B. UN DÉCALAGE PERSISTANT ENTRE LES OBJECTIFS ET LES MOYENS NÉCESSAIRES POUR LES ATTEINDRE
Le rapporteur constate et regrette la persistance d'un décalage entre des objectifs ambitieux et la réalité des moyens mobilisés qui pose question sur l'ambition réelle du Gouvernement pour l'audiovisuel public . Les directions des entreprises de l'audiovisuel public comme les syndicats des personnels auditionnés par le rapporteur se sont tous inquiétés de l'absence de perspective stratégique au-delà de 2022 et de l'incertitude créée par l'absence de réforme de la CAP . Alors que les COM ont pour objectif prioritaire de permettre aux entreprises de développer un projet sur un horizon pluriannuel, ces « mini-COM » ont l'effet inverse puisqu'ils prolongent l'incertitude au-delà de 2022 .
Les cinq objectifs communs n'apparaissent par ailleurs pas de nature à permettre aux entreprises de l'audiovisuel public de poursuivre leurs missions ni de répondre pleinement aux attentes des Français.
L'objectif n° 1 visant à proposer une offre de service public « identifiée » apparaît ainsi contradictoire avec le maintien de la publicité comme ressource essentielle de France Télévisions et Radio France . Non seulement la présence de publicités renforce la confusion entre l'offre de service public et celle des médias privés mais l'accroissement du besoin de ressources publicitaires développe une course à l'audience préjudiciable à la diversité de l'offre publique , ses programmes les plus exigeants se retrouvant menacés de disparition pour satisfaire le goût « moyen » comme l'ont indiqué les syndicats des personnels de Radio France auditionnés par le rapporteur.
La suppression du plafond de 42 M€ qui figurait dans le COM 2015-2019 de Radio France traduit aussi une difficulté à défendre la spécificité du service public de l'audiovisuel qui fait écho à l'élargissement du parrainage publicitaire sur France Télévisions institué par le décret 11 ( * ) du 15 février 2017. Au-delà des mots - voire des slogans - convenus et attendus, les COM traduisent une absence de choix de la part de l'actionnaire entre un modèle proche de la BBC fondé sur une identité forte reposant sur une absence de publicité auquel on peut rattacher à certains égards ARTE et FMM et un modèle mixte - mi-public mi-privé - alliant un financement public à une part croissante de ressources issues de la publicité qui caractérise France Télévisions et Radio France.
Le rapporteur déplore par ailleurs la contradiction qu'il perçoit entre l'affirmation de « la vocation universelle des offres proposées » et la suppression de France 4 qui aura pour effet de réduire significativement la place de la jeunesse dans les programmes de France Télévisions. Or comme le rappelait le rapport Schwartz de 2015 dans son analyse comparative européenne, « les bouquets des chaînes publiques étrangères incluent quasi systématiquement un canal dédié à l'information et un à la jeunesse (enfants et adolescents), souvent complété par un canal spécifique pour les jeunes adultes, ce que permet la détention d'un nombre important de canaux hertziens » . La décision de supprimer France 4 apparaît donc à rebours des bonnes pratiques de l'audiovisuel public européen et parfaitement incohérente avec l'objectif de vocation universelle des programmes de France Télévisions .
Concernant l'objectif n° 2 de développement des synergies, la présidente de France Télévisions a reconnu lors de la table ronde du 12 janvier 2021 qu'elles étaient « finalement moins ambitieuses que prévu » . Le rapporteur constate qu'aucun nouveau grand projet commun n'a été prévu par les COM qui se limitent à faire référence aux initiatives déjà lancées. L'abandon de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public a très certainement compromis l'horizon des coopérations, le maintien des structures actuelles compliquant la coordination des équipes et l'absence d'identité commune favorisant le repli des personnels sur leur « culture maison ».
Le rapporteur regrette par ailleurs l'absence de véritable bilan des projets menés en commun. Concernant les matinales communes à France 3 et France Bleu, les syndicats de Radio France ont par exemple indiqué que l'audience télévisée était constituée essentiellement par un transfert d'auditeurs de France Bleu . Ils ont aussi indiqué que la concentration des moyens sur les matinales avait eu pour conséquence de supprimer la plupart des décrochages locaux de France Bleu entre 12 h et 16 h.
