C. LES AUDITIONS ET ÉCHANGES DE L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE AVEC PLUSIEURS PERSONNALITÉS

L'APCE a pour habitude de recevoir, en séance plénière, les représentants du pouvoir exécutif de l'un ou de plusieurs États membres du Conseil de l'Europe sur les questions touchant aux droits de l'Homme et à la démocratie. Celle d'avril 2021 n'a pas dérogé à cette tradition, qui permet aux membres de l'Assemblée parlementaire de questionner les chefs d'État et de gouvernement en question au cours d'échanges très directs. De même, une part de l'ordre du jour a aussi été consacrée à l'audition des plus hauts représentants de l'organe exécutif du Conseil de l'Europe (à savoir le Président du Comité des Ministres) et des services de l'Organisation (à travers la Secrétaire générale et la Commissaire aux droits de l'Homme).

1. Les échanges de l'Assemblée parlementaire avec trois personnalités politiques européennes

Au cours de la session de printemps, trois responsables politiques européens ont été amenés à s'exprimer devant l'Assemblée parlementaire en séance plénière : Mme Maïa Sandu, Présidente de la République de Moldavie, récemment élue ; Mme Angela Merkel, Chancelière fédérale de l'Allemagne, dont le pays assurait alors la présidence du Comité des Ministres ; enfin, M. David Sassoli, Président du Parlement européen.

a) L'allocution de Mme Maïa Sandu, Présidente de la République de Moldavie

Lundi 19 avril 2021, l'APCE a écouté un discours de Mme Maïa Sandu, Présidente de la République de Moldavie élue le 15 novembre 2020. Après avoir été Première ministre quelques mois en 2019, elle s'est présentée aux suffrages de ses concitoyens lors de l'élection présidentielle de l'automne dernier, où elle a recueilli 57,72 % des voix au deuxième tour, face au Président sortant. Elle est la première femme élue à cette fonction dans son pays.

La Présidente de la République de Moldavie a débuté son propos en insistant sur le rôle du Conseil de l'Europe dans l'établissement et le maintien des valeurs et des normes définissant les nations européennes d'aujourd'hui, dans la consolidation démocratique et la stabilité, ainsi que dans l'existence d'un dialogue sur le continent. Elle a relevé que la Moldavie est une petite nation européenne, qui fêtera ses trente ans d'indépendance en août 2021 et qui possède tous les ingrédients pour réussir depuis les dernières élections qui ont uni les Moldaves de toutes origines autour d'une demande centrale de gouvernement responsable, au service des intérêts nationaux et non d'intérêts personnels.

Mme Maïa Sandu a relevé que la perception de la population moldave en un avenir meilleur repose sur plusieurs éléments clés : une véritable lutte contre la corruption, des lois efficaces, un système judiciaire responsable et indépendant, un climat favorable au développement économique, un environnement de meilleure qualité, des infrastructures développées et de bons systèmes éducatif et de santé. Elle a estimé que ces objectifs coïncidaient avec ses priorités stratégiques.

Au premier rang de ces priorités figure la fin de la corruption généralisée, qui freine la démocratie, érode le secteur public et les entreprises d'État. Selon des évaluations internationales, la Moldavie est confrontée à près d'un milliard de dollars par an de flux financiers illicites dus à la corruption, au blanchiment d'argent et à la contrebande. Une fraction seulement de cet argent suffirait à doubler les salaires des enseignants ou à réparer la plupart des routes du pays.

Cet objectif ne peut être atteint par une seule institution : la Présidence, le Parlement et le gouvernement doivent avoir une vision commune de la lutte contre la corruption. C'est la raison pour laquelle les élections législatives anticipées, qui auront lieu prochainement, donneront l'occasion de poursuivre un programme de réforme sérieux, sur la voie de la démocratie et du rétablissement de la confiance entre le peuple et l'État.

La deuxième priorité stratégique concerne la réforme de la justice. C'est la base pour accroître les investissements dans l'économie et renforcer l'efficacité du secteur public. Un État moins corrompu doublé d'un système judiciaire impartial et indépendant créeront une base solide pour une économie fonctionnelle et la croissance économique, ce qui générera à son tour des recettes budgétaires pour reconstruire les infrastructures du pays et investir dans le capital humain.

