C. LA DÉPÉNALISATION ET LA DÉCENTRALISATION DU STATIONNEMENT PAYANT : UN TAUX DE PAIEMENT SPONTANÉ EN HAUSSE MAIS UN IMPACT FAIBLE SUR LE TAUX DE RECOUVREMENT FORCÉ
1. Les objectifs premiers de la réforme n'étaient pas budgétaires
L'article 63 de la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (dite loi « MATPAM ») a conduit à la dépénalisation et à la décentralisation du stationnement payant . L'entrée en vigueur de la réforme, reportée dans le temps à deux reprises, est intervenue le 1er janvier 2018 . La volonté de dépénaliser et de décentraliser le stationnement payant s'appuyait sur plusieurs constats : l'impossibilité pour le maire de déléguer ses pouvoirs de police, l'uniformité des tarifs et des amendes sur le territoire national, en dépit des particularités locales, un faible taux de paiement spontané (30 % en moyenne, moins de 10 % à Paris). Cette réforme présentait ainsi plusieurs avantages pour les collectivités territoriales , qui pouvaient adapter leur politique de mobilité et les conditions du stationnement payant aux circonstances locales, afin de les aider à lutter contre les problèmes de congestion, d'indiscipline ou encore pour les aider à revaloriser l'attractivité de leurs commerces de centre-ville.
La réforme du stationnement payant visait donc moins à accroître les recettes des collectivités territoriales qu'à améliorer le fonctionnement de la cité et à développer des projets plus complets de mobilité durable 11 ( * ) . Budgétairement, les collectivités territoriales doivent en effet utiliser les produits issus du stationnement payant pour financer l'amélioration des transports en commun, y compris avec des transports plus « verts « et pour financer des travaux de voirie, si la collectivité est compétente. Si la collectivité ne dispose pas de l'intégralité de ces compétences, des mécanismes de reversement au profit de l'établissement public de coopération intercommunale compétent sont prévus.
Sur ces premiers objectifs, et d'après leurs enquêtes, les représentants de France Urbaine et du Groupement des autorités responsables des transport (GART) considèrent que les communes sont plutôt satisfaites de la réforme , qui leur a permis de lutter contre les « véhicules-ventouses », de libérer des places en centre-ville ou d'adapter leurs tarifs. En effet, pour pouvoir moduler la politique de stationnement, il fallait que cette dernière sorte du champ pénal et rentre dans le domaine administratif. L'amende a ainsi été remplacée par une redevance d'occupation du domaine public, dénommée forfait de post-stationnement, dont le montant est fixé par chaque collectivité et dont le produit lui est reversé 12 ( * ) .
D'après les premiers éléments communiqués par les personnes que vos rapporteurs spéciaux ont auditionnées, le taux de paiement spontané du stationnement est en hausse et atteint en moyenne 60 % à 70 %, même si les disparités géographiques sont fortes. Les débiteurs sont en outre 30 % à 40 % à se saisir de la possibilité offerte par certaines villes de bénéficier d'une minoration de leur FPS en cas de paiement rapide (de 24 à 96 heures). Quant au recouvrement des FPS majorés, il fait apparaître une tendance positive, bien qu'encore insuffisante . En comparant les périodes de juin à décembre 2017 et juin à décembre 2018 (une fois la réforme pleinement appréhendée par ses acteurs), on observe une progression du taux de recouvrement de près de deux points (26,37 % en 2018 contre 24,34 % en 2017).
