K. AUDITION COMMUNE DE MM. PHILIPPE LAURENT, MAIRE DE SCEAUX, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'AMF, DANIEL BENQUET, MAIRE DE MARMANDE ET PRÉSIDENT DE VAL DE GARONNE AGGLOMÉRATION, MEMBRE DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'ADCF, ET LIONEL QUILLET, VICE-PRÉSIDENT DU DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE-MARITIME, MEMBRE DE L'ADF - MARDI 28 MAI 2019

M. Michel Vaspart , président. - Bonjour à tous et merci pour votre présence aujourd'hui. Je rappelle que cette mission d'information a été constituée le 22 janvier à l'initiative du groupe socialiste. Nicole Bonnefoy en a été nommée rapporteure et moi-même président.

Nous atteignons la fin de notre cycle d'auditions et avons bien perçu un certain nombre de difficultés liées à l'indemnisation des catastrophes naturelles et à leur prévention. Le rapport de Nicole Bonnefoy sera achevé à la fin du mois de juin, avec un certain nombre de suggestions et de propositions, qui appelleront peut-être pour certaines des modifications législatives.

La table ronde de cet après-midi rassemble les principales associations d'élus locaux concernés par ce sujet. Je vous propose, en préambule, de faire un point sur les problèmes d'indemnisation et de prévention tels qu'ils vous apparaissent. Notre rapporteure Nicole Bonnefoy aura sûrement des questions complémentaires à formuler, ainsi que nos collègues.

M. Lionel Quillet, vice-président du département de la Charente-Maritime, membre de l'Assemblée des départements de France (ADF). - Monsieur le président, mesdames, messieurs, les questions portent sur deux volets, l'indemnisation et la prévention. Je pense que nous partageons à peu près les mêmes constats. Les représentants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en parleront mieux que nous mais, pour les départements, la procédure, les critères et leur restitution sont complexes, les élus ne siégeant pas dans les commissions ministérielles compétentes.

La demande des représentants des départements est d'être davantage associés à la discussion afin de faire ressortir la réalité du terrain - par exemple avec le Conseil supérieur de météorologie.

Les départements sont divers : milieu ultramarin, montagne, littoral et autres. Chacun, au moment de l'indemnisation, voit souvent revenir des dossiers de communes, en particulier en matière de sécheresse. Les critères sont parfois difficiles à établir. La procédure promet généralement d'être longue, alors que l'étude se révèle finalement extrêmement rapide. Il conviendrait d'ouvrir davantage ces commissions aux élus.

S'agissant des procédures de reconnaissance de catastrophe naturelle, le déploiement en ligne du dispositif iCatNat reste très intéressant mais également compliqué.

La procédure centralisée dans les services ministériels pose souvent des problèmes aux élus sur le terrain. Les réponses, qui doivent remonter au plus haut niveau de l'État avant de redescendre, ne sont pas toujours évidentes. Certains proposent une procédure plus départementale, décentralisée au profit des préfets, en particulier en matière de prévention.

S'agissant de la réponse, beaucoup d'échelons se mélangent. Les communes sont toutefois toujours en première ligne : c'est le maire qui se retrouve, à 3 heures du matin, face à une difficulté et qui appelle le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) et les services de l'État. Leur réponse est toujours très adaptée, mais c'est le département qui demeure le premier mobilisateur des ressources humaines et financières. On l'a vu avec Xynthia : une fois passés les problèmes de submersion et d'aide à la personne, il faut mobiliser très rapidement les aides financières, les services sociaux, l'hébergement.

La loi NOTRe avait dans un premier temps laissé cet aspect de côté, ce qui constitue une erreur fondamentale. Ainsi, lors de la survenue de Xynthia, une cellule d'urgence avait été constituée par le département. La région était également intervenue. Les départements disposent tous aujourd'hui de véritables plans d'intervention, en collaboration avec l'État, qu'il s'agisse d'un collège en feu, d'une marée noire, d'inondations, de submersion, etc. Il ne faut donc pas négliger les moyens financiers des départements, qui savent se mobiliser et qui ont encore des moyens.