La Présidente de la République de Moldavie a estimé que la poursuite de ces priorités pouvait reconnecter les institutions avec le peuple. Elle a jugé primordial le dévouement au service de la population des responsables du secteur public et de l'ensemble des fonctionnaires.

Rappelant que, ces vingt-six dernières années, le Conseil de l'Europe avait joué un rôle crucial en aidant la Moldavie à faire sa transition vers un système plus démocratique, elle a estimé que, par devers les lassitudes face aux réformes répétées, il fallait persévérer. Elle a espéré que cet appui allait se poursuivre, la Moldavie ayant encore besoin d'aide, même si la détermination populaire en faveur du changement est forte. Elle a conclu en insistant sur l'unité nécessaire pour réussir, tant au niveau de la Moldavie que de la « famille des nations » que représente le Conseil de l'Europe.

Lors des échanges qui ont suivi l'allocution de la Présidente de la République de Moldavie avec les membres de l'Assemblée parlementaire, M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a souhaité savoir comment Mme Maïa Sandu entendait réaliser sa promesse de lutte renforcée contre la corruption en l'absence de majorité au Parlement moldave.

Mme Maïa Sandu lui a répondu que la Cour constitutionnelle venait de rendre une décision, quelques jours plus tôt, l'autorisant en sa qualité de Présidente de la République à dissoudre le Parlement national et ouvrant ainsi la voie à des élections législatives rapides. Dans cette perspective, elle s'est montrée confiante dans l'obtention d'une majorité de parlementaires soutenant un programme de lutte contre la corruption, lequel est avant tout le programme de l'ensemble du peuple moldave.

b) Le discours de Mme Angela Merkel, Chancelière fédérale d'Allemagne

Mardi 20 avril 2021, l'Assemblée parlementaire a entendu Mme Angela Merkel, Chancelière fédérale d'Allemagne depuis le 22 novembre 2005, qui a annoncé mettre un terme à son mandat de cheffe du Gouvernement à l'occasion des prochaines élections législatives allemandes à l'automne prochain.

En ouverture de son propos la Chancelière fédérale a souligné qu'il y a 70 ans, la République fédérale d'Allemagne était devenue un membre à part entière du Conseil de l'Europe, voyant dans cette adhésion un pas important vers la possibilité d'assumer à nouveau des responsabilités internationales. Elle a estimé que quelques années seulement après la Seconde guerre mondiale et la violation de la civilisation commise par la Shoah, son pays avait reçu la main tendue de la réconciliation : le Conseil de l'Europe a ainsi été la première organisation intergouvernementale en Europe et la première organisation internationale à accueillir à nouveau l'Allemagne dans la communauté des Nations.

Se référant à la clairvoyance d'hommes d'État comme Winston Churchill, qui envisageaient déjà, au sortir de la guerre, l'avenir à travers une Europe unie, Mme Angela Merkel a considéré que la création du Conseil de l'Europe avait concrétisé cette vision, en apportant l'espoir d'un avenir meilleur, dans la paix, la liberté et la prospérité ; une promesse, toutefois, qui, pour les peuples d'Europe centrale et orientale, n'a pu être réalisée que des décennies plus tard, après la chute du rideau de fer.

Le Conseil de l'Europe s'est toujours engagé à renforcer les droits de l'Homme, la démocratie et l'État de droit. L'adoption de la convention européenne des droits de l'Homme, en 1950, a reflété une nouvelle conception de la personne humaine et du rôle de l'État : les citoyens ne sont pas des objets de leur État mais disposent de droits et de libertés étendus ; chaque État doit respecter et protéger ces droits, c'est pourquoi le Conseil de l'Europe doit tirer la sonnette d'alarme lorsqu'ils sont en danger dans un État membre. Le Conseil de l'Europe a même fait un pas de plus en permettant aux citoyens de poursuivre leur propre État pour le respect de leurs droits et libertés devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Ainsi, de Lisbonne à Vladivostok, cette Cour est devenue la juridiction de dernier recours pour les victimes de violations des droits fondamentaux.

La Chancelière fédérale a jugé qu'avec le recul, il était permis d'affirmer que de nombreux espoirs d'après-guerre s'étaient réalisés. Aujourd'hui, l'Europe est le continent où les normes en matière de droits de l'Homme sont les plus élevées au monde. Le modèle européen d'État providence démocratique et d'économie de marché garantit une qualité de vie qui fait l'envie de nombreux pays ; or c'est précisément grâce à l'existence et au travail du Conseil de l'Europe.

