C. MIEUX ACCOMPAGNER LES AGRICULTEURS EN DIFFICULTÉS IDENTIFIÉS

1. Mieux communiquer sur les dispositifs en place

Les développements supra attestent de l'existence d'un grand nombre de dispositifs d'aide, de soutien et d'accompagnement à destination des agriculteurs rencontrant des difficultés (financières, sociales, psychologiques, etc.).

Pour autant, il ressort des auditions et déplacements effectués par les rapporteurs que ces outils sont insuffisamment connus des agriculteurs. Plus troublant encore, les divers acteurs du monde agricole, y compris même certains spécialisés dans le soutien aux agriculteurs en détresse, n'en ont qu'une connaissance lacunaire.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation, parmi lesquels la faible communication autour de ces dispositifs, la multiplicité des acteurs qui les pilotent, ou encore l'hétérogénéité de leurs caractéristiques et critères d'éligibilité.

Au préalable, il convient donc de recenser l'ensemble de ces aides dans un document unique, sous forme par exemple de plaquette, et de le tenir à disposition des agriculteurs.

Recommandation n° 33 : créer une plaquette recensant l'ensemble des aides existantes et la mettre à disposition des agriculteurs dans les différents lieux institutionnels liés au secteur agricole.

La chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales a déclaré aux rapporteurs avoir mis en place un « point d'accueil agriculteurs fragilisés », comme il existe des points d'accueil « installation » ou « transmission », avec un bilan positif. Cette idée pourrait être étendue à d'autres départements.

Recommandation n° 34 : expérimenter la mise en place de points d'accueil agriculteurs fragilisés.

2. L'humanisation des procédures mises en oeuvre par les organismes institutionnels doit être urgemment entreprise

Le manque d'humanisation de certaines procédures administratives et financières a été très régulièrement mentionné par une large palette de personnes entendues (des proches de victimes aux syndicats agricoles, en passant par des chercheurs).

Si l'engagement et le professionnalisme des personnels mettant en oeuvre ces procédures ne sont bien entendu pas en cause, il n'en reste pas moins vrai que la « machine administrative » s'apparente parfois à un mécanisme froid, implacable, causant et aggravant le sentiment de détresse que peuvent ressentir certains agriculteurs : mise en demeure sans contact humain préalable, appels non décrochés, envoi de courriers comminatoires même après le décès etc., sont quelques exemples de ce manque de contact humain déploré tout au long des travaux des rapporteurs.

a) Faciliter le contact direct entre l'agriculteur et les acteurs institutionnels et professionnels et réduire les délais de traitement

Plusieurs témoignages ont fait état de difficultés à obtenir un contact direct avec un interlocuteur de la MSA lorsque des démarches sont effectuées (relatives, par exemple, aux cotisations sociales). Appels non décrochés, courriers sans réponse, changement de référent dossier, sont autant de constats regrettés par certains exploitants rencontrés. En outre, comme dans nombre d'administrations, la recherche de la personne compétente sur un dossier peut prendre les formes d'un véritable « labyrinthe ». Si ces témoignages ne peuvent prétendre à la représentativité, ils témoignent tout de même d'irritants préjudiciables dans la relations MSA-assurés.

Or les problématiques concernant la MSA sont très fréquentes dans le quotidien d'un agriculteur et peuvent déboucher sur un stress important en temps normal et un stress accru lorsqu'elles ne sont pas résolues. Au surplus, la crise sanitaire et le télétravail généralisé des agents de la MSA ont encore réduit les possibilités de contacts directs, ainsi que l'ont constaté les rapporteurs.

Il importe dès lors que les assurés puissent disposer d'une adresse directe et que les services de la MSA s'engagent à atteindre un objectif de délai de réponse satisfaisant, à l'instar des réformes mises en oeuvre dans d'autres administrations.

Recommandation n° 45 : mentionner un contact direct dans les courriers administratifs envoyés par la MSA ( a minima une adresse mail directe), en reformuler le contenu pour en adapter le ton et s'engager à répondre sous 48 heures lorsque la demande est formulée par mail.

b) Multiplier les contacts humains dès lors qu'une difficulté semble identifiée

Les rapporteurs appellent à développer une démarche plus préventive de l'identification en remettant l'humain au coeur de la détection et de l'accompagnement.

