D. L'ACCESSIBILITÉ BANCAIRE : UNE COMPENSATION AMENÉE À AUGMENTER POUR MAINTENIR LES SERVICES DE LA BANQUE POSTALE AUPRÈS DES PLUS PRÉCAIRES

1. Les obligations de service public fixées au titre de la mission d'accessibilité bancaire répondent à un fort besoin social auquel seule La Banque Postale semble en mesure de répondre

La mission de service public d'accessibilité bancaire a été confiée à La Banque Postale, en tant qu'établissement bancaire du groupe La Poste, par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 . La loi du 9 février 2010 confirme l'existence de cette mission parmi les quatre missions de service public confiées au groupe La Poste.

Cette mission de service public a pour principal objectif de favoriser la pré-bancarisation des populations qui, pour des raisons variées, ne sont pas en capacité d'utiliser des moyens de paiement standard et n'ont pas accès aux offres de bancarisation traditionnelle.

Plus précisément, les obligations de service public de La Banque Postale sont fixées par les articles L. 221-2 et L. 518-25-1 du Code monétaire et financier (CMF) :

- l'obligation d'universalité pour l'ouverture d'un livret A . Concrètement, La Banque Postale est obligée de satisfaire, à titre gratuit, la demande d'ouverture d'un livret A de toute personne qui en fait la demande, au contraire des autres établissements bancaires qui ont la liberté commerciale de refuser ;

- l'obligation de proposer gratuitement un ensemble de services permettant aux bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire d'utiliser le livret A comme un quasi-compte courant , alors qu'il s'agit seulement d'un produit d'épargne pour les autres établissements bancaires :

o l'obligation d'effectuer gratuitement des opérations de dépôt et de retrait à partir de 1,5 euro contre 10 euros pour les autres établissements bancaires ;

o l'obligation de permettre au titulaire du livret A d'effectuer gratuitement des opérations de versement et de retrait dans tous les bureaux de poste ;

o l'obligation d'autoriser, sur le livret A, l'ensemble des opérations fixées par arrêté du 4 décembre 2008, dont le virement des prestations sociales, le prélèvement de l'impôt sur le revenu (IR), de la taxe d'habitation (TH), des taxes foncières, des quittances d'eau, d'électricité et de gaz ou encore des loyers s'il s'agit d'un logement social ou d'un hébergement à loyer modéré (HLM).

En complément des obligations légales de service public imposées à La Banque Postale, la convention relative à la distribution et au fonctionnement du livret A conclue avec l'État fixe des obligations complémentaires , dont :

- la fourniture gratuite de services complémentaires à l'utilisation du livret A comme un quasi-compte courant , comme la fourniture de chèques de banque ou la mise à disposition d'une carte de retrait utilisable dans les distributeurs automatiques à billets (DAB) et aux guichets de La Banque Postale ;

- la mise en oeuvre de politiques d'accueil et d'accompagnement au guichet adaptées aux besoins des bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire, ce qui peut par exemple conduire au développement de services de traduction, de conseil budgétaire ou de partenariats avec des associations venant en aide aux personnes les plus précaires.

En 2018, il y avait environ 1,2 million de clients de La Banque Postale bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire . La population bénéficiaire de cette mission de service public n'est pas définie a priori par les textes, mais estimée a posteriori en fonction des usages qui sont faits du livret A et se rapprochant de l'utilisation de ce produit d'épargne comme un quasi-compte courant. Parmi ces clients, il est estimé qu'environ 70 % utilisent de manière intensive leur livret A et représentent la grande majorité des opérations de guichet sur le livret A.

À l'initiative conjointe de La Banque Postale et de la direction générale du Trésor (DGT), plusieurs études, dont les références ne peuvent pas être publiées dans le cadre de ce rapport, ont été menées entre 2018 et 2019 afin de préciser les caractéristiques des bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire et leurs usages du livret A. Toutefois, ces études ont permis de réaffirmer la nécessité de maintenir en l'état le périmètre de la mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque Postale dans la mesure où :

- le besoin social auquel cette mission de service public répond est réel, c'est pourquoi il est indispensable d'en préserver le caractère universel afin de permettre la pré-bancarisation d'une population qui serait, sinon, exclue des dispositifs traditionnels de bancarisation ;

- La Banque Postale bénéficie du maillage territorial et de la forte présence territoriale du groupe La Poste , ce qui constitue un avantage indéniable au regard de l'importance du recours au guichet et aux espèces par les bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire.

