affichant son soutien aux nombreuses conventions qui contribuent à promouvoir une véritable égalité et le respect de la dignité humaine ainsi qu'à combattre les discriminations, il a exprimé son regret que la Turquie ait annoncé son retrait de la convention d'Istanbul, après avoir été le premier pays à la ratifier. L'égalité, l'inclusion et le respect de la dignité humaine lui ont paru devoir impérativement rester des priorités du Conseil de l'Europe.
Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, s'est félicitée que l'Assemblée parlementaire puisse débattre et se prononcer, elle aussi, sur sa vision des priorités du Conseil de l'Europe. Elle a jugé ce débat d'autant plus crucial que les valeurs de l'Organisation subissent, ces temps-ci, de véritables coups de boutoir illustrant que les progrès en faveur des droits humains ne sont jamais des acquis définitifs. Elle s'est référée en cela à la décision de certains États membres de revenir sur leurs engagements pris dans certaines conventions emblématiques, telles la convention européenne des droits de l'Homme ou la convention d'Istanbul.
La triste réalité est que le Conseil de l'Europe doit d'abord, avant même de réfléchir à de nouveaux champs d'action, s'attacher à préserver la mise en oeuvre des quelques 220 conventions juridiquement contraignantes qui ont été adoptées sous son égide pour le plus grand bénéfice des 800 millions de personnes vivant sur le continent. La résolution en débat souligne à juste titre que le « coeur du métier » de l'Organisation reste d'actualité. Pour autant, le Conseil de l'Europe doit aussi s'adapter et se projeter dans l'avenir.
De ce point de vue, le respect des droits humains, et notamment la protection des femmes et des enfants, la promotion des droits économiques et sociaux, la lutte contre toutes les discriminations, la prise en compte des nouveaux défis technologiques et l'affirmation du droit des nouvelles générations à vivre dans un environnement sûr, sain et durable sont autant de défis pour l'Organisation. Mais pour rester incontournable et audible, notamment face à des organisations internationales qui se préoccupent elles aussi des droits humains et de l'État de droit, le Conseil de l'Europe doit évoluer pour se montrer plus efficient et cohérent. À cet égard, une coordination plus structurée des différentes instances de suivi semble fondamentale, tout comme le développement des coopérations avec d'autres organisations internationales comme l'Union européenne.
Mme Nicole Trisse s'est néanmoins voulue optimiste car le Conseil de l'Europe, qui n'a pas été épargné par les crises ces dernières années, a su s'adapter et se moderniser sans pour autant perdre son âme. De nouvelles procédures, telles celles pour l'enclenchement des sanctions conjointes à l'encontre d'États manquant à leurs obligations ou encore le « trialogue », ont vu le jour en quelques mois à peine. Elle a ainsi considéré que ces changements démontrent que, loin d'être vénérable, du haut de ses soixante-dix ans d'existence, le Conseil de l'Europe reste une organisation qui se veut agile et qui a toute sa place dans le monde d'aujourd'hui et de demain.
M. André Vallini (Isère - Socialiste, Écologiste et Républicain) a relevé que le rapport de M. Tiny Kox soulignait les nombreux enjeux auxquels le Conseil de l'Europe est aujourd'hui confronté, ainsi que la nécessité pour l'APCE de rester garante des droits humains et de l'État de droit, tout en favorisant le multilatéralisme effectif en Europe. Il a considéré un tel programme très ambitieux dans un contexte de repli sur soi et de tensions exacerbées entre les États.
Se félicitant du fait qu'en 70 ans, le Conseil de l'Europe soit devenu l'organisation rassemblant tous les États européens, à l'exception de la Biélorussie et du Saint-Siège, autour de valeurs essentielles affirmées par la convention européenne des droits de l'Homme, il s'est réjoui de la conclusion de quelques 220 conventions aussi majeures que la Charte sociale européenne ou les conventions d'Istanbul et de Budapest.
Il a estimé que le Conseil de l'Europe devra s'attaquer aux défis croissants et aux menaces nouvelles qui pèsent sur les libertés d'expression et de réunion, en promouvant une vision contemporaine, actualisée et globale des droits humains. Cependant, le principal enjeu aujourd'hui est la mise en oeuvre des textes fondamentaux et l'exécution fondamentale des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il est essentiel de le rappeler avec force à l'attention de tous les États membres, notamment la Russie et la Turquie.
De ce point de vue, il est primordial que l'Organisation, dans toutes ses composantes, s'approprie et mette le cas échéant en oeuvre la nouvelle procédure complémentaire conjointe, qui permet aux organes statutaires d'agir de concert en cas de violation flagrante, par un État membre, de ses obligations. Dans ces temps troublés, le Conseil de l'Europe ne peut pas, ne doit pas se contenter de déclarations. Il doit agir et s'affirmer comme une Organisation crédible et efficace.
