D. L'ÉTAT DE DROIT, UN OBJECTIF PROMU PAR L'UNION EUROPÉENNE À L'ÉCHELLE MONDIALE AVEC LES DROITS DE L'HOMME ET LA DÉMOCRATIE

Bien que la Commission ait adopté une approche restrictive de l'État de droit, plusieurs de ses axes de travail illustrent sa volonté de promouvoir aussi les droits de l'Homme et la démocratie, dans l'esprit de la « trilogie » retenue à la fois par le Conseil de l'Europe et la Charte de Paris.

1. Le plan d'action de l'Union européenne en faveur des droits de l'Homme et de la démocratie 2020-2024

C'est en 2012 que l'Union européenne a adopté, pour la première fois, un cadre stratégique en matière de droits de l'Homme et de démocratie, énonçant les principes, objectifs et priorités destinés à améliorer l'efficacité et la cohérence de l'action de l'Union. Il s'agissait en quelque sorte d'un agenda géopolitique européen pour les droits de l'Homme et la démocratie . Ce plan d'action a ensuite été renouvelé sur la période 2015-2019.

Il convient de noter que le Parlement européen prend également position sur ces questions, par exemple dans sa résolution du 15 janvier 2020 sur les droits de l'Homme et la démocratie dans le monde et la politique de l'Union européenne en la matière, dans laquelle il exprimait notamment « sa profonde préoccupation face aux atteintes à la démocratie et à l'État de droit dans le monde en 2018, phénomènes qui reflètent la montée de l'autoritarisme en tant que projet politique, caractérisé par le mépris des droits de l'Homme, la répression des dissidences, la politisation de la justice et des élections à l'issue prédéterminée, la restriction de l'espace octroyé à la société civile pour mener ses actions, ainsi que la limitation des libertés de réunion et d'expression ».

Se fondant sur les conclusions du Conseil du 14 octobre 2019 sur la démocratie, selon lesquelles « l'un des objectifs de l'action extérieure de l'Union européenne est de promouvoir la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ainsi que le prévoit l'article 21 du traité [sur l'Union européenne] », la Commission et le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Josep Borrell, ont présenté, le 25 mars 2020, une communication conjointe 16 ( * ) relative au plan d'action de l'Union européenne en faveur des droits de l'Homme et de la démocratie 2020-2024 , accompagnée d'une proposition de recommandation 17 ( * ) du Conseil au Conseil européen relative à l'adoption d'une décision définissant les objectifs stratégiques de l'Union à mettre en oeuvre au moyen de ce plan d'action 18 ( * ) .

Dans un contexte de remise en cause croissante de certains droits fondamentaux, notamment dans les enceintes multilatérales, mais aussi comme conséquence de la pandémie de covid-19, l'objectif pour l'Union est de se doter d'un plan d'action renouvelé pour appuyer son action de politique étrangère, ambitieux sur les objectifs et précis sur les moyens pour y parvenir.

L'accord du Conseil sur ce plan d'action a été formalisé par les conclusions du 18 novembre 2020.

Le plan d'action identifie cinq priorités principales , dans un contexte marqué par l'émergence de nouveaux défis en matière de droits de l'Homme et de démocratie tels que le changement climatique, la transition numérique, la réduction de la place de la société civile : 1) protéger et responsabiliser les personnes ; 2) bâtir des sociétés résilientes, inclusives et démocratiques ; 3) promouvoir un système mondial pour les droits de l'Homme et la démocratie ; 4) tirer parti des possibilités offertes par les nouvelles technologies et relever les défis y afférents ; 5) atteindre les objectifs fixés en travaillant de concert.

Les outils à disposition de l'Union européenne pour atteindre les objectifs de son nouveau plan d'action sont multiples : diplomatie publique et campagnes de communication ; déclarations de l'UE et résolutions thématiques et/ou spécifiques à un pays dans les forums multilatéraux sur les droits de l'Homme, démarches, dialogues politiques et dialogues sur les droits de l'Homme ; nouvel outil visant à établir un régime horizontal de sanction des violations des droits de l'Homme de façon à lutter contre l'impunité. Pour ce qui concerne les instruments financiers d'action extérieure , le NDICI ( Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument ) prévoit une enveloppe thématique dédiée à la démocratie et aux droits de l'Homme d'un montant de 1,4 milliard d'euros. L'aide fournie aux pays partenaires peut être suspendue de manière partielle ou totale en cas de violation grave des droits fondamentaux.

Par ailleurs, ce plan d'action bénéficie également de l'action du Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme , l'ancien vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères irlandais, M. Eamon Gilmore , en fonction depuis le 1 er mars 2019. Celui-ci est en charge de renforcer l'efficacité et la visibilité de la politique européenne en matière de droits de l'Homme. Ainsi a-t-il participé à 15 dialogues bilatéraux en matière de droits de l'Homme, mais aussi à des dialogues informels avec une soixantaine de pays. Plus récemment, le Représentant spécial a eu des dialogues avec le Mexique et la Colombie, la Birmanie et le Brésil. Il a également un rôle de gardien du droit international humanitaire et de la justice pénale internationale. Il promeut à ce titre l'universalité du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ainsi que l'indépendance et l'impartialité de cette cour. Il veille à promouvoir le respect du droit international humanitaire à l'occasion de ses dialogues avec la Birmanie ou l'Ukraine. Il poursuit l'objectif d'entamer des dialogues avec les pays du Sahel.

