III. L'ANRU FAIT FACE À UNE TRANSFORMATION INTERNE COMPLEXE ET ACCÉLÉRÉE

Si la Cour des comptes critique le retard de la refonte du système d'information, elle apporte un satisfecit pour la gestion maîtrisée des ressources humaines , la progression de 44,4 % des effectifs entre 2014 et 2019 étant justifiée par le déploiement du NPNRU, se rajoutant notamment à la gestion du PNRU.

Les effectifs étaient en 2019 de 130 équivalents temps plein travaillés (ETPT) et la masse salariale par ETPT a augmenté entre 2014 et 2018 de 2,1 %, soit une progression inférieure à l'inflation, par le remplacement de salariés anciens par des nouveaux collaborateurs.

Il convient toutefois de préciser que ces chiffres n'incluent pas les délégations territoriales, c'est-à-dire les effectifs de l'administration déconcentrée, estimés à 346 ETPT en 2019, qui assurent localement la mise en oeuvre des aides pour le compte de l'Agence.

A. LA LOI ELAN A MODIFIÉ LE STATUT DE L'ANRU

L'ANRU a connu une évolution importante de ses statuts en 2018. La loi ELAN a modifié plusieurs éléments importants du statut de l'ANRU, par des dispositions introduits à l'initiative du Sénat, sur lesquelles il est utile de revenir.

1. Le resserrement du conseil d'administration de l'ANRU

En premier lieu, l'article 89 a réformé la gouvernance de l'Agence . Alors que les représentants de l'État siégeaient auparavant à part égale avec les autres parties prenantes dans le conseil d'administration, celui-ci compte désormais trois collèges, ce qui a permis d'adapter la gouvernance de l'Agence à la réalité des financements des programmes tout en maintenant une place importante à l'État, qui dispose d'un droit de veto.

Cette évolution répond à une observation de la Cour des comptes qui , dans son rapport de 2014, jugeait démesurée la taille du conseil d'administration , dont les membres étaient au nombre de 36, attribuant ce phénomène au principe de parité entre l'État d'une part et les autres acteurs de l'autre 19 ( * ) . Elle proposait, sans toutefois remettre en cause la parité de représentation, d'alléger le conseil d'administration en confiant plusieurs voix à des délégués de l'État moins nombreux.

La loi ELAN est allée plus loin que cette proposition, avec une disposition introduite par le Sénat et ajustée en commission mixte paritaire, en prévoyant la constitution de trois collèges au sein du conseil d'administration , chacun disposant du même nombre de voix. L'État n'est présent que dans l'un des trois collèges, où se trouvent également ses établissements publics et la Caisse des dépôts et consignations, mais il dispose tout de même, par l'intermédiaire du commissaire du Gouvernement, d'un droit de veto avec la possibilité de s'opposer à une décision du conseil d'administration et de solliciter une nouvelle délibération. Les deux autres collèges réunissent les différentes parties prenantes d'une part (Action Logement, bailleurs sociaux, fédération des entreprises publiques locales et locataires) et les pouvoirs publics d'autre part (collectivités territoriales et leurs groupements ainsi qu'un député, un sénateur et une personnalité qualifiée).

2. Le changement de statut et de comptabilité de l'ANRU

En second lieu , l'article 90 de la loi ELAN a apporté plusieurs modifications au statut de l'ANRU : d'une part le passage à la comptabilité privée, d'autre part l' exclusion de la liste des organismes dont le schéma d'emploi est soumis au vote du Parlement, enfin la définition par décret de modalités spécifiques de contrôle économique et financier.

Le plafond d'emploi représentait selon le directeur général de l'ANRU un manque de souplesse préjudiciable au fonctionnement de l'Agence dans les dernières années.

Quant au passage à la comptabilité privée, il apporterait une souplesse de gestion plus importante, notamment la possibilité de modifier des engagements.

Le directeur général de l'ANRU a précisé que le passage à la comptabilité privée était une suite directe du rapport remis le 26 avril 2018 par Jean-Louis Borloo 20 ( * ) . L'ancien ministre délégué à la ville qui avait lancé le PNRU en 2003 préconisait certes de créer une « fondation appartenant à la Nation » qui aurait eu à la fois la mission de renouvellement urbain de l'ANRU et celle de logement des salariés d'Action Logement, ou à défaut de modifier la gouvernance de l'ANRU afin qu'elle soit pilotée par les financeurs, les agglomérations et les bailleurs concernés. Son rapport peut donc être vu comme un précurseur de la réforme du conseil d'administration de l'Agence plus que de son mode de gestion.