M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste), tout en rejoignant les constats du rapporteur sur les défis croissants posés à la liberté d'expression et à la liberté de réunion, ainsi que sur l'émergence de menaces nouvelles appelant à une adaptation du cadre juridique, a estimé que le Conseil de l'Europe, fort de son activité et reconnu en matière de négociation de conventions internationales, est assurément bien placé pour permettre de répondre à ces nouveaux enjeux.
Il a toutefois souhaité insister également sur l'enjeu de la cohésion de l'Organisation, avec pour corollaire, la question de l'appropriation des valeurs qui forgent son identité. La déclaration d'Athènes, adoptée en novembre 2020 par la présidence du Comité des Ministres, a réaffirmé l'engagement pour l'unité en Europe et pour une plus grande solidarité entre les Nations, ainsi que l'attachement aux principes de l'État de droit et de la pleine jouissance des droits humains et libertés fondamentales. Ce texte n'a malheureusement pas été soutenu par tous les États, ce qui traduit une fragmentation et des tensions.
M. Claude Kern a soutenu que la convention européenne des droits de l'Homme et les autres conventions du Conseil de l'Europe ne sont pas des instruments utilisés contre tel ou tel État. Ce sont des références exigeantes qui ne sauraient être prises en otage et l'Assemblée parlementaire, notamment à travers sa commission de suivi et sa nouvelle procédure de sanction conjointe avec le Comité des Ministres, a un rôle essentiel à jouer en la matière.
Le Conseil de l'Europe est et doit rester le pilier de la sécurité démocratique, le garant des droits humains et de l'État de droit, ainsi que la plate-forme favorisant un multilatéralisme effectif en Europe. Mais il faut pour cela renforcer encore la crédibilité de l'Organisation et promouvoir davantage la protection et la promotion de l'État de droit, des droits humains et de la démocratie.
N'ayant pas pu prendre la parole dans le temps fixé par le service de la séance bien qu'il ait été présent dans l'hémicycle, M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants) a pu faire publier son intervention au compte-rendu, dans les conditions fixées par le Règlement de l'APCE.
Il y montre son accord avec le rapporteur sur le fait que les droits humains doivent rester au coeur du cadre stratégique du Conseil de l'Europe. Cette raison d'être de l'Organisation implique la bonne mise en oeuvre de la convention européenne des droits de l'Homme dans tous les États membres, et donc une exécution convenable des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Cette raison d'être, les membres de l'APCE la cultivent-ils suffisamment ? L'Assemblée parlementaire n'est pas seule assemblée interparlementaire et à force d'y élargir les thèmes de débats, elle se rapproche parfois de sujets relevant des responsabilités d'autres organisations, comme l'assemblée parlementaire de l'OTAN ou celle de l'OSCE dont il est également membre, notamment en matière géostratégique et militaire. De ce point de vue, une réflexion sur l'articulation entre les travaux des différentes organisations s'avérerait utile, ce qui permettrait d'affirmer davantage les spécificités du Conseil de l'Europe.
Il en va de même pour les 220 conventions internationales négociées sous l'égide du Conseil de l'Europe. Elles forment un corpus juridique essentiel, même si l'ensemble des États membres ne les ont pas toutes signées ni ratifiées. Mais d'autres conventions existent et il semble possible de davantage mettre en valeur les conventions du Conseil de l'Europe et de travailler à améliorer leur mise en oeuvre.
Des nouvelles menaces pesant sur les droits humains imposent de s'y adapter. À cet égard, si elle présente de nombreuses opportunités positives, l'intelligence artificielle peut aussi faire courir des risques. La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme y travaille mais, à partir des réflexions qu'il mène sur les développements de l'informatique quantique, M. André Gattolin a estimé qu'il serait possible d'approfondir davantage le sujet de ses risques potentiels pour les États et le cadre démocratique.
Enfin, il apparaît souhaitable de formuler une nuance au sujet les droits environnementaux et sociaux. Certes, on peut les affirmer et améliorer les cadres juridiques mais ces droits supposent, pour leur mise en oeuvre, de véritables politiques publiques impliquant des moyens souvent importants. Ce fait doit être bien compris, sans quoi les principes adoptés en la matière auront peu de traductions concrètes.
3. Un appui apporté à la lutte contre l'injustice fiscale et au travail de l'OCDE sur l'imposition de l'économie numérique
Au cours de la même journée du 20 avril, en fin d'après-midi, l'Assemblée parlementaire a débattu de la lutte contre l'injustice fiscale et du travail de l'OCDE concernant l'imposition de l'économie numérique, avec la participation du Secrétaire général de l'Organisation, M. Ángel Gurría. Sur le rapport de M. Georgios Katrougkalos (Grèce - GUE), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution a été adoptée à l'issue des échanges sur ce thème.