Pour nous, en matière d'indemnisation, le cas le plus difficile est celui de la sécheresse.

Cependant, l'ADF considère qu'il existe un véritable retard en matière de prévention. Nous ne savons et n'avons jamais su y répondre au niveau national, malgré la qualité de nos intervenants - pompiers, militaires, service civil, etc.

Le principe est toujours le même : il est centralisateur. Il s'agit de définir un plan « digue », un plan « séisme », et de les imposer aux collectivités. Pour la submersion, on a les fameux plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Ils ont certes un rôle extrêmement intéressant, puisqu'ils définissent des zones à risque, mais après ? Si on définit les zones à risque, il faut que cela se traduise en matière d'urbanisme, et non pas simplement par une interdiction.

En France, nous avons un véritable problème : nous sommes toujours dans la gestion de crise, rarement dans l'anticipation du risque. On ne vit pas avec le risque, mais contre le risque.

En matière de submersion et d'inondations, il faudra bien admettre un jour que ceux qui habitent dans une vallée qui peut être inondée ou sur un littoral qui risque d'être submergé ne sont pas entièrement responsables. On sait en effet que 71 % des Français sont dans une zone à risque, qu'il s'agisse d'un risque d'avalanche, d'inondation, de submersion marine ou de séisme. Pratiquement tout le monde vit, travaille ou se déplace quotidiennement dans une zone à risque.

On établit sur le littoral des plans de prévention draconiens et difficiles à mettre en place pour les élus locaux, faute de moyens. Alors que moins de 50 % des plans communaux de sauvegarde (PCS) sont en place - dix ans après Xynthia - et nous n'avons toujours pas réformé notre urbanisme. On ne sait toujours pas faire des maisons sur pilotis, et on attend encore un grand plan national d'urbanisme pour le littoral, alors que les Néerlandais réalisent déjà des maisons qui flottent.

On ne favorise pas la prévention face aux risques, et on est toujours à la recherche d'indemnisations. Le fonds Barnier est une vraie problématique. Il est tout d'abord insuffisant étant donné les risques que l'on va devoir affronter. S'il n'augmente pas, il ne répondra pas aux besoins. Il peut à la rigueur servir à réaliser des systèmes de digues. C'est une très bonne chose, mais les digues ne répondent pas à tous les besoins. Nous le savons, en Charente-Maritime, où on doit reprendre 230 kilomètres de digues, soit 50 % de notre littoral.

Le fonds Barnier n'intervient pas, par exemple, en matière de repli stratégique et d'érosion. On ne peut financer l'érosion. Or beaucoup de pays européens et d'autres ont déjà des réponses. Quand cela casse, des ressources existent, pas quand cela s'érode. On est dans un repli stratégique, mais on ne s'est pas replié stratégiquement. Il faut une loi pour imposer que des zones soient réservées à des personnes. La commune de Lacanau essaye de réaliser un repli stratégique et, au fur et à mesure du financement, s'aperçoit qu'elle va au-devant de difficultés sans nom. Elle n'a pas les instruments juridiques pour le faire ni les terrains.

Quels doivent être les niveaux d'indemnisation en cas d'expulsion de propriétaires ? La solution apportée à l'immeuble du Signal à Soulac-sur-Mer ne répond qu'au cas d'espèce. Cela ne constitue pas une jurisprudence, dix ans après Xynthia. Comment déménager les personnes ? Si on ne le fait pas, il faut les protéger. Pour cela, il faut y mettre des millions et des millions. Comme en matière d'environnement durable, la meilleure consommation, c'est de ne pas consommer, mais on consomme sans arrêt, puisque les personnes sont toujours là.

Il faut donc revoir complètement le volet relatif à la prévention. On a l'impression

- et les départements le ressentent très bien - qu'on recherche plutôt des responsabilités. C'est bien d'identifier des responsables, mais cela ne suffit pas.