Elle a malgré tout souligné, en se référant à la situation aux frontières extérieures de l'Europe et en Europe orientale, que la paix et la sécurité, la stabilité et la protection sociale ne peuvent être considérées comme acquises. Elle a notamment jugé plus qu'inquiétante la situation en Biélorussie, dans l'Est de l'Ukraine et en Crimée, en Transnistrie, en Ossétie du Sud, en Abkhazie, au Nagorny-Karabakh ou encore en Syrie et en Libye.

Mme Angela Merkel a fait valoir que le sérieux accordé à la situation des droits de l'Homme dans d'autres pays reflète toujours le sérieux accordé à la préservation des valeurs dans nos propres pays. C'est la raison pour laquelle la priorité a été donnée à l'État de droit lors de la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne, en 2020, puis à la présidence allemande du Comité des Ministres, en voie d'achèvement.

L'État de droit est une base indispensable à la confiance des citoyens dans l'État et ses institutions, elle-même essentielle au fonctionnement et donc à la stabilité d'une démocratie. Or, cette confiance est éphémère et elle doit être gagnée jour après jour par les représentants de l'État. D'ailleurs, ce n'est qu'avec une confiance suffisante des citoyens que des crises telles que la pandémie de coronavirus, qui s'apparentent à un test pour les démocraties, peuvent être surmontées. Aussi, les restrictions des libertés individuelles doivent répondre à des conditions strictes et nécessitent une justification particulière : elles doivent être temporaires, nécessaires, appropriées et proportionnées.

La coopération internationale, si elle doit servir le bien de tous les intéressés, ne peut, elle aussi, fonctionner que sur la base d'un ordre fondé sur des règles convenues et respectées en commun. Un ordre fiable est la base de relations pacifiques et également économiquement rentables entre les États.

La Chancelière fédérale a observé que, outre la promotion de l'État de droit, le Conseil de l'Europe apporte également une contribution essentielle en luttant contre la corruption. Un ordre fondé sur des règles est également une condition préalable essentielle à la coexistence pacifique. Il est contraire aux valeurs fondamentales communes que la souveraineté et l'intégrité des États soient remises en question et méprisées, comme en Crimée ou dans le Haut-Karabakh. Le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle décisif à cet égard mais seulement si tous ses organes travaillent en étroite collaboration. Un bon signe de cette coopération est le nouveau mécanisme conjoint entre l'APCE et le Comité des Ministres, par lequel le Conseil de l'Europe peut réagir aux violations de ses principes fondamentaux dans le dialogue et de manière appropriée.

Mme Angela Merkel a relevé qu'un ordre international fondé sur des règles est également nécessaire au vu des grands défis de l'époque contemporaine, qu'aucun pays ne peut relever seul. C'est le cas en ce qui concerne la pandémie de coronavirus, la protection du climat ou les développements rapides du cyberespace avec toutes leurs opportunités mais aussi leurs risques. La sécurité des utilisateurs ne peut être garantie que sur une base transfrontalière. Cela signifie que le Conseil de l'Europe a également un rôle à jouer, par exemple dans l'application de l'intelligence artificielle.

Mais les droits de l'Homme ne peuvent surtout être pleinement protégés que dans un ordre constitutionnel dans lequel la séparation des pouvoirs et l'indépendance du pouvoir judiciaire sont respectées. À cet égard, il est d'autant plus inquiétant qu'aujourd'hui, même dans certains États membres de l'Union européenne, la séparation des pouvoirs soit remise en question et que l'indépendance des tribunaux soit réduite.

La Chancelière fédérale a regretté que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme soient souvent mis en oeuvre lentement et partiellement, voire inexécutés dans les cas où des personnes sont injustement emprisonnées. Elle a indiqué que les obligations en matière de protection des droits de l'Homme ne sont pas sujettes à discussion, raison pour laquelle il ne peut y avoir de primauté du droit national sur les obligations découlant de la convention européenne des droits de l'Homme.

