EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 juillet 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Bernard Delcros, rapporteur spécial, sur les contrats de ruralité.
M. Vincent Éblé , président . - Nous commençons notre réunion par la communication de notre rapporteur spécial Bernard Delcros sur les contrats de ruralité. Nous avions convié Louis-Jean de Nicolaÿ, membre de la commission l'aménagement du territoire et du développement durable, mais ce dernier n'a pas pu se joindre à nous.
M. Bernard Delcros , rapporteur spécial . - Permettez-moi au préalable un bref rappel historique.
Le Gouvernement a mis en place les contrats de ruralité en 2017, une décision qui s'inspire d'une initiative sénatoriale. En effet, nous avions adopté en octobre 2015 une proposition de loi visant à mettre en place des « contrats territoriaux de développement rural », malgré l'avis défavorable du Gouvernement. J'ai repris cette idée en 2016, dans mon rapport d'information intitulé Repenser le FNADT en faveur du développement rural .
Nous souhaitions la mise en place d'un outil destiné à la ruralité, calqué sur le modèle des contrats de ville, pour accompagner les territoires ruraux dans la mise en oeuvre d'une stratégie de développement globale, partenariale et pluriannuelle, associant l'État et les collectivités locales.
Alors que la première génération de contrats arrive à échéance en 2020, deux constats m'ont conduit à mener ce contrôle : d'une part, l'arrêt du financement des contrats par une enveloppe dédiée, c'est-à-dire une dilution des crédits en faveur des contrats de ruralité dans des crédits de droit commun et, d'autre part, l'absence de visibilité quant au devenir de ces contrats de ruralité, dans le cadre de la mise en place des futurs contrats de cohésion territoriale qu'appuierait l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Premièrement, quel bilan peut-on dresser de ces contrats à mi-parcours ? Deuxièmement, le changement du mode de financement opéré en 2018 et 2019 est-il pertinent ? Enfin, quel est l'avenir des contrats de ruralité ?
Je veux d'abord rappeler que ces contrats constituaient un outil novateur pour la ruralité. Les projets soutenus dans le contrat doivent s'inscrire dans un projet de territoire, axé sur six volets thématiques : l'accès aux services et aux soins, la cohésion sociale, la transition écologique, les mobilités, l'attractivité du territoire et la revitalisation des bourgs-centres.
Ce nouvel outil contractuel a été doté de crédits spécifiques sur le programme 112 de la mission « Politique des territoires » en 2017, pour un montant de 216 millions d'euros en autorisations d'engagement, avec un triple objectif : accompagner la mise en oeuvre d'un projet de territoire reposant sur une stratégie globale de développement local ; fédérer les partenaires dans les territoires ruraux autour d'un programme pluriannuel d'actions et apporter un soutien spécifique de l'État aux projets des collectivités rurales.
À l'issue des auditions réalisées et des deux déplacements que j'ai effectués à Poitiers et Péronne, je tire un bilan encourageant des contrats à mi-parcours.
Ce nouvel outil a très vite suscité l'intérêt d'un grand nombre de pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) et d'intercommunalités. Ainsi, au 1 er octobre 2018, 485 contrats de ruralité étaient signés ou en cours de signature.
S'agissant des moyens engagés par l'État : en 2017, 425 millions d'euros ont été consacrés aux contrats de ruralité, dont 145 millions d'engagements exécutés sur le programme 112.
Je formulerai cependant deux observations. Premièrement, la participation à l'élaboration des contrats d'acteurs sociaux, économiques, de mouvements associatifs est restée très limitée, tout comme celle des citoyens. Je souhaite que, pour la prochaine génération, la participation de ces acteurs soit encouragée. Deuxièmement, certaines thématiques, pourtant à fort enjeu, ont été peu prises en compte : par exemple, pour l'exécution de 2017, la transition énergétique ne représente que 8 % des autorisations d'engagement et 10 % des crédits de paiement.
J'en viens à la deuxième question.
Je ne pense pas que le changement du mode de financement opéré en 2018 et en 2019 était pertinent. Alors que ces contrats devaient donner de la visibilité aux acteurs des politiques de développement local, leur financement a fait l'objet d'évolutions incohérentes.
D'abord, au cours de l'été 2017, les annulations de crédits ont été perturbatrices en termes de gestion : certaines préfectures ont fait le choix de maintenir les subventions sur les contrats de ruralité en complétant les crédits dédiés par des crédits versés au titre de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), tandis que d'autres ont dû remettre en cause des engagements.