Une vraie ambition serait un projet de loi qui définisse complètement la prévention et qui aille beaucoup plus loin : soit on vit avec le risque et on change alors profondément notre approche de l'urbanisme, soit on demande aux gens de partir, mais si on reste dans l'entre-deux que nous connaissons actuellement, cela revient à conduire une voiture sans pare-chocs.

Le département doit rester au coeur du sujet. On le voit avec la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), dont le département avait été écarté. On s'est aperçu que les EPCI de 15 000 à 18 000 habitants, avec leurs limites budgétaires, ne seraient pas en mesure de faire face sans les 20 % du département ou de la région.

Comme toujours, le maillage du territoire est fondamental. Le département conserve une position de centralisateur décentralisé. Nous voulons rester - c'est la proposition de notre président Dominique Bussereau - dans cette solidarité, dans les procédures et dans le financement. Les départements ne peuvent s'écarter des financements, qu'ils soient en zone de montagne, littorale, ultramarine ou autres. Ils prendront leurs responsabilités et resteront dans la compétence générale en cas d'événement climatique majeur.

M. Daniel Benquet, maire de Marmande et président de Val de Garonne agglomération, membre du conseil d'administration de l'Assemblée des communautés de France (AdCF). - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs, Val de Garonne agglomération, c'est 62 000 habitants, 160 kilomètres de digues sur le bassin de la Garonne, 4 000 emplois menacés en cas de crue centennale et dix-sept communes totalement inondées dans ce même cas. C'est donc pour nous un véritable enjeu. C'est pourquoi nous avons endossé la compétence Gemapi par anticipation en 2015.

Je pense qu'il en est de même dans toute la France, où 17 millions de résidents sont en permanence exposés aux inondations, 1,4 million aux risques de submersion marine, 9 millions d'emplois et 20 % d'habitations. Nous sommes ici face à un phénomène où l'on parle de prévention, de résilience et d'indemnisation.

La prévention est importante, mais il ne faut pas se tromper : elle entraîne trop souvent un déplacement du risque vers un territoire voisin. C'est en ce sens qu'il nous faut être plus prudent dans les systèmes que nous mettons en place. Il est important que nous portions beaucoup plus attention à la résilience, de façon à ce que les dégâts dus à certains aléas climatiques soient moins importants dans leurs conséquences en matière humaine et en matière de biens.

Il faut apprendre à vivre avec les catastrophes naturelles, les anticiper, adapter nos territoires et surtout les réglementations. On a là beaucoup de progrès à faire. L'enjeu, dans cette discussion, est de limiter l'indemnisation afin qu'elle soit abordable donc soutenable pour tous.

L'une des difficultés de ce dossier, c'est d'abord la récidive : lorsqu'un territoire est soumis de manière récurrente à certains aléas, faut-il continuer à indemniser ou exiger que le territoire se prépare ? Nous n'avons pas encore de réponse. Peut-être faudrait-il imposer une culture de bassin, notamment en matière de risque d'inondation, afin que, dans chaque bassin-versant, il existe une obligation de coordination des protections, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, ainsi qu'une vision d'établissement public foncier. La taxe Gemapi pourrait s'appliquer au niveau local et au niveau du bassin, de façon à accentuer les efforts sur certains points, notamment les territoires à risque important d'inondation (TRI).

Il n'est pas normal que certains territoires reçoivent toute l'eau du bassin et que la taxe Gemapi y soit très élevée, alors qu'elle est quasi nulle sur les sommets. Il faut donc une vision globale par bassin dans toutes les dimensions de ce dossier.

La Gemapi a été une grande avancée pour les territoires, même si elle a été fortement décriée et très difficile à appréhender. Nous sommes en effet passés d'une culture de la protection à une culture d'analyse du risque, de prise en charge globale et d'appropriation par les élus.

Il y a, je crois, deux priorités à ne pas perdre de vue. La première, c'est cette vision par bassin. Je le disais : on ne peut accepter que certains territoires, dans le même bassin, supportent beaucoup plus de charges que d'autres, alors que l'eau concerne tout le monde.