À l'image de certaines actions préfectorales pour les exploitations ayant subi un incendie, à savoir un appel systématique des agriculteurs victimes d'un incendie par les services concernés afin de leur proposer une aide sur le plan administratif (démarches pour la reconstruction - permis, subventions, contact pour négociation de délais de paiement sur les dettes fiscales et sociales... ), il apparaît nécessaire aux yeux des rapporteurs de généraliser ces prises de contact dès qu'un aléa d'une ampleur importante a eu lieu sur une exploitation et est connu par les services compétents.

Recommandation n° 22 : généraliser les prises de contact par les services compétents dès l'apparition d'un aléa d'une ampleur importante sur une exploitation

Par ailleurs, il ressort des nombreux témoignages reçus par les rapporteurs, confirmés lors des auditions, que la correspondance épistolaire semble la règle lorsqu'un agriculteur ne s'acquitte plus de ses paiements à la MSA, et le contact direct l'exception. Les rapporteurs appellent donc à inverser ce schémaEn effet, plusieurs proches de victimes ont indiqué avoir reçu des courriers de relance, de mise en demeure, mais n'avoir vu ou entendu aucun interlocuteur de la MSA lorsqu'ils accumulaient les impayés.

Or cet état de fait peut accentuer le sentiment d'une situation inextricable, sans issue, la « partie opposée » étant considérée comme inaccessible ou insensible. Or le non-paiement des cotisations peut être un indice pertinent d'un certain mal-être plus profond : il importe donc qu'il fasse l'objet d'une attention « humaine » le plus tôt possible. Ce faisant, la détection des situations de détresse en sortirait parallèlement renforcée.

Recommandation n° 46 : prévoir automatiquement, au sein de la MSA, un contact téléphonique avec l'agriculteur après le premier retard de paiement de cotisations. Prévoir, après la deuxième relance et en cas d'absence persistante de réponse, une visite sur place.

Plus généralement, les acteurs institutionnels agricoles doivent accentuer les rendez-vous sur l'exploitation afin de mieux dialoguer avec l'exploitant et se rendre compte des conditions de vie de ce dernier. C'est aussi une manière de mieux le conseiller.

Recommandation n° 47 : éviter les rendez-vous sous format dématérialisé ou anonymisé quand les rendez-vous sur l'exploitation sont possibles.

Il se peut que la MSA procède ainsi par obligation juridique, cette dernière étant tenue de garantir un taux de recouvrement de ses créances suffisant auprès de ses autorités de tutelle.

Cette rigidité technocratique doit être remise en cause au profit d'une appréciation plus souple pour les dossiers les plus en difficultés. Dans la prochaine convention d'objectif et de gestion, l'appréciation de ce taux pourrait être assouplie dans les cas de dossiers d'agriculteurs en difficultés. En guise de simplification, l'envoi automatique de lettre recommandée pour recouvrement pourrait être évité pour les créances en-deçà de certains seuils, des relances pour une créance de moins de 0,01 euro ayant été reçues par des exploitants.

Lors des contrôles, la venue d'un huissier ou de personnels armés peut également choquer les agriculteurs. Si ces procédures visent à prévenir de potentielles agressions, une explication serait, à bien des égards, nécessaires pour éviter que les agriculteurs ne se sentent perçus comme des criminels dangereux, alors qu'ils n'ont pas pu acquitter financièrement leurs obligations.

Enfin, afin de diffuser les bonnes pratiques, il pourrait être utile de promouvoir la signature d'une charte des créanciers (banques, assurances, MSA, principaux fournisseurs, électricité...) du monde agricole avec les organisations professionnelles afin d'améliorer les procédures en cas de non-paiement des obligations par un exploitant. Cette charte pourrait par exemple permettre la mise en place de rendez-vous plus systématiques pour trouver des solutions, après un diagnostic plus complet de l'exploitation, et prémunirait l'exploitant de pratiques préjudiciables à la continuité de l'activité, comme une coupure d'électricité dans une porcherie ou un arrêt brutal des livraisons d'aliments pour les animaux.

