B. LA DÉMATÉRIALISATION INCOMPLÈTE DES PROCÉDURES CONTRARIE LES ÉCHANGES ENTRE LES PARTIES PRENANTES AU RECOUVREMENT
1. La dématérialisation : un enjeu d'accessibilité et de coût
Comme vos rapporteurs spéciaux l'ont montré, une part considérable du budget de certains acteurs de la chaîne du recouvrement, tels l'Antai ou la CCSP, est allouée aux dépenses de fonctionnement , les dépenses d'éditique et d'affranchissement y occupant la première place. Vos rapporteurs spéciaux estiment donc que l'un des leviers d'actions pour faire baisser le budget de la mission recouvrement, tout en maintenant un même niveau de performance, voire en l'améliorant, est de poursuivre les efforts entrepris en matière de dématérialisation et de numérisation .
Il faut arriver à dématérialiser, pour les citoyens qui le souhaitent, l'ensemble des procédures de la chaîne du recouvrement. Aujourd'hui, l'Antai envoie 1,3 million de contraventions par courriel, sur un total de 26 millions de contraventions en 2018. Ce n'est pas tant que les débiteurs s'opposent à cette dématérialisation, c'est plutôt que cette option leur est rarement proposée. La dématérialisation présente trois avantages : un gain de temps, des économies et une participation au processus de modernisation de l'État.
Alors que l'application informatique de la CCSP, dont le coût est estimé à onze millions d'euros, un montant bien plus élevé que celui attribué aux projets de taille comparable, a connu de multiples déboires les premiers mois de sa mise en oeuvre, elle est de surcroît demeurée longtemps incomplète . L'infocentre, outil dédié au pilotage statistique de la structure, n'a pas été livré en 2018 et il manque encore des fonctionnalités de recherche automatique. Par exemple, les cas de renonciation (lorsque le requérant ne fait pas suite à la demande de la CCSP lui enjoignant de compléter son dossier) sont identifiés manuellement.
La dématérialisation des procédures n'a concerné, dans un premier temps, que le travail interne à la CCSP et non les autres parties prenantes, la priorité ayant été donnée à la sécurisation du système de la CCSP, qui devait d'abord régler ses propres problèmes de performance . Ainsi, le portail destiné aux collectivités territoriales n'a été ouvert qu'à quelques collectivités le 17 septembre 2018, à titre expérimental. Son accès s'élargit progressivement depuis le mois de février 2019. Du fait du volume très important du contentieux en provenance de Paris, un dispositif de télétransmission avait toutefois été mis en place avec la ville. Le portail destiné aux requérants, qui devait être disponible dès le premier trimestre 2018, n'a finalement été ouvert qu'à la fin du mois de mai 2019 . En attendant, les requérants devaient adresser leurs mémoires sur support papier, support ensuite numérisé par un prestataire et transmis à la CCSP pour que les données soient manuellement injectées dans l'application informatique. L'ouverture de ce portail est bienvenue et devrait faire diminuer les dépenses de fonctionnement de la CCSP. Pour chaque dossier, le greffe envoie en moyenne sept à huit courriers.
L'évaluation du coût du projet informatique de la CCSP Le budget d'investissement de la CCSP était, d'après le projet transmis à la Dinsic, de 11 millions d'euros, pour un coût complet de 14 millions d'euros. Or la Dinsic a rapidement attiré l'attention du ministère de l'intérieur sur le fait que ce coût ne prenait pas en compte les deux premières années de fonctionnement du système, formule qui doit pourtant être appliquée à l'ensemble des projets soumis à l'avis de la Dinsic. Il serait alors de 15,4 millions d'euros. En outre, les coûts de fonctionnement des deux premières années ne prenaient pas non plus en compte les frais d'affranchissement, qui ont un effet très important sur le coût complet, avec une prévision allant de 23,6 à 30 millions d'euros. La Dinsic estimait cependant que le coût d'investissement était surévalué, du fait de l'impact incertain d'un certain nombre de facteurs (ex. volume des recours), de la modularisation de la réalisation et de l'architecture technique du système (multiplicité des plateformes). La Dinsic relevait en outre que les gains avaient certainement été mal évalués. Source : annexe à l'avis de la Dinsic sur le projet de mise en oeuvre du système d'information de la CCSP, 24 mars 2016 |
Une partie des retards observés à la CCSP s'explique par la difficulté qu'a eue le ministère de l'intérieur à trouver un prestataire qui accepte de développer l'application informatique de la CCSP . Le premier appel d'offres s'est révélé infructueux, tandis qu'un seul cabinet a répondu au second, avec beaucoup d'éléments du cahier des charges à revoir en cours d'élaboration. Les infrastructures matérielles se sont, elles aussi, avérées insuffisantes face à la masse du contentieux et des requêtes . Alors qu'ils étaient équipés de terminaux dits « clients légers », les agents de la CCSP ont rapidement fait face à des problèmes de capacités de mémoire de leurs équipements : ils ont donc dû changer d'équipements et demander que les serveurs à Paris soient doublés. Ce qui peut paraître anecdotique illustre en réalité la difficulté que peut avoir l'État à conduire un projet informatique, dans tous ses aspects .