Concernant le fonds Barnier, il va également falloir résoudre le problème de baisse des dotations. Aujourd'hui, ce fonds ne répond pas à l'enjeu. Les indemnisations représentent 600 millions d'euros, alors que les mesures de protection s'élèvent à 380 millions d'euros : il y a là un problème. Il faut donc absolument adapter le niveau du fonds Barnier à l'enjeu des inondations et, surtout, considérer que certains territoires éligibles au fonds Barnier peuvent avoir un surplus lorsque le risque est majeur et lorsque ce territoire répond à toutes les demandes administratives et de planification territoriale.

En second lieu, il ne faut pas perdre de vue l'importance de l'information. Je pense qu'il faudrait un jour répertorier l'ensemble des risques dans un même document, qui pourrait être présenté chaque année aux assemblées intercommunales, puis décliné par commune. Les élus ne sont pas des surhommes. Ils ne savent pas tout, même s'ils disposent de techniciens. Souvent, dans les petites communes, ils manquent même d'ingénierie. Avoir aujourd'hui, dans chaque intercommunalité, une concentration de l'information sur l'ensemble des risques du territoire - climatiques, géotechniques, industriels, voire énergétiques avec les centrales nucléaires - permettrait d'informer les populations, mais aussi les élus, qui pourraient ainsi prendre en compte l'ensemble de ces problématiques afin de les décliner dans leurs missions de service public. Ce rapport devrait être ensuite décliné par commune, suivant les spécificités de chacune.

Face aux inondations et au retrait des sols - pour lequel la prévention me semble difficile, même si les dernières évolutions devraient permettre de mieux cerner les territoires qui doivent bénéficier d'indemnisations -, l'enjeu se calcule en termes de vies humaines et de biens.

M. Philippe Laurent, maire de Sceaux, secrétaire général de l'Association des maires de France (AMF). - Monsieur le président, mesdames et messieurs, ce que j'ai entendu va tout à fait dans le sens de ce que pense et souhaite développer l'AMF. En l'état actuel des choses, le système fonctionne, mais je veux insister sur le fait que les risques vont inévitablement augmenter.

Nous voyons d'ailleurs se développer le risque sécheresse, et l'on sait que le risque climatique va doubler dans les années qui viennent.

Le plan global des risques me paraît une très bonne idée, et nous la soutenons. Comme vous le savez, 25 collectivités ont été retenues en France pour expérimenter la certification des comptes des collectivités territoriales. Ma commune fait partie de cette expérimentation. Nous avons donc régulièrement des réunions de travail avec la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes chargées de cette expérimentation, ainsi qu'avec la Compagnie des commissaires aux comptes, qui va être amenée à intervenir. La question des provisions pour risques a été évoquée la semaine dernière. Nous devons aller beaucoup plus loin sur ces questions de prévention.

Je me souviens avoir travaillé il y a une vingtaine d'années pour la Communauté urbaine de Lyon à propos de la mise en place d'un service de gestion des risques. Les grandes collectivités sont prêtes à travailler sur cette question, et il nous faut aller plus loin en matière de prévention. On dispose pour ce faire des expertises scientifiques nécessaires. Il faut maintenant une volonté politique, et surtout que l'ensemble de la population soit informé. Ce sont des sujets extrêmement sensibles, et nous avons besoin du soutien et de l'engagement des services de l'État sur ces questions.

Vous avez également évoqué le montant du fonds Barnier. Vous savez que la solidarité territoriale, souvent relayée par les associations d'élus, joue de façon importante lorsque des communes de taille relativement modeste sont touchées par une catastrophe naturelle. Il ne peut toutefois s'agir que d'un pis-aller. Nous devons donc continuer à mener une réflexion approfondie, et je remercie votre mission d'information de mettre l'accent sur ces questions, dont personne ne veut trop parler. Ces sujets inquiètent en effet, mais il est de notre responsabilité d'en faire état.

M. Michel Vaspart , président. - Le Sénat constitue l'assemblée des territoires. Nous sommes évidemment très attentifs et sensibles aux problématiques rencontrées par les élus locaux dans l'exercice de leurs missions. Avec les nouvelles grandes régions, le département a toute sa place en matière de proximité.

