III. POUR UN CAPITALISME TERRITORIAL
Actif stratégique, leader industriel, les Chantiers de l'Atlantique sont surtout structurants pour un territoire qui vit à leur rythme. À ce titre, tout projet alternatif de rachat de l'entreprise devra refléter la forte mobilisation de tout l'écosystème local, que la commission a pu constater lors de son déplacement sur le site de Saint-Nazaire.
De manière unanime, les acteurs locaux ont souligné l'esprit partenarial qui anime le bassin économique : aussi bien les pouvoirs publics comprenant la Région, l'intercommunalité de la Carene et la Ville de Saint-Nazaire ; que les acteurs privés, soutenus par les réseaux consulaires, ont le souci de créer les conditions nécessaires à la pérennité de la réussite des chantiers navals français.
Tous ont pourtant exprimé de sérieux doutes sur la reprise envisagée par Fincantieri, portant aussi bien sur les risques de transfert d'activité vers les chantiers et entreprises italiennes, que sur la perte de leadership industriel au profit de la Chine. En cas d'abandon du projet de cession à Fincantieri, ils ont indiqué être prêts à s'engager plus avant au capital des Chantiers de l'Atlantique afin de garantir la pertinence et la solidité du projet industriel retenu par l'État.
A. LES ENTREPRISES LOCALES SONT PRÊTES À S'IMPLIQUER DAVANTAGE DANS UN PROJET QUI TRADUIRAIT LEURS LIENS ÉCONOMIQUES FORTS AVEC LES CHANTIERS
Vingt sociétés locales, coréalisatrices des Chantiers de l'Atlantique, détiennent aujourd'hui 1,6 % du capital de l'entreprise, acquis en 2018 pour près de 1,9 millions d'euros . Interrogées par la commission sur le contexte ayant présidé à cette entrée au capital, les entreprises ont indiqué que « les parlementaires et un certain nombre de cotraitants ont exprimé dès l'été 2017 leur proposition de construire une alternative [à la cession majoritaire des Chantiers à Fincantieri]. [...] CofiPME a été créée en conséquence » 50 ( * ) .
Dès les prémices du projet de rachat par Fincantieri, les partenaires locaux des Chantiers avaient donc fait part à l'État d'une part, de leurs réticences vis-à-vis d'une prise de contrôle par Fincantieri ; de l'autre, de leur volonté de s'engager plus largement au sein de l'actionnariat de l'un de leurs principaux donneurs d'ordres. Comme l'a toutefois indiqué CofiPME : « L'État a souhaité privilégier une solution avec Fincantieri, mais a accepté que des cotraitants puissent devenir actionnaires très minoritaires et sans pouvoirs de gestion opérationnelle [des Chantiers]. Nous étions prêts à nous investir davantage sans ces contraintes [...] » .
On ne peut que s'étonner du manque de réceptivité témoigné par le Gouvernement à une telle proposition, qui présentait pourtant l'avantage de la cohérence industrielle, de l'ancrage territorial et d'un dialogue plus inclusif. Pourquoi avoir soutenu, par exemple, la prise de participations par Naval Group au sein des Chantiers, et découragé de l'autre un engagement plus conséquent de la part des fournisseurs ?
En effet, la faible participation actuelle de CofiPME au capital des Chantiers ne reflète pas l'importance des liens économiques qui unissent ces acteurs. Près d'un dixième de l'activité économique du bassin nazairien serait aujourd'hui en lien direct avec les Chantiers de l'Atlantique, et un emploi créé dans la construction navale générerait environ 1,6 emploi dans d'autres secteurs 51 ( * ) . Au total, les vingt entreprises membres de CofiPME réalisent près de 228 millions d'euros annuels de chiffre d'affaires résultant directement de leur activité dans le secteur de la construction navale civile en lien avec les Chantiers de l'Atlantique 52 ( * ) .
La commission remarque également que cette faible participation limite l'information tenue à disposition des entreprises locales par l'État. Ce manque d'information est d'ailleurs déploré par l'ensemble des parties prenantes au rachat par Fincantieri, les entreprises pourtant actionnaires des Chantiers ayant par exemple expliqué n'avoir pas eu accès au pacte d'actionnaires signé par l'Agence des participations de l'État (APE) et par Fincantieri.
Dans le cadre d'un éventuel nouveau tour de table, il serait incompréhensible que l'État ignore de nouveau une telle solution incluant les acteurs industriels locaux. Comme l'ont souligné les entreprises, le fonctionnement de l'écosystème nazairien, clé du savoir-faire des Chantiers, ne saura fonctionner « sans partage d'une vision claire et d'un climat de confiance alimenté par [...] des investissements cohérents et partagés. Il est donc essentiel au-delà de l'engagement de l'État, que l'actionnariat majoritaire des Chantiers favorise une visibilité et un engagement à long terme » 53 ( * ) . À ce titre, il faut d'ailleurs souligner les investissements significatifs déjà engagés par les entreprises locales pour accompagner le développement de l'activité des Chantiers. Selon les chiffres communiqués à la commission, et à titre d'exemple, l'une d'elles a mobilisé près de 1,2 millions d'euros afin d'installer une ligne robotisée associée à une zone logistique ; une autre a investi près de 4,7 millions d'euros dans des plateformes logistiques industrielles et des logiciels adaptés. De nouvelles capacités immobilières ont également été acquises afin de répondre aux besoins 54 ( * ) .
Ces montants témoignent des importantes capacités financières que les entreprises cotraitantes pourraient mobiliser à la faveur d'un projet alternatif de rachat du site de Saint-Nazaire. Selon CofiPME, et en fonction la valorisation des parts actuellement détenues par l'État, la participation des entreprises locales pourrait être portée « à près de 10 à 15 %, aux côtés d'investisseurs financiers et territoriaux qui pourraient assurer un financement complémentaire » 55 ( * ) .
Une participation accrue au capital pourrait se réaliser sous deux formes : un élargissement de l'actionnariat de CofiPME , avec un niveau de participation plus élevé ; ou la participation des entreprises à une holding associant d'autres actionnaires.
La commission a pu constater sur le terrain les liens forts qui unissent l'écosystème qui entoure les Chantiers de l'Atlantique, et l'importante mobilisation des entreprises locales en faveur d'un projet d'avenir mieux concerté. Elle insiste sur la nécessité pour le Gouvernement de faire preuve d'une réelle capacité d'écoute , plutôt que de privilégier à n'importe quel prix la solution d'un acquéreur unique éloigné des territoires.
* 50 Contribution écrite aux travaux de la commission.
* 51 Éléments fournis par les personnes entendues par la commission.
* 52 Chiffres fournis par CofiPME.
* 53 Contribution écrite aux travaux de la commission.
* 54 Chiffres fournis par CofiPME.
* 55 Contribution écrite aux travaux de la commission.