En ouverture de la discussion, après avoir salué l'action du Secrétaire général de l'OCDE dont le mandat est en voie d'achèvement, le rapporteur a constaté que près de 40 % des bénéfices des multinationales sont détournés vers les paradis fiscaux, les pays européens étant parmi les plus grands perdants. Ainsi, les pays perdent globalement plus de 427 milliards de dollars chaque année à cause des abus fiscaux des entreprises. La numérisation de l'économie et la montée en puissance des géants de la technologie, les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), ont exacerbé cette situation par le biais d'une planification fiscale agressive, de l'évasion fiscale et de pratiques artificielles de transfert de bénéfices. Les bénéfices des multinationales du numérique ont atteint des records historiques. Par exemple, les ventes d'Apple ont bondi de plus de 1 200 % au cours de la dernière décennie. Désormais, la valeur nette des GAFA est supérieure à la valeur cumulée de toutes les entreprises présentes sur les places boursières européennes, y compris celles de l'Union européenne, de la City et de Zurich.
M. Georgios Katrougkalos a estimé que la justice fiscale est particulièrement importante en période de crise comme celle de la pandémie, tant en ce qui concerne la nécessité de renforcer la résilience des finances publiques que pour la protection des plus vulnérables. Un récent rapport d'Oxfam qualifie le SARS-CoV-2 de « virus de l'inégalité ». Les bénéfices des GAFA sont donc devenus encore plus importants alors que les recettes fiscales ont chuté dans l'ensemble des pays de l'OCDE pour la première fois en une décennie.
En raison des mesures extraordinaires nécessaires pour faire face aux défis économiques et sociaux de la pandémie, les États accumulent désormais des dettes colossales : leur augmentation moyenne est estimée à environ 20 % du produit intérieur brut dans les économies avancées.
Pour faire face à cette situation, les propositions de l'OCDE reposent sur une approche holistique, autour de deux piliers. Le premier aborde les questions plus générales de la fiscalité de l'économie numérique et se concentre sur la manière dont les bénéfices sont répartis entre les États. Selon les nouvelles règles proposées, les entreprises numériques multinationales seraient imposées en fonction de l'endroit où elles fournissent leurs services, et pas seulement en fonction du pays dans lequel elles sont légalement établies. Le deuxième pilier est axé sur la création d'un impôt minimum mondial, réduisant ainsi les incitations à déplacer les bénéfices vers des États à faible imposition.
Les travaux de l'APCE appellent les États à soutenir un accord basé sur le consensus multilatéral. Le 5 avril 2021, la Secrétaire américaine au Trésor, Mme Yellen, s'est déclarée favorable à un impôt minimum mondial sur les sociétés pour empêcher les entreprises d'échapper à l'impôt. Les ministres des Finances du G20 ont suivi de près cette prise de position motivée par la volonté de mettre un coup d'arrêt à un nivellement général vers le bas.
En conclusion, le rapporteur est convenu que de nombreuses questions restent malgré tout pendantes, à commencer par le taux d'imposition retenu sur lequel des divergences existent entre les États-Unis et l'Europe. Il s'est néanmoins déclaré confiant dans l'obtention d'un compromis juste et large.
Intervenant après le rapporteur, le Secrétaire général de l'OCDE, M. Ángel Gurría, après avoir esquissé les perspectives de croissance mondiale sur les prochaines années encore soumises à d'importants aléas liés à la pandémie, a indiqué que la reprise serait l'occasion de rendre la croissance plus verte, à travers notamment une taxe carbone sur les 60 % d'émissions de CO 2 liées à l'énergie dans les économies avancées et émergentes non tarifées et un nouveau Programme international pour l'action sur le climat (IPAC) dirigé par la France. Il a également souhaité que la reprise soit plus inclusive en résolvant les défis fiscaux liés à la numérisation de l'économie, cet enjeu se trouvant à un moment critique puisque les négociations sur le cadre inclusif sur le BEPS ( Base Erosion and Profit Shifting ) pourraient aboutir grâce à l'évolution des États-Unis sur le sujet.
M. Ángel Gurría a indiqué que l'OCDE continuera de s'attaquer à la fraude et à l'évasion fiscales internationales, ses efforts sur la question de la transparence - à travers l'élaboration de la convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale - ayant déjà permis aux États de percevoir 107 milliards d'euros de recettes supplémentaires en impôts, intérêts et pénalités au cours des dix dernières années et aux juridictions nationales d'échanger des informations automatiquement sur 84 millions de comptes financiers, impliquant des actifs totaux d'environ 10 000 milliards d'euros.