J'ai été impressionné par le nombre de personnes sinistrées que l'on recense. Ces gens sont profondément atteints psychologiquement et ont quasiment perdu tout leur capital lorsqu'il n'y a pas eu de reconnaissance de catastrophe naturelle concernant un phénomène de retrait-gonflement des argiles. Leur maison est fissurée et ne vaut plus rien. Ce phénomène, qui touche une grande partie du territoire français, est pervers. Il n'est pas de même nature en termes de communication qu'une vague de submersion ou des inondations. Comment peut-on mieux cerner les périmètres de catastrophes naturelles en matière de sécheresse ? Comment peut-on apporter des réponses à ces personnes aujourd'hui dans une situation catastrophique ? Avez-vous des idées sur le sujet en tant que représentants des élus de France ?

Ce sont des questions que nous allons devoir nous poser pour savoir quelle orientation donner à nos suggestions concernant les problématiques liées à la sécheresse.

M. Daniel Benquet. - J'ai le sentiment que l'information est importante, même s'il existe dans les actes de vente une information minimale sur de nombreux risques. Les porteurs de projet, immobilier ou professionnel, pourraient se référer à un document recensant l'ensemble des risques de la commune et voir comment réagir en matière de construction. L'information préalable est donc partout nécessaire - mais cela ne règle pas le cas des situations existantes.

M. Philippe Laurent. - Le système est aujourd'hui bien adapté aux événements brutaux - tempêtes, inondations, etc. En revanche, en cas de phénomènes sournois, avec des mouvements souterrains, il est plus difficile d'établir des preuves. Ma commune connaît un phénomène de ce type, quoiqu'assez limité. Certains propriétaires font analyser régulièrement l'état de leur maison pour évaluer les détériorations. Il faut pouvoir le faire, être très informé et, bien sûr, en avoir les moyens - mais la plupart des gens ne le font pas.

L'information est certes importante. Celle qui est délivrée par le biais des actes notariés n'est pas suffisante, et quand bien même le serait-elle, elle n'est pas assez consultée. Quelqu'un qui achète une maison met en général ces éléments de côté. On touche là à l'intime.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure. - Merci de votre présence. Vos interventions rejoignent totalement nos réflexions au regard des auditions que nous avons déjà pu mener. Nous avons demandé la création de cette mission d'information parce que les risques climatiques sont plus importants qu'hier et seront probablement encore plus importants demain. Cela nécessite de savoir si les régimes d'indemnisation et la politique de prévention sont en adéquation avec ces problématiques, et s'il faut les corriger ou non.

Nous avons bien sûr relevé que le régime CatNat constituait un bon système qu'il fallait adapter, en lui conférant plus de transparence, de rapidité, et en associant mieux les uns et les autres.

Notre mission a aussi pour but d'améliorer la prévention. Il faut à présent s'adapter et prévenir au lieu de songer uniquement à réparer, vous venez de le confirmer.

Je partage votre avis sur le fait qu'il nous faut récupérer tous les financements nécessaires, en particulier le fonds Barnier, qui est destiné à mettre en oeuvre une véritable politique de prévention.

Vous avez évoqué un guide à destination des élus. Nous considérons que c'est également une bonne idée.

Nous avons enfin reçu la Fédération française du bâtiment (FFB), qui ne s'est pas montrée aussi sensible aux problématiques liées aux aléas climatiques que les élus et les sinistrés. Cela nous a étonnés. Est-ce un élément que vous avez vous-mêmes mesuré ?

M. Lionel Quillet. - Vous avez entièrement raison. Dix ans après Xynthia, on n'a toujours aucune obligation dans les PLU ou dans les PLUi. Seul s'impose le PPRL, qui fixe les hauteurs des digues, mais si on s'est trompé, l'eau passera par-dessus. L'île de Ré connaîtra d'autres phénomènes de vive mer. Il y en a eu 40 en 500 ans, et on en aura d'autres. Quoi qu'on fasse, il restera toujours une personne qui aura trop d'eau. Cependant, on n'a toujours pas d'obligations de construire sur pilotis !

