CONCLUSION
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PENSER LE
MONDE AGRICOLE DE DEMAIN DÈS AUJOURD'HUI
Ce rapport entendait « jeter un pavé dans la mare » en mettant en avant les difficultés rencontrées par les filières agricoles et agroalimentaires françaises durant la crise, loin de l'idée commune d'une agriculture étant le seul secteur indemne de la crise. Les situations problématiques détaillées dans cette note justifient pleinement la mise en place d'un plan de relance agricole ambitieux, comme dans d'autres pays concurrents. Oublier l'agriculture dans le plan de relance serait une erreur majeure. Des productions sont menacées de disparition : il importe de leur venir en aide dès maintenant, sauf à considérer que l'agriculture n'est pas suffisamment stratégique, ce qui serait totalement contradictoire avec les leçons à tirer de la crise.
S'ouvre désormais le temps de la construction de l'agriculture de demain, à savoir une agriculture répondant aux nombreuses attentes, exigeantes, parfois contradictoires mais enthousiasmantes des consommateurs et des citoyens. Le Sénat jouera son rôle ces prochains mois dans cette réflexion de long terme.
La crise nous impose, en priorité, de relever le défi de la résilience. La résilience d'un pays se mesurera, en premier lieu, par sa résilience alimentaire. Si la France est réputée disposer d'une autonomie alimentaire aujourd'hui, rien ne dit qu'elle est acquise de toute éternité. Au contraire, les tendances avant-crise semblaient plutôt indiquer que sa résilience alimentaire pouvait se dégrader. Il s'agit aujourd'hui de la consolider. À l'aune de cette nouvelle vertu cardinale, l'agriculture française devra être capable de satisfaire toutes les demandes par la complémentarité de tous ses modes de production et par la richesse de ses terroirs : toutes les agricultures ont leur place dans le monde de demain et sont nécessaires pour relever le défi qui est posé à la communauté internationale. Plutôt que de les opposer, il importe de profiter de leur complémentarité en favorisant le développement de chacune d'entre elles. Cette richesse des agricultures est, justement, de nature à renforcer notre résistance à des chocs exogènes.
La résilience alimentaire se mesurera également au regard de la résilience environnementale du modèle agricole, ce qui pose la question de sa nécessaire adaptation au changement climatique, notamment par la prévention et des solutions assurantielles, et de l'évolution des pratiques culturales. Dans un monde agricole en perpétuelle adaptation, le rôle de l'État sera, sans nul doute, de valoriser l'ensemble des efforts quotidiens déjà accomplis par les agriculteurs et de les renforcer afin d'accélérer la transition environnementale en faveur d'une réduction des intrants, sans jamais laisser les agriculteurs sans solution. La recherche et l'innovation seront un atout majeur pour parvenir à cet équilibre.
De même, que serait un modèle agricole résilient sans agriculteurs ? Le renouvellement des générations se pose avec d'autant plus d'acuité qu'il est inexorable : un tiers des agriculteurs arriveront à la retraite dans quelques années. Deux défis seront à relever en parallèle : celui de la formation, instrument essentiel pour préparer l'avenir ; celui du revenu. À cet égard, la question du revenu de l'agriculteur devra être traitée avec urgence, sans doute au travers d'une lecture renouvelée. Tous les outils doivent être mobilisés. La réduction des charges en faveur de la compétitivité de la production sera un enjeu majeur. Si la diversification de marchés, notamment sur certaines niches ou certains modes de distribution, plus locaux, plus directs, sera essentielle, les bénéficies liés à la filière export ne doivent pas être oubliés. L'État a un rôle essentiel de structuration de l'offre et de promotion de l'image de l'agriculture française. Le problème de la formation des prix des produits sera central, bien sûr, notamment dans les grandes surfaces alimentaires. Or l'équilibre des relations commerciales entre l'amont et l'aval n'a toujours pas été trouvé. Mais plus largement, rappelons que les agriculteurs sont aujourd'hui particulièrement exposés à la volatilité du marché, ce qui rend leurs revenus particulièrement instables. Certaines solutions doivent être explorées à cet égard, comme celle de l'instrument de stabilisation des revenus au travers d'un fonds de mutualisation, comme le permet déjà le droit européen 115 ( * ) . Le Sénat avait appelé à la création d'un tel fonds dès 2016 116 ( * ) . Il serait utile de réexaminer la pertinence de cette idée dans un avenir proche.
Enfin se posera la question de la valorisation de l'« origine France ». Si le traitement de ce sujet multifactoriel n'est pas aussi évident qu'il paraît, la tendance exigée par les consommateurs appelant à la transparence sur l'origine des produits est enclenchée. Elle se poursuivra, et il faut s'en réjouir. La crise a même pu, sur certains produits et dans certains secteurs, revaloriser la place des produits français. Elle offre, à cet égard, une opportunité historique qu'il faut saisir pour mieux valoriser la consommation de produits français, à l'heure où les importations prennent une part de plus en plus importante dans notre consommation alimentaire de tous les jours. Ce débat, très pragmatique, sur la valorisation des produits français doit avoir lieu, pour que le consommateur français devienne davantage acteur dans sa consommation mais également pour que les produits français rayonnent dans le monde. L'excellence française en la matière sera un atout, à la condition de la préserver de toutes les concurrences déloyales rencontrées en Europe et dans des traités de libre-échange signés avec certains pays tiers, au sein desquels l'agriculture apparaît, de plus en plus souvent, comme la grande sacrifiée au bénéfice d'autres intérêts stratégiques.
Ces réflexions nécessitent un long travail de concertation et d'analyse, au plus près des acteurs de terrain. Elles feront l'objet d'un travail dédié au Sénat dans les semaines à venir.
* 115 Règlement UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil.
* 116 Texte de la proposition de loi n° 168 (2015-2016) de Franck Montaugé et plusieurs de ses collègues visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture, adopté par le Sénat le 30 juin 2016.