B. L'APPROPRIATION DE CETTE RESPONSABILITÉ PAR LES AUTORITÉS DE GESTION EST VARIABLE
L'audit réalisé par la Cour des comptes européenne en 2018 66 ( * ) souligne que les autorités de gestion ont réalisé des progrès en matière de lutte contre la fraude, même si la mise en oeuvre de mesures antifraude est inégale.
Par exemple, la Cour des comptes européenne a identifié une utilisation variable par les autorités de gestion du logiciel « Arachne » , mis gratuitement à disposition par la Commission européenne. Ce logiciel vise à mieux détecter les risques de fraude en croisant les données relatives aux bénéficiaires et opérateurs à risque et les montants associés. Toutefois, le CGET et l'Association des régions de France ont indiqué à votre rapporteur spécial que l'utilisation de ce logiciel était relativement complexe et peu intuitive.
Les autorités de gestion n'ont pas non plus encore mis en oeuvre l'ensemble des mesures antifraude prévues par leur descriptif de système de gestion et de contrôle (DSCG) 67 ( * ) .
Procédures et outils mis en place par une
autorité de gestion : exemple
En application de l'article 125 du règlement n° 1303/2013, la région Nouvelle-Aquitaine, issue de la fusion des régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes, a mis en place un système visant à assurer la prévention, détection et correction des irrégularités. Les procédures et outils dédiés sont les suivants : 1. Actions de formation, d'information et de sensibilisation - mise en place d'un plan de formation régional ; - échange de bonnes pratiques dans le cadre de « clubs instructeurs » ; - participation à des conférences et séminaires, notamment avec le déontologue et au cours de journée d'actualité. 2. Élaboration de la charte de déontologie Approuvée en février 2017, elle vise à « assurer la bonne gestion des fonds publics » et « lutter contre toute action susceptible d'exposer les agents et élus régionaux à des risques de fraudes et d'actes délictuels ». Elle comporte des annexes relatives aux déclarations d'absence de conflits d'intérêts à l'attention des agents, des élus, et une procédure de lancement d'alerte. 3. Désignation d'un référent déontologue par le Président du Conseil régional 4. Élaboration d'une liste de postes sensibles en termes de conflits d'intérêts, fraude, corruption 5. Mise à disposition des agents du logiciel « Arachne » 6. Réalisation d'une cartographie des risques à l'échelle de la Nouvelle-Aquitaine 7. Organisation des contrôles internes Trois types de contrôles sont mis en oeuvre : le contrôle système au niveau du programme opérationnel, le contrôle de la qualité du dossier au niveau des opérations, et le contrôle ciblé sur le risque au niveau des opérations. La gouvernance de l'ensemble de ces outils et procédures est assurée par le Comité de pilotage du contrôle interne (COPILCI) des fonds européens, qui se réunit une fois par an. Source : Commission des finances du Sénat, à partir d'une note des services de la région Nouvelle-Aquitaine transmise au rapporteur spécial |
L'approfondissement des mesures antifraude mises en place par les autorités de gestion pourrait se traduire par un accompagnement renforcé du service national de coordination antifraude (SCAF) 68 ( * ) , correspondant national de l'OLAF. En France, le correspondant national de l'OLAF assure depuis 2013, au sein de la DNLF, le rôle de coordination interministérielle des mesures antifraude.