Pour établir le PLUi de l'île de Ré, nous avons eu recours à l'appel à projets lancé par l'État avec le concours des meilleurs architectes de France. Prenant en exemple ce que font les Américains, les Néerlandais, les Allemands, les Belges, nous avons réclamé de nouvelles règles face aux enjeux climatiques. Il n'existe toujours pas de planification adaptée de l'urbanisme sur le littoral dix ans après Xynthia. On est en train de reconstruire des maisons à l'identique, certes avec un petit peu plus de béton, mais avec les mêmes plaques de plâtre, les mêmes volets roulants électriques. On a obligation de prévoir une zone de refuge à l'étage, mais c'est comme ajouter une cinquième roue de secours sur une voiture sans avoir changé le modèle de pneus. On continue à déraper et à glisser. C'est affolant !

Les experts étrangers estiment que la France n'a toujours pas compris : nous vivons contre le risque, nous recherchons la responsabilité. C'est ce que nous a dit le plus grand spécialiste mondial des digues, le Néerlandais Van der Meer, que nous avons consulté. Il n'existe ni loi ni urbanisme adaptés, et nous continuons à construire comme au XIX e siècle ou au XX e siècle !

Les professionnels du bâtiment peuvent construire des maisons différentes, mais personne ne leur a rien dit. Même EDF refuse de changer un transformateur en zone inondable pour ne pas avoir à payer. En matière de prévention, on a encore du travail !

Mme Françoise Cartron . - Une éleveuse établie dans de vieux bâtiments construits à l'ancienne sur des terres inondables veut les rebâtir sur pilotis : le permis de construire lui a été refusé ! C'est trop innovant et ce n'est pas reconnu. Elle ne peut donc poursuivre son activité. Je vous rejoins donc : il faut absolument modifier les règles d'urbanisme. On ne peut conserver les mêmes schémas.

Par ailleurs, il faut modifier le régime d'utilisation du fonds Barnier : actuellement, on ne peut y avoir facilement recours à cause d'un règlement extrêmement contraignant et inadapté.

M. Daniel Benquet. - Il faut que l'on change le logiciel de réflexion concernant le risque d'inondation. C'est une question de résilience. Il faut que chaque territoire se prépare à vivre avec l'aléa climatique. Il ne faut plus lutter contre : cela ne sert à rien. À Marmande, nous avons une digue de 11 mètres. On m'empêche aujourd'hui de transformer une école vide de la vallée de la Garonne en logements. Elle est construite sur pilotis. Il n'y a jamais eu d'eau au premier étage. On m'oppose qu'elle est située en zone rouge, bien qu'elle soit à l'abri.

On empêche les territoires d'organiser la résilience face à l'aléa, alors que la sagesse populaire d'autrefois était beaucoup plus efficace que la réglementation actuelle. Les gens vivaient tout à fait bien avec la Garonne, cela ne posait aucun problème. Il faut donc adapter la réglementation de manière à vivre avec l'aléa en toute sécurité.

M. Michel Vaspart , président. - Je connais un cas similaire à Saint-Cast, en Bretagne nord, avec un endroit classé en dispersion d'énergie marine. Le propriétaire d'un hôtel désaffecté veut réaliser des appartements sur trois niveaux en libérant le rez-de-chaussée : il lui est impossible de changer d'affectation ! Cependant, la préfecture autoriserait la réouverture d'un hôtel, ce qui est invraisemblable ! Ces positions sont totalement inadaptées.

S'agissant du fonds Barnier, les gouvernements successifs l'ont toujours utilisé pour alimenter le budget général, en faisant des prélèvements ponctuels et désormais grâce à un plafonnement systématique. C'est un non-sens total.

Comme Nicole Bonnefoy, je partage votre avis concernant l'urbanisme. En matière de sécheresse, la loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) a permis une avancée. On doit aujourd'hui pouvoir faire une analyse de sol, mais celle-ci manque de portée.

