B. MIEUX ANTICIPER LES DIFFICULTÉS, POUR MIEUX LES RÉSOUDRE
1. Renforcer le mieux-être de l'exploitant et du salarié agricole
a) Permettre enfin aux agriculteurs de vivre d'un revenu décent et d'avoir accès à des retraites suffisantes
Pour les rapporteurs, il est proprement scandaleux et révoltant que des agriculteurs, au terme d'une journée de travail, soient plus démunis qu'au réveil. Tant que ce dysfonctionnement majeur ne sera pas résolu, le mal-être d'une partie du monde agricole perdurera.
Par-delà les contraintes, tous les instruments actuels ont fait preuve de limites et, pour certains, n'ont pas fonctionné.
Il faut une véritable ambition pour le revenu agricole ; sa survie est en jeu.
Les signataires du traité de Rome en 1957 l'avaient d'ailleurs compris. L'article 39 du traité, devenu depuis l'article 39 du traité de fonctionnement de l'Union européenne, mentionne parmi les objectifs de la politique agricole commune celui « d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture ».
Où en est-on de cet objectif aujourd'hui ? Il est regrettable que la réforme de la prochaine politique agricole commune semble totalement l'oublier et le mettre de côté, alors même qu'il s'agit de l'avenir de l'agriculture en France, mais aussi dans d'autres pays européens.
Tous les outils doivent être mobilisés à cette fin dans le cadre des négociations européennes comme de la politique nationale :
• travail sur l'élaboration de prix rémunérateurs par les acheteurs, au moyen, le cas échéant, de prix planchers couvrant au moins l'essentiel du coût de revient ;
• aides directes du 1 er et du 2 e pilier par une politique agricole commune ambitieuse, et non une PAC au budget au rabais ;
• une meilleure structuration des filières pour peser sur les prix ;
• une diversification des débouchés, à la fois par un renforcement des circuits plus locaux, par un essor des produits plus facilement valorisables comme les denrées sous signe de qualité ou bénéficiant d'une certification environnementale, mais aussi par une consolidation des parts de marché à l'export ;
• une ambitieuse baisse de ces charges absurdes qui amputent la compétitivité de nos exploitations ;
• une réflexion prospective sur les contraintes imposées aux agriculteurs français qui les pénalisent face à leurs concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes mais bénéficient de la libre circulation des marchandises.
Les rapporteurs insistent sur un préalable important : il faut remettre la question du revenu des agriculteurs et du partage de la valeur au coeur des débats sur la politique agricole.
Bien sûr, d'autres priorités doivent être traitées dans les prochaines années, au premier rang desquelles l'adaptation du modèle agricole au changement climatique. Mais oublier la question du revenu revient à mettre en péril le renouvellement des générations en agriculture.
À cet égard, des aides conjoncturelles pourraient être apportées en cas d'événements particuliers. En particulier, les rapporteurs constatent que des aides d'urgence ont été annoncées par le Premier ministre en mars 2021 à destination des éleveurs bovins dont le revenu était inférieur à 11 000 euros en 2020 en raison de la crise de la covid-19. Ce schéma pourrait être décliné en cas d'urgence dans d'autres filières.
Recommandation n° 5 : octroyer des aides d'urgence en cas de revenus anormalement bas des producteurs dans une filière.
De même, les retraites agricoles sont, encore aujourd'hui, à la source d'une injustice criante. La revalorisation des retraites des agriculteurs est nécessaire tant pour reconnaître réellement l'importance du travail de toute une vie mais aussi pour faciliter la question de la transmission.
À cet égard, la loi n° 2020-839 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer a permis, avec une pension minimale garantie à 85 % du SMIC pour les exploitants agricoles, à compter de 2022, une avancée, qui reste toutefois insuffisante.
b) Améliorer concrètement les conditions de travail des exploitants et salariés agricoles
(1) Aider concrètement à réduire la pénibilité de certaines tâches agricoles
Des expériences menées au niveau local démontrent que les conditions de travail des agriculteurs, par une mobilisation des acteurs de terrain, peuvent parfois être améliorées par petites touches.
Face à la pénibilité de certaines tâches, qui aboutissent par exemple à des troubles musculo-squelettiques particulièrement prégnants, notamment dans certaines filières comme la viticulture ou le maraîchage, il existe des aides du quotidien très faciles à mettre en oeuvre, à la condition d'y être incité financièrement.