Ensuite et surtout, la loi de finances de 2018 a acté l'arrêt du financement de nouveaux engagements sur le programme 112 et l'a transféré vers le programme 119 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ainsi, la DSIL s'est vu attribuer 615 millions, dont 45 millions ont été fléchés vers les contrats de ruralité.
Je considère que ce transfert est dommageable pour plusieurs raisons.
D'abord, d'un point de vue budgétaire, il manque de cohérence. La mission « Cohésion des territoires » assure le financement de dispositifs contractualisés similaires aux contrats de ruralité, en particulier les contrats de plan État-région (CPER) et les contrats de ville. Ce recul pour le programme 112, qui regroupe les crédits dédiés au pilotage de la politique d'aménagement du territoire de l'État, marque une véritable incohérence. Ensuite, la DSIL doit désormais financer, avec une enveloppe plus resserrée, à la fois les « grandes priorités nationales », le programme Actions Coeur de ville et les contrats de ruralité. Enfin, en 2019, la DSIL ne comprendra plus de part réservée aux contrats de ruralité et leur financement ne sera donc plus garanti. J'y vois un risque de recul du fait rural dans le champ des priorités nationales, car la DSIL n'offre pas les garanties d'une enveloppe fléchée.
C'est pourquoi je formule plusieurs propositions concernant le financement de ces contrats.
Il convient de revenir à une enveloppe dédiée au financement des contrats sur le programme 112, en particulier sur le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT). En effet, ce fonds présente de nombreux avantages pour le soutien au développement rural : souplesse d'utilisation, possibilité de financement de l'ingénierie territoriale ou de projets associant collectivités et acteurs privés.
Par ailleurs, un engagement lisible de l'État dans le temps est indispensable pour sécuriser les projets d'investissement. La définition d'engagements pluriannuels de la part de l'État se heurte bien sûr au principe d'annualité budgétaire. Mais il est possible d'assurer la visibilité des engagements de l'État sur la durée des contrats, comme c'est d'ailleurs le cas pour les CPER. Cela permettrait aux élus d'appuyer leur stratégie de développement sur une programmation pluriannuelle financièrement sécurisée.
Quel avenir pour ces contrats ?
En premier lieu, dans le cadre de la mise en place de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, le maintien de ces contrats n'est à ce jour pas confirmé : les nouveaux contrats de cohésion territoriale pourraient avoir vocation, à terme, à se substituer à plusieurs types de contrats entre l'État et les collectivités territoriales. Si tel était le cas, la ruralité serait diluée dans d'autres enjeux nationaux.
L'effet de levier attendu des contrats sur le développement des territoires ruraux requiert stabilité et visibilité : ils doivent être identifiés en tant que tels, bénéficier de financements spécifiques et s'inscrire dans la durée.
Aussi, je souhaite que les contrats de ruralité soient reconduits pour une deuxième génération à compter de 2020, et ce pour une durée de cinq ans, afin de les faire coïncider avec la nouvelle mandature municipale. En outre, je propose qu'ils conservent leur autonomie, au même titre que les contrats de ville, dont l'intégration au sein des nouveaux contrats de cohésion territoriale n'est pas envisagée à ce stade.
Par ailleurs, j'en suis convaincu, le soutien à l'ingénierie territoriale de développement est indispensable pour permettre aux intercommunalités rurales de monter en compétence. Or, actuellement, la mobilisation de la DSIL en matière d'ingénierie n'est possible que si elle est rattachée à un projet d'investissement précis. Pour les territoires ruraux ne disposant pas de l'expertise des services d'une ville-centre importante, il est donc indispensable de renforcer le soutien à l'ingénierie territoriale de développement. Le financement par le FNADT que je propose permettrait de consacrer davantage de crédits au soutien à l'ingénierie - c'est un enjeu majeur de la réussite du développement rural.
Je propose également de conditionner la signature d'un contrat de ruralité à la désignation d'un chef de projet dédié à son élaboration et à sa mise en oeuvre. Pour les intercommunalités rurales de moins de 60 000 habitants - un seuil à discuter -, je suggère que l'État finance ce poste à hauteur de 80 % sur les crédits consacrés aux contrats de ruralité. Je préconise aussi d'instaurer une clause de revoyure du contrat à mi-parcours, ce qui permettrait de procéder à une première évaluation, avec la possibilité de signer un avenant.