Recommandation n° 48 : engager la signature d'une charte des créanciers dans le monde agricole pour garantir une humanisation des actions en cas de difficulté et propager les bonnes pratiques.

c) Dédramatiser les enjeux des procédures collectives

Face aux difficultés financières, l'agriculteur dispose de plusieurs options :

• un « tour de table » avec ses principaux créanciers (banques, MSA, coopérative, etc.) afin d'étaler ses dettes sur plusieurs années ;

• la procédure de règlement amiable judiciaire ( cf. infra ) ;

• la procédure collective, qu'il s'agisse d'une sauvegarde judiciaire ou d'un redressement judiciaire, qui vise à élaborer un plan de remboursement sous le contrôle et sur la décision des juges ;

• la liquidation judiciaire.

Contrairement aux commerces et artisans, le tribunal compétent est celui de grande instance (devenu « tribunal judiciaire ») et non le tribunal de commerce.

Typologie des procédures collectives au tribunal judiciaire

Dans le cadre d'un règlement amiable judiciaire (RAJ), dont la procédure est confidentielle, le juge reçoit l'agriculteur dans son bureau, après qu'il a déposé sa demande au greffe du tribunal. Le juge nomme alors un conciliateur qui dispose de trois à cinq mois pour soumettre une proposition d'accord après s'être concerté avec les principaux créanciers. Le cas échéant, le protocole déposé au tribunal engage toutes les parties.

La procédure de sauvegarde a pour objectif de traiter les difficultés financières importantes de l'entreprise et de réorganiser cette dernière, sous réserve qu'elle ne soit pas déjà en cessation de paiement. Le plan de remboursement élaboré dans ce cadre a une durée maximale de quinze ans. Cette procédure présente l'avantage de protéger les cautions-personnes physiques et de geler les dettes lors de son ouverture.

Le redressement judiciaire, quant à lui, concerne les entreprises qui sont déjà en état de cessation de paiement (l'actif disponible est insuffisant pour faire face au passif exigible) et vise à permettre la poursuite de l'activité économique de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Les poursuites, ainsi que les agios et intérêts sur les contrats de moins d'un an, sont suspendus à partir de l'ouverture de la procédure.

Par ailleurs, sauvegarde comme redressement judiciaire s'ouvrent par une période d'observation permettant au tribunal d'analyser la situation économique de l'entreprise. Dans les deux cas également, le tribunal judiciaire nomme un juge commissionnaire qui suit le dossier, et il est interdit au débiteur de régler les dettes antérieures. Parallèlement, un plan de redressement est élaboré, dont la durée est généralement inférieure à 13 ans, et qui peut prévoir des abandons de créances.

Enfin, lorsque la sauvegarde ou le redressement judiciaire n'ont pas permis d'assurer la poursuite de l'activité, la liquidation judiciaire peut être prononcée par le tribunal. Dans ce cas, un liquidateur judiciaire désigné par le tribunal gère l'entreprise, son représentant étant dessaisi de ses fonctions.

Bien que ces procédures puissent être l'occasion d'un réel rebond pour l'agriculteur en difficultés, elles restent considérées par nombre d'acteurs interrogés comme synonymes d'échec et d'insuffisance professionnelle. Elles génèrent la peur et l'anxiété, et souvent des idées noires, comme l'ont confiés plusieurs agriculteurs aux rapporteurs.

Surtout, il ressort des témoignages que le déroulement des réunions et audiences dans les locaux du tribunal judiciaire, où peuvent être croisés des individus jugés pour crimes et délits, renforce le sentiment de culpabilité et de honte d'agriculteurs déjà en proie à d'importantes difficultés et à une forte charge émotionnelle. L'une d'entre a ainsi indiqué : « amener dans le bureau du juge mon dossier de règlement amiable judiciaire (RAJ) fut très dur. Seule avec mon mari, nous côtoyions dans le couloir des gens menottés, qui attendaient le procureur. Nous nous sommes demandés ce que nous faisions là ; c'est très choquant, nous ne sommes pas des assassins ».

La compétence du tribunal judiciaire en matière de procédure collective n'est pourtant pas générale : si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, c'est le tribunal de commerce qui est compétent en la matière 133 ( * ) . Les rapporteurs recommandent que sa compétence s'étende également aux activités agricoles. En attendant une modification législative en ce sens, ils recommandent que les réunions et audiences dans le cadre des procédures collectives soient délocalisées, dans la mesure du possible, hors les murs du tribunal judiciaire.

Recommandation n° 49 : transférer la compétence en matière de procédure collective concernant une activité agricole du tribunal judiciaire vers le tribunal de commerce. Dans l'attente, délocaliser hors des murs du tribunal judiciaire les réunions organisées dans le cadre des procédures collectives.