Le département de la Seine-Maritime a par exemple mis en place une aide destinée au « soutien aux petits investissements matériels dans les élevages ». Elle aide les éleveurs à acquérir des matériels permettant d'améliorer leurs conditions de travail, comme des outils de surveillance des événements du troupeau à distance (caméras pour suivre les vêlages par exemple), ou des aménagements des lieux de manipulation et de contention des animaux. Le département finance ces investissements, dont les coûts totaux ne dépassent pas 10 000 euros, à hauteur de 40 %.
De même, la MSA a mis en place une aide allant jusqu'à 50 % du coût de l'investissement (plafonné à hauteur de 3 000 euros) destiné à améliorer la sécurité et les conditions de travail par le biais de l'aide financière simplifiée agricole (AFSA).
Ces initiatives intéressantes pourraient être renforcées et généralisées.
Recommandation n° 6 : favoriser davantage, par des aides à l'investissement, l'acquisition de petits matériels et dispositifs permettant de réduire la pénibilité de certaines tâches agricoles, en relevant le plafond des aides éligibles.
La question constitue également un enjeu majeur pour les salariés agricoles. La table ronde avec les principaux syndicats concernés organisée par le groupe de travail a rappelé l'importance de la question de la pénibilité pour cette population, qui les expose à des difficultés à poursuivre leur activité au fur et à mesure que leur âge s'avance, alors même qu'ils sont confrontés, en raison de leur ancienneté, à des difficultés d'employabilité lors de leur reconversion.
Cette question de la pénibilité s'ajoutant aux enjeux de précarité de nombre de salariés concernés pourrait expliquer le risque de suicide relativement plus élevé chez les salariés agricoles entre 40 et 65 ans.
(2) Simplifier la vie des agriculteurs en les libérant d'un fardeau administratif
La complexité des démarches administratives à effectuer participe du désarroi de certains agriculteurs, comme de nombreux témoignages l'ont rappelé. Soit qu'elle soit source de stress et de confusion, et qu'elle contribue à la perte de sens de l'agriculteur sur sa vocation, soit qu'elle contribue à aggraver un mal-être préexistant, elle est un élément fréquemment mentionné par les interlocuteurs des rapporteurs.
Ont notamment été mises en avant les difficultés suivantes :
• la multiplication de documents à remplir, nécessitant pour cela la mobilisation d'un grand nombre d'informations, fruit d'une collecte chronophage et stressante du fait de la peur de l'erreur d'autant que cette dernière peut entraîner l'interruption du processus de versement des aides le temps que le dossier soit entièrement instruit 122 ( * ) ainsi que le remboursement massif des aides ;
• la complexité de la constitution des déclarations PAC, près de 20 notices différentes de plusieurs dizaines de pages existant afin de saisir l'intégralité des données requises. Par exemple, afin de détailler aux exploitants les outils de navigation et de manipulation qu'ils doivent manier dans le registre parcellaire graphique (RPG), servant de référence à l'instruction des aides de la PAC, une notice de présentation... de 28 pages a été créée ;
• évolution d'une année à l'autre des règles de déclaration (notamment celles relatives à la PAC), qui multiplie les risques d'erreurs et accroît l'incompréhension voire le désarroi et le découragement de certains agriculteurs exposés par ailleurs à d'autres difficultés. Comme une deuxième lame, les modalités de la PAC étant modifiées tous les 6 à 7 ans, sans compter les modifications en cours de programmation, ces règles évoluent sans cesse ;
• le renouvellement des déclarations d'une année sur l'autre pour de nombreux éléments rigoureusement identiques, alors qu'il suffirait de répliquer ces informations d'une année sur l'autre.
Les rapporteurs appellent donc les pouvoirs publics à se saisir au plus vite de cette question de la complexité administrative et à engager un chantier de simplification administrative en concertation avec les principales organisations professionnelles agricoles (OPA) . La réforme de la politique agricole commune offre, à cet égard, une opportunité majeure pour mener à bien ce projet. Ce chantier devrait, entre autres, tester la piste d'un pré-remplissage des documents par l'administration.