Néanmoins, le Représentant spécial n'est guère connu. Il ne s'exprime pas publiquement pour rendre compte des résultats des visites effectuées dans des pays tiers et communiquer les positions de l'Union sur les questions relatives aux droits de l'Homme ; ses rapports réguliers au Conseil restent confidentiels. Il ne dispose pas de pouvoirs d'initiative.

De manière générale, l'évolution de la situation de la démocratie n'est guère favorable, y compris dans le voisinage de l'Union. Ainsi, les Balkans occidentaux connaissent actuellement une évolution politique qui semble les éloigner des critères de Copenhague, à tel point que leur situation constitue un défi pour l'intégration européenne. Une montée de l'autoritarisme peut en effet être observée, y compris en Serbie et au Monténégro, pourtant les deux pays candidats les plus avancés dans le processus d'intégration. Concentration croissante du pouvoir dans les mains du dirigeant, corruption, atteintes à la liberté de la presse et au pluralisme des médias, opacité et politisation des services de sécurité, etc. sont quelques évolutions relevées par certains observateurs 19 ( * ) . Faut-il y voir le germe de futures remises en cause des valeurs européennes en cas d'adhésion ?

2. Le plan d'action de l'Union européenne contre le racisme 2020-2025

Le 18 septembre 2020, la Commission a présenté une communication 20 ( * ) en vue d'un plan d'action de l'Union européenne contre le racisme 2020-2025 .

Certes, la Commission a pris le parti de ne pas étendre la notion d'État de droit aux droits fondamentaux ; son plan d'action n'a donc pas vocation à s'inscrire formellement dans le cadre des travaux sur l'État de droit. Toutefois, il s'inscrit dans la continuité du plan d'action de l'Union en faveur des droits de l'Homme et de la démocratie 2015-2019, qui visait déjà à promouvoir l'échange de bonnes pratiques avec les pays partenaires en ce qui concerne les stratégies et les politiques de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Le nouveau plan pour la période 2020-2025 entend poursuivre ces échanges.

Il définit une série de mesures à mettre en oeuvre pour renforcer la lutte contre ce phénomène dans les différents domaines concernés, visant en particulier les discours et les crimes haineux . Il préconise une coopération accrue entre l'Union européenne et les États membres, dont leurs autorités répressives, mais aussi les médias et la société civile .

L'Union européenne dispose certes d'un cadre juridique pour lutter contre la discrimination, le racisme et la xénophobie, mais il paraît nécessaire de le réévaluer pour combler certaines lacunes. Aussi la Commission présentera-t-elle un rapport sur l'application de la directive « égalité raciale » 21 ( * ) , qui pourrait aboutir à l'adoption de nouvelles dispositions législatives d'ici à 2022, notamment pour renforcer le rôle et l'indépendance des organismes de promotion de l'égalité. Elle nommera un coordinateur « antiracisme » et entamera un dialogue régulier avec les parties prenantes, qu'elle réunira au moins deux fois par an. Le coordinateur échangera avec des représentants des groupes de victimes et interagira avec les États membres, le Parlement européen, la société civile, le monde universitaire et la Commission, afin d'identifier les mesures à prendre pour renforcer les moyens de lutte contre le racisme. La Commission prendra également des mesures pour améliorer la diversité de son personnel et invite les autres institutions de l'Union à prendre les mêmes mesures. Par ailleurs, l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'Agence de l'Union européenne pour la formation des services répressifs ( CEPOL ) seront mobilisées pour soutenir les États membres dans leurs efforts pour prévenir les attitudes discriminatoires dans les services de maintien de l'ordre et pour renforcer la crédibilité du travail répressif contre les crimes de haine.

Quant aux États membres, ils sont encouragés à s'assurer que le droit de l'Union est pleinement transposé et correctement appliqué sur leur territoire, et à adopter des plans d'action nationaux contre le racisme et la discrimination fondée sur la race d'ici la fin de l'année 2022. La Commission, sur la base d'un recueil des bonnes pratiques, devrait présenter un premier rapport d'étape d'ici à la fin 2023. Les autres initiatives mentionnées dans le plan d'action viseront notamment à sensibiliser aux stéréotypes raciaux et ethniques et à les combattre au travers des médias, de l'éducation, de la culture et du sport, tout en améliorant la collecte de données ventilées par origine ethnique ou raciale. Sous ce vocable, la Commission semble encourager la réalisation de statistiques ethniques et raciales. On notera toutefois que M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, a rappelé, lors de son entretien avec la Commissaire Jourova, le 21 septembre 2020, que la France y était opposée pour des raisons constitutionnelles.


* 16 Texte JOIN (2020) 5 final .

* 17 Texte JOIN (2020) 6 final .

* 18 Cette proposition de recommandation, prise sur le fondement de l'article 22 du TUE, vise à ce que le Conseil européen endosse les objectifs stratégiques poursuivis par le plan d'action. Cette disposition prévoit en effet, par dérogation au principe selon lequel les décisions du Conseil européen et du Conseil relevant de la PESC sont prises à l'unanimité, que le Conseil statue à la majorité qualifiée lorsqu'il adopte une décision qui définit une action ou une position de l'Union sur la base d'une décision du Conseil européen portant sur les intérêts et objectifs stratégiques de l'Union visée à l'article 22, paragraphe 1.

* 19 Sur ce point, voir Paul-Marie Brignoli, Dérives autoritaires dans les Balkans occidentaux : un défi pour l'intégration européenne ? , Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), note de recherche n° 74 du 17 avril 2019.

* 20 Texte COM (2020) 565 final .

* 21 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

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