Plusieurs associations interrogées ont par ailleurs mis l'accent sur la nécessité du contact humain et de l'accompagnement dans le cadre des procédures collectives, afin de ne pas laisser seul un agriculteur en difficultés face à ce qu'il considère comme une institution le jugeant coupable de mauvaise gestion et le sanctionnant comme tel. Si un tel accompagnement est déjà mis en oeuvre dans certains cas, notamment par les services de la chambre d'agriculture et par les membres de Solidarités paysans, il n'est pas systématiquement proposé. Les rapporteurs recommandent donc qu'un accompagnement physique soit systématiquement proposé à l'agriculteur engagé dans de telles démarches.

Recommandation n° 50 : prévoir systématiquement (par la chambre d'agriculture ou la cellule départementale) une proposition d'accompagnement physique de l'agriculteur lors des réunions organisées dans le cadre des procédures collectives.

De même, plusieurs témoignages reçus par les rapporteurs ont fait état de l'existence d'un sigle « RJ », pour redressement judiciaire, apposé sur les chèques émis par l'exploitant en procédure collective. Ils considèrent cette pratique particulièrement stigmatisante et intrusive, alors même que l'agriculteur n'est coupable d'aucun délit et qu'il s'est engagé dans une procédure de redressement ou de sauvegarde pour, précisément, assurer la pérennité de son activité.

Recommandation n° 51 : supprimer le sigle « RJ », pour « redressement judiciaire », apposé sur les chèques émis par les chefs d'entreprise engagés dans une procédure collective.

Par ailleurs, il convient de dédramatiser les enjeux relatifs aux procédures collectives, y compris la cessation d'activité et la réinsertion professionnelle ( cf. infra ).

3. Maintenir le droit à la formation professionnelle des agriculteurs engagés dans une procédure collective

La formation professionnelle continue des exploitants agricoles repose sur le paiement, chaque année, d'une contribution calculée en pourcentage des revenus professionnels et recouvrée par les services de la MSA dans les mêmes conditions (règles, périodicité, garanties et sanctions) que les cotisations sociales 134 ( * ) . Cette contribution alimente le fonds Vivéa chargé de cette formation des chefs d'entreprise du secteur agricole.

Plusieurs remontées du terrain font état d'une différence de traitement peu justifiable en matière d'accès la formation professionnelle des agriculteurs selon qu'ils sont en sauvegarde ou redressement judiciaire, ou qu'ils ont négocié un échéancier de paiement de leurs cotisations sociales avec la MSA :

• en cas d'échéancier de paiement avec la MSA, l'agriculteur est considéré en situation régulière au regard de son paiement des cotisations sociales et peut donc bénéficier de la formation professionnelle ;

• en cas de procédure collective, l'agriculteur est considéré en situation non régulière du point de vue du paiement des cotisations sociales. La MSA, par conséquent, ne lui délivre pas de certificat de régularité ; il n'a donc pas accès à la formation professionnelle.

Or les deux agriculteurs sont engagés dans une démarche qui vise à permettre le paiement soutenable de leurs dettes. En outre, un agriculteur en redressement judiciaire continue de s'acquitter auprès de la MSA, chaque année, des cotisations sociales dues pour l'année en cours (et donc notamment celle ouvrant droit à la formation professionnelle).

Les rapporteurs déplorent d'autant plus cette distinction que la formation professionnelle peut contribuer pleinement à la relance de l'exploitation agricole. En priver un agriculteur en procédure collective est donc contreproductif et diminue les chances de réussite du plan négocié.

Par ailleurs, il semblerait que toutes les caisses de MSA n'appliquent pas cette distinction avec la même rigueur, entraînant une nouvelle différence de traitement difficilement justifiable.

Les rapporteurs recommandent donc que, lorsque les cotisations sociales de l'année N ou N-1 sont acquittées et que le dividende annuel du plan de redressement est payé, un agriculteur bénéficiant d'un plan de redressement judiciaire puisse avoir accès à la formation professionnelle.

Recommandation n° 52 : considérer qu'un agriculteur en procédure collective est en situation régulière au regard de la contribution à la formation professionnelle, dès lors qu'il s'est acquitté de ses cotisations sociales et du dividende annuel du plan de redressement et lui ouvrir, en conséquence, l'accès à ladite formation.