Recommandation n° 7 : engager rapidement, en concertation avec les organismes professionnels agricoles et les syndicats agricoles, un chantier de simplification des procédures et déclarations administratives qui pèsent aujourd'hui sur les agriculteurs, et prévoir dans ce cadre un pré-remplissage par l'administration de certains documents et déclarations.
(3) Éviter l'instabilité normative au plus haut niveau
La prolifération de normes franco-françaises est source d'handicaps économiques pour les exploitants ; elle est également source d'une insécurité juridique majeure et d'une inquiétude sourde de la part du monde agricole.
Trop souvent, des décisions sont prises par les parlementaires, les ministères, les préfectures, sans prendre en compte leurs effets pour les agriculteurs. Renouveler une norme pour des bâtiments d'élevage peut apparaître comme une simple modification sur un papier pour certains, elle peut se facturer à hauteur de plusieurs milliers d'euros pour les exploitants ; elles peuvent aussi venir remettre en cause l'équilibre économique d'une ferme qui viendrait d'investir dans un bâtiment qui ne se trouverait, par le biais d'un changement de réglementation, plus aux normes.
Il importe, plus en amont, de mieux analyser l'impact sur les exploitations de toute décision politique.
c) Permettre de souffler ou de s'arrêter pour des raisons de santé ou à la suite d'un accident : consolider l'aide au remplacement
Sans doute plus que pour aucun autre, les agriculteurs dédient leur vie à leur métier, sans limiter leur temps de travail.
Selon les chiffres de l'observatoire Amarok (cf. supra ), sur un échantillon d'agriculteurs en Saône-et-Loire, 24 % n'ont pris aucun jour de repos lors du dernier mois (et 27 % ont indiqué n'avoir pris qu'une demi-journée ou une journée au maximum) et 67 % travaillent plus de 50 heures par semaine, et 15 % plus de 70 heures.
Comme l'Insee l'a souligné dans une note d'octobre 2020 123 ( * ) , les agriculteurs réalisent un volume horaire de travail supérieur de 65 % à la durée annuelle effective de l'ensemble des personnes en emploi en France.
Cela s'explique, statiquement, par un temps de travail hebdomadaire plus de 50 % supérieur à celui des travailleurs français, avec une durée habituelle de 55 heures (contre 37 en moyenne), mais également par un nombre très réduit de congés.
« La très grande majorité des agriculteurs travaillent le week-end : en 2019, 88 % d'entre eux ont travaillé au moins un samedi au cours des quatre dernières semaines (contre 39 % de l'ensemble des personnes en emploi) et 71 % au moins un dimanche (contre 22 %). En outre, 15 % des agriculteurs ont, au cours des quatre dernières semaines, travaillé au moins une fois la nuit, entre minuit et 5 heures du matin, contre 10 % pour l'ensemble des personnes en emploi » estime l'étude de l'Insee 124 ( * ) .
Une étude plus ancienne estimait que seulement un tiers des agriculteurs partaient au moins quatre jours consécutifs hors de leur domicile par an 125 ( * ) .
L'exploitation agricole française est en outre marquée par un faible taux d'emplois salariés : près des trois quarts des agriculteurs exploitants n'emploient aucun salarié, et quand ils le font, les agriculteurs exploitants n'ont souvent qu'un salarié (53 % des cas) 126 ( * ) .
Or, comme cela a été rappelé précédemment, les témoignages recueillis lors de la consultation publique font état non seulement d'un sentiment d'injustice entre le temps de travail accompli et l'insuffisante rémunération qui en découle mais également d'une constatation claire d'une surcharge de travail par les proches et d'une difficulté pour les exploitants à s'extraire de leur monde professionnel.
Une agricultrice parlant de son mari en difficultés estime par exemple qu'« il travaille comme un fou. Le jour le travail physique, la nuit, la paperasse. Il ne fait que cela. Il n'y a pas de place pour autre chose. Et il ne prend même plus de plaisir à travailler sur la ferme. Il n'arrive pas à se dire que ce n'est qu'un travail ».
Une des priorités pour améliorer le mieux-être des agriculteurs, tant d'un point de vue personnel que familial, doit être de leur permettre de « souffler ».
