AVANT-PROPOS
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Le 7 juin 2019, Alain Guibert, Yann Chagnolleau et Dimitri Moulic, Sauveteurs en mer de la station des Sables-d'Olonne, perdaient la vie lors d'une opération de sauvetage d'un navire de pêche. Cet évènement tragique a déclenché une émotion immédiate et sincère de l'opinion publique qui a pris conscience du danger permanent de la mer et des conséquences dramatiques des imprudences des usagers pour eux-mêmes comme pour ceux qui leur viennent en aide. Beaucoup de nos concitoyens ont sans doute découvert alors que les sauveteurs en mer sont des bénévoles. Trop d'entre eux ignorent encore que le fonctionnement de l'association qui les regroupe, la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), conduit ces sauveteurs à devoir financer eux-mêmes, en faisant appel à la générosité publique, leur équipement personnel, leur formation et une part de leurs navires de sauvetage.
De fait, au-delà de résultats opérationnels dont notre pays peut se féliciter (20 000 personnes secourues en 2018 au cours de 13 000 opérations coordonnées par les CROSS de métropole et d'Outre-mer) et auxquels la SNSM prend une large part, l'organisation actuelle du sauvetage en mer suscite de fortes interrogations : sur le recrutement de nouveaux bénévoles, sur l'état de la flotte et son renouvellement dans les années à venir, sur la capacité de tous les acteurs (Etat, collectivités territoriales, associations) à tenir leur rôle.
Toutes ces inquiétudes, présentes depuis plusieurs années, ont été remises au coeur de l'actualité par le drame des Sables-d'Olonne.
Le 12 juin dernier, Bruno Retailleau, sénateur de Vendée et président du groupe Les Républicains a donc saisi le Président du Sénat d'une demande en vue de créer une mission d'information commune à plusieurs commissions sur le sauvetage en mer et la sécurité maritime afin d'examiner le modèle économique du sauvetage en mer financé en quasi-totalité par des dons, son modèle social reposant sur le bénévolat et ses besoins en termes de logistique et d'investissement. La conférence des Présidents a accepté la création de cette mission composée de vingt membres désignés à la proportionnelle des groupes politiques.
La mission d'information a désigné comme Présidente Corinne Féret, sénatrice du Calvados et comme rapporteur Didier Mandelli, sénateur de Vendée.
Dès sa première réunion, le 9 juillet, deux options ont été prises : remettre des conclusions et des propositions rapidement, avant le comité interministériel de la mer (CIMer), afin de peser sur les décisions gouvernementales ; et surtout privilégier l'écoute des acteurs locaux du sauvetage en mer.
La mission d'information s'est donc déplacée durant l'été dans de nombreux départements de la métropole et d'Outre-mer avant d'auditionner, au Sénat, les responsables nationaux des principales institutions concernées.
Le programme des visites a conduit des délégations à se rendre en premier lieu en Vendée, aux Sables-d'Olonne où un hommage a été rendu aux sauveteurs disparus puis dans les départements des Alpes-Maritimes, du Calvados, de la Manche, du Finistère, de Loire-Atlantique, du Pas-de-Calais, des Côtes d'Armor, d'Ille-et-Vilaine, du Morbihan, ainsi qu'en Martinique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie.
À chaque fois, elle a recueilli les témoignages et les remarques de l'ensemble des intervenants : bénévoles de la SNSM, canotiers, patrons, présidents et trésoriers des stations, responsables des centres de formation et du pôle de soutien technique, délégués départementaux, inspecteurs, élus locaux, responsables des CROSS, préfets maritimes...
La première évidence que retient la mission, c'est le dévouement, la disponibilité et le professionnalisme des personnes qu'elle a rencontrées, quelle que soit leur place et leur fonction dans l'organisation des secours en mer.
La seconde est celle d'une fracture entre les points de vue exprimés devant la mission sur les territoires et les discours des autorités nationales.
