B. DES HOMOLOGUES EUROPÉENS CONSTITUANT TANT DES PARTENAIRES QUE DES CONCURRENTS
1. Une participation aux projets internationaux en coopération avec les homologues étrangers
Au niveau international, la concurrence s'exerce dans le domaine de la recherche appliquée menée pour la Commission européenne et dans les contrats d'étude ou de transfert de technologie au profit de partenaires industriels.
Les financements via les subventions de l'Union européenne (cadre multilatéral) sont très sélectifs et la concurrence est importante entre les consortia montés, mettant au second plan la concurrence directe entre les instituts des États membres de l'UE.
Dans le domaine aérospatial, deux associations d'instituts de recherche ont été créées 14 ( * ) en vue de dialoguer et de coordonner en amont la réponse aux appels à projet de l'UE. Dans ce cadre, l'ONERA et ses homologues étrangers, comme le Centre italien de recherche aérospatiale (CIRA) ou le Netherlands Aerospace Center (NLR) néerlandais, peuvent se retrouver leader d'un consortium et également partenaires d'un consortium concurrent, selon une mécanique acceptable par l'association et qui permet d'augmenter le taux de succès des propositions.
Le Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt (DLR), homologue allemand de l'ONERA, constitue également l'un de ses principaux partenaires, selon la même logique.
La coopération entre le DLR allemand et l'ONERA L'ONERA et le DLR ont aujourd'hui divers domaines de coopération. Le domaine des hélicoptères, qui est le premier sujet de la coopération franco-allemande, fait l'objet d'un programme commun entre l'ONERA et le DLR depuis 1999. Le programme de recherche est harmonisé avec Airbus Hélicoptères et soumis aux institutionnels étatiques (DGA, DGAC, ministère fédéral allemand de l'économie et des technologies). Un exemple emblématique de cette coopération est la pale Blue-Edge , avec sa forme en double-flèche permettant la réduction de l'empreinte acoustique. Cette dernière est issue de recherches de l'ONERA et du DLR (brevet commun ONERA-DLR-Airbus) et équipe le H160 et le futur H160M Guépard. Parmi les autres sujets de collaboration bilatérale entre l'ONERA et le DLR on peut citer : - le programme de recherche sur les avions de transport (complété par ailleurs par de nombreuses actions collaboratives dans le cadre du programme européen Cleansky-2, auxquelles participent le DLR et l'ONERA) ; - des recherches sur les nouvelles technologies de lanceurs ou encore la collaboration sur l'intelligence artificielle appliquée à l'aérospatiale, démarrée en 2019 et qui prévoit la création d'un « virtual lab » soutenu par plusieurs thèses et échanges de scientifiques. Source : commission des finances, d'après l'ONERA |
Cette coopération ne doit pas masquer le fait que la montée en puissance du DLR constitue à terme une indéniable menace pour l'indépendance et la pérennité des compétences françaises dans le domaine aérospatial.
2. Une forte montée en puissance de l'homologue allemand de l'ONERA, susceptible de remettre en cause son leadership en Europe dans certains domaines
Le soutien public de la recherche au secteur aérospatial en Allemagne est essentiellement focalisé sur les instituts Fraunhofer 15 ( * ) et le DLR, qui constituent donc des organismes à la fois partenaires et concurrents de l'ONERA.
Le DLR comprend un périmètre plus large que celui de l'ONERA, puisque l'aéronautique ne rassemble que 27 % de ses dépenses.
Répartition par secteurs du budget 2019 du DLR
Source : commission des finances, d'après l'ONERA
Néanmoins, même en prenant en compte ces différences de périmètre, et comme l'ont relevé l'intégralité des interlocuteurs du rapporteur spécial en audition, le DLR met en oeuvre depuis cinq ans une stratégie de développement particulièrement offensive.
Entre 2014 et 2018, le budget de la seule section aéronautique du DLR a ainsi augmenté de près de 30 %, tandis que la part de subvention publique dans son budget total a augmenté de près de dix points, passant de 64 à 73 %. Il bénéficie notamment d'un soutien des régions important et pérenne, principalement en raison de l'impact sur les bassins d'emploi 16 ( * ) .
Évolution du budget du DLR aéronautique
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances, d'après l'ONERA
La comparaison avec l'évolution du budget de l'ONERA montre que l'évolution et la volonté de développement est particulièrement manifeste à partir de 2016.
Évolution du budget du DLR aéronautique et de l'ONERA
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances, d'après l'ONERA
Les effectifs des deux établissements suivent des évolutions similaires. Les effectifs du DLR aéronautique atteignent ainsi 1 860 ETP en 2018, l'ensemble du DLR employant un total de 8 444 ETP.
Évolution des effectifs du DLR et de l'ONERA
(en ETP)
Source : commission des finances, d'après l'ONERA
La comparaison de l'évolution des budgets et des effectifs du DLR et de l'ONERA appelle deux remarques.
En premier lieu, la comparaison avec l'Allemagne permet de confirmer le caractère insuffisant du soutien financier direct de l'État à l'ONERA . Le DLR dispose, à l'heure actuelle, d'un historique, de ressources en matière de savoir-faire aéronautique bien moindres que ceux de l'ONERA. De même, l'écosystème industriel aéronautique et le tissu productif du secteur apparait plus favorable en France qu'en Allemagne. Le moindre soutien de l'ONERA par rapport au DLR est susceptible d'inverser, à termes, cette situation et apparaît comme une réelle erreur stratégique susceptible de compromettre un avantage comparatif majeur de la France.
En second lieu, le développement du DLR, qui constitue tant un partenaire qu'un concurrent, fait courir le risque de « fuite des compétences » au profit de l'Allemagne, dans des secteurs d'importance majeure pour l'indépendance de la France, sur lesquels elle est pourtant reconnue comme la meilleure en Europe, grâce à l'ONERA, comme l'aviation de combat.
À cet égard, le projet de système de combat aérien du futur (SCAF), auquel est associé le DLR, ce qui n'est pas encore le cas de l'ONERA, est un révélateur majeur du risque que fait courir le « délaissement » de l'ONERA pour les compétences stratégiques françaises.
* 14 L'EREA pour l'aéronautique civile et l'ESRE pour le spatial, l'ONERA ayant été membre fondateur de ces deux associations.
* 15 Les instituts Fraunhofer ont une activité de recherche, mais en général sur des niveaux de maturité technologique (TRL) relativement élevés car leur vocation est essentiellement la recherche appliquée et son transfert vers l'industrie allemande.
* 16 Le soutien public obéit en Allemagne à un fonctionnement différent du nôtre : il provient de deux canaux distincts, le ministère fédéral (programme LUFO pour l'aéronautique) et les Länder (régions) qui ont leurs propres programmes de subvention.