Permettre à l'exploitant de quitter sa ferme nécessite toutefois de lui trouver une solution de remplacement, dans la mesure où les activités agricoles, notamment d'élevage, doivent se poursuivre.
En France, ce rôle incombe, depuis 1972, au réseau des services de remplacement France (SRF), issu d'initiatives locales du monde agricole et regroupant des associations de groupements d'employeurs à vocation de remplacement, dirigées par des agriculteurs bénévoles.
Grâce à leurs réseaux de salariés, les services de remplacement permettent aux agriculteurs de se faire remplacer pour une durée déterminée sur leur exploitation.
Plusieurs motifs permettent de recourir à un tel service : une maladie ou un accident de l'exploitant, une période de congés ou de formation, des responsabilités professionnelles ou un congé paternité ou maternité.
Le SRF compte aujourd'hui plus de 350 services répartis dans toute la France et près de 70 000 adhérents, représentant plus de 16 % de la totalité des chefs d'exploitation en France 127 ( * ) .
Le service de remplacement connaît un taux d'utilisation légèrement supérieur à 50 % parmi leurs adhérents. Il est bien entendu supérieur dans les départements d'élevages. Au total, ce sont plus de 4,8 millions d'heures de remplacements qui ont été mobilisées pour 37 000 utilisateurs en 2018.
Près d'un tiers des remplacements sollicités le sont pour permettre aux agriculteurs de prendre des vacances.
Les services de remplacement sont rémunérés par les adhésions et les facturations de prestations de services, mais également par des financements externes très importants (groupes d'assurances, MSA, régions, CASDAR, ...).
Le coût pour les exploitants en est ainsi réduit pour « se situer aujourd'hui autour d'un taux de 42 % des produits enregistrés par les SR » 128 ( * ) .
Surtout, l'adhérent peut bénéficier depuis 2006 d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement pour congé des exploitants agricoles.
L'article 200 undecies du code général des impôts prévoit en effet un crédit d'impôt égal à 50 % des dépenses permettant d'assurer leur remplacement pour congé, dans la limite annuelle de quatorze jours de remplacement, par l'emploi direct de salariés ou par le recours à des personnes mises à disposition par un tiers à la condition que l'activité exercée requière la présence du contribuable sur l'exploitation chaque jour de l'année et que son remplacement ne fasse pas l'objet d'une autre prise en charge. Cette condition est réputée satisfaite en élevage, mais elle doit être démontrée pour les autres activités agricoles.
Le nombre de bénéficiaires a plus que doublé depuis 2006 pour atteindre 33 000 aujourd'hui, pour un coût de 18 millions d'euros finançant partiellement 1,5 million d'heures de congés.
Au-delà de la problématique des difficultés rencontrées par les services de remplacement, notamment pour recruter de nouveaux candidats partout en France, sujet très préoccupant, le maintien du crédit d'impôt est un impératif pour maintenir l'attractivité de ce dispositif, attractivité déjà altérée par sa soumission au régime d' aides de minimis .
Le service de remplacement est essentiel pour permettre aux agriculteurs de prendre du recul sur leur métier, tout en contribuant à l'équilibre familial des agriculteurs en répondant aux besoins de vacances des membres de la maisonnée, d'autant plus si le ou la conjoint(e) travaille à l'extérieur.
Surtout, il permet d'apporter des réponses indispensables en cas de coups durs pour les agriculteurs : 38 % des heures sont effectuées à la suite d'accidents du travail, de la déclaration d'une maladie ou d'un décès.
La réduction de la main d'oeuvre familiale et la désertification des mondes ruraux ont conduit, inéluctablement, à une moins forte prégnance de certaines formes d'entraide en agriculture.
Pourtant, en cas de difficultés passagères, la réalisation ponctuelle de tâches par des tiers pour suppléer un agriculteur empêché est primordiale.
Faute de solutions acceptables, notamment en raison de leur coût, les exploitants poursuivent leurs activités, ce que rappelle un témoignage recueilli par les rapporteurs : « c'est un métier où il n'est pas facile car coûteux de se faire remplacer au-delà de quelques jours... Alors, même avec une hernie dorsale qui empêche de dormir, le matin on se lève, on serre les dents et on continue » .
En cas de problèmes de santé, le recours au service de remplacement devrait être facilité.