À l'issue d'une consultation publique réalisée en 2019 auprès du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), un avis du 10 décembre 2019 confirme que la mission d'accessibilité bancaire constitue « une réponse équilibrée à des exigences d'usage spécifiques et concrètes exprimées par des populations très spécifiques, en situation parfois d'extrême précarité qui ne sont pas couvertes aujourd'hui par les autres dispositifs de bancarisation ».

Pour les rapporteurs, les résultats de ces études présentées lors des auditions ont permis de prendre la mesure de la nécessité de préserver cette mission de service public dans son périmètre actuel afin de favoriser l'inclusion bancaire, de lutter contre l'exclusion économique et sociale et de pallier les carences de marché.

2. La compensation de cette mission de service public est amenée à augmenter dans la perspective d'une hausse de la précarité et d'un enrichissement du contenu de cette mission

La mission d'accessibilité bancaire fait l'objet d'une compensation, sur le fondement de l'article L.221-6 du CMF selon lequel La Banque Postale « perçoit une rémunération complémentaire au titre des obligations spécifiques qui lui incombent en matière de distribution et de fonctionnement du livret A ».

Dans la mesure où la mission d'accessibilité bancaire repose sur le support du livret A, la compensation est supportée par le fonds d'épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), au sein duquel est également centralisé une partie des fonds recueillis sur les livrets A et les livrets de développement durable et solidaire distribués par l'ensemble des établissements bancaires.

La compensation versée par l'État est accordée sur la base du calcul du coût de cette mission effectué par les services de la DGT, conformément à la méthodologie du coût net évité approuvée par la Commission européenne . En effet, à partir d'un modèle contre-factuel, est calculé un résultat brut d'exploitation (RBE) hypothétique qui correspond à ce qu'aurait pu être le RBE de La Banque Postale si elle n'était pas contrainte par des sujétions particulières de service public. Le coût de la mission correspond à l'écart entre ce RBE hypothétique et le RBE réel de La Banque Postale.

La compensation versée par l'État est notifiée à la Commission européenne qui vérifie les risques de surcompensation ainsi que la compatibilité du dispositif de compensation retenu avec les exigences applicables aux SIEG . Dans sa décision du 24 octobre 2017 9 ( * ) , la Commission européenne a considéré que la compensation liée à la mission d'accessibilité bancaire de La Banque Postale était une aide d'État, mais compatible avec le marché intérieur : « la Commission considère que cette aide est compatible avec le marché intérieur au sens de l'article 106(2) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

Tableau 7 : évolution de la compensation versée par l'État à La Banque Postale au titre de sa mission d'accessibilité bancaire entre 2015 et 2020

M€

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Coûts nets réalisés

-405

-425

-363

-338

-360

-360

Montant de la compensation (décision de la Commission de 2017)

235

355

340

320

300

280

Montant de la compensation révisée
(arrêté du 13 mars 2020)

350

330

Montant restant à la charge de LBP

-170

-70

-23

-18

-10

-30

Source : direction générale du Trésor .

En 2019 et en 2020, la trajectoire de compensation de la mission d'accessibilité bancaire a été révisée, donnant lieu à une compensation complémentaire de 50 millions d'euros annuels . Cette compensation complémentaire a été accordée en raison de la hausse des coûts supportés par La Banque Postale au titre de sa mission de service public, alors que le déficit de la mission avait tendance à se réduire, ce qui peut notamment s'expliquer par :

- le surcoût spécifique lié au dispositif d'accueil des bénéficiaires de la mission dans les 1 929 bureaux de poste dits « à proximité sociétale » qui sont installés dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) ;

- l'augmentation des coûts fixes unitaires liés au maintien d'une offre de services bancaires au guichet qui sont davantage utilisés par les bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire que par les autres clients de La Banque Postale ;

- la hausse du nombre de bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire et des coûts liés à la mise en place des dispositifs spécifiques d'accompagnement au guichet.

La trajectoire de compensation de la mission d'accessibilité bancaire pour la période 2021-2026 est en cours de notification et d'examen auprès de la Commission européenne, c'est pourquoi la communication d'éléments chiffrés relatifs à cette période ne peut pas encore être rendue publique.

Toutefois, il a été indiqué que la trajectoire de compensation demandée par les autorités françaises pour la période 2021-2026 est une trajectoire à la hausse de la compensation versée par l'État, car le nombre de bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire est susceptible d'augmenter dans les prochaines années.