Le service de coordination antifraude (SCAF) en
France : la délégation nationale
Par une décision du Ministre de l'économie et des finances de mai 2013 en lien avec le secrétariat général des affaires européennes, la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) a été désignée comme SCAF pour la France. La DNLF assure ce rôle pour la France, avec la création d'un poste de correspondant national de l'OLAF, responsable de l'action du SCAF. Les compétences du SCAF peuvent varier d'un pays à un autre et comporter notamment des pouvoirs opérationnels d'investigation . Pour la France, le rôle de SCAF n'est pas de se substituer aux administrations et opérateurs chargés de la lutte contre la fraude aux intérêts financier de l'UE mais de coordonner leurs initiatives vers une meilleure connaissance et prévention de ce type de fraude. En France, le SCAF ne possède donc pas de pouvoir opérationnel d'enquête comme d'ailleurs la DNLF sur le plan national. Le SCAF est tout d'abord un partenaire essentiel de l'OLAF pour faciliter ses enquêtes administratives ou collecter des informations, en mobilisant les administrations nationales concernées. La DNLF contribue aussi en lien avec le SGAE et la Représentation Permanente de la France au rapport sur la protection des intérêts financiers de l'UE. La DNLF a en lien avec des administrations et organismes nationaux concernés, favorisé l'élaboration d'actions spécifiques sur la gestion des fonds européens à inscrire dans le plan national pluri annuel de lutte contre la fraude (PNLF) 2016-2018. Le SCAF a initié en 2016, des démarches de formation et d'accompagnement des politiques de lutte contre la fraude des administrations nationales (DGFIP, CGET, Direction générale des étrangers en France (DGEF) du Ministère de l'intérieur, DIRECCTE et DIECCTE, CICC) et des régions dans le cadre de leur nouvelle compétence d'autorité de gestion qui date de 2014, en coopération avec l'association « régions de France » et l'autorité d'audit, la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) qui assure les déclarations IMS au niveau national. Plus de 1200 contrôleurs des services instructeurs ont pu être formés dans ce contexte par le SCAF depuis 2016 dans la moitié des régions métropolitaines et d'outre-mer. En moyenne depuis 2016, une dizaine d'actions de formations ont ainsi été organisées dans les autorités de gestion. Source : Commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire |
Alors que la Cour des comptes européenne recommande que la Commission européenne exige des autorités de gestion qu'elles adoptent une politique antifraude propre 69 ( * ) , le SCAF pourrait constituer la colonne vertébrale de leur élaboration . Néanmoins, votre rapporteur spécial note qu'un seul équivalent temps plein (ETP) assure actuellement ce rôle de SCAF au sein de la DNLF, ce qui semble dérisoire pour conduire une telle mission. À titre de comparaison, le SCAF mis en place en Grèce est assuré par le ministère de la justice, et il comprend 35 agents, alors même qu'il ne dispose pas non plus de pouvoirs d'enquêtes.
Recommandation n° 5 : augmenter les moyens humains du service de coordination antifraude (SCAF) en France. |
De plus, il a été indiqué à plusieurs reprises à votre rapporteur spécial que le manque de formation des agents chargés de l'instruction des dossiers au sein des autorités de gestion constituait un frein évident au développement de politiques de lutte contre la fraude.
Ce constat est d'autant plus vrai que les agents doivent s'adapter, à chaque programmation, à l'évolution des règles de contrôles en vigueur, tout en faisant face aux dysfonctionnements répétés des systèmes d'information. Votre rapporteur spécial estime que ces agents, qui constituent le principal « filtre antifraude », assument de lourdes responsabilités et devraient faire l'objet d'un meilleur accompagnement . Les conditions de formation et d'apprentissage de ces fonctions se sont visiblement pas satisfaisantes, au regard du fort « turn over » regretté par le CGET lors de son audition.
Recommandation n° 6 : encourager les autorités de gestion à augmenter le nombre d'agents chargés de l'instruction des dossiers de demande de fonds européens. |
Par ailleurs, les auditions conduites par votre rapporteur spécial, et en particulier celle du CGET, ont souligné le manque de portage politique , par les autorités de gestion, des stratégies antifraude dédiées à la gestion des fonds européens.
Or, votre rapporteur spécial considère que la valorisation politique d'une bonne gestion des fonds européens permet de convaincre les porteurs de projets du traitement efficace et équitable de leur demande de subventions européennes et ainsi, de les rassurer quant à l'issue de l'instruction de leur dossier. Un engagement politique fort en faveur d'une meilleure prévention et détection de la fraude aux fonds européens contribue à crédibiliser l'accès aux fonds européens, et à réduire le sentiment d'opacité et de complexité du système d'attribution des fonds régulièrement dénoncé par les porteurs de projet .
* 66 Audit par la Cour des comptes européenne de la performance relatif aux mesures de lutte antifraude relatives aux dépenses relevant de la politique de cohésion de l'Union européenne, visite d'audit en France en mai 2018. L'audit réalisé s'est basé sur trois autorités de gestion : la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) pour le fonds social européen, et les conseils régionaux Hauts de France et Bretagne.
* 67 À la date de l'audit de la Cour des comptes européenne, en 2018, soit à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2014-2020.
* 68 La mise en place d'un tel service dans chaque État membre est prévue par l'article 3.4 du règlement n° 883/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 septembre 2013 relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement n° 1073/1999 du Parlement européen et du conseil et le règlement n° 1074/1999 du Conseil.
* 69 Rapport de la Cour des comptes européenne n°06/2019, « La lutte contre la fraude au détriment des dépenses de cohésion de l'UE : les autorités de gestion doivent renforcer la détection, la réaction et la coordination », mai 2019, §80.