Des assurances remplacement sont d'ailleurs souscrites par les exploitants afin de leur garantir un remplacement en cas de maladie ou d'accident, le reste à charge pour les assurés, au-delà d'une franchise, devenant nul.
Si le taux de pénétration de ces contrats n'est pas négligeable, des témoignages nombreux ont rappelé que ces contrats étaient parmi les premiers à être arrêtés en cas de difficultés financières, y compris résultant de problèmes de santé.
Les caisses de MSA peuvent d'ores et déjà venir en aide à la souscription de ce contrat (à hauteur de 40 % la première année, 30 % la seconde année, basée sur quatre heures de remplacement journalier). Leur soutien pourrait être accru afin de garantir une meilleure couverture des exploitants au regard de ce risque.
En outre, cela ne réglera pas les difficultés pour les agriculteurs ayant des difficultés financières aiguës. Or il serait injuste de les exclure d'un remplacement qu'ils ne solliciteront pas faute de revenus. La MSA, au titre de ses actions sociales, pourrait prendre en charge intégralement le coût de ce remplacement en cas d'arrêt maladie d'exploitants ayant des ressources inférieures à un plafond.
Recommandation n° 8 : garantir des remplacements en cas d'arrêt maladie en
• augmentant le soutien de la MSA à la souscription d'assurance remplacement par les exploitants ;
• garantissant une prise en charge des remplacements par la MSA, pour les agriculteurs disposant de ressources inférieures à un plafond.
Faute d'un crédit d'impôt suffisant, en outre, des situations d'épuisement professionnel seront plus fréquentes.
Une jeune agricultrice de 35 ans, en élevage dans l'Est de la France, a par exemple déclaré lors de la consultation en ligne que « réussir à prendre la décision d'arrêter est long et tant les finances que le remplacement pour pouvoir le faire ne sont pas suffisants aujourd'hui ».
Il convient toutefois de rappeler que, s'il a déjà été prolongé fin 2018 par une initiative parlementaire, le crédit d'impôt est menacé d'extinction au 31 décembre 2022 129 ( * ) .
La mission, menée par le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), rappelle à cet égard que « de nombreux témoins ont affirmé aux missionnés qu'ils ne prendraient pas de congés si le remplacement était plus coûteux. Cela concerne au premier chef les éleveurs, dont on connaît les contraintes de travail et le niveau général de rentabilité des exploitations » 130 ( * ) .
Dans ce contexte, les rapporteurs estiment impérieux de le pérenniser une fois pour toute.
Recommandation n° 9 : pérenniser le crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement pour congés de certains exploitants agricoles.
En outre, pour en réduire le coût pour l'exploitant qui demeure encore trop élevé dans certains cas, une augmentation de ce taux pourrait être envisagée, en priorité pour les motifs de maladie ou d'accident.
Recommandation n° 10 : augmenter le taux du crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement pour congé de certains exploitants agricoles de 50 à 66 % pour les motifs de maladie ou d'accident.
Certaines caisses de MSA ont, en parallèle, mis en place le dispositif « un séjour ensemble pour repartir » permettant aux exploitants ou à leurs ayant droits de partir en vacances pour une durée de 5 jours durant les vacances scolaires, en famille, loin de l'exploitation. Le coût du service de remplacement est alors pris en charge par la MSA.
Durant le séjour, des temps d'échanges sont organisés au cours d'ateliers avec des psychologues mais surtout, les activités de détente en groupe favorisent également les échanges entre pairs.
Le dispositif est aujourd'hui déployé dans un tiers des caisses de MSA. En 2019, a minima , 230 personnes ont participé aux ateliers.
Recommandation n° 11 : généraliser l'action « Ensemble pour repartir » dans l'ensemble des caisses de MSA
2. Sensibiliser les étudiants agricoles aux nouvelles réalités du métier d'agriculteur
Comme le soulignent nombre de témoignages recueillis par les rapporteurs ( cf. supra , partie II), un des éléments majeur à l'origine de situations de détresse en agriculture résulte du décalage entre la vision du métier développée par l'aspirant exploitant et le contenu réel de certaines tâches, notamment administratives, devant être effectuées très régulièrement.