Concernant la réduction des coûts mentionnée à l'objectif n° 3, la commission de la culture a apporté son soutien à la trajectoire budgétaire définie en 2018 par le Gouvernement qui prévoit une baisse de la ressource publique sur la période 2018-2022 de 190 M€ afin de créer une obligation de résultat pour les entreprises concernées. Même si le procédé a pu apparaître comme brutal, il constituait sans doute le seul moyen pour ériger l'objectif de meilleure gestion au rang de priorité.
L'objectif n° 4 de maîtrise de la masse salariale est globalement atteint avec toutefois quelques nuances . La masse salariale de France Médias Monde continuera ainsi à augmenter dans les années qui viennent puisqu'elle devrait atteindre 144,2 M€ en 2021 et 145 M€ en 2022 contre 143,3 M€ en 2019 et 2020. La masse salariale de France Télévisions qui s'établissait à 897,5 M€ en 2019 sera ramenée à 861 M€ en 2022 ce qui représente une baisse de - 3,8 % par rapport à 2015. La masse salariale de Radio France devrait connaître un pic à 401,5 M€ en 2021 avant de revenir à 395,4 M€ en 2020 c'est-à-dire un niveau inférieur à celui de 2019 (396,9 M€).
Les COM évoquent d'ailleurs la « maîtrise » de la masse salariale et non sa baisse. Il existe plusieurs raisons qui expliquent la « rigidité » de ce poste de dépenses. La première raison tient sans doute au fait que l'audiovisuel est une industrie de main d'oeuvre et que la réduction du nombre des salariés impose assez rapidement une redéfinition des missions quand ce n'est pas une réduction du périmètre des activités. La deuxième raison tient au dynamisme « naturel » de la masse salariale du fait de l'inflation, de l'augmentation des salaires due à l'ancienneté et des dispositions générales négociées par accords collectifs qui rendent la stabilisation déjà difficile à obtenir. Un autre facteur tient à l'évolution de la pyramide des âges de ces entreprises et à la nécessité de recruter des jeunes maîtrisant les technologies numériques qui interdit de ne pas remplacer au moins partiellement les départs.
Ces différents facteurs excluent de considérer la masse salariale séparément du projet stratégique de l'entreprise sauf à prendre le risque de fragiliser l'exercice des missions au nom d'un objectif purement comptable. C'est ainsi que la diminution du nombre des journalistes de la radio arabophone Monte Carlo Doualiya (MCD) 12 ( * ) apparaît comme contradictoire avec l'objectif de diffusion des valeurs de la France dans le monde arabe même si cette mutualisation devrait néanmoins permettre de développer des synergies . De la même manière, les suppressions de France 4 et de France Ô devraient avoir un impact limité sur la masse salariale de France Télévisions compte tenu du reclassement des personnels sur d'autres activités et du coût des mesures de compensation adoptées pour préserver l'offre à destination de la jeunesse et des Outre-mer.
Le rapporteur reconnaît que des progrès ont été réalisés dans la gestion des différents groupes publics depuis 2015 grâce à la mobilisation des directions des entreprises et des personnels . Il regrette toutefois qu'il ait fallu attendre 2018 pour que cette préoccupation soit inscrite en tête des priorités ce qui a pour effet de concentrer les efforts sur les années 2021-2022. Le rapporteur déplore, enfin, une nouvelle fois la décision de limiter l'horizon des COM à 2022 avec pour conséquence de réduire la visibilité des entreprises. Le choix d'un COM de 4 ou 5 ans aurait permis de rassurer les entreprises et les personnels sur leur avenir et de mieux associer ces derniers aux efforts demandés. Au lieu de cela, une crainte grandit concernant d'une part, une remise en cause du financement indépendant par la CAP après 2023 et, d'autre part, une nouvelle réduction des moyens qui menacerait sans doute l'étendue de l'offre .
Concernant l'objectif n° 5 de « média exemplaire », si le rapporteur constate les progrès déjà accomplis en faveur de la parité hommes - femmes, il rappelle que l'exemplarité ne saurait faire l'impasse sur la rémunération de certains animateurs « stars » et sur le coût de certains contrats conclus avec des sociétés de production . On ne peut que regretter à cet égard que les COM n'appellent pas à respecter une certaine éthique du service public en matière de coût des programmes et de rémunération des personnels.
* 11 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034053308
* 12 Le nombre des journalistes de MCD passera de 74 à 54 à l'issue du rapprochement avec la rédaction arabophone de France 24.