4. Lutter contre le burn-out en agriculture : mettre en oeuvre une aide au répit à la hauteur des besoins

Faute de pouvoir souffler, et compte tenu des divers facteurs aggravants susmentionnés, les agriculteurs sont particulièrement exposés à un risque d'épuisement professionnel, d'autant plus problématique qu'ils ne peuvent en sortir que difficilement compte tenu de la permanence des activités agricoles, notamment en élevage, qui s'impose à l'agriculteur.

Selon les données de l'observatoire Amarok 2020, les données qualitatives, assises sur les réponses de 214 personnes du département de la Saône-et-Loire, sont assez inquiétantes à cet égard :

• plus d'un exploitant sur trois (35 %) présente un risque d'épuisement professionnel ;

• 65 % des répondants ont une vision négative du futur (28 % « parfois négative », 20 % « très négative », 18 % « assez négative »).

Un précédent rapport s'était intéressé, plus spécifiquement, à l'aspect de l'épuisement professionnel. Selon les données, chez les exploitants non salariés, la dépression affecte 13,6 % des hommes et 19,1 % des femmes et, chez les salariés, elle affecte 14,7 % des hommes et 21,2 % des femmes. 46 % des agriculteurs présenteraient un stress psychologique élevé, voire très élevé et 34 % des agriculteurs présenteraient un risque d'épuisement professionnel ( burn-out ) plus ou moins aigu.

Fermer les yeux sur ce phénomène d'épuisement professionnel en agriculture reviendrait à ne pas comprendre une partie de la problématique posée par le phénomène suicidaire.

De nombreux témoignages recueillis par les rapporteurs mentionnent l'épuisement professionnel en utilisant le terme de « burn-out » dans leur récit, ce dernier apparaissant, selon les proches des victimes, comme un facteur symptomatique récurrent d'une détresse prononcée de l'agriculteur ou du salarié agricole.

La conjointe d'un exploitant agricole en polyculture élevage s'étant donné la mort a par exemple confié ce témoignage : « se sont enchaînés burn-out avec problème de relation avec son frère avec qui il travaillait, alcoolisation, violence conjugale. La menace d'un passage à l'acte a été prononcée, une hospitalisation deux mois avant la première tentative avait eu lieu » .

De même, un éleveur caprin dont l'associé a fait une tentative de suicide et qui s'est depuis reconverti, estime que parmi les causes, indéniablement, il y a « la fatigue mentale et le stress dus à la gestion des différents dossiers. Les symptômes du burn-out sont apparus quelques mois avant la tentative de suicide » .

À cet égard, des parents ayant perdu leurs enfants agriculteurs ont estimé, lors d'un témoignage, que le burn-out n'était pas assez reconnu comme une cause de malaise des agriculteurs, d'un point de vue médical comme sociétal. Une meilleure prise en charge par des professionnels doit être envisagée.

Au-delà, c'est pour lutter, partiellement, contre ce phénomène qu'en 2017, une aide au répit pour les agriculteurs en situation d'épuisement professionnel a été mise en place dans le cadre du pacte de consolidation et de refinancement des exploitations agricoles annoncé par le Gouvernement de l'époque, en pleine crise agricole. Cela équivaut, d'une certaine manière, à une reconnaissance de cette maladie professionnelle dans le domaine agricole.

Concrètement, lorsque le demandeur a un certificat médical faisant état d'un mal-être dû au travail ou qu'il obtient l'aval d'un travailleur social de la MSA (lequel dispose d'un jeu de questions à poser afin d'identifier les signaux d'alerte), il est éligible à un dispositif lui permettant de souffler. Au terme d'un parcours co-construit avec le travailleur social, incluant des modules de participation à des groupes de parole, à des ateliers particuliers ou à des séances de soutien psychologique, voire à un séjour de répit, l'exploitant peut prétendre à son remplacement pour une période de 7 jours, pouvant aller jusqu'à 10 jours pour certains projets, avec un renouvellement possible selon les situations. En cas d'indisponibilité du service de remplacement, il est possible de faire appel à l'emploi direct d'un salarié.

Ce dispositif peut être entièrement gratuit pour les exploitants. Mais, financé en 2017 par une enveloppe de l'État de 4 millions d'euros, allouée à la MSA, l'aide au répit est depuis financée exclusivement par la MSA elle-même, ce qui l'a conduite à en réduire l'enveloppe annuelle allouée, tout en revoyant les conventions locales avec les services de remplacement. En 2019, 3,5 millions d'euros ont ainsi été accordés par la MSA sur ses programmes d'actions du fonds d'action sanitaire et sociale.