Pour beaucoup, le quotidien d'une exploitation est fait essentiellement de contacts avec la nature, la terre, les animaux, les matières premières. Si ces éléments sont, bien évidemment, très présents, ils tendent à occulter les autres aspects du quotidien d'un exploitant agricole : adaptation aux normes environnementales et sanitaires, démarches administratives chronophages à effectuer, préparation et réponse aux contrôles des pouvoirs publics, relations financières avec la MSA, réalisation d'un plan d'affaires pour décrocher un prêt, etc.
La perception de ce décalage entre les aspirations et la réalité du terrain accentue, quand elle ne crée pas, une forme de mal-être au travail, qui prospère sur un sentiment de désillusion et un stress accru.
Il semble donc nécessaire de sensibiliser les étudiants en formation agricole à ces enjeux afin qu'ils s'engagent en toute connaissance de cause.
Recommandation n° 12 : intégrer aux programmes de la formation initiale et continue agricole des modules sur :
- l'importance, le contenu et la régularité des tâches administratives auxquelles les agriculteurs feront face dans leur carrière ;
- l'évolution des normes sanitaires et environnementales et leur impact financier sur la trésorerie d'une exploitation ;
- la sensibilisation au burn-out .
3. Encourager un suivi régulier de la santé des exploitants
Nombre de témoignages ont mis l'accent sur le caractère « taiseux » des agriculteurs, affrontant les problèmes sans plaintes ni demande d'aide. Il en va de même pour les problématiques de santé, où une forme de « déni » existe chez certains quant au développement de symptômes médicaux nécessitant d'être traités (qu'ils soient physiques ou psychologiques).
Il arrive ainsi fréquemment, bien qu'il soit impossible de le chiffrer, qu'ils soient mis de côté, ignorés, favorisant ainsi leur aggravation et limitant les possibilités, in fine , de les combattre. Voir un médecin, concéder un souci de santé, serait assimilé à un échec, du corps comme de l'esprit.
Alors qu'un suivi médical périodique du salarié est prévu 131 ( * ) , dont la périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, est fixée par le médecin du travail au vu de ses conditions de travail, de son âge et de son état de santé, il n'existe pas d'équivalent pour l'exploitant agricole. En outre, pour les travailleurs dont les conditions de travail ou les risques professionnels encourus le nécessitent, ce délai est réduit à trois ans 132 ( * ) .
Les rapporteurs considèrent que les exploitants agricoles devraient bénéficier d'un tel suivi médical. Il est en effet paradoxal que la règle générale soit renforcée pour les salariés exposés à un certain nombre de risques, mais qu'aucune règle ne permette un suivi des agriculteurs exploitants, particulièrement exposés à ces risques.
Il est donc préconisé la mise en place d'un suivi médical régulier pour les agriculteurs de plus de quarante ans. L'ensemble des acteurs agricoles consultés se sont par ailleurs déclarés favorables à cette mesure.
Recommandation n° 13 : prévoir la mise en place d'une visite médicale obligatoire et gratuite tous les trois ans pour les agriculteurs exploitants de plus de quarante ans.
* 122 Le processus de versement des aides peut par ailleurs être interrompu de façon définitive si les délais sont dépassés.
* 123 Insee Focus n° 212 du 23 octobre 2020 - Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d'hommes.
* 124 Ibid.
* 125 Céline Rouquette, « Départs en vacances : la persistance des inégalités », Économie et Statistique n° 345, 2001.
* 126 Insee Focus n° 212 du 23 octobre 2020, op. cit.
* 127 CGAAER, rapport n° 19068, Les services de remplacement en agriculture, juin 2020.
* 128 CGAAER, ibid.
* 129 Lors de la séance du 15 novembre 2018 sur le projet de loi de finances pour 2019, le ministre au banc, M. Bruno Le Maire, avant de donner un avis « très favorable » sur cet amendement, a rappelé que la fiche qui lui était fournie lui indiquait que « le Gouvernement n'est pas favorable à votre proposition. Quand bien même nous souhaiterions accéder à votre demande, cet avantage fiscal est encadré par le droit européen en matière d'aides d'État et subordonné au respect du règlement. Il ne peut être prorogé au-delà de cette date... ».
* 130 CGAAER, op. cit.
* 131 Art. R. 4624-16 du code du travail.
* 132 Art. R. 4624-17 du code du travail.