C'est pourquoi, dans ses propositions, au-delà de recommandations visant à sécuriser le financement à long terme du sauvetage en mer et de mesures concrètes pour améliorer la vie quotidienne des sauveteurs, la mission a jugé indispensable de préconiser une réforme de fond de la SNSM pour plus de démocratie et une déconcentration de la prise de décision. Le retour à un fonctionnement associatif donnant une place à chacun est sans doute la condition indispensable de la pérennité du modèle social fondé sur le bénévolat.
I. LE SAUVETAGE EN MER UNE ORGANISATION COMPLEXE DONT LES RÉSULTATS OPÉRATIONNELS SONT REMARQUABLES
A. UNE ORGANISATION QUI FÉDÈRE PLUSIEURS INTERVENANTS
1. Une organisation résultant des conventions internationales
Les choix stratégiques de la politique de sauvetage en mer française s'inscrivent dans la continuité de la convention sur la recherche et le sauvetage maritimes (convention SAR), adoptée le 27 avril 1979 , ratifiée par la France le 9 avril 1980 et entrée en vigueur en 1985. Signée à Hambourg, cette convention tend à « la mise en place par tous les États côtiers d'installations adéquates et efficaces pour la veille côtière et pour les services de recherche et de sauvetage » 1 ( * ) . Ces installations, visent « l'établissement d'un plan international de recherche et de sauvetage maritimes qui réponde aux besoins du trafic maritime en matière de sauvetage des personnes en détresse en mer » 2 ( * ) .
En France, la mise en oeuvre de ces stipulations passe par un système original.
2. Les Préfets maritimes et les CROSS en chefs d'orchestre
Le sauvetage en mer relève en premier lieu de la compétence des préfets maritimes. Bien que moins connue du grand public, la fonction de préfet maritime est contemporaine de celle des préfets « de droit commun » 3 ( * ) . La côte métropolitaine se partage en trois zones : celle du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, celle du préfet maritime de l'Atlantique et celle du préfet maritime de la Méditerranée 4 ( * ) . Officiers généraux de marine , les préfets maritimes sont sans doute les hauts-fonctionnaires d'État détenant entre leurs mains le plus de compétences exécutives.
Ils sont les représentants en mer de l'État et les représentants directs du Premier ministre et de chacun des membres du Gouvernement. À ce titre, ils exercent de larges compétences à la fois civiles et militaires. Ils veillent à l'exécution des lois, des règlements et des décisions gouvernementales, ils sont investis du pouvoir de police générale et ont autorité dans tous les domaines où s'exerce l'action de l'État en mer, « notamment en ce qui concerne la défense des droits souverains et des intérêts de la Nation, le maintien de l'ordre public, la sauvegarde des personnes et des biens, la protection de l'environnement et la coordination de la lutte contre les activités illicites » 5 ( * ) .
C'est à ce titre que le préfet maritime est compétent en matière de sauvetage en mer et dispose d'un instrument privilégié : les Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) . Au nombre de huit sur l'ensemble du territoire, ils occupent, pour la France, la fonction de « centres de coordination de sauvetage maritime » prévue par la convention de 1979 précitée. Ils sont les véritables chefs d'orchestre du sauvetage en mer. Leur première mission est de recueillir l'information à travers « la réception des alertes à partir d'une veille radio et téléphonique permanente » 6 ( * ) . Ils reçoivent, par ailleurs, « les alertes émises par les balises de détresse et les systèmes de communication par satellites » 7 ( * ) .
Une fois l'alerte reçue, les CROSS prennent la direction des opérations de recherche et sauvetage en inventoriant les moyens de toute nature disponibles sur zone, en évaluant la pertinence de leur action et en coordonnant leurs interventions ( cf. infra ). Les CROSS ont aussi pour fonction d'assurer la diffusion vers les navires des renseignements essentiels à la sécurité maritime, qu'il s'agisse de bulletins météorologiques transmis par radio ou d' « avis urgents à la navigation (AVURNAV) en cas de modifications des conditions de navigation entrainant des dangers » 8 ( * ) .
