D. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 23 OCTOBRE 2019
1. Audition de M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises (DGE) au ministère de l'économie et des finances, accompagné de M. Mathieu Weill, chef du service de l'économie numérique
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Cette audition fait suite au rapport de Pascale Gruny, relatif à l'accompagnement des PME dans la transition numérique. Dans ce cadre nous avons été conduits à entendre les inquiétudes de l'entreprise Kosc et, qui sont à nouveau d'actualité compte tenu des décisions prises simultanément par l'Autorité de la concurrence et la Banque des Territoires. En effet, ces décisions fragilisent cette société. En conséquence, nous avons déjà entendu l'Autorité de la concurrence, l'Arcep, Kosc, la Banque des Territoires, des entreprises clientes et OVH. Nous avons également rencontré le médiateur hier, qui ne nous a pas apporté beaucoup d'informations. Pour essayer de comprendre et trouver des solutions, nous souhaitions vous entendre ; nous pourrons ainsi mieux saisir le rôle de la DGE dans ce domaine. Enfin, nous serons en mesure de connaître votre ressenti sur cette situation.
M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises (DGE) du ministère de l'économie et des finances. - Merci de m'auditionner. Mon introduction sera brève puisque vous êtes en fin du processus et connaissez donc déjà le sujet. N'hésitez évidemment pas à me poser des questions si vous souhaitez approfondir certains points.
Pour repartir d'un constat général, le marché français est dual. Il dispose d'un très bon niveau de concurrence sur le BtoC 9 ( * ) . Dans le cadrage des enchères 5G, nous avons d'ailleurs affiché que le maintien des quatre opérateurs était important pour conserver la place de leader compétitif de la France parmi les pays européens les moins chers sur le marché BtoC . Cela est un réel atout pour le consommateur du marché BtoC. Le marché BtoB 10 ( * ) est en revanche peu compétitif. Il affiche, certes, une amélioration légère en termes de concurrence, mais qui se révèle insuffisante ces dernières années. L'Etat a décidé de déléguer l'essentiel des leviers pour accroître la concurrence à des autorités indépendantes telles que l'Arcep et l'Autorité de la concurrence.
Le marché est aujourd'hui encore dominé à 80 % par un duopole, mais nous avons assisté à deux développements positifs, notamment suite aux interventions de l'Arcep. D'une part, le positionnement de Kosc sur le marché de gros représente un impact positif, même si son chiffre d'affaires reste relativement faible en 2018 par rapport à la taille du marché. D'autre part, l'entrée de Bouygues Telecom et d'Iliad qui ont racheté des acteurs existants est également un élément positif, bien qu'on n'en voie pas encore les effets car ils n'ont pas encore eu le temps de développer leurs positions sur ce marché. Ces deux points nous semblent intéressants pour accroître la concurrence sur le marché.
Les chiffres pour 2018 seront publiés à la fin de l'année 2019, mais nous pouvons observer une réelle stagnation des parts de marché sur les quatre dernières années. Nous pensons, et nous avons un dialogue avec l'Arcep à ce sujet, qu'il serait utile que l'Arcep puisse mettre en place un observatoire des prix, tel que l'a instauré le régulateur belge. Nous avons en effet, l'Arcep monitore les parts de marché mais nous n'avons, à l'heure actuelle, que peu d'expertise sur l'évolution des prix en BtoB . Il serait nécessaire d'établir une indication sur les prix ou les taux de raccordement des entreprises. Nous pourrions ainsi suivre ce type d'évolution et bénéficier, au-delà des parts de marché, d'une analyse plus fine de l'intensité concurrentielle. Nous devons trouver un accord avec l'Arcep et ne sommes pas encore en mesure de fixer un calendrier. Cette évolution nous semble néanmoins avoir de la valeur, sans pour autant devoir y investir des moyens considérables. Le problème, comme évoqué précédemment, est le manque d'outillage en BtoB par rapport au BtoC .