Toutefois, et bien que cela eût été l'un des arguments utilisés lors de la discussion de la réforme, ces taux demeurent bien inférieurs à ceux constatés dans les grandes villes européennes qui ont aussi compétence sur la politique de stationnement (les taux de paiement, spontané et du FPS, peuvent aller jusqu'à 90 % dans certaines villes d'Espagne). En réalité, le taux de paiement dépend de la sévérité du contrôle exercé par les collectivités territoriales : le facteur le plus important est donc moins le montant du FPS que la fréquence du contrôle 13 ( * ) . Il en va de même pour le choix de recourir à un prestataire privé : le volume de FPS émis dépendra toujours du choix de la collectivité territoriale
Le stationnement payant, pas le stationnement gênant Le stationnement gênant, très gênant, abusif, dangereux ou dépassant la durée limite du stationnement réglementé « zones bleues » continue de relever du domaine pénal. Il ne peut donc faire l'objet d'une délégation de service public et ce sont toujours les agents de la police municipale ou de surveillance de la voie publique qui ont la charge de le sanctionner et d'attribuer une amende aux contrevenants. |
2. Un coût et un effort d'adaptation pour les collectivités
Hormis les cas très médiatiques de « ratés » dans la mise en place de la réforme, à l'image de la ville de Paris qui a dû annuler près de 200 000 forfaits de post-stationnement (faux contrôles, agents non-assermentés, gratuité pour les personnes à mobilité réduite non-prise en compte...), les collectivités sont dans l'ensemble parvenues à répondre aux exigences de la réforme du stationnement payant, même si ce fut au prix d'un effort d'adaptation certain.
Les collectivités territoriales ont d'abord dû choisir les modalités de leurs relations avec l'Antai : en cycle complet ou en cycle partiel . Certaines ont ainsi considéré que recourir à un prestataire privé ou effectuer cette tâche en interne était moins onéreux pour elles que de confier à l'Antai l'édition et l'envoi des avis de paiement pour les forfaits de post-stationnement. Toutes les collectivités ont toutefois dû adapter leurs systèmes d'information, afin qu'ils puissent communiquer avec ceux de l'Antai, qui intervient, quel que soit le mode de convention choisi, en phase de recouvrement forcé, pour l'émission des titres exécutoires et des forfaits de post-stationnement majorés. Le coût facturé par l'Antai pour sa prestation comprend des coûts directs (impression, mise sous pli, affranchissement), indirects (amortissement des investissements informatiques, dépenses de personnel) et de structure. Au 1 er janvier 2019, ce coût est de 1,53 euro par forfait de post-stationnement, l'Antai ne réalisant aucune marge sur sa prestation.
L'entrée en vigueur de la réforme a également pu susciter des tensions au niveau des relations financières et comptables entre les communes, les métropoles et les directions départementales des finances publiques (DDFiP). Les métropoles, communautés d'agglomérations et les communes ont en effet dû s'accorder sur la répartition des recettes et des coûts de la politique de stationnement payant , ce qui ne s'est pas fait sans difficulté. Aujourd'hui, la plupart des problèmes ont été résolus, les métropoles étant d'accord pour mieux prendre en compte les investissements réalisés par les communes pour moderniser leurs équipements. Une fois que les villes auront amorti leurs investissements, ces frictions devraient totalement disparaître. Avec les DDFiP, il y a encore des marges de progrès, avec parfois un retard de transmission sur le montant des forfaits de post-stationnement recouvrés, ce qui nuit à la lisibilité des recettes pour les collectivités à la fin de l'exercice de gestion . Elles ne peuvent pas non plus correctement anticiper les recettes dont elles bénéficieront. Là-encore, les représentants des collectivités territoriales regrettent qu'il n'y ait pas d'interlocuteur unique pour faire remonter ces difficultés.
Les collectivités ont également dû faire un effort d'adaptation « juridique » , d'abord en mettant à disposition les moyens humains et informatiques nécessaires à la procédure du recours administratif préalable obligatoire (RAPO), puis en faisant un effort de veille et de formation sur les décisions prises par la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP). C'est une formation « au fil de l'eau », c'est-à-dire au gré des décisions de la CCSP, qui crée sur le sujet du stationnement payant une jurisprudence nouvelle. Lors de leur déplacement à Limoges, siège de la CCSP, vos rapporteurs spéciaux ont pris bonne note de la volonté du président de la juridiction de mieux faire connaître les travaux et la jurisprudence de la CCSP , afin que les collectivités et les usagers du service public puissent adopter le plus rapidement possible des pratiques de nature à les éloigner du contentieux. Le président et la vice-présidente devraient ainsi consacrer davantage de temps à rencontrer les acteurs du stationnement payant.
