C. L'ABSENCE D'ASSOCIATION DE L'ONERA AUX TRAVAUX PRÉLIMINAIRES DU SCAF : UNE MENACE POUR L'ÉQUILIBRE DES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES EN MATIÈRE D'INDUSTRIE DE DÉFENSE

1. Le SCAF, un projet d'importance stratégique pour la France

Les travaux préparatoires en cours initient le lancement progressif, à compter de 2020, du développement d'un programme de démonstrations technologiques visant à apporter des ruptures capacitaires dans le domaine de l'aviation de combat . Ce projet est porté par un noyau franco-allemand récemment rejoint par l'Espagne. La maîtrise d'ouvrage est pilotée par la France et a vocation à être ouverte à d'autres pays intéressés.

Le système de combat aérien du futur (SCAF)

En 2017, la France et l'Allemagne sont convenues de développer un système de combat aérien européen pour remplacer leurs flottes actuelles d'avions de combat sur le long terme.

Le SCAF sera le système de combat aérien du 21 e siècle. Il rassemblera autour d'un nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes de 2040 et exploitant le potentiel de l'intelligence artificielle, des moyens de combat travaillant en réseau, dont des drones de différents types. Il devrait être mis en service à l'horizon 2040.

Initiée lors du conseil des ministres franco-allemand en 2017, élargie puis renforcée en 2019 par un accord-cadre regroupant la France, l'Allemagne et l'Espagne, la coopération SCAF se structure. Ce projet tripartite est appelé « NGWS ( Next generation weapon system ) within a FCAS » qui remplira des missions plus ou moins spécifiques pour remplacer à terme les flottes d'avions de combat RAFALE et Eurofighter. La France a été désignée leader de ce projet. L'accord cadre porte sur les activités de R&T et de démonstrations s'étendant jusqu'en 2030.

Deux types de travaux sont menés à court et moyen terme :

- des études d'architectures permettant d'établir les exigences du système de systèmes et des objets qui le composent et également la comparaison de différents concepts (contrat JCS lancé en janvier 2019) ;

- des études de R&T et le développement de démonstrateurs indispensables pour répondre aux évolutions nécessaires à venir dans le domaine de l'aéronautique de combat. La France a en effet identifié 7 piliers couvrant l'ensemble des invariants technologiques nécessaires au SCAF (système de systèmes, avion de nouvelle génération « NGF », très haute furtivité, capteurs, propulsion, « Remote Carriers », démonstrations des architectures au sol). Les premières offres industrielles ont été remises lors du salon du Bourget et les négociations sont en cours. Ces travaux préparatoires initient le lancement progressif à compter de 2020 du développement de démonstrations technologiques en vue de ruptures capacitaires dans le domaine de l'aviation de combat.

Source : ministère des armées

Le système de combat aérien futur (SCAF) devra « permettre à l'armée de l'air et à la marine nationale de réaliser les missions qui lui sont assignées (maîtrise de la 3ème dimension et action depuis la 3ème dimension) à l'horizon 2040 et au-delà, quelles que soient les menaces rencontrées, en particulier sur des théâtres de haute intensité en disposant d'une grande autonomie » 17 ( * ) . La maîtrise d'ouvrage est pilotée par la France et a vocation à être ouverte à d'autres pays intéressés. L'organisation industrielle est structurée autour de Dassault Aviation comme maître d'oeuvre industriel référent du projet, et Airbus désigné par l'Allemagne. Le projet implique quatre acteurs industriels français majeurs de l'aviation de combat pour leurs domaines d'expertise respectifs (Dassault Aviation, Thales, MBDA et Safran).

2. Face à la montée en puissance du DLR allemand, l'ONERA doit jouer un rôle prépondérant dans SCAF pour préserver les savoir-faire français

À ce stade, l'ONERA n'a joué aucun rôle dans ce projet, alors qu'il dispose d'une solide expérience dans le domaine de l'aviation de combat (le dernier en date étant celui du Rafale). L'Office a indiqué qu'elle aurait « certainement un rôle primordial à jouer à travers ses différentes formes d'intervention, que ce soit en apportant son expertise en assistance à la maîtrise d'ouvrage étatique, par des études menées en sous-traitance au bénéfice des industriels, par des programmes d'étude amont proposés le cas échéant à une collaboration européenne, et par des essais et expertises sur des mesures faites en souffleries. »

En matière de défense, la coopération est sujette outre-Rhin à de nombreuses questions, l'Allemagne devant en particulier choisir si elle pousse davantage une coopération structurée élargie (via le fonds européen de défense) ou bilatérale, ce qui peut modifier le périmètre des actions liées au SCAF notamment. Il n'en reste pas moins que le DLR, semble déjà être assuré d'un budget national pour sa contribution au SCAF, via le BDLI (équivalent allemand du GIFAS), ce qui n'est pas encore le cas pour l'ONERA.