Dans la continuité du rapport publié en juillet, nous observons une frontière de plus en plus fine entre les télécoms et les services numériques. Sur l'accès au numérique des PME, nous poursuivons deux grandes initiatives. La première porte sur l'accompagnement dans une première étape de numérisation de 10 000 PME industrielles françaises, lancée par le Premier ministre en octobre dernier. Il s'agit d'un programme en cours de déploiement et dont nous avons confié le pilotage aux régions. Nous avons signé une convention avec ces régions, sauf avec l'Île-de-France qui ne saurait tarder, permettant de mettre en place ce programme et d'ainsi effectuer des diagnostics et des accompagnements pour la numérisation des PME industrielles en s'appuyant sur des financements du programme d'investissements d'avenir (PIA).
La seconde initiative porte sur les PME-TPE, hors PME industrielles. Elle se décline à travers France Num, et compte un certain nombre de réussites. En un an d'existence, 1 700 activateurs ont été référencés sur le territoire. Ces activateurs sont les consultants que les TPE et PME peuvent les solliciter pour obtenir des conseils dans les étapes de numérisation. La marque FranceNum commence ainsi à être connue. Certains partenaires, comme l'AFNIC, organisent également des ateliers de sensibilisation dans les territoires pour atteindre le plus directement possible les TPE et PME et les convaincre d'amorcer cette démarche de numérisation. De leur côté, la BNP et la Banque de France ont respectivement formé 90 et 100 conseillers pour encourager le plus grand nombre à se lancer dans la transition numérique.
Nous souhaitons pouvoir accélérer le déploiement de l'initiative France Num et nous préparons une deuxième étape de ce projet afin d'aller plus loin dans la pénétration du territoire et aller au contact des TPE et PME.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Cependant, tout comme nous, vous avez peut-être constaté que le démarrage de France Num a été très lent. Nous avions peu de retours sur le terrain et l'initiative semblait peu connue.
M. Mathieu Weill, chef du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie et des finances. - Les moyens de départ dédiés à cette initiative sont très faibles. L'idée de base était de mettre en relation les activateurs apporteurs d'offres et de conseils avec les entreprises via une plate-forme, mais la population visée doit être cherchée. Nous avons commencé à organiser des ateliers et mises en relation par le biais de nos partenaires. Toutefois, si la plateforme peut permettre la mise en relations, les contacts suivant pouvant être pris en dehors de la plate-forme, il est compliqué d'établir un suivi.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Des conventions ont-elles été établies ?
M. Mathieu Weill. - Des conventions de partenariats sont établies avec des chambres de commerce, des chambres des métiers et des acteurs privés comme la BNP. Elles ne sont pas du même ordre que les conventions de numérisation des industries bénéficiant de crédits du PIA, beaucoup plus incitatifs. Nous souhaitons désormais donner plus d'ampleur au programme et cette phase deux fait notamment écho aux conclusions du rapport de la Délégation sur le sujet et avec lesquelles nous étions assez à l'aise.
M. Thomas Courbe. - L'objectif est de toucher des centaines de milliers d'entreprises et il faut désormais une organisation très capillaire sur le terrain, c'est en réalité une démarche presque industrielle, au sens figuré, qu'il nous faut mener, pour aller au contact. Un sujet connexe également relevé dans le rapport de juillet est que l'offre de services numériques dédiés aux PME est relativement faible, indépendamment de l'offre gratuite de Google qui se développe rapidement mais qui présente potentiellement un risque de capture économique. Nous essayons d'encourager le développement d'une offre de services numériques adaptée aux besoins des PME. La frontière étant de plus en plus fine entre les services télécom et numérique chez les opérateurs, ces derniers pourraient développer leurs offres aux plus petites entreprises, et plus seulement aux grands comptes.
M. Mathieu Weill. - Kosc était un des acteurs privés avec qui nous étions en discussion depuis le lancement de l'initiative sur la manière de mobiliser leur réseau de revendeurs autour des besoins des PME. Nous n'avons pas été jusqu'au bout mais cela faisait partie des axes et des acteurs avec qui nous envisagions de nouer des partenariats depuis six ou huit mois.