La MSA recensait près de 3 500 bénéficiaires fin 2017, couvrant près de 28 000 jours de remplacement.

32 % d'entre eux ont permis un départ en vacances ou des périodes de loisirs, pendant que 28 % ont permis aux exploitants d'avoir une période de repos à domicile ou un accès aux soins.

Dans leurs entretiens, les rapporteurs ont souvent entendu que cette aide au répit était un outil apprécié, tant par les travailleurs sociaux de la MSA que par les exploitants concernés. Un témoignage recueilli lors de la consultation en ligne rappelle qu'« on ne parle pas de vacances dans de nombreuses exploitations, mais quand on parle de répit, cela est perceptible ! Alors parlons répit car pour mieux voir, il est bon de partir, de prendre de l'air... Cela permet de nettoyer ses lunettes quand on revient ! Merci aux actions de la MSA ! » .

Ce bilan, positif, demeure toutefois en demi-teinte en raison d'un nombre limité d'exploitants concernés.

Si les freins habituels sont rencontrés dans le déploiement de cette aide d'un nouveau genre (réticence à demander de l'aide notamment, 57 % des agriculteurs aidés en 2017 s'étant signalés eux-mêmes), notamment par manque de communication auprès des proches, cette faible mobilisation peut également provenir d'une timide enveloppe budgétaire initiale... qui amène mécaniquement les autorités gestionnaires à limiter la communication sur le dispositif.

Considérant que l'aide au répit doit être intégrée comme une arme essentielle dans un dispositif de lutte contre le mal-être de certains agriculteurs, notamment dans la convention d'objectifs et de gestion de la MSA signée avec l'État, les rapporteurs appellent l'État à pleinement jouer son rôle de manière pérenne en prévoyant un financement permanent, adéquat et soumis à une évaluation annuelle pour cette facilité.

Recommandation n° 44 : rétablir et pérenniser un financement significatif par l'État de l'aide au répit en cas d'épuisement professionnel, notamment en prévoyant une prise en charge à plus long terme, afin de mieux reconnaître le burn-out comme une maladie professionnelle en agriculture.

5. Briser le tabou de la reconversion professionnelle

Dans bien des cas, pour un exploitant agricole, la décision d'arrêter est inenvisageable.

L'absence de séparation entre le capital personnel et celui de l'exploitation, la fusion entre le projet de vie de l'exploitant et, bien souvent, le projet inhérent à l'entreprise agricole, le poids sociologique et historique de l'héritage familial et bien d'autres motifs expliquent, sans aucun doute, le caractère bien souvent inenvisageable de l'arrêt des activités agricoles.

Une conjointe d'un agriculteur en difficultés a par exemple déclaré aux rapporteurs : « je lui ai dit de faire son métier autrement, de faire un autre métier, mais il est sourd à ce discours. Je crois qu'il préfère sauver son honneur vis-à-vis de ses proches que de sauver son couple et sa famille ».

Trop souvent, cette situation est vécue comme un drame ou un échec personnel, alors que, dans la plupart des cas, ces arrêts ne sont que la conséquence, plus générale et indirecte, d'une inadaptation de l'exploitation à un contexte agricole en particulier, d'autant plus si les prix ne sont pas rémunérateurs pour les agriculteurs.

Pourtant, elle peut, parfois, être la solution.

Bien entendu, il est totalement contraire à l'idée des rapporteurs de favoriser une vague de départs massifs d'agriculteurs dans les prochaines années, difficulté dont le pays n'a pas besoin aujourd'hui compte tenu des défis démographiques auxquels l'agriculture française devra faire face dans les prochaines années.

Toutefois, la sortie doit être envisagée au cas par cas.