Les contrats de ruralité n'ont pas été assortis d'orientations nationales précises s'agissant des territoires prioritaires. Il existe de très grandes disparités d'une région à l'autre s'agissant des critères. Il me paraît donc indispensable d'établir des critères de répartition des crédits par territoire, fondés sur leur fragilité - la densité de population, le revenu par habitant et l'évolution démographique, par exemple - de manière à donner plus de lisibilité et de transparence. Ainsi les contrats seraient recentrés sur les territoires ruraux les plus fragiles. Enfin, une communauté urbaine peut porter un contrat de ruralité à condition que les subventions bénéficient exclusivement aux communes rurales de la communauté urbaine répondant à ces critères. C'est d'ailleurs le cas au Grand Poitiers où je me suis rendu et où seules les communes rurales bénéficient d'un soutien financier au titre du contrat de ruralité, tout en bénéficiant de l'ingénierie de la ville-centre.
En conclusion, je considère que le contrat de ruralité est un outil d'avenir indispensable pour relever les défis de la ruralité - c'est d'ailleurs le titre que j'ai retenu pour mon rapport d'information. Je souhaite que la deuxième génération propose des contrats plus ciblés, plus lisibles dans la durée et plus efficaces. Je formule dix propositions concrètes.
Mme Sylvie Vermeillet . - Je félicite notre collègue pour son travail de qualité. Je suis quelque peu atterrée par la disparition des crédits fléchés en faveur des contrats de ruralité. Cela a-t-il compromis des projets ?
M. Marc Laménie . - Je remercie notre collègue de sa clairvoyance. Je partage les inquiétudes qu'il a exprimées quant à la baisse des crédits. Même si j'ai l'honneur de faire partie d'une commission pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) dans mon département, je ne suis pas sûr que l'on y soit écouté ou entendu. Les crédits de la DSIL ne sont pas tous fléchés vers le monde rural. Et je ne parle pas de feu la réserve parlementaire ! Tous ces crédits sont censés soutenir des projets ruraux. Quel est le montant réel alloué aux contrats de ruralité ?
M. Patrice Joly . - Je remercie Bernard Delcros pour la qualité de son travail et la finesse de son analyse. Je veux rappeler que la ruralité n'est jamais une évidence dans les politiques publiques en France. Ce n'est pas la première fois que l'on voit les dispositifs se déliter.
Les contrats de ruralité visent à élaborer un projet global, en donnant aux territoires une vision d'avenir et des perspectives communes. Le projet doit être co-construit avec des acteurs privés et publics, ce qui a fait défaut dans la plupart des territoires eu égard au caractère d'urgence lié aux échéances de 2017 que vous connaissez. Or les territoires ne peuvent avancer que s'ils ont des assurances sur les partenariats financiers. La mise en oeuvre de ces contrats est loin de cette philosophie. En effet, il n'y a pas de culture de projet territorial dans l'administration d'État, que ce soit au niveau national ou local. Les financements dédiés ont disparu, comme cela a été souligné. Surtout, il n'y a pas eu d'engagement pluriannuel, ce qui constitue une véritable difficulté : on note donc une absence de lisibilité. Aussi, il faut absolument revenir à la philosophie d'origine, comme le propose le rapporteur spécial, pour des raisons d'efficacité dans l'action publique, mais aussi pour une bonne utilisation des fonds publics.
Cela a été évoqué, nos territoires ont besoin d'une ingénierie pour pallier la disparition d'une partie des agents publics et d'opérateurs de services publics ou privés. Par exemple, 1 500 emplois publics ont disparu entre 2000 et 2015 dans la Nièvre. Cette ingénierie de projet, d'animation est indispensable. Par ailleurs, cessons de distinguer les opérations d'investissement des opérations de fonctionnement.
J'approuve l'idée d'envisager une nouvelle génération de contrats de ruralité en vue d'accompagner les territoires ruraux dans leur développement, car ils peuvent contribuer au redressement de notre pays et répondre aux défis que nous avons en commun.
M. Philippe Dallier . - Je comprends que notre collègue s'inquiète quant au devenir de ces contrats et qu'il en demande la pérennisation. Mais à y regarder de plus près, quel empilement : la dotation de solidarité urbaine (DSU), la dotation de solidarité rurale (DSR), les contrats de ville, les contrats de ruralité, la DSIL, la DETR, feu la réserve parlementaire, les problèmes de la DGF... Au fond, la multiplication des dispositifs ne permet-elle pas au Gouvernement de faire un jeu de bonneteau budgétaire ? Ne faudrait-il pas simplifier ? À multiplier les dispositifs, le résultat est plutôt négatif pour les collectivités territoriales.