M. Thomas Courbe. - Vous avez déjà entendu beaucoup de choses sur Kosc. L'entrée de cet acteur sur le marché est selon nous très positive, et nous devons la soutenir. Les discussions avec les actionnaires et repreneurs potentiels sont en cours pour lui permettre de poursuivre son développement. Il y a bien sur le contentieux avec SFR qui est suivi de très près par les autorités. Notre souhait, durant cette phase intermédiaire, est de trouver une solution lui permettant de continuer à se développer. Aujourd'hui, les actionnaires ont des positions un peu différentes sur l'entreprise et la nature de l'investissement et du risque, ce qu'ils ont dû vous dire lorsque vous les avez rencontrés.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Vous avez dit que Kosc était assez faible par rapport au marché.
M. Thomas Courbe. - Oui, son chiffre d'affaires rapporté à la taille du marché est relativement modeste, ce qui n'est pas surprenant au regard de son ancienneté, c'est tout de même un nouvel entrant. Selon nous, le développement de Kosc présente un intérêt pour le marché en général, notamment en termes d'animation de la concurrence.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Lorsque Kosc a souhaité se développer en ouvrant son capital, des moyens lui ont été refusés.
M. Mathieu Weill. - Cette évolution résulte d'une conséquence de la répartition de l'investissement. La structure originale de Kosc, avec une maison mère et une filiale intrastructure, lui a permis de bénéficier d'un apport et d'un investissement de la Banque des Territoires. Pour autant, l'aventure pourra se poursuivre, même si les rapports entre les montants investis et les droits dans la gouvernance globale du dispositif ont en effet entraîné des difficultés. En aucune façon, l'objectif serait d'arrêter le déploiement de Kosc, mais il est normal que ces questions remontent à l'occasion de la croissance de l'entreprise. L'intérêt des différents actionnaires, y compris de la Banque des Territoires, ne sont pas parfaitement alignés dans ce montage un peu original. Nous devons espérer que des solutions seront trouvées rapidement à ces difficultés.
M. Patrick Chaize, président. - J'ai beaucoup de questions à vous poser sur le contexte et les éléments qui nous ont été rapportés. Premièrement, quel est votre regard sur le business model de Kosc ? Est-il viable ou l'aventure vous paraît-elle hasardeuse ? Quel est votre regard sur ce montage ? Je rappelle que ce sont les autorités qui ont mis en oeuvre cette procréation assistée, en mesurant, je pense, les conséquences éventuelles.
M. Mathieu Weill. - C'est une initiative soutenu par le régulateur et comprenant des financements publics avec la Banque des Territoires. Kosc n'est pas une initiative du gouvernement, bien que celui-ci ait apporté son soutien à un certain nombre de manifestations en faveur de cette entreprise. Il nous paraît pertinent de disposer d'un réseau de revendeurs et de pouvoir nous adresser à des TPE et PME difficiles à atteindre par des canaux de distribution intégrés classiques. Dans le business model, le réseau de distribution est important, tout comme l'infrastructure, ce qui est classique pour les opérateurs télécoms. Celle-ci repose sur des actifs cédés par SFR en contrepartie d'autorisations de l'Autorité de la concurrence. La relation avec SFR reste un élément indispensable au bon fonctionnement opérationnel de Kosc, et est appelé à le rester compte tenu des interfaces opérationnelles qui font que les équipes de SFR doivent livrer des choses à Kosc en permanence. Le conflit entre les deux est une source de risque mais aussi de coûts considérables.
M. Patrick Chaize, président. - Est-il possible de se dédouaner de cette prise de parti? C'est bien l'Autorité de la concurrence qui a imposé ses conditions.
M. Mathieu Weill. - Cette autorité n'a pas de moyen de fixer les prix, ce qui est essentiel pour comprendre le modèle économique et industriel de Kosc. Avez-vous entendu SFR dans le cadre de ces auditions ?