Pourtant, la Dinsic avait attiré l'attention du ministère de l'intérieur sur certains écueils du projet, en refusant, lors de sa première saisine, d'émettre un avis conforme . Tout d'abord, chacun des trois systèmes d'information élaborés au profit de la CCSP était décorrélé des autres, la Dinsic ayant donc dû insister sur la nécessité de créer une gouvernance technique centralisée afin de bien s'assurer que ces systèmes puissent ensuite communiquer entre eux. L'une des principales craintes de la Dinsic s'est par ailleurs réalisée : le système d'information de la CCSP ne permet pas, dans les faits, un échange de données ; il s'appuie sur la numérisation de documents papier. Ce n'est donc pas à proprement parler une « dématérialisation » des démarches. Avant que ne soit ouvert le portail à destination des particuliers, les agents de la CCSP devaient ressaisir chacun des éléments présents dans les requêtes des débiteurs.
Pour les citoyens, et afin de répondre partiellement au problème de fragmentation identifié par vos rapporteurs spéciaux, il serait souhaitable que les systèmes d'information RAPO et FPS fassent l'objet d'une gouvernance commune entre l'État et les collectivités territoriales , afin d'offrir au redevable une vision d'ensemble des forfaits de post-stationnement qu'il doit honorer et des procédures qu'il a pu lancer pour les contester. Cela lui éviterait de devoir se connecter à plusieurs portails. Cette voie d'amélioration suggérée par la Dinsic est totalement partagée par vos rapporteurs spéciaux. À terme, il pourrait même être envisagé d'y intégrer les informations dont dispose l'ANTAI, qui permet déjà aux usagers d'avoir accès à leur dossier personnel . Chacun aurait alors une vision complète du cycle de vie de ses amendes de circulation et de ses forfaits de post-stationnement.
Recommandation n°14 : encourager l'ensemble des acteurs de la mission recouvrement à poursuivre leurs efforts en matière de dématérialisation et à développer un portail unique, permettant à chaque débiteur d'avoir une vision d'ensemble du cycle de vie des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement dont il est redevable. |
2. À terme, l'intégration du recouvrement dans le projet d'identité numérique ?
Certains pays comme l'Espagne ou le Portugal ont réalisé des progrès considérables en matière d'identité numérique. Au Portugal, les citoyens ont la possibilité d'adhérer à plusieurs « services » gérés au sein d'une unique carte. Cette carte a remplacé la carte d'identité, la carte de sécurité sociale, la carte électorale ou encore la carte délivrée à chaque contribuable. En ayant accès à ces informations, l'administration fiscale peut conduire plus facilement sa mission de recouvrement.
Tout ceci semble bien lointain en France, même si vos rapporteurs spéciaux ne peuvent nier les efforts de la Dinsic dans ce domaine. Elle pousse par exemple au développement de projets informatiques selon la méthode « agile », qui permet concrètement de découper le projet en modules indépendants pouvant ensuite être réutilisés dans d'autres systèmes d'information.
La priorité doit cependant être donnée au développement du nouveau logiciel de recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de stationnement, pour éviter que cette courroie ne rompe et entraine avec elle tout le système du recouvrement.