LES OUTILS DE TRAÇAGE NUMÉRIQUE
ET LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

Pour renforcer l'efficacité des moyens traditionnels de lutte contre la pandémie, de nouveaux outils numériques et l'analyse des données à caractère personnel ont été mis en oeuvre ou sont envisagés, notamment dans le cadre d'une stratégie de sortie de confinement .

Ces outils pouvant poser de graves questions au regard des libertés fondamentales, la mission de suivi a demandé, dès la parution de son premier rapport, que toute proposition du Gouvernement en matière de traçage numérique soit sans délai présentée au Parlement et fasse l'objet d'une analyse vigilante avant d'être déployée.

Le Gouvernement a rendu publiques 66 ( * ) début avril les bases d'un projet d'application « StopCovid » pour terminaux mobiles : cet outil permettrait de suivre et d'enregistrer les interactions entre téléphones mobiles ( « contact tracing » ) pour rompre les chaînes de transmission et limiter ainsi la diffusion du virus.

L'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) a publié 67 ( * ) fin avril les premiers principes d'un protocole « ROBERT » pour l'application informatique en cours de développement.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement technique du dispositif envisagé, ses fondements juridiques, son efficacité et sa portée en termes de libertés publiques, la commission des lois a entendu en audition plénière spécifiquement sur ce sujet :

- Mme Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ;

- MM. Jean-François Delfraissy, président du Comité scientifique Covid-19, et Aymeril Hoang, expert en numérique, membre du Comité scientifique Covid-19 ;

- et M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique.

En outre MM. Loic Hervé et Danny Wattebled, co-rapporteurs de la mission en charge de la thématique « outils de traçage numérique et protection des données personnelles » ont procédé à l'audition de chercheurs 68 ( * ) , de représentants d'organisations de la société civile (Internet Society France, La Quadrature du net), du président de la CNCDH, M. Jean-Marie Burguburu, ainsi que du président directeur général de l'Inria, M. Bruno Sportisse.

Tout en restant prudent, en raison du caractère à ce jour encore inachevé et partiellement public de l'application, les éléments d'information recueillis lors de ces travaux et éclairés par les avis du Conseil national du numérique, de la CNIL et du conseil scientifique Covid-19, permettent aux co-rapporteurs de dresser une première synthèse des enjeux du projet gouvernemental d'outil numérique de traçage et de proposer certaines recommandations.

I. LE CONCEPT D'APPLICATION « STOPCOVID » : UN OUTIL NUMÉRIQUE POUR RENFORCER LE SUIVI DES CONTACTS ET BRISER LES CHAINES DE CONTAMINATION

A. UN OUTIL QUI ENTEND COMBLER CERTAINES LACUNES DES TECHNIQUES TRADITIONNELLES DE SUIVI DES CONTACTS ET CHANGER D'ÉCHELLE

Le suivi de contacts (« contact tracing ») est une politique de santé publique traditionnelle contre les épidémies qui vise ralentir la propagation de l'agent pathogène.

En l'espèce, comme l'ont rappelé les membres du comité scientifique covid-19 lors de leur audition, l'utilité de retracer sur plusieurs jours les interactions passées des personnes diagnostiquées positives au virus s'explique par l'existence d'une phase asymptomatique de la maladie : le virus n'est pas détectable aux premiers stades de la contamination, alors que le porteur est déjà contagieux. Il est donc particulièrement utile d'identifier rapidement les personnes avec lesquelles un malade diagnostiqué a pu se trouver en contact pendant leur période d'incubation pour éviter que ces dernières ne contaminent à leur tour d'autres gens pendant cette phase asymptomatique. L'objectif, en alertant ces personnes, est de briser les chaînes de contamination et d'endiguer la propagation exponentielle de la maladie.

Concrètement, dès qu'une personne est détectée positive, un enquêteur sanitaire parmi la centaine opérant au sein des cellules régionales de Santé publique France et des ARS interroge ce malade afin d'identifier tous ceux susceptibles d'avoir été contaminés au cours d'un précédent contact. Ces derniers sont repérés, interrogés, évalués, conseillés et le cas échant placés sous surveillance sanitaire. C'est ce protocole qui a été suivi, par exemple, dans les clusters des Contamines-Montjoie et de l'Oise.

L'enquête manuelle de suivi de contacts présente ainsi des limites , certaines inhérentes à la méthode, d'autres dues aux moyens que les autorités de santé sont capables de mobiliser :

- elle est fondée sur la mémoire des malades, qui peut être imparfaite, s'agissant de remonter sur près de deux semaines, et elle ne permet jamais, en tout état de cause, d'identifier et d'alerter quiconque en cas de contact d'un malade avec des personnes inconnues de lui (les nombreuses personnes anonymes rencontrées dans les transports et lieux publics, notamment) ;

- elle prend du temps et exige de disposer de moyens humains considérables sur le terrain pour retrouver et évaluer chacun des contacts déclarés par un malade.

Comme l'a indiqué Cédric O lors de son audition devant la commission, le recours à un outil numérique de suivi des contacts entend ainsi « combler les lacunes des enquêtes de terrain », ses principaux avantages étant :

- de permettre de mémoriser automatiquement sur l'appareil l'ensemble des contacts ayant été à proximité d'un malade, y compris ceux inconnus de lui, ou ceux qu'il aurait oublié ;

- de permettre un suivi potentiellement plus rapide , et à bien plus grande échelle , de la population exposée.


* 66 Dans un entretien du ministre de la Santé Olivier Véran et du secrétaire d'État au Numérique Cédric O au journal Le Monde et un communiqué de presse du 9 avril 2010.

* 67 https://github.com/ROBERT-proximity-tracing

* 68 M. François Pellegrini, professeur d'informatique à l'université de Bordeaux ; M. Theodore Christakis ; professeur de droit à l'Université Grenoble Alpes, membre du CNNum et du comité pilote d'éthique du numérique du CCNE ; M. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'Université de Lille.

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