Elle a plaidé pour que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne coopèrent efficacement sur les questions de valeurs et de droits fondamentaux et s'est réjouie de la reprise des négociations relatives à l'adhésion de l'Union à la convention européenne des droits de l'Homme. S'agissant de la convention d'Istanbul, dont le mois de mai marque le dixième anniversaire de la première signature, elle a profondément regretté que la Turquie se soit retirée de ce traité. Elle a formulé le voeu que les États membres qui n'ont pas encore ratifié cette convention le fassent prochainement car la violence à l'égard des femmes est un crime qui doit être dénoncé et puni.

En conclusion, Mme Angela Merkel a rappelé qu'en 1951, le Chancelier Konrad Adenauer avait comparé le Conseil de l'Europe à une « conscience européenne ». Si les temps ont changé, et avec eux de nouveaux défis sont apparus, les valeurs fondamentales sur lesquelles l'Europe est construite et qui constituent son identité sont restées les mêmes. Pour cette raison, les membres de l'Assemblée parlementaire doivent rester vigilants et engagés pour prêter attention aux violations des droits de l'Homme et faire respecter ces derniers.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, M. Olivier Becht (Haut-Rhin - Agir Ensemble) a tout d'abord demandé à la Chancelière fédérale, le jour même où l'APCE débattait de la question d'un « pass » sanitaire sur le covid-19, quelle était sa position sur un tel dispositif et si elle jugeait utile que les États suivent les préconisations du Conseil de l'Europe. Il l'a également interrogée, du haut de son expérience de quinze années à la tête de la Chancellerie fédérale, sur les coopérations concrètes à créer pour que des États membres du Conseil de l'Europe, notamment la Russie et la Turquie, restent fidèles aux valeurs de l'Organisation.

La Chancelière fédérale a répondu, sur le second point, que le Conseil de l'Europe abrite des États aux caractéristiques politiques et visions des questions critiques très différentes. Il a donc pour mission de concilier des opinions et des attitudes différentes, ce qui suppose de surmonter les tensions existantes. L'APCE est à cet égard un organe approprié.

S'agissant des certificats de vaccination, Mme Angela Merkel a indiqué que l'Union européenne avait accepté leur développement au format numérique avec une interface qui les rende compatibles dans tout son ressort géographique. Elle a constaté que seules les questions techniques avaient jusqu'à présent été examinées et pas les aspects juridiques. En Allemagne, le débat s'engage sur la manière de traiter les personnes et les citoyens en matière de vaccination, y compris sous l'angle des variants du virus, mais cette question va se poser pendant de nombreuses années. En tout état de cause, le certificat de vaccination de l'Organisation mondiale de la santé, valable au niveau international, peut constituer une référence intéressante.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française , après avoir salué l'engagement européen profond, sincère et déterminant de la Chancelière fédérale, a souligné qu'elle représentait un exemple pour beaucoup de femmes désireuses d'engagement en politique. Constatant que bien des « plafonds de verre » et des résistances subsistent encore en la matière, elle lui a demandé les conseils et propositions qu'elle était susceptible de donner pour favoriser l'émancipation féminine dans l'exercice des responsabilités sur l'ensemble du continent européen.

En réponse, la Chancelière fédérale a estimé, sur la base de sa propre expérience du « plafond de verre » auquel se heurtent les femmes pour leurs carrières, qu'il fallait poser des repères, y compris par le biais de normes juridiques. Ayant elle-même longuement défendu le volontariat en la matière, elle a reconnu qu'il s'était avéré nécessaire, en Allemagne, de réglementer par la loi la présence des femmes dans les conseils de surveillance ou d'administration des entreprises, afin qu'elles deviennent un exemple pour les autres membres de ces conseils.

c) Les échanges avec M. David Sassoli, Président du Parlement européen

Mercredi 21 avril 2021, les membres de l'APCE ont eu des échanges avec M. David Sassoli, Président depuis le 3 juillet 2019 du Parlement européen, dont le siège est comme l'APCE à Strasbourg mais qui n'y a plus tenu de réunions depuis le printemps 2020 en raison de la pandémie de coronavirus.

Lors de son propos liminaire, le Président du Parlement européen a plaidé en faveur d'une Union européenne plus efficace, plus flexible, plus résistante et plus démocratique. Se référant à la crise sanitaire qui frappe la planète, il a souligné que le seul moyen de la surmonter était la solidarité, au sein de l'Europe et avec le reste du monde, et rappelé l'adoption de politiques sans précédent qui, quelques mois plus tôt, auraient été impensables. Par la négociation et l'adoption de l'instrument de relance économique et du cadre financier pluriannuel, un véritable modèle de développement durable pour l'Union européenne, centré sur la justice sociale et environnementale, a ainsi été mis sur pied.