En conclusion, le secrétaire général de l'OCDE a considéré que la pandémie de coronavirus a été une source de difficultés mais aussi une occasion unique de construire un avenir meilleur, comme l'esquisse le dernier rapport de l'Organisation, intitulé « Objectif croissance 2021 ». Il a réitéré la disponibilité de l'OCDE à travailler avec l'APCE, pour façonner un monde post-covid-19 plus inclusif, plus équitable et plus vert.
Intervenant au nom du groupe ADLE, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a souligné l'impact délétère de la course au moins-disant fiscal sur la démocratie et sur les finances publiques, citant plus particulièrement l'exemple de la fraude fiscale des sociétés internationales qui représente une perte pour les particuliers de 427 milliards de dollars. Avec la pandémie, l'enjeu s'est renforcé et effectivement complexifié par l'accélération de la numérisation de l'économie. À cet égard, l'action de l'OCDE en ce domaine, comme dans celui du changement climatique d'ailleurs, mérite d'être saluée.
La négociation en cours porte sur cadre fiscal numérique inclusif en deux piliers : d'abord, l'instauration d'un nouveau droit d'imposition sur les sociétés, indépendamment de leur présence physique dans le pays où elles opèrent, et ensuite, un taux plancher d'imposition limitant l'évasion fiscale des sociétés. Comme l'a rappelé récemment M. Bruno Le Maire, le ministre français de l'économie, des finances et de la relance, il semble qu'un accord historique soit à portée de main et le groupe ADLE l'appelle de ses voeux, d'autant que l'administration Biden vient d'annoncer son intention d'établir un taux minimum d'imposition de 21 % pour les entreprises à travers le monde, afin de lutter contre les effets de dumping des pays à faible imposition.
Relevant que l'approche proposée par les États-Unis est un peu différente de celle de l'OCDE, M. Jacques Maire y a néanmoins vu une avancée notable et il s'est interrogé sur les conséquences de ces nouvelles prises de position américaines sur la dynamique développée au sein de l'OCDE. Il a souligné, en conclusion, que le cadre inclusif de l'OCDE, qui regroupe 137 pays, est le meilleur pour aboutir à un seuil mondial d'imposition minimale et éviter les actions décidées pays par pays, qui débouchent sur un dumping social et fiscal désorganisant l'économie mondiale.
M. André Vallini (Isère - Socialiste, Écologiste et Républicain) a relevé que la fiscalité permet aux États de financer des politiques et des services publics essentiels pour l'exercice des droits fondamentaux. Si les États venaient à manquer de ces ressources, on imagine les difficultés qu'ils pourraient avoir à assurer leurs missions régaliennes et les conséquences que cela entraînerait sur la démocratie et l'État de droit. La crise de 2008 et la pandémie actuelle ont contribué à dégrader les finances publiques. Les États doivent donc plus que jamais s'assurer qu'aucune entreprise ne cherche à se soustraire à l'impôt, un impôt qui doit évidemment être juste et équitable.
Aujourd'hui, l'essor du libre-échange et de la libre circulation des capitaux s'accompagne d'un développement inédit du numérique dans l'économie. Cette situation a permis aux plus grandes entreprises de délocaliser non seulement leurs lieux de production mais aussi leurs lieux de vente, qui peuvent parfois être éloignés du consommateur final. De même, la notion d'« établissement stable », sur laquelle se fonde le modèle classique de répartition de la base fiscale internationale, est remise en cause. Ceci est vrai notamment pour les géants du numérique, dont l'imposition ne correspond pas du tout aux bénéfices qu'ils réalisent.
Se félicitant que l'OCDE se soit saisie de la question et distingue, à raison, deux piliers relatifs, d'une part, à la fiscalité de l'économie numérique et à la répartition des recettes imposables entre les pays, et d'autre part, à la lutte contre l'optimisation fiscale avec une réflexion sur l'établissement d'un impôt minimum mondial, M. André Vallini a jugé important que l'APCE apporte son soutien à ces travaux. En effet, une concurrence fiscale entre les États ne sera à terme bénéfique pour personne ; il est donc nécessaire d'adopter des mesures coordonnées pour s'assurer que les géants du numérique n'échappent pas à l'impôt.
Après avoir noté que la nouvelle administration américaine de Joe Biden affirme désormais être prête et déterminée à travailler avec ses partenaires commerciaux pour traiter de cette question et des enjeux plus larges de fiscalité internationale, sans exclure pour autant d'imposer des droits de douane supplémentaires, il a rappelé que la France avait été le premier pays à avoir instauré une taxe sur les services numériques. Il a considéré que cette initiative, qui fera sans doute l'objet d'ajustements en fonction des négociations en cours au sein de l'OCDE et du G20, avait le mérite de marquer une détermination : celle d'adapter la fiscalité aux nouveaux enjeux et d'instaurer plus d'équité.