B. LA DIVERSIFICATION DES MOYENS DE PAIEMENT : UNE ÉVOLUTION APPRÉCIÉE PAR LES REDEVABLES MAIS SANS EFFET SUR LE RECOUVREMENT
Définie en octobre 2015, la stratégie nationale des moyens de paiement a pour objectif « d' accélérer le développement de moyens de paiement innovants » dans les services publics. Parmi les axes étudiés figure notamment la mise en oeuvre d'actions visant à accroître les possibilités de paiement par carte, faciliter les paiements sans contact par carte ou téléphone et réduire le recours aux chèques . Dans ce cadre, la DGFiP et l'Antai ont été les premières concernées, et les plus mobilisées, par la modernisation des moyens de paiement dans la sphère publique.
D'après les données transmises à vos rapporteurs spéciaux par l'Antai, l'augmentation de la part des amendes de circulation recouvrées à l'aide de canaux de paiement dématérialisés , développés et maintenus par l'Antai pour le compte de la DGFiP, a été significative : de 49,8 % à 69 % entre 2013 et 2018. Cette augmentation de près de 20 points s'est accompagnée d'une très forte diminution du recours aux chèques et aux timbres. Le recours au télépaiement pour les FPS est similaire à celui observé pour les amendes de circulation (67,4 % en 2018).
Moyens de paiement utilisés pour régler
les amendes de circulation
et les forfaits de
post-stationnement
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par la DGFiP
Les moyens de paiement dématérialisés - Le paiement sur stationnement.gouv.fr : ouvert à compter du 1 er janvier 2018 pour le paiement des forfaits de stationnement et des FPS majorés. Le site permet le paiement au moyen d'une carte bancaire. Le site fonctionne comme celui d'amendes.gouv.fr, dédié aux amendes de circulation ; - Le paiement sur tablette ou smartphone : les sites stationnement.gouv.fr et amendes.gouv.fr sont dits responsive design, c'est-à-dire qu'ils s'adaptent automatiquement au support utilisé. La notice de paiement comporte un flash-code permettant d'accéder directement au site, sans besoin de recopier le lien URL ; - Le serveur vocal interactif : il sert au paiement des amendes et a été adapté au paiement des FPS. Il permet à l'usager de payer par carte bancaire et de demander un justificatif de paiement ; - Le paiement en trésorerie via PAI : l'application PAI, ouverte aux amendes, a également été adaptée pour prendre en compte les FPS. Il permet aux débiteurs de s'acquitter de leurs obligations en trésorerie et par carte bancaire, même sans terminal de paiement. |
Toutefois, la DGFiP et l'Antai ont admis que la diversification des moyens de paiement n'avait pas permis d'améliorer le taux de recouvrement spontané, même si leur usage augmente . Il est ainsi impossible d'évaluer l'effet de la diversification des moyens de paiement sur le recouvrement, étant donné que d'autres facteurs ont pu avoir une influence sur ce taux, dans un sens ou dans l'autre (hausse des volumes, réforme du solde bancaire insaisissable).
Le solde bancaire insaisissable Instauré par le décret n° 2002-1150 du 11 septembre 2002, ce dernier a fait l'objet d'une mesure de simplification en 2009. Ainsi, avant l'entrée en vigueur du décret n°2009-404 du 15 avril 2009, le débiteur devait lui-même demander à son établissement de crédit de mettre à sa disposition immédiate une somme correspondant à la part absolument incessible de son revenu. Depuis le 1 er juin 2009, le tiers saisi doit automatiquement laisser sur le compte du débiteur une somme insaisissable, dont le montant est fixé par décret. Le tiers saisi doit alors immédiatement informer le comptable public du montant laissé à disposition Source : service-public.fr |
Les collectivités territoriales ont saisi l' opportunité de la dépénalisation du stationnement payant pour moderniser leurs équipements, y compris les moyens de paiement. Ainsi, la plupart des villes dans lesquelles le stationnement est payant proposent aujourd'hui un paiement par carte bancaire à l'horodateur, y compris sans contact, tandis que près d'un tiers propose également une solution de paiement par téléphone mobile.