M. Patrick Chaize, président. - Non, et volontairement car nous ne sommes pas juges. Nous ne cherchons pas à établir une commission d'enquête sur la situation de Kosc, mais simplement à dire que le modèle Kosc nous semble intéressant pour la numérisation des entreprises et pour que celles-ci accèdent à des services. Nous souhaitons donc préserver l'avenir sur ce sujet, tout en comprenant le passé et ce qui a échappé à notre vigilance. Je comprends que l'Autorité de la concurrence ne soit forcément pas en mesure de s'immiscer dans le modèle économique de Kosc mais j'ignore pourquoi l'Autorité de la concurrence ne s'est pas rapprochée de l'Arcep pour donner un regard plus technique à cet environnement. Je suis surpris de ce manque de cohérence à ce sujet, alors qu'elles sont toutes deux à l'origine de ce modèle. Au regard des auditions passées, il me semble qu'un dysfonctionnement s'est produit ; notre responsabilité est d'empêcher qu'il se produise à nouveau. Par quel biais la situation pourrait-elle être améliorée ? L'articulation entre les deux autorités sur le sujet des télécoms doit-elle être améliorée ?
M. Thomas Courbe. - La question sous-jacente serait donc de déterminer si l'Arcep doit vérifier dans les relations contractuelles que l'équilibre économique est bon, par exemple ?
M. Mathieu Weill. - Entre l'Arcep et l'Autorité de la concurrence, l'élément qui marche très bien maintenant concerne les marchés pertinents, au sujet desquels les instances s'échangent des avis de manière fluide. Le cas présent est un peu différent et relève d'une problématique qu'on a de plus en plus dans le numérique avec une décision d'une autorité de la concurrence qui créé une situation mais laisse beaucoup de détails de mise en oeuvre, et le diable est dans ces détails. Dans le cas de Googleshopping par exemple, on a vu que la Commission européenne a des difficultés considérables à mettre définitivement en oeuvre la décision qu'elle a prise. Elle n'en a pas forcément les compétences techniques et cela rentre rapidement dans le champ de la régulation sectorielle où on joue sur les curseurs ce que sait très mal faire le droit de la concurrence classique sur les concentrations. La question se pose de savoir s'il ne serait pas intéressant que le suivi des mesures soit délégué à des autorités plus sectorielles dans leur mise en oeuvre ? Ce processus n'existe pas pour le moment.
M. Patrick Chaize, président. - Justement, n'est-ce pas là un « trou dans la raquette » ? Tout comme sur l'analyse des marchés, l'Arcep réalise des analyses de marché et l'Autorité de la concurrence mène sa vie de son côté.
M. Mathieu Weill. - Ce fonctionnement est ici prévu par les textes et adapté puisqu'elles échangent des avis.
M. Thomas Courbe. - Il est plus compliqué d'évaluer l'impact sur un cas individuel. Mais il est vrai que nous sommes dans un cas particulier où le nouvel entrant dépend fortement de l'acteur en place. Dès lors, les relations contractuelles sont quotidiennes. Les vérifications d'un régulateur sectoriel pourraient se justifier en conséquence
M. Mathieu Weill. - Dans les télécoms, nous avons mis en place une régulation asymétrique pour ce sujet.
M. Thomas Courbe. - Sans pouvoir dire que cela aurait obligatoirement permis d'éviter cette situation, il s'agit en tout cas d'un bon cas d'école.
M. Patrick Chaize, président. - En revanche, cela aurait surement permis d'anticiper un certain nombre de choses et d'éviter une situation in extremis.
M. Thomas Courbe. - Une partie des difficultés étant de nature contractuelles, il est vrai qu'un acteur tiers qui vérifie la mise en oeuvre des contrats aurait pu participer à les éviter.