De manière complémentaire, une hausse de la compensation versée par l'État au titre de la mission d'accessibilité bancaire pourrait également être justifiée par l'élargissement de la gamme des opérations autorisées sur livret A afin de pouvoir régler davantage de dépenses courantes à partir de ce support, telles que les factures de téléphonie mobile, d'assurance ou de santé.

Pour les rapporteurs, il semble cohérent d'élargir la gamme des opérations autorisées sur livret A dans la mesure où il est utilisé comme un quasi-compte courant par des populations en situation de précarité qui n'auraient pas accès, sans cette mission de service public, à un produit bancaire.

Recommandation n° 6 : modifier l'arrêté du 4 décembre 2008 pour compléter la gamme des prélèvements sur le livret A qui permet aux bénéficiaires de la mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque Postale de régler des dépenses courantes, par exemple en autorisant le règlement des factures de téléphonie, d'assurance ou de santé.

3. Sans constituer une nouvelle obligation de service public, des efforts supplémentaires doivent être effectués pour améliorer l'accès aux espèces pour tous, sur l'ensemble du territoire et à tout moment

Dans le cadre des réflexions menées sur les perspectives d'évolution de la mission d'accessibilité bancaire, la question s'est posée d'introduire une nouvelle obligation légale de service public visant à garantir à l'accès de la population aux distributeurs automatiques de billets (DAB) sur l'ensemble du territoire . En effet, si environ 95 % de la population a accès à un DAB à moins de quinze minutes, les élus locaux sont nombreux à dénoncer les difficultés d'approvisionnement des DAB dans les zones peu denses et rurales, ou encore à certaines périodes de l'année dans les communes touristiques lorsque les retraits d'espèces sont plus fréquents.

Toutefois, face aux risques d'effet d'aubaine liés à l'introduction d'un critère de présence territoriale d'accès aux DAB et prenant en considération les coûts élevés de maintenance pour La Banque Postale qui dispose d'un parc d'environ 7 700 DAB, il semble préférable de développer les services gratuits déjà mis en place par le groupe La Poste pour favoriser l'accès de la population aux espèces .

En effet, si les clients de La Banque Postale peuvent retirer des espèces dans les agences bancaires et aux guichets des bureaux de poste, ils peuvent également réaliser des opérations de dépannage dans les agences postales communales (APC) et intercommunales (API) , avec la possibilité de déposer ou de retirer jusqu'à 500 euros par période de sept jours glissants. Ce plafond, qui était de 350 euros auparavant, a été relevé en 2020 dans le cadre du contrat de présence postale 2020-2022 au sein duquel un objectif de facilitation de l'accès aux espèces a été fixé.

De façon complémentaire, le groupe La Poste a développé des services gratuits d'accès aux espèces pour les clients de La Banque Postale tels que le dispositif « Allô facteur » qui permet de se faire livrer à domicile jusqu'à 150 euros en espèces. Un tel service pourrait également être proposé aux clients des autres établissements bancaires, en particulier dans les zones rurales, peu denses et touristiques, sous réserve de la possibilité pour La Poste de facturer une commission modique.

Enfin, le retrait d'argent liquide par carte bleue pourrait être développé en France , comme cela se fait dans d'autres pays, avec ou sans frais. Cette possibilité pourrait notamment être étudiée dans la perspective d'un déploiement au sein des relais commerçants partenaires de La Poste.

Les rapporteurs souhaitent insister sur les difficultés d'accès aux espèces dans certains territoires et appellent La Poste à renforcer la communication autour des dispositifs gratuits et existants permettant de faciliter cet accès. Il est également souhaité que de nouveaux dispositifs permettent le retrait d'espèces réellement à tous et donc y compris aux personnes n'ayant pas un compte bancaire à La Poste, quitte à ce que des frais soient appliqués.

Recommandation n° 7 : développer les services d'accès aux espèces pour pallier les difficultés d'approvisionnement du réseau des distributeurs automatiques de billets (DAB), en particulier dans les zones rurales, peu denses et touristiques et y compris pour ceux qui ne sont pas clients de La Banque Postale. Renforcer la communication autour des services existants et gratuits d'accès aux espèces.


* 9 Décision de la Commission européenne du 24 octobre 2017 SA.41 147 (2017/N) - France.

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