B. LE TOURNANT DE 2015 VERS UN SECTEUR AUTOROUTIER PLUS FORTEMENT RÉGULÉ
1. Mise en place d'une régulation du secteur autoroutier par la loi « Macron »
Le protocole d'accord entérine par ailleurs le principe d'une régulation indépendante du secteur autoroutier . La compétence en la matière est confiée à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), qui devient l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) à la suite de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015, dite « loi Macron ».
L'article 13 de la loi détaille les nouvelles compétences confiées à l'Arafer 92 ( * ) . Celle-ci doit veiller au bon fonctionnement du régime des tarifs de péage autoroutier (article L. 122-7 du code de la voirie routière), se prononcer sur les projets de modification des contrats lorsqu'ils ont une incidence sur les tarifs de péage ou sur la durée de la concession (article L. 122-8 du même code) et effectuer un suivi annuel des comptes des concessionnaires .
L'Arafer contrôle également les procédures de passation des marchés de travaux, de fournitures ou de services et des contrats d'exploitation des sous-concessions (aires de repos et de services) par les concessionnaires d'autoroutes, dont l'encadrement juridique est renforcé (articles L. 122-16 à L. 522-21 du code de la voirie routière).
L'Autorité se prononce en outre avant l'institution d'une section à péage en vue d'assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toutes natures liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure. Le financement de nouveaux travaux ne peut être couvert que par une augmentation des tarifs de péage et non plus par un allongement de la concession, sauf autorisation expresse du Parlement.
Enfin, l'Arafer, devenue l'Autorité de régulation des transports (ART) depuis la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019, établit un rapport public quinquennal portant sur l'économie générale des conventions de concession , et assure un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession (article L. 122-9 du même code).
L'article 15 de la loi « Macron » reprend par ailleurs certaines dispositions du protocole d'accord, notamment le principe de clauses de modération et d'encadrement de la rentabilité sous forme de modération des tarifs de péages, de réduction de la durée de la concession ou d'une combinaison des deux, applicables lorsque les revenus des péages ou les résultats financiers excèdent les prévisions initiales 93 ( * ) .
2. Négociation du plan d'investissement autoroutier (PIA) en 2016 et affirmation du rôle du régulateur autoroutier
Un an après la conclusion du PRA, le Président de la République annonce, le 28 juillet 2016, l'ouverture de nouvelles négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes et les collectivités territoriales, afin de préparer un plan d'investissement autoroutier (PIA ).
Le financement de ce plan diffère de celui du PRA, dans la mesure où les investissements sont financés pour moitié par les collectivités territoriales pour les opérations routières d'intérêt local, la part restante étant financée par des hausses de péages comprises entre 0,1 % et 0,4 % par an sur les années 2019, 2020 et 2021.
L'Arafer a publié ses avis sur les projets d'avenants destinés à mettre en oeuvre ce plan le 14 juin 2017. Elle a écarté 23 opérations (représentant environ 34% du coût total de construction du plan) dont le financement par l'usager de l'autoroute ne lui paraissait pas justifié, soit parce que les projets correspondaient à des obligations déjà prévues dans les contrats de concession, soit parce qu'il n'était pas établi qu'ils soient strictement nécessaires ou utiles à l'exploitation de l'autoroute.
L'Arafer a également estimé que le taux de rentabilité interne (TRI) retenu était trop élevé .
Le concédant a suivi ces avis. Il a réduit le nombre des opérations par rapport à ce qui avait été initialement envisagé et le montant des coûts de construction du PIA, initialement estimé à 803,5 millions d'euros, a été fixé à 700 millions d'euros. Le taux de rentabilité interne a également été revu à la baisse, passant de 6,5 % à 5,9 % 94 ( * ) .
3. Poursuite des débats sur la rentabilité des concessions autoroutières en 2018-2019
a) Nouveau référé de la Cour des comptes
Dans le prolongement des avis de l'Arafer sur le PIA, la Cour des comptes a adressé au Gouvernement, en janvier 2019, un référé 95 ( * ) , dans lequel elle critique sévèrement les conditions de négociation du PRA et du PIA . La Cour souligne que « les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse » et observe que l'allongement de la durée des concessions destiné à compenser les 3,2 milliards d'euros de travaux du PRA rapportera finalement 15 milliards d'euros aux SCA .
La Cour considère également que certaines opérations déjà prévues par les cahiers des charges des concessions ont été intégrées dans le montant des investissements donnant lieu à de nouvelles compensations et que celles-ci reposent au surplus sur des hypothèses économiques trop favorables aux SCA . Elle avait déjà dénoncé cet « effet d'aubaine » en 2013 à propos du Paquet vert autoroutier.
Sur ce dernier point, le Gouvernement a précisé, dans sa réponse à la Cour, que l'expertise indépendante avait conforté l'évaluation du coût des travaux produite par la DGITM .
Concernant par ailleurs les paramètres macro-économiques ayant un impact sur la rémunération des SCA, le Gouvernement rappelle qu'ils ont été validés par la Commission européenne en 2014 et qu'une baisse du taux de rendement interne à 5,9 % a été renégociée pour le PIA, après avis de l'Arafer.
b) Mesures commerciales sur les trajets du quotidien
À la fin de l'année 2018, le mouvement des « gilets jaunes » conduit à une baisse de trafic pour quatre SCA , dont deux historiques (Escota et ASF sur les réseaux desquelles le trafic des véhicules légers a diminué entre 2017 et 2018 de respectivement 3,5% et 0,9% 96 ( * ) ).
En réponse au mouvement social, les sociétés d'autoroutes se sont engagées, en janvier 2019, à accorder des mesures commerciales ciblées sur les trajets quotidiens , au moyen d'une réduction de 30% pour les utilisateurs effectuant dix allers-retours par mois sur un même trajet (en pratique les trajets domicile-travail).
Si un million de personnes devaient initialement bénéficier de cette mesure, selon les annonces du ministère des transports, seuls 100 000 abonnés profitaient effectivement de cette offre en juin 2020 .
c) Rejet d'une proposition de loi de nationalisation
Dernier temps du débat public avant la création de la présente commission d'enquête, une proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) a été déposée au Sénat en janvier 2019 par Éliane Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste 97 ( * ) . La proposition de loi défendait une nouvelle fois la renationalisation des SCA « historiques » pour un coût estimé entre 28 et 50 milliards d'euros, coût dont les auteurs préconisaient qu'il soit financé par un emprunt à long terme.
La proposition de loi a été rejetée par le Sénat le 7 mars 2019 à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable en raison du coût d'une telle opération pour les finances publiques, de l'impréparation de l'État et de la proximité des échéances de certaines concessions 98 ( * ) .
* 92 Voir troisième partie.
* 93 Art. L. 122-4 modifié du code de la voirie routière qui n'a pas d'effet rétroactif sur les concessions existantes.
* 94 Une analyse du PIA figure dans la troisième partie du rapport.
* 95 Référé n° S2018-4023 du 23 janvier 2019 .
* 96 Arafer, Synthèse des comptes des sociétés autoroutières pour 2018 .
* 97
Proposition de loi n° 249 (2018-2019) présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France. |
* 98 Rapport n° 336 (2018-2019) de M. Guillaume Gontard , fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Voir Quatrième Partie.