M. Mathieu Weill. - Les torts sont sans doute partagés.
M. Patrick Chaize, président. - Je suis tout à fait d'accord avec ce constat et je ne suis avocat ni de Kosc, ni de SFR, d'ailleurs étranger à nos travaux dont le sujet était le « modèle » de Kosc. Nous avons suffisamment de pressions d'autres acteurs souhaitant absolument être auditionnés. J'ai été frappé d'entendre OVH dire que Kosc n'a pas joué son rôle en ne développant pas suffisamment sa clientèle et j'aimerais connaître votre avis sur ce point. OVH se décrit comme le client unique de Kosc, à 80%. Cependant, 60 % des nouvelles commandes de Kosc sont hors OVH depuis quelques mois. Finalement, alors que la situation de Kosc est peut-être en train de se stabiliser, cette société se voit privée de moyen. Que vous inspire ce sujet ? Kosc a certes tardé à se mettre en route et a dû capter beaucoup de capitaux surement au départ fléchés pour son développement. Cependant, aujourd'hui, hormis l'aspect contentieux qui est un point important, l'afflux de commandes assez impressionnant, laissant penser que peu de nouveaux financements seraient nécessaires pour relancer la machine et faire en sorte qu'elle réussisse. C'est en tout cas mon appréciation. Kosc proposait, en recapitalisant, de relancer son développement avec un apport d'énergie nouvelle. Avez-vous un avis sur ce sujet ainsi que sur l'attitude de la Banque des Territoires dans ce contexte ?
M. Mathieu Weill. - Tout d'abord, au sujet des commandes, Kosc s'appuie sur un modèle par lequel il reprend 100 % du portefeuille d'affaires d'OVH, avant de le diminuer. Nous n'avons pas accès aux chiffres internes, mais ce taux semble baisser. OVH ne souhaite de toute façon pas confier beaucoup plus d'affaires à Kosc, pour des raisons de diversification. L'offre est néanmoins arrivée plus tard que prévu, du fait de difficultés industrielles qui sont une fragilité majeure pour un projet de ce type. Les cycles de vente sur le segment TPE PME étant moins rapides que le marché de la téléphonie mobile, il est par ailleurs normal que ce processus prenne du temps. Les cycles de vente sont plus longs car de tels investissements ont des conséquences opérationnelles parfois lourdes pour les entreprises, avec par exemple la nécessité de changer les téléphones à l'échelle de l'entreprise, etc. Pour parler de l'alignement des enjeux pour les actionnaires, OVH a des besoins pouvant être en décalage par rapport à d'autres.
Ensuite, la Banque des Territoires est actionnaire uniquement de l'infrastructure, ce qui pourrait expliquer son attitude.
M. Patrick Chaize, président. - La Banque des Territoires nous a affirmé hier avoir agi pour que Kosc puisse mieux s'adosser et trouver un partenaire industriel plus puissant avec lequel se reconstruire. Je comprends ce processus mais il présente des risques.
M. Mathieu Weill. - Toute stratégie engage des risques.
M. Patrick Chaize, président. - Certes mais cependant, qu'elle est votre vision de l'avenir, pour succéder à Kosc ? Quel serait le modèle idéal pour remplacer, succéder ou poursuivre Kosc ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Sur le marché de gros des PME.
M. Thomas Courbe. - Deux modèles différents peuvent fonctionner. Le premier pourrait être un adossement de Kosc, qui présente une perspective sérieuse sur le business model que vous évoquiez et intéresse un certain nombre d'acteurs. Le second sous-tend qu'un opérateur puisse également être une solution. Il semble difficile d'identifier aujourd'hui une option meilleure que l'autre puisqu'il conviendra surtout de voir, au cas par cas, ce que le repreneur peut apporter à Kosc qui lui aurait manqué jusque-là.
M. Patrick Chaize, président. - J'en déduis que vous n'avez pas d'avis.
M. Thomas Courbe. - Il me semble qu'il n'y a pas d'avis préalable.
M. Patrick Chaize, président. - Je ne parle pas d'avis préalable, mais du meilleur scénario du point de vue de la DGE.
M. Thomas Courbe. - Parlez-vous d'un scénario relatif à la nature du partenaire ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je pense particulièrement à la meilleure réussite.