M. David Sassoli a souligné que c'est dans ce contexte que sera lancée la Conférence sur l'avenir de l'Europe, le 9 mai prochain. L'objectif de celle-ci est d'avoir un moment de réflexion sur les leçons de la crise, ainsi que sur la manière de renforcer la démocratie européenne. Malheureusement, a-t-il également averti, les valeurs qui guident l'Union et le Conseil de l'Europe ne sont pas indestructibles, de sorte que leur défense requiert toute la détermination et toute l'énergie des défenseurs de l'idéal européen. D'ailleurs, le retrait de la Turquie de la convention d'Istanbul montre clairement que des reculs affectent actuellement le respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques ; de même, en Biélorussie, les crimes et violations des droits de l'Homme ne doivent pas rester impunis.

Se référant à la détention d'Alexeï Navalny, le Président du Parlement européen a appelé à travailler ensemble pour assurer que les autorités russes fournissent d'urgence l'assistance médicale dont cet opposant injustement emprisonné a besoin. Il a également affirmé que le Parlement européen continuera à exiger sa libération immédiate et inconditionnelle.

Quant au déploiement de troupes russes le long des frontières ukrainiennes et en Crimée, il a déclaré qu'un relâchement des tensions est essentiel, comme il est essentiel que la Russie prenne du recul et respecte ses engagements internationaux.

En conclusion, M. David Sassoli a déclaré attendre avec impatience le jour où les liens entre le Parlement européen et l'APCE seront encore renforcés, notamment à la suite de l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme. Il s'est réjoui de la reprise des négociations d'adhésion, traduction de la détermination des autorités communautaires à atteindre cet objectif dont le Parlement européen a été un promoteur actif.

Après avoir rappelé que la pandémie de coronavirus avait représenté un défi majeur pour les institutions parlementaires en général et que la plupart des Parlements avaient su trouver des solutions empiriques pour continuer à débattre et à émettre des votes sans mettre en péril la santé de leurs membres, Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a déploré que le Parlement européen ne se soit pas inscrit dans les pas de l'APCE, qui a repris ses sessions plénières à Strasbourg au format hybride depuis le mois de janvier, et ce alors que les traités européens prévoient qu'il siège lui-aussi dans cette ville. Elle a donc demandé au Président du Parlement européen pourquoi celui-ci n'avait pas été capable de faire ce que l'APCE, pourtant dotée de moins de moyens, avait été en mesure d'accomplir sans pour autant mettre en danger la santé et la sécurité de ses membres.

En réponse, M. David Sassoli a insisté sur la difficulté à réunir vingt-sept représentations nationales. Il a indiqué avoir travaillé avec les autorités françaises sans pour autant être en mesure de tenir les sessions plénières à Strasbourg en raison de « problèmes objectifs », tels que le transfert de plusieurs milliers de membres du personnel du Parlement européen et leur retour dans leur pays de résidence. Il a remercié les autorités françaises pour leur compréhension à cet égard et souligné la volonté du Parlement européen de revenir siéger à Strasbourg, ville symbole de l'histoire européenne, tout en faisant remarquer que la priorité actuelle est de défendre la santé des députés européens et des personnels qui les assistent.

2. L'intervention en séance plénière de trois hauts responsables du Conseil de l'Europe

Lors de la session de printemps, les membres de l'Assemblée parlementaire ont pu interroger la Secrétaire générale de l'Organisation et entendre la traditionnelle allocution du Président en exercice du Comité des Ministres. Cette semaine de débats a aussi été marquée par la présentation du rapport annuel d'activité de la Commissaire aux droits de l'Homme, qui a donné lieu à des échanges nourris.

a) La séance de questions à Mme Marija Pejèinoviæ-Buriæ, Secrétaire générale du Conseil de l'Europe

La Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, Mme Marija Pejèinoviæ-Buriæ, a répondu à plusieurs questions orales de membres de l'APCE lors d'une séance spécifique sur le sujet, mardi 20 avril. À la différence des autres personnalités du Conseil de l'Europe, elle n'a pas prononcé de propos liminaire.

