D. NE PAS LAISSER SEULES LES FAMILLES DES VICTIMES

Lors de leurs rencontres avec les proches de victimes, les rapporteurs ont été profondément émus par le courage et la ténacité dont ils ont fait preuve dès lors qu'ils ont appris la nouvelle du suicide d'un de leurs proches.

Ils ont également été choqués de leur solitude face aux charges administratives.

L'accompagnement de ces proches de victimes pourrait être largement perfectionné, tant il est aujourd'hui insuffisant.

Il conviendrait, d'une part, de généraliser partout une proposition d'accompagnement psychologique de ces personnes.

Certaines caisses de MSA proposent, dès qu'elles ont connaissance d'un cas de suicide sur une exploitation, un accompagnement psychologique des familles des victimes par ses travailleurs sociaux. Toutefois, cet accompagnement n'est pas automatique.

Il serait intéressant de structurer et de développer un réseau de psychologues compétents, capables d'assurer une prise en charge de ces cas, notamment en sollicitant les experts de la MSA ou d'autres psychologues sur la base d'un conventionnement pour la prise en charge de ces deuils traumatiques.

Recommandation n° 56 : systématiser la mise en place d'un accompagnement psychologique, par un expert conventionné, pour les proches des victimes.

Des groupes de paroles pourraient être organisés au sein de la MSA pour assurer un suivi de ce public à long terme.

Recommandation n° 57 : proposer un suivi des familles de victimes par l'organisation de groupes de paroles au sein de la MSA.

Juste après le deuil, dans l'urgence, il convient surtout de garantir la poursuite de l'exploitation. Cela passe par une action du service de remplacement ou d'un service d'intérim.

Qu'ils soient éloignés de l'exploitation ou qu'ils y vivent quotidiennement, la douleur du choc ne leur épargne pas l'obligation de poursuivre les activités essentielles sur l'exploitation.

Ces situations donnent le plus souvent lieu à des manifestations de solidarité spontanée, témoignages d'une entraide agricole toujours très forte dans le monde rural, qui va bien au-delà de la famille proche en incluant voisins, collègues, élus, etc.

Le témoignage d'un jeune agriculteur a particulièrement marqué les rapporteurs. Le neveu d'une victime, en apprenant le suicide d'un de ses oncles, qui a pour effet de laisser seul le frère de la victime sur l'exploitation, accourt à la ferme en quittant son travail : « [l']exploitation devait tourner. Il était hors de question que mon oncle fasse la traite du soir, et surtout du lendemain seul, à 4 heures du matin... La situation faisait juste que j'étais le mieux placé pour aider. Et je ne fus pas le seul, plusieurs jeunes du village, qui, [étant] enfants avaient passés des heures et des heures à la ferme, à faire du tracteur, à jouer autour d'eux, vinrent donner un coup de main une heure ou deux. Ou faire juste acte de présence, pour changer l'esprit de mon tonton qui [qui venait de perdre son frère] » .

Pour relever ces missions essentielles à l'aide aux proches de victimes, le rôle social des services de remplacement doit être consacré, comme l'ont proposé le rapport du député Olivier Damaisin et celui du CGAAER...

Recommandation n° 58 : reconnaître le rôle social des services de remplacement dans leur conventionnement avec les autres acteurs institutionnels agricoles (MSA, ministère de l'agriculture et de l'alimentation, partenaires syndicaux, chambres d'agriculture, etc.).

Pour aller plus loin, il serait utile de prévoir la gratuité pour les proches de victimes, immédiatement après le décès de l'exploitant, du service de remplacement durant un laps de temps suffisant. Cette action sociale apparaît nécessaire et légitime, et s'entend au-delà de la question du suicide.

Recommandation n° 59 : garantir la gratuité du service de remplacement pour les proches de victimes immédiatement après le décès d'un exploitant agricole.

En pleine épreuve de deuil, bien qu'ils soient, pour certains, totalement éloignés d'une quelconque activité agricole, ces proches des victimes ont dû faire face à ce qui s'apparente à un véritable calvaire administratif, financier et juridique afin de poursuivre les activités inhérentes à l'exploitation agricole.

Bien peu équipés pour affronter le redoutable labyrinthe des déclarations agricoles, ils sont, pourtant, le plus souvent, laissés seuls. Cette situation n'est pas acceptable car elle a des conséquences redoutables.

Recommandation n° 60 : établir une fiche des contacts utiles à destination des familles de victimes, qui serait distribuée immédiatement après le décès par les services compétents.