M. Mathieu Weill. - Historiquement en France, les modèles dans les télécoms sont exclusivement verticaux et intégrés gros-détail. À ce stade, ce modèle n'a pas encore fonctionné ; il serait donc utile de donner sa chance à un acteur disposant d'un volet de gros. Kosc estime qu'il conviendrait d'être uniquement sur le wholesale , mais nous n'en sommes pas nécessairement certains.
M. Patrick Chaize, président. - Il me semble pourtant qu'un rapport de l'OCDE a vanté ce modèle, et que tous les pays européens essaient de le reproduire.
M. Mathieu Weill. - Tous les pays ne le suivent pas, mais quelques initiatives existent.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le modèle est-il viable ?
M. Thomas Courbe. - Cela ne dépend pas que du modèle. Sa réussite dépend davantage de ce qu'apportera le partenaire, que de son positionnement.
M. Mathieu Weill. - Un modèle bâti uniquement avec des acteurs en vertical affirmant qu'ils pourront toucher 3,8 millions d'entreprises en France uniquement grâce à leur réseau de commerciaux et d'agences ne fonctionnerait pas ; nous y croyons très peu.
M. Patrick Chaize, président. - Cela dit, si on part dans cette direction, il est primordial selon moi d'avoir la garantie d'un service neutre activé sur l'ensemble des réseaux et qui permettrait à l'ensemble des opérateurs alternatifs d'y accéder.
M. Mathieu Weill. - C'est ce que prévoit la loi.
M. Patrick Chaize, président. - Mais la DGE n'a pas souhaité, dans la loi Elan, l'élargissement aux réseaux d'initiative publique.
M. Mathieu Weill. - En effet nous avons considéré que cela était déjà prévu dans la loi.
Par ailleurs, s'est posée la question à plusieurs reprises pour le régulateur de la mise en place d'une obligation de ce type à l'égard d'Orange, sachant que c'est dans ses compétences ?
M. Patrick Chaize, président. - Pour l'instant, ce n'est pas son intention.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Il est toujours en interrogation ?
M. Patrick Chaize, président. - Il dit non pour l'instant : parce qu'il y avait Kosc !
M. Mathieu Weill. - Il disait non face à l'existence d'une concurrence émergente.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - On tourne en rond !
M. Patrick Chaize, président. - Le modèle Kosc est un opérateur de gros non intégré. Son éventuel adossement à un industriel opérateur intégré, ne pourrait s'accepter qu'à condition d'une ouverture de tous les réseaux de façon neutre et activée. Nous risquons dans le cas contraire, de scléroser ce marché !
M. Mathieu Weill. - Si le modèle de Kosc évolue beaucoup et face à un changement substantiel de l'environnement, il semblerait normal que l'Arcep se repose des questions, compte tenu du schéma mis en place. Un tel changement ne devra pas être négligé.
M. Patrick Chaize, président. - Revenons au concept des réseaux de service public ; ce schisme ne s'observe que dans les télécoms. Tous les autres réseaux de services publics sont à l'initiative et propriété des collectivités.
M. Mathieu Weill. - Dans les télécoms, la part de financements privés par rapport au budget public est un peu plus forte.
M. Patrick Chaize, président. - On pourrait pourtant dire à peu près la même chose des réseaux d'électricité.
M. Mathieu Weill. - L'utilisateur ne les paie pas entièrement.
M. Patrick Chaize, président. - Non mais en grande partie. Le financement passe, certes, par le budget de l'Etat, mais c'est le consommateur d'énergie électrique qui abonde ; le réseau est fermé.
M. Mathieu Weill. - Les difficultés à se projeter sur l'avenir dans un certain nombre de dimensions de ce réseau sont cependant connues. Les télécoms ont subi des vagues d'innovation différentes de celles des réseaux d'énergie.
M. Patrick Chaize, président. - Ce n'est pas le débat.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous sommes tout de même dans le sujet.