Au cours de cette séance, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ a été interrogée sur le danger d'un conflit armé imminent entre la Russie et l'Ukraine, dans le contexte du renforcement des troupes russes près de la frontière ukrainienne. Elle a expliqué que si des organisations telles que l'ONU et l'OSCE étaient intéressées par la dimension sécuritaire de la crise, le rôle du Conseil de l'Europe était de veiller à ce que les droits de l'Homme soient respectés par toutes les parties. Elle a ajouté que le Conseil de l'Europe continuerait à soutenir pleinement la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

Interrogée sur la convention d'Istanbul, qui a récemment été dénoncée par la Turquie, la Secrétaire générale a reconnu qu'il s'agissait-là de la « référence » internationale en matière de protection des femmes contre toutes les formes de violence, y compris les violences domestiques. Elle a souligné le rôle du traité en tant qu'instrument normatif qui surpasse la plupart des législations nationales et qui dispose de son propre mécanisme de contrôle.

En réponse à une question sur le système conventionnel au sens large, la Secrétaire générale s'est félicitée de la convention européenne des droits de l'Homme, qu'elle a qualifiée de « mère de toutes les conventions », ainsi que de la Charte sociale européenne. Elle a appelé à mettre davantage en oeuvre ces traités au niveau national et a estimé que les deux principaux défis futurs pour l'Organisation sont les droits de l'Homme dans le contexte de l'intelligence artificielle et de l'environnement.

D'autres questions des parlementaires ont porté sur le retour des prisonniers de guerre arméniens détenus en Azerbaïdjan, la manière de mettre fin aux tensions persistantes entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, le financement futur de l'Organisation et la meilleure façon de faire face à la montée de la discrimination et du racisme en Europe.

b) La présentation du rapport annuel d'activité de la Commissaire aux droits de l'Homme, par Mme Dunja Mijatoviæ

Lors de la séance du mercredi 21 avril, l'APCE a examiné le troisième rapport annuel d'activité de la Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Mme Dunja Mijatoviæ, cinquième titulaire de ce poste élue en janvier 2018.

Lors de son propos liminaire, la Commissaire aux droits de l'Homme a notamment observé que la pandémie de covid-19 a accéléré l'érosion du tissu démocratique de nos sociétés et révélé avec une clarté tragique les nombreuses inégalités qui existent dans nos pays, quand elle ne les a pas accrues. La pandémie a également mis en lumière les problèmes structurels qui affectent les systèmes de santé dans nombre d'États membres après des années de mesures d'austérité, de négligence et de corruption qui ont érodé les infrastructures, le personnel mais aussi les ressources de la santé publique.

Pour sortir de la crise, outre la découverte de vaccins et de thérapies, la mise au point d'une logistique permettant d'assurer une distribution rapide et équitable des médicaments et des vaccins au sein de la population et au niveau mondial sera déterminante. Mais la pandémie a aussi montré l'urgence d'une réforme des soins de santé mentale dans nombre d'États membres : les pratiques psychiatriques coercitives restent encore malheureusement largement utilisées malgré l'absence de preuves de leur réelle efficacité et le fait qu'elles contreviennent à la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. De ce point de vue, les États doivent accélérer leur transition d'un modèle biomédical de santé mentale basé sur l'institution et la coercition vers un modèle communautaire axé sur le rétablissement et fondé sur le consentement.

Mme Dunja Mijatoviæ a ensuite évoqué la violence persistante à l'encontre des femmes, les inégalités entre les sexes et les obstacles à l'accès des femmes aux soins de santé sexuelle et reproductive, en déplorant notamment la décision de la Turquie de se retirer de la convention d'Istanbul et les velléités polonaises en la matière. Elle a aussi regretté l'aggravation, en 2020, de la pression exercée sur les défenseurs des droits de l'Homme, dont l'aide est importante en ce qui concerne la lutte contre l'afrophobie, les efforts pour sauvegarder l'environnement et la protection des droits des personnes LGBTI.

Après avoir dénoncé l'exposition en Europe des personnes d'ascendance africaine à des formes particulièrement graves de racisme et de discrimination raciale, notamment les stéréotypes raciaux, la violence raciste, le profilage racial dans la police et la justice pénale, la Commissaire aux droits de l'Homme a constaté que de nombreux défenseurs des droits de l'Homme qui mettent à jour la vérité sur les questions environnementales le faisaient souvent en courant un risque considérable de violentes attaques physiques, verbales et cybernétiques. De même, l'affaiblissement de la société civile LGBTI se produit au moment même où redoublent les attaques contre l'égalité des droits de ces personnes sur notre continent.