Tout au long de leurs travaux, certains agriculteurs ont fait état aux rapporteurs de leur contentement après avoir su tourner la page. Un ancien exploitant, rencontré dans le Morbihan, leur a par exemple confié ce témoignage : « après mes problèmes de santé, se sont greffés les problèmes financiers et tout s'est enchaîné. Dépressions, burn-out , stress, je ne pouvais plus faire mon travail correctement. J'étais dégoûté des prix, de cet engrenage avec les banques. J'ai eu un peu de chance, mais malheureusement ma femme m'a quitté. Elle m'a aidé au départ mais je ne suis plus devenu intéressant. Mes huit enfants m'ont conseillé d'arrêter, mais j'avais ce métier dans le sang. Mais arrêter pour faire quoi ? La peur de ne pas retrouver un autre travail, l'avantage dans l'agriculture, [c'est qu'] on a un peu plus de liberté. Si c'était à refaire, j'arrêterais très vite. Il faut dire que je n'étais pas loin du suicide, ce sont mes enfants qui m'ont retenu de ne pas arriver à ce stade. Maintenant je suis salarié, cela a été compliqué au début mais maintenant tout va bien. Il reste quand même des séquelles, car effacer 31 ans d'un seul coup, c'est dur. [Mais] j'ai sorti la tête de l'eau » 135 ( * ) .

Cette reconversion doit être dédramatisée. C'est un autre tabou à briser dans le monde agricole. Il importe de travailler à une meilleure sortie du métier, en étant convaincu qu'« il y a une vie après l'agriculture ».

Recommandation n° 53 : intensifier les efforts de communication et de pédagogie autour de la reconversion professionnelle (formation des sentinelles aux dispositifs existants et à la façon d'aborder le sujet, présence de documents explicatifs dans les agences bancaires, les chambres d'agriculture, la MSA, les centres de gestion, etc.).

Au-delà de ce blocage presque sociologique, force est de constater que les outils déployés ne sont pas forcément adaptés au défi de la reconversion professionnelle des exploitants. Un très grand nombre de préfectures interrogées l'ont déploré.

Plusieurs dispositifs combinatoires existent pourtant pour mieux accompagner les agriculteurs dans cette reconversion.

Les agriculteurs contraints de cesser leur activité agricole peuvent bénéficier de l'aide à la réinsertion professionnelle (ARP), codifiée aux articles D. 352-15 et suivants du code rural et de la pêche maritime, dès lors que leur exploitation a été jugée inapte au redressement sur décision du préfet après avis de la section « agriculteurs en difficultés » de la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA) ou dans le cadre d'une procédure collective de liquidation judiciaire par le tribunal de grande instance (TGI). Cette aide est avant tout financière.

L'instruction technique 136 ( * ) de l'ARP précise que la reconnaissance des difficultés aiguës de l'exploitation sans perspective de redressement repose sur un principe selon lequel l'actif de l'exploitation ne couvre pas l'endettement lié à l'exploitation et ne permet pas de financer une nouvelle période culturale.

À la condition de s'engager à ne pas revenir à l'agriculture pendant une durée de 5 ans à compter de l'attribution de l'aide, et s'il n'est pas à deux ans de l'âge légal de la retraite, l'exploitant peut recevoir :

• Une aide au départ, d'un montant de 3 100 euros par actif ;

• Une aide au déménagement de 1 550 euros si le bénéficiaire justifie d'un changement de domicile ;

• Une aide à la formation, prise en charge par Pôle Emploi, ou, en cas de formation non prise en charge par l'État ou la Région, par une aide spécifique pouvant aller jusqu'à 2 500 euros pour toute inscription dans cette formation faisant l'objet d'une procédure spéciale d'agrément. La durée des stages agréés par le préfet de région ne peut excéder six mois. Toutefois, cette durée peut être dépassée, dans la limite de douze mois, lorsque la formation suivie conduit à une qualification qui ne peut être acquise plus rapidement et pour laquelle il existe un besoin spécifique.

Dans le cadre de son suivi de parcours de formation professionnelle des personnes sans emploi, Pôle Emploi intervient pour proposer un conseil en évolution professionnelle pour l'exploitant concerné par une procédure de reconversion ainsi que le financement de ses formations et la rémunération des stagiaires en formation.

Trois autres dispositifs peuvent être mobilisés pour faciliter la formation.

D'une part, l'article L. 353-1 du code rural et de la pêche maritime dispose qu'il est institué un congé de formation en faveur des exploitants contraints de cesser leur activité. Cette formation, ayant suivi la procédure d'agrément adaptée, ne peut être inférieure à une semaine. Elle est accompagnée d'un revenu d'accompagnement pouvant être versé au chef d'exploitation ou d'entreprise agricole. Ce revenu d'accompagnement, accordé aux exploitants reconnus comme « agriculteurs en difficultés » par décision préfectorale, est égal à 75 % du SMIC, sous réserve que la formation éligible soit agréée, sauf exceptions. Les personnes percevant le revenu d'accompagnement bénéficient de la protection sociale des stagiaires de la formation professionnelle.