La première phase (dite 1A) du projet, dont le lancement a été acté en février 2020 et dont la durée est de 18 mois, n'associe pas l'ONERA, tandis que le DLR fournit une expertise au ministère de la défense allemand.

La seconde phase (1B) sera plus conséquente car elle débouchera sur un démonstrateur. Sa structure et ses partenaires étant aujourd'hui inconnus, l'ONERA ne dispose donc d'aucune visibilité sur les modalités de sa participation 18 ( * ) . Ses domaines d'excellence, notamment liés à ses grandes souffleries, le rendent quasi-incontournable pour la réalisation des études amont en aérodynamique. Contrairement à l'ONERA, et malgré les efforts budgétaires faits par les pouvoirs publics allemands, le DLR ne maîtrise pas aujourd'hui l'ensemble du spectre de compétences nécessaires à la conception du SCAF. La logique du « juste retour », couplé à la puissance financière du DLR pourraient toutefois nuire à la place que l'ONERA occupera dans ce projet et au maintien des compétences françaises dans ce domaine stratégique.

De manière générale, le rapporteur spécial estime que l'exemple du SCAF est symptomatique de la compétition feutrée ayant actuellement cours entre la France et l'Allemagne en matière d'industrie de défense. Comme l'a indiqué Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation et président du GIFAS, l'Allemagne cherche à revenir à son niveau de compétence d'avant la Seconde Guerre mondiale et à combler l'écart creusé par la France. Dans un domaine connexe, celui de l'espace, les représentants du DLR à l'Agence spatiale européenne (ESA) ont indiqué sans ambages qu'ils avaient pour objectif de devenir les premiers en Europe, devant les français 19 ( * ) .

Il est clair que la coopération en matière d'industrie de défense avec l'Allemagne constitue une nécessité , pour garantir une puissance financière suffisante permettant la conception de technologies abouties, comme le SCAF. Elle constitue également une nécessité géostratégique, dans un contexte d'affaiblissement de l'OTAN. Le succès du SCAF marquerait, à cet égard, une avancée majeure non seulement pour l'industrie, mais pour l'Europe de la défense dans son ensemble.

Le rapporteur spécial estime toutefois que la coopération européenne en matière de défense ne doit pas consister à transférer les technologies industrielles stratégiques à l'Allemagne tout en laissant à la France « le soin de faire la guerre ».

Au contraire, la coopération franco-allemande doit s'appuyer sur les compétences françaises et protéger la propriété intellectuelle dans les domaines stratégiques pour l'indépendance nationale, pour des raisons tant économiques que d'indépendance nationale.

L'ONERA constitue le « gardien » d'un ensemble de moyens et de savoir-faire stratégiques nationaux. Si sa participation au SCAF n'était pas suffisante, la perte définitive de compétences pour l'ONERA constituerait un risque majeur. La durée d'aboutissement d'un projet comme le SCAF, de plus 20 ans, conjugué à sa rareté, rendrait irréversible cette perte de compétence et d'autonomie de la France dans de nombreux domaines (aérodynamique, propulsion, furtivité, etc.).

Recommandation n° 5 : donner à l'ONERA des garanties et des précisions rapides sur sa participation à la mise au point du démonstrateur du SCAF.


* 17 Projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2020.

* 18 Le ministère des armées a récemment indiqué que l'ONERA pourra jouer « tout son rôle », dans donner davantage de précisions : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-onera-proche-de-monter-enfin-dans-le-futur-avion-de-combat-europeen-scaf-850111.html

* 19 Audition de Jean-Yves Le Gall, président du CNES.

Page mise à jour le

Partager cette page