M. Bernard Lalande . - Bernard Delcros est l'un des spécialistes de la ruralité. Existe-t-il une échelle de mesure de la fragilité des territoires ruraux ? Un territoire rural ou péri-urbain est, par essence, fragile. Par ailleurs, pourquoi le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) n'est-il pas intégré dans les contrats de ruralité ?
Mme Sylvie Vermeillet . - Tout à fait.
M. Jean-Claude Requier . - Je félicite moi aussi Bernard Delcros, le chantre de la ruralité. Je rejoins les propos de Philippe Dallier : il est très difficile de s'y retrouver et il faudrait simplifier, afin que ce soit plus clair pour les élus et les citoyens.
Je suis d'accord, il faut favoriser l'ingénierie, mais veillons à ne pas fonctionnariser les postes. Il faudrait pouvoir bénéficier d'une ingénierie temporaire.
La ruralité intéresse aux mois de juillet et d'août lors des festivals, des concerts... Mais à la fin du mois d'août, on tire le rideau.
M. Bernard Delcros , rapporteur spécial . - Sylvie Vermeillet, les choses se sont passées différemment selon les territoires : dans certains territoires, les enveloppes ont été maintenues grâce au prélèvement sur des crédits de la DETR et de la DSIL, tandis que, dans d'autres, les engagements n'ont pas été maintenus. Dans le Cher, par exemple, l'enveloppe a été divisée par deux. Ce fut au détriment de projets intégrés dans les contrats de ruralité ou d'autres projets qui auraient pu bénéficier de crédits de droit commun.
Marc Laménie, on peut comprendre qu'il faille à un moment réduire les dépenses, vu le contexte actuel, mais il importe de veiller à ce que la diminution des crédits ne concerne pas une seule catégorie de territoires. Il est essentiel que la ruralité soit reconnue en tant que telle. Or les crédits sont désormais fongibles ; les réponses sont donc différentes suivant les départements et les régions.
Patrice Joly, je vous rejoins : la ruralité n'est pas une évidence, que les gouvernements soient de droite ou de gauche d'ailleurs. C'est pourquoi il importe de sécuriser les moyens attribués à la ruralité. Sur la question de la culture du projet territorial dans les services, il faut progresser. Je le redis, il faut certes s'attacher aux volumes de crédits, tous territoires confondus, urbains et ruraux, mais il importe surtout d'avoir des crédits fléchés sécurisés.
Philippe Dallier, j'en conviens, il faudrait travailler à la mise en place de mesures de simplification, mais pas seulement pour ce qui concerne la ruralité.
M. Philippe Dallier . - J'ai aussi parlé de l'urbain.
M. Bernard Delcros , rapporteur spécial . - Le dispositif contractuel avec des crédits fléchés vers la ruralité a disparu aujourd'hui, contrairement à celui consacré aux contrats de ville. Il faut des mesures de simplification pour tous, mais simplification ne signifie pas dilution. Il importe de flécher des crédits en faveur du milieu urbain et du milieu rural.
Bernard Lalande, nombreux sont les territoires fragiles, mais pour des raisons différentes. Mon département continue à perdre des habitants ; l'évolution démographique d'un territoire est un critère de fragilité. En revanche, d'autres territoires peuvent être fragiles, alors que leur démographie augmente. Nous devons mettre en place des critères nous permettant de mesurer la fragilité de nos territoires. Il faut définir des critères si l'on veut que les dispositifs soient efficaces. D'où mes propositions pour les contrats de ruralité.
Les dispositifs sont souvent cloisonnés. On aurait intérêt à avoir sur un territoire donné, en fonction de critères définis, un bouquet de mesures pour accompagner le territoire. Aujourd'hui, le FISAC est en voie de disparition, alors qu'il s'agit d'un bon outil et de seulement quelques dizaines de millions d'euros à l'échelle nationale. Dans le cadre de mon rapport d'information sur les zones de revitalisation rurale (ZRR), je réfléchis à l'idée de rassembler un certain nombre de mesures pour plus d'efficacité.
Jean-Claude Requier, la ruralité plaît en effet à tout le monde au mois d'août. L'objectif est non pas d'assister la ruralité, ni même d'assurer sa survie, mais de lui permettre de jouer pleinement son rôle pour participer à la cohésion nationale et sociale de notre pays. Tel est l'enjeu. Dans cette perspective, on est obligé de sécuriser les dispositifs mis en place en faveur de la ruralité.
La commission a autorisé la publication de la communication de M. Bernard Delcros sous la forme d'un rapport d'information.