D'autre part, l'organisme Vivéa peut accompagner la reconversion professionnelle en finançant des formations professionnalisantes d'une durée minimum de 35 heures, la prise en charge étant plafonnée à 2 500 euros par personne.

Enfin, la MSA finance, par le biais de son Comité d'action sanitaire et sociale, une aide sur les frais de formation (y compris de mobilité) restant à la charge de l'exploitation dans le cadre de sa reconversion professionnelle. Ce montant est mobilisable jusqu'à 3 000 euros. Cette aide est cumulable avec une aide à la mobilité pour l'emploi, versée par la MSA également.

Si ces outils ont une pertinence d'un point de vue financier, contestée par aucun acteur entendu, il leur manque une dimension essentielle : la présence de conseils personnalisés permettant de briser le tabou et d'accompagner, au jour le jour, l'agriculteur dans ce projet difficile. Les rapporteurs sont convaincus qu'il est illusoire d'aider à une reconversion réussie sans un accompagnement humain suffisant.

À cet égard, il importe de mettre en place, comme l'a suggéré aux membres du groupe de travail une personne entendue, un réel « compagnonnage » pour accompagner les exploitants concernés par cette reconversion professionnelle, allant d'une aide à la préparation de CV, à un soutien dans la recherche d'emploi en passant par une orientation dans les formations les plus adaptées. En outre, les travailleurs sociaux de la MSA devraient poursuivre leur accompagnement sur une longue période jusqu'à ce que l'agriculteur en reconversion soit complètement réinséré dans sa nouvelle vie.

Lors de la reconversion, il importe d'explorer autant que possible toutes les voies permettant, si l'agriculteur le désire, de maintenir un lien entre lui et le monde agricole.

À cet égard, une expérimentation intéressante a été menée dans le département du Finistère. La MSA, la préfecture, la chambre d'agriculture, le conseil départemental et le conseil régional ont proposé un dispositif innovant reposant sur deux piliers :

• une sécurisation financière qui s'appuie sur les dispositifs de droit commun (RSA notamment) et l'attribution d'une enveloppe complémentaire de soutien par la MSA à hauteur de 1 000 euros mensuels par exploitant ;

• un accompagnement à l'arrêt d'activité et à la reconversion, par un cabinet spécialisé, d'un nombre d'exploitants sélectionnés et acceptant l'arrêt de leur activité agricole. Cet accompagnement, financé par la région, se traduit par un soutien individuel, personnalisé lors de rendez-vous hebdomadaires permettant à l'exploitant de déterminer un nouveau projet professionnel.

Les premiers retours de cette expérimentation font état de résultats positifs : un meilleur recours au RSA, une simplification appréciée du parcours des usagers dans le traitement de leurs droits sociaux leur permettant de se concentrer sur leurs projets professionnels, une meilleure acceptation des exploitants à s'inscrire dans ce dispositif « positif » qui insiste sur la reconversion plutôt que sur les difficultés de l'exploitation.

Sur les 13 candidats, une personne continue de travailler dans l'agriculture comme salarié, 7 se sont réorientées dans un autre secteur (formation, industrie, bâtiment...), 4 ont suivi des projets de formation longue, tandis que le dernier s'est engagé dans un bilan de compétences.

Ce dispositif pourrait être généralisé, sans doute sur une durée plus longue, une reconversion professionnelle durant en général plus d'un an.

Recommandation n° 54 : instituer un compagnonnage dans le cadre d'une procédure de reconversion professionnelle pour mieux accompagner l'agriculteur dans la construction de son nouveau projet professionnel, tout en garantissant une sécurisation financière du revenu des agriculteurs lors de leur reconversion, en mobilisant les aides déjà disponibles, par le biais de la signature d'un contrat de reconversion.


* 133 Art. L. 621-2 du code de commerce.

* 134 Art. L. 718-2-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 135 Témoignage retranscrit dans Ouest France du 15 janvier 2021.

* 136 Instruction technique DGPE/SDC/2017-561 du 28 juin 2017.

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