M. Thomas Courbe. - Allez-vous faire des recommandations, ou simplement un état des lieux ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Aucune décision n'a encore été prise à ce sujet.
M. Patrick Chaize, président. - Si nous n'émettons pas de recommandations, nous ferons en tout cas des points d'alerte, des voeux.
M. Thomas Courbe. - Ils seront issus des enseignements que vous tirez.
M. Patrick Chaize, président. - Ils s'appuieront sur les constats dressés.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Ces constats seront nombreux.
M. Patrick Chaize, président. - Nous avons notamment constaté qu'il manque un élément dans l'articulation d'Arcep, qui est à déterminer. Nous n'aurions pas forcément échappé au problème, mais il est troublant, vu de l'extérieur, de ne pas avoir vérifié que le process était complet.
M. Thomas Courbe. - Nous allons travailler sur le sujet. Ce cas aurait pu justifier un monitoring par l'Arcep, au regard des liens contractuels existants entre deux acteurs concurrents.
M. Patrick Chaize, président. - Il est surprenant que la dimension économique ait été complètement occultée, et que le point de vue juridique ait vraiment été privilégié. L'Autorité s'est concentrée sur le non-respect du contrat du point de vue purement juridique sans mesure des conséquences économiques. À mon sens, l'Autorité de la concurrence n'est pas un tribunal ; j'aurais aimé que la dimension économique soit plus présente, ce qui n'aurait d'ailleurs pas forcément modifié sa position.
M. Mathieu Weill. - L'Autorité de la concurrence n'a pas la même posture qu'un régulateur sectoriel bénéficiant d'une relation de long terme avec tous les acteurs et pouvant négocier un certain nombre de dossiers.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - L'étanchéité sur des questions tellement techniques est surprenante. L'Autorité dispose-t-elle de tous les éléments nécessaires ?
M. Patrick Chaize, président. - Je n'excuse pas Kosc, néanmoins ces auditions ne font que conforter l'image selon laquelle l'entreprise aurait été privée de ses moyens au moment où elle se déployait.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous avons pu constater le silence des mandataires hier. Pensez-vous que quelqu'un pourrait avoir accès aux rapports trimestriels qu'ils adressent à l'Autorité de la concurrence ?
M. Thomas Courbe. - Nous allons vérifier, mais ils risquent d'être secrets.
M. Mathieu Weill. - Ce sujet est couvert par le secret des affaires.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - La nécessité de cette discrétion nous a été affirmée.
M. Patrick Chaize, président. - Les rapports ne pourront être divulgués que dans le cadre d'une commission d'enquête.
M. Thomas Courbe. - Le secret ne concerne pas le fonctionnement de l'autorité, mais le contenu du dossier.
M. Patrick Chaize, président. - Nous entendons beaucoup de choses à ce sujet.
M. Mathieu Weill. - Même en ayant accès à ces documents, je serais probablement incapable de les comprendre. L'Autorité de la concurrence, qui n'est pas moins armée que nous, dresse le même constat.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - sujets pointus nécessitent des spécialistes.
M. Patrick Chaize, président. - Se pose aussi la question de l'interprétation qu'on peut en faire. Des constats par échantillonnage ont été faits, qui ont démontré que SFR avait également quelques torts dans l'affaire, qu'il convient d'évaluer.
M. Thomas Courbe. - SFR paie les mandataires, il est donc le seul à recevoir les rapports expurgés des informations concernant Kosc. L'instructeur de l'ADLC et SFR y ont accès, à l'inverse des parlementaires ou du gouvernement.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Notre sujet est donc de garder un acteur du marché de gros pour les entreprises.
M. Patrick Chaize, président. - L'objectif est également de garantir la possibilité, pour le plus grand nombre, de faire des offres aux entreprises.
M. Thomas Courbe. - Nous sommes d'accord avec cet objectif que nous partageons.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Très bien, je vous remercie.
* 9 Business to consumer
* 10 Business to business