Si ces nouveaux moyens de paiement ont été déployés avec l'idée de faciliter les démarches de nos concitoyens, vos rapporteurs spéciaux se montrent plus circonspects sur ce que ce déploiement signifie à terme pour le paiement en espèces dans les trésoreries . L'article 1680 du code général des impôts dispose déjà que les paiements en espèces sont limités à 300 euros dans les trésoreries. Le comité Action publique 2022 a proposé d'aller beaucoup plus loin avec la suppression du paiement en espèces au sein du réseau de la DGFiP . Pour pallier cette contrainte, l'article 201 de la loi de finances initiale pour 2019 autorise l'État à recourir à des prestataires extérieurs pour assurer ces opérations d'encaissement et de décaissement en numéraire . A noter que le recouvrement forcé et les poursuites restent du domaine exclusif de l'administration fiscale.
La DGFiP a ouvert une procédure concurrentielle avec négociation en décembre 2018 pour mettre en oeuvre l'article 201. Le critère d'une répartition géographique équilibrée et d'un maillage fin du territoire, inscrit dans le cahier des charges, favorisait des réseaux comme ceux des buralistes ou des bureaux de poste. C'est ainsi le groupement de la confédération des buralistes et de la Française des jeux qui a remporté cet appel d'offres, face à La Poste. Ce dispositif sera testé au début de l'année 2020 dans 18 départements et il devrait être pleinement opérationnel à l'été 2020. Le réseau des buralistes compte environ 24 500 points de vente.
La procédure concurrentielle avec négociation Cette procédure permet à l'acheteur de négocier les conditions du marché public avec une ou plusieurs entreprises. Elle se déroule en quatre phases successives : 1. Remise des candidatures ; 2. Remise des offres initiales ; 3. Négociation des offres initiales et des offres ultérieures ; 4. Information aux soumissionnaires restant en lice que l'acheteur conclut les négociations et fixation d'une date pour la remise des offres finales. Source : service-public.fr |
Or, le paiement en espèces, bien que minoritaire, demeure important . En outre, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater, lors de leur déplacement à la Trésorerie Amendes 2 ème division, que la très grande majorité des redevables ne venait pas seulement pour payer, mais pour demander des informations . Comme l'avait déjà relevé la commission des finances du Sénat, « l'absence d'interlocuteur de la DGFiP lors des encaissements ou décaissements pourrait se révéler pénalisante pour le contribuable . Rien ne garantit en effet que le prestataire extérieur soit en mesure de répondre aux questions des contribuables, ni même, en tout état de cause, qu'il ait compétence pour le faire » 10 ( * ) . C'est un point d'autant plus crucial que les tensions peuvent être fortes dans les trésoreries, qui accueillent des personnes dans des situations sociales parfois très difficiles.
À cette limite, la DGFiP a répondu que la formation des personnels figurait parmi les exigences du cahier des charges . Cette formation sera assurée conjointement par le prestataire et la DGFiP : les personnels devront savoir répondre aux questions simples et orienter les usagers vers le service compétent en cas de situation plus complexe. L'attribution de ce marché et ses conditions d'exercice seront suivies par vos rapporteurs spéciaux avec une extrême vigilance , les réponses apportées à leurs questions n'apportant pas encore suffisamment de garanties. Par ailleurs, cela ne participera que d'autant plus à la fragmentation des acteurs de la mission « recouvrement » : le redevable pourra être amené à se rendre auprès du prestataire pour demander une précision avant de payer, à être redirigé vers la trésorerie compétente pour obtenir une réponse, avant d'à nouveau devoir se rendre dans l'un des points d'accueil du prestataire pour pouvoir payer en espèces...
Recommandation n°7 : faire preuve de vigilance et de prudence sur une éventuelle fin du paiement en argent liquide dans le réseau de la DGFiP, prévue pour 2022. Vos rapporteurs spéciaux appellent le ministère de l'action et des comptes publics à fournir davantage de garanties sur les conditions de formation des personnels du prestataire et sur les informations qui seront données aux usagers. |
* 10 Rapport général fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2019. Tome III - Les moyens des politiques publiques et les dispositions spéciales (seconde partie de la loi de finances), volume 1.