Malheureusement, le recul de la protection de la vie et des droits des réfugiés et des migrants s'aggrave lui aussi, ce qui provoque chaque année des milliers de décès évitables. À cet égard, la situation est particulièrement déplorable en Méditerranée, où les États se sont désengagés des opérations de sauvetage et entravent le travail des ONG, renonçant ainsi à leur obligation légale de secourir les personnes en détresse en mer.

Reconnaissant qu'aucun de ces problèmes n'est nouveau, la Commissaire aux droits de l'Homme a appelé les membres de l'APCE à sensibiliser leurs gouvernements et à oeuvrer au plan législatif.

Elle a conclu en évoquant sa mission très récente en Ukraine, dans un contexte de recrudescence des tensions, au cours de laquelle plusieurs sujets importants ont été évoqués, tels la perspective de ratification de la convention d'Istanbul, les lois linguistiques et les droits des minorités ainsi que, bien sûr, la situation dans les zones non contrôlées par le gouvernement. Elle a indiqué que, même si elle pensait avoir peu de chances de se rendre en Crimée, elle continuerait à défendre les droits humains des personnes qui y vivent.

À l'occasion de la séance de questions posées à la Commissaire aux droits de l'Homme, Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) , s'exprimant au nom du groupe des Socialistes, démocrates et verts, a tout d'abord observé que le rapport annuel faisait une large place au droit et à la liberté d'information, en mentionnant des actes d'intimidation et de représailles, la législation de censure et l'engagement d'actions injustes contre les journalistes. Elle a donc souhaité la mise en place de mesures attirant l'attention de l'opinion publique sur ces manquements afin de protéger les journalistes, journaux et médias indépendants, ainsi que les lanceurs d'alerte.

Sur la question des migrations, elle a rappelé qu'au terme de l'accord de 2016, l'Union européenne s'était engagée à verser 6 milliards d'euros pour aider la Turquie. Elle a demandé à la Commissaire aux droits de l'Homme sa position sur les conditions dans lesquelles un tel accord doit préserver à la fois les droits des migrants et les obligations des États à exercer leurs obligations internationales en matière de droit d'asile mais aussi faire jouer la solidarité entre États, qu'ils soient membres du Conseil de l'Europe ou non.

En réponse, M me Dunja Mijatoviæ a notamment déploré le récent décès d'un journaliste en Grèce, illustrant par-là que l'Union européenne n'est plus l'endroit sûr, l'oasis de sécurité supposée des journalistes. Elle a donc plaidé pour une action vigoureuse auprès des États membres sur ce sujet.

Pour ce qui concerne la question migratoire, elle a indiqué être en contacts permanents avec la Commissaire européenne Ylva Johansson, tant sur la situation liée à la réponse de l'Union européenne, y compris en Turquie, que sur celle en Méditerranée ou dans de nombreux autres États, y compris les Balkans occidentaux. Elle a constaté que la solidarité et la volonté des dirigeants politiques de parvenir à une solution durable et conforme aux droits de l'Homme faisait défaut et fait valoir que, quant à elle, elle continuerait à se faire entendre sur cette question.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a souligné que, dans son rapport annuel, la Commissaire aux droits de l'Homme indiquait avoir écrit au Sénat français à propos de la proposition de loi sur la sécurité globale et il a tenu à l'informer que le texte finalement adopté intègre de nombreuses modifications apportées par le Sénat encadrant plus strictement certaines dispositions pour assurer une conciliation indispensable avec la protection des libertés publiques et individuelles.

Observant que le rapport annuel relevait également de manière générale que les principales menaces pour les droits de l'Homme sont des problèmes anciens mais qui ont été amplifiés par la pandémie de covid-19, telle l'érosion inquiétante de l'État de droit, il a ensuite demandé à la Commissaire aux droits de l'Homme comment elle comptait agir pour contrer ces tendances négatives.

M me Dunja Mijatoviæ lui a répondu qu'elle procédait à des évaluations particulièrement minutieuses de la situation des droits de l'Homme dans les États membres et décidait, ensuite, sur la base de ses évaluations, des modalités de sa réaction publique.