Ce travail de pédagogie, appréciable, ne sera sans doute pas suffisant. C'est pourquoi vos rapporteurs spéciaux apprécieraient que le ministère de l'intérieur publie un fascicule à destination de l'ensemble des collectivités pratiquant le stationnement payant, fascicule qui serait actualisé au gré des décisions de la CCSP et qui offrirait des exemples de bonnes pratiques en termes de RAPO . De même, pour fluidifier les relations entre les collectivités territoriales et la CCSP, cette dernière pourrait instaurer un système par lequel elle avertirait automatiquement les collectivités territoriales d'une nouvelle décision et de l'actualisation de sa jurisprudence.
La juridiction administrative a ainsi rendu plusieurs décisions qui ont conduit certaines collectivités à modifier leurs pratiques. Par exemple, l'utilisation des voitures LAPI (lecture automatisée des plaques d'immatriculation) ne peut se faire de manière « autonome », sans vérification humaine sur place. En l'absence de ce contrôle, les véhicules LAPI ont pu sanctionner des automobilistes bénéficiant de la gratuité ou stationnant dans des zones non payantes.
Recommandation n°8 (à destination du ministère de l'intérieur) : publier un fascicule à destination des collectivités territoriales sur la réforme du stationnement payant, fascicule qui serait actualisé au gré des décisions de la commission du contentieux du stationnement payant et qui inclurait également des exemples de bonnes pratiques en termes de RAPO. |
Pour autant, et c'est peut-être le signe du coût attaché à ces adaptations, il a été expliqué à vos rapporteurs spéciaux que les communes avaient tendance à ne pas se défendre contre les contestations d'avis de forfaits de post-stationnement majorés . Elles n'avaient en effet que peu à y gagner, la majoration revenant à l'État. De plus, si vos rapporteurs spéciaux précisent que ce chiffre n'a qu'une valeur indicative, il est frappant de constater que sur 800 communes qui pratiquaient le stationnement payant avant l'entrée en vigueur de la réforme, 236 d'entre elles n'ont noué aucune convention avec l'Antai, ce qui implique qu'elles ont abandonné le stationnement payant .
Cet abandon peut s'expliquer pour plusieurs raisons : une demande pas assez soutenue par rapport au coût de la réforme ; le choix d'une gestion du stationnement uniquement par le biais de « zones bleues », etc. Vos rapporteurs spéciaux relèvent toutefois que les chiffres peuvent varier , le Groupement des autorités responsables de transport (GART) estimant, d'après les délibérations, que le nombre de villes ayant abandonné le stationnement payant ne serait que de 70. Le GART rappelle ainsi que la décision de revenir à des zones bleues est une décision de police, un arrêté du maire étant suffisant. En outre, le chiffre de 800 est approximatif et inclut également les collectivités qui ne disposaient par exemple que d'un seul horodateur (ex. pour gérer une aire de stationnement pour camping-car ; pour mesurer une durée de stationnement sans nécessairement la faire payer...).
Finalement, si la réforme avait également été proposée pour répondre à un système de recouvrement des amendes par l'État jugé « très coûteux et complexe » 14 ( * ) , il semble que la dépénalisation et la décentralisation du stationnement payant n'aient pas rempli toutes leurs promesses : le circuit demeure fragmenté et les effets sur les taux de recouvrement, surtout pour les forfaits de post-stationnement majorés, demeurent limités.
* 11 Les résultats de l'enquête du GART et de la Cerema, Réforme du stationnement payant sur voirie : premiers engagements, montrent toutefois que le montant moyen du FPS est de 25 € (contre 17 € pour l'amende préalablement en vigueur).
* 12 Pour la collectivité, cela correspond à une recette non fiscale de sa section de fonctionnement, conformément aux dispositions de l'article L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales.
* 13 Les résultats de l'enquête du GART et de la Cerema, Réforme du stationnement payant sur voirie : premiers engagements , montrent ainsi que dans les villes où chaque agent a en charge la surveillance de moins de 250 places payantes, le stationnement payant rapporte en moyenne 3,63 € par place et par jour, contre 2,87 € pour les villes où chaque agent doit surveiller plus de 250 places.
* 14 Rapport pour avis présenté par M. Jean-Jacques Filleul, au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire sur le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, p. 20. Lien vers le rapport : https://www.senat.fr/rap/a12-601/a12-6011.pdf