De même le pacte de Dijon, signé le 16 juillet 2018 par l'État et 86 grandes villes et intercommunalités mais déjà annexé au rapport Borloo, recommandait de simplifier les procédures administratives et financières de l'Agence, en limitant les études préliminaires et en faisant davantage confiance aux projets issus des territoires.

Au total, le rapporteur spécial constate, en le regrettant, que cette évolution , certes votée par le Parlement, n'ait pas été précédée d'une étude d'impact ni véritablement débattue dans toutes ses dimensions . Cette réforme a pourtant des implications importantes pour le fonctionnement de l'Agence et les conditions du contrôle d'un organisme qui demeure financé par des ressources publiques.

Dans son rapport relatif aux crédits du logement et de l'urbanisme sur le projet de loi de finances pour 2020 21 ( * ) , il notait ainsi que l'ANRU , selon ce qu'elle indiquait elle-même dans son rapport financier pour 2018, devenait le premier établissement financé exclusivement par des dotations d'entités publiques qui sorte de l'application du décret n° 2012-1246 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP).

Dès l'automne suivant le vote de cette disposition (et avant la promulgation de la loi ELAN), l'Agence a été retirée de la liste des organismes figurant dans le « jaune » budgétaire consacré aux opérateurs de l'État 22 ( * ) , ainsi que du projet annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires » annexé au projet de loi de finances pour 2019. Seules les informations relatives à la subvention apportée par l'État sur le programme 147 « Politique de la ville » demeurent inscrites dans les documents budgétaires.

Or la disparition du comptable public et le changement de système comptable doivent amener en conséquence à définir un nouveau cadre de contrôle , encore insuffisamment défini selon la Cour. Un décret du 6 mai 2020 a toutefois précisé le régime comptable et financier de l'Agence 23 ( * ) , en application de l'article 90 de la loi ELAN. Il nécessite également la définition d'un cadre de tutelle clair entre les deux directions concernées, qui ont apporté des éléments de précision sur ce point lors de l'audition « pour suite à donner ».

Sur le plan technique, le changement de comptabilité nécessite aussi la conduite d'un chantier informatique de grande ampleur d'ici au 1 er janvier 2021, alors que l'Agence fait face dans le même temps à la refonte de son système d'information, à la finalisation du PNRU, au déménagement de son siège en Seine-Saint-Denis et désormais aux conséquences de la crise sanitaire. L'ANRU juge malgré tout que ce défi demeure réalisable. Le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages a fait valoir que les établissements publics comme l'ANRU produisent déjà des états financiers proches de ceux de la comptabilité commerciale et que la centralisation des paiements, déjà en vigueur, facilitera la transition.

Le rapporteur spécial s'associe donc aux interrogations de la Cour sur la plus-value opérationnelle de cette transformation . Le nouveau cadre de gestion réduit la place de l'État, au point que l'ANRU ne juge pas nécessaire la signature d'un contrat d'objectif et de performances (COP), bien que l'Agence demeure financée par des ressources publiques.

Il sera donc important que l'Agence, comme l'y invite la Cour, présente à son conseil d'administration , au plus tard en juin 2021, un bilan des avantages et des inconvénients de ce nouveau cadre.


* 19 Article 11 de la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, dans sa version antérieure à la promulgation de la loi ELAN.

* 20 « Vivre ensemble, vivre en grand pour une réconciliation nationale », rapport remis par Jean-Louis Borloo, 26 avril 2018.

* 21 Philippe Dallier, « L'ANRU n'est plus un opérateur de l'État » , annexe au rapport général n° 140 (2019-2020), fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019.

* 22 Ce « jaune » précisait ainsi que « L'Agence pour la rénovation urbaine (ANRU) sort également du champ des opérateurs en 2019, en dépit de ses caractéristiques relevant, en principe, du périmètre des opérateurs de l'État (missions de service public, contrôle de l'État, financement public via des subventions budgétaires et des contributions issues de taxes affectées, classification par l'Insee comme organisme divers d'administration centrale au sens de la comptabilité nationale). »

* 23 Décret n° 2020-540 du 6 mai 2020 relatif à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page