Plusieurs témoignages font état de ces difficultés d'un autre monde, témoignant d'une extension infinie du domaine de l'absurdité administrative déshumanisée. Il y a, par exemple, « parfois un vide administratif de plusieurs mois avant que la ferme ne soit reprise par un membre de la famille ou par un tiers, ce vide administratif peut causer des pénalités sur les primes PAC » .

Généralement, après le temps de deuil, le travailleur social de la MSA prend contact avec la famille (conjoints, enfants) par téléphone ou par courrier. Il leur propose un accompagnement dans toutes les démarches administratives à mettre en place suite à un décès.

Des services compétents des préfectures et des chambres d'agriculture ont toutefois indiqué aux rapporteurs que l'aide apportée sur les fonds d'actions sanitaires et sociales de la MSA pourrait n'être fléchée qu'à destination des ressortissants agricoles, notamment les ayant droits. Il conviendrait dès lors de réfléchir au renforcement de ces moyens pour prendre en compte la totalité des membres de la famille éprouvée, quel que soit son régime de sécurité sociale.

Les caisses de MSA, sollicitées par les rapporteurs sur ce point, ont, au reste, le plus souvent émis l'idée de développer des actions de formation spécifiques à destination des professionnels de la MSA pour mieux les préparer à ces interventions qui prennent la forme d'une « postvention ».

Enfin, les services préfectoraux ont également leur rôle à jouer dans cet accompagnement attendu par les proches des victimes.

Pour toutes ces familles, un soutien de la part de l'administration est nécessaire pour accompagner les proches dans des démarches qu'ils ne maîtrisent pas. Si les méandres des dossiers d'aides PAC, des transferts de droits de paiements de base, de régularisation des dettes sociales, sont déjà d'une complexité kafkaïenne pour les exploitants, comment ne le seraient-ils pas pour des personnes éloignées de la bureaucratie agricole ?

Enfin, les rapporteurs ont été profondément choqués de constater l'envoi de courriers de recouvrement de dettes ou de relances de retard de la part des acteurs financiers ou institutionnels, ayant pourtant connaissance du décès, quelques jours après la disparition de l'exploitant. De même, certains remboursements par les assurances des prêts en cours contractés par l'agriculteur décédé interviennent dans des délais exagérément longs.

Recommandation n° 61 : geler, pour les proches des victimes, le remboursement des dettes sociales et financières de l'exploitation agricole durant une période suffisante consécutive au décès et imposer un délai maximum de remboursement pour les assurances.

Cette profonde déshumanisation des procédures doit cesser.

L'accompagnement par un référent doit permettre de prioriser la mise en place d'un lien avec le service cotisations de la MSA afin de trouver des solutions concernant les dettes de cotisations après le décès. De même, le remboursement des dettes financières pourrait être gelé durant une période suffisante à la suite du décès, afin de laisser le temps aux proches de victimes de faire leur travail de deuil, de prendre connaissance des problématiques de l'exploitation et d'imaginer, en lien avec le référent, une solution viable.

Une bonne pratique serait de systématiser une prise de contact téléphonique par les DDT, pour tous les proches de victimes à la suite du suicide d'un agriculteur, dans le but de leur proposer une aide au suivi des démarches administratives. La proposition d'un rendez-vous pourrait être systématisée.

Au-delà de cet accompagnement social, des aides adaptées pourraient être proposées. Or, bien souvent, leur attribution repose sur le quotient familial et les ressources des proches de la victime. Il pourrait être envisagé de déplafonner ces aides.

Finalement, entre les services préfectoraux, les chambres d'agriculture et la MSA, un référent pourrait être nommé par la cellule de suivi pour garantir un suivi efficace des proches de victimes.

Savoir qu'une personne identifiée suit le dossier complexe de la transition permettrait, surtout, de remettre de l'humain dans ces procédures anonymisées, venant complètement à rebours dans la période de deuil des proches.

Finalement, le référent pourrait ainsi jouer le rôle de « médiateur » afin de faciliter le paiement des aides de l'année ainsi que la bonne gestion des échéanciers de dettes.

Recommandation n° 62 : faire nommer, par la cellule en charge du suivi, un référent en charge du pilotage de l'aide technique et administrative apportée aux proches de victimes dans le but d'alléger les procédures de maintien et de transmission des exploitations concernées.

Enfin, pour les proches s'engageant dans une reprise de l'exploitation, il importe de pourvoir au droit à la formation pour relever ce défi.

Recommandation n° 63 : mettre en place des formations à destination des membres de la famille endeuillée qui vont reprendre la tête de l'exploitation agricole et les proposer systématiquement, de façon proactive, par le biais de la chambre d'agriculture.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page