S'agissant de la proposition de loi sur la sécurité globale, elle a rappelé avoir fait entendre sa voix sur le sujet et soulevé la question particulière liée à la liberté d'expression. Elle a considéré que, ce faisant, elle remplissait pleinement son mandat au service des droits de l'Homme en Europe.

c) La communication du Président du Comité des Ministres, M. Michael Roth, ministre-adjoint chargé des affaires européennes au ministère fédéral des affaires étrangères de l'Allemagne

Deuxième session du semestre de présidence allemande du Comité des Ministres, cette session plénière de printemps de l'APCE a été l'occasion, pour M. Michael Roth, ministre-adjoint chargé des affaires européennes au ministère fédéral des affaires étrangères de l'Allemagne, de dresser un bilan de l'action de son pays en faveur du Conseil de l'Europe au cours des six mois écoulés. Il est intervenu à cet effet devant l'ensemble des membres de l'Assemblée parlementaire, le jeudi 22 avril, et a répondu à leurs questions.

Au cours de son allocution liminaire, M. Michael Roth a souligné que, dans un contexte de mise sous pression de la démocratie et de progression du nationalisme, du populisme et de l'autoritarisme, la présidence allemande s'était attachée à renforcer le Conseil de l'Europe dans ses missions essentielles, à savoir la défense de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'Homme. Il a évoqué différents volets de l'État de droit sur lesquels l'attention avait plus particulièrement été apportée au cours de ce semestre de présidence allemande : la protection de l'indépendance du pouvoir judiciaire, la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, notamment les Roms, et une lutte efficace et résolue contre la corruption.

M. Michael Roth a déploré le retrait de la Turquie de la convention d'Istanbul, alors même que le phénomène des violences domestiques s'était accru pendant la pandémie de coronavirus. Il a jugé essentiel de mettre des barrières pour que ces violences cessent, en appelant les États membres à soutenir résolument, et si besoin signer et ratifier, la convention d'Istanbul, qu'il a qualifié d'« instrument de protection » à renforcer.

Constatant avec préoccupation que beaucoup d'arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme n'étaient pas appliqués, il a rappelé que l'adhésion au Conseil de l'Europe impliquait que ces arrêts soient mis en oeuvre et que les missions de suivi du respect des obligations liées à l'adhésion aient accès à tous les endroits où elles souhaitent se rendre, afin de vérifier que les droits de l'Homme ne soient pas violés.

Enfin, M. Michael Roth a salué la relance des négociations sur l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme, en considérant que cette perspective serait bénéfique non seulement à l'Union et ses États membres mais également au Conseil de l'Europe, en montrant à quel point ce traité est un véritable cadeau pour les citoyens de toute l'Europe.

À l'issue de son intervention liminaire, Mme Liliana Tanguy (Finistère - La République en Marche) , oratrice du groupe ADLE, a interrogé le président du Comité des Ministres sur les droits environnementaux et la reconnaissance d'un droit à un environnement sain. Elle a notamment rappelé que, selon le Programme des Nations Unies pour l'environnement, l'exercice des droits humains suppose obligatoirement l'existence d'un environnement sûr, sain et propre et qu'en 2009, l'APCE avait invité le Comité des Ministres à élaborer un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme reconnaissant le droit à un environnement sain et viable, sans que cette initiative aboutisse. Considérant que ce sujet a une résonance particulière pour l'Assemblée nationale française, qui a voté un projet de loi sur le climat et la résilience face au dérèglement climatique, elle a souhaité savoir si la présidence allemande serait favorable à l'élaboration d'une convention visant à assurer le droit à un environnement sain, sûr et durable pour la génération actuelle et les générations futures.

En réponse, M. Michael Roth s'est montré attaché à la défense de l'environnement, de la biodiversité, des écosystèmes et du climat, qu'il a qualifiée de condition essentielle pour la réalisation des droits de l'Homme. Il a indiqué qu'en mai 2020, l'Allemagne s'était jointe à la Géorgie et à la Grèce pour demander qu'un instrument international sur l'environnement et les droits de l'Homme soit adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, si possible d'ici la fin de 2021. Il a salué le travail du comité directeur pour les droits de l'Homme, qui a élaboré un projet et continue à y travailler, tout en s'interrogeant sur la portée juridique du texte proposé, à propos de laquelle les avis sont encore très divergents à l'heure actuelle.

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