3. Une pluralité d'acteurs concourant à la mise en oeuvre d'un même service public
a) Dans la « bande » des 300 mètres
Le codé général des collectivités territoriales confie aux maires la mission d'exercer « la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés » 9 ( * ) . Cette mission s'exerce « en mer jusqu'à une limite fixée à 300 mètres à compter de la limite des eaux » 10 ( * ) et le maire « pourvoit d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours » 11 ( * ) . La compétence du maire comporte donc une double limite matérielle et territoriale : si un engin non immatriculé sort de la bande des 300 mètres, l'intervention relève de la compétence du préfet maritime. Le cas des baigneurs utilisant des bouées emportées au large par le vent est un exemple. Si un navire immatriculé nécessite une intervention dans la zone des 300 mètres, le préfet maritime sera également compétent.
Afin d'assurer la surveillance des plages, les maires peuvent recourir, par convention, au concours des services départementaux d'incendie et de secours SDIS 12 ( * ) . Ils peuvent aussi passer une convention cadre avec la SNSM 13 ( * ) afin de pouvoir recruter certains de leurs sauveteurs en qualité d'agent contractuels saisonniers 14 ( * ) . Enfin, les communes peuvent éventuellement bénéficier de la mise à disposition d'agents des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) par les Préfets même si leur nombre a significativement diminué depuis une dizaine d'années 15 ( * ) .
b) Hors de la bande des 300 mètres
En dehors de la bande des 300 mètres, le secours en mer relève de la compétence exclusive du préfet maritime qui l'exerce principalement par l'intermédiaire des CROSS ( cf. supra ). Ils sont en mesure de mobiliser le concours de tout moyen privé ou public, civil ou militaire. La mobilisation de moyens privés peut relever de l'intervention de navires sur zone , mais beaucoup plus généralement du déclenchement des moyens de la SNSM . Les moyens publics mobilisables par les CROSS sont ceux de la Direction générale de la sécurité civile et gestion de crise (DGSCGC), de la Direction générale des Douanes et Droits indirects, des Affaires maritimes , de la Marine nationale et de la gendarmerie.
Les personnels des CROSS détiennent une connaissance poussée des différents moyens humains et matériels de ces acteurs afin de pouvoir les mobiliser à bon escient. Ils peuvent également s'appuyer sur le réseau de sémaphores qui jalonnent les côtes pour accroitre leur capacité de surveillance. Enfin, les CROSS maîtrisent les spécificités de leur zone de surveillance et peuvent compter sur les sauveteurs de la SNSM pour connaître chaque « caillou » et chaque passe de leurs côtes .
À titre d'exemple, la mise en oeuvre des différents moyens mobilisables par les CROSS s'est répartie comme suit dans le ressort du préfet maritime de l'Atlantique, au cours de la campagne de sécurité des loisirs nautiques pour l'année 2018 :
Source : Dossier de presse de la Préfecture maritime de l'Atlantique sur la campagne de loisirs nautiques 2018, p. 17
* 1 Déclarations préliminaires introduisant la convention, alinéa 2.
* 2 Ibidem, alinéa 4.
* 3 Arrêté des consuls en date du 7 floréal an VIII.
* 4 Article 6 du décret n° 2004-112 du 6 février 2004 relatif à l'organisation de l'action de l'État en mer.
* 5 Article 1 er du décret n° 2004-112 du 6 février 2004 relatif à l'organisation de l'action de l'État en mer.
* 6 Extrait du dossier de presse de la Préfecture maritime de l'Atlantique sur la campagne de loisirs nautiques 2018, page 12.
* 7 Ibidem.
* 8 Ibidem.
* 9 Art. L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales.
* 10 Ibidem.
* 11 Ibidem.
* 12 Article 1 er de l'arrêté du 6 avril 1998 relatif aux sapeurs-pompiers volontaires recrutés pour la surveillance des baignades et des activités nautiques.
* 13 Exemple de la convention passée entre la commune de La-Teste-de-Buch (Gironde) et la SNSM, disponible à l'adresse suivante, page 40 :
https://www.latestedebuch.fr/wp-content/uploads/2017/11/proces-verbal-CM-du-07.04.2016.pdf
* 14 2° de l'article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
* 15 Voir « Les CRS seront-ils toujours présents sur les plages en 2019 ? », La Gazette des communes, 14 décembre 2018.