Concernant les problèmes de submersion marine et d'érosion, on a du mal à comprendre que le Gouvernement fasse une distinction entre les deux sujets, qui sont assez liés. Le sujet est bien connu depuis plusieurs années. Le Parlement a proposé à plusieurs reprises de donner des moyens juridiques aux élus locaux pour la relocalisation. Il faut leur laisser le choix. Cela n'a pas abouti jusqu'à présent. Le Gouvernement vient de nommer un député pour une énième mission sur le sujet. Nous avons du mal à comprendre une telle inaction. Je pense qu'il va falloir que nous accélérions face à l'attente des territoires. C'est un dossier complexe, mais il est indispensable de faire évoluer le droit sur ces questions.

M. Philippe Laurent. - On a vécu d'autres situations ubuesques s'agissant des normes d'urbanisme en matière de rénovation énergétique et d'isolation par l'extérieur. Certaines personnes qui dépassaient la limite en hauteur ou l'emprise au sol n'ont pu réaliser leurs travaux. Ceci a été réglé par la loi. On est dans le même sujet : c'est une question de rigidité des règles.

S'agissant de la Fédération française du bâtiment, l'adaptation des bâtiments entraîne généralement des coûts supplémentaires. Sensibiliser la population est long et difficile, mais il faut aller plus loin et informer les futurs propriétaires.

Le message selon lequel il faudra vivre avec les aléas climatiques commence à passer, mais il reste cependant encore difficile.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure. - Certaines communes évitent même de parler des phénomènes de sécheresse afin de ne pas provoquer une dépréciation des biens.

Mme Pascale Bories . - Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire.

Les services de l'État rendent les zones bleu clair ou bleu marine inconstructibles. Nous avons auditionné un architecte qui, pour un aménagement de quartier, avait anticipé le passage de l'eau et même prévu l'adaptation des trottoirs et des parkings en fonction de l'évacuation de l'eau. Avez-vous déjà étudié ce genre de choses avec les services de l'État ?

M. Lionel Quillet. - Sur l'île de Ré, le PPRL est extrêmement poussé. Toutes les initiatives amenant des architectures nouvelles ont été refusées. L'État réagit fort logiquement en raisonnant en termes de responsabilité et de sécurité. Cela peut se comprendre. C'est une question de modélisation. Parfois, le fait de prévoir des brèches dans la digue tous les 300 mètres amène plus d'eau en cas de submersion que si la digue n'existait pas ! On a parfois des surprises. Allez expliquer cela à la population !

Avec Dominique Bussereau, il y a une dizaine d'années, nous avions rencontré un ministre de l'environnement qui nous avait conseillé de pratiquer le repli stratégique sur l'île de Ré. Je lui ai expliqué que sur une île, ce n'était pas simple. C'est toujours un peu la même histoire, toutes politiques confondues !

Le problème financier est évident. Nous sommes quelque peu spécialistes dans le domaine des digues et avons lancé un programme de 300 millions d'euros. Les experts néerlandais estiment que c'est trop peu, que nous n'allons pas au bout de nos responsabilités, que nous n'avons toujours pas choisi face au risque et que nous ne cherchons qu'à établir des responsabilités.

Le problème de confiance est tout aussi fondamental. Quand nous voulons ajouter un étage à un immeuble désaffecté, les services de l'État nous soupçonnent de vouloir faire de l'immobilier et de construire derrière la digue. Nous avons démontré que nous voulions nous sécuriser, mais on nous a rétorqué que nous étions des élus et que nous avions des arrière-pensées immobilières !

La décentralisation du risque ne se fait donc pas en matière d'aménagement du territoire. Tout ceci fait qu'on n'arrive pas à accéder à la modernité. Les Anciens le savaient bien : on pouvait prendre l'eau, mais l'eau venait, passait et repartait. On ne l'admet plus. On ne peut parvenir à la résilience. Sur qui la tempête ou les inondations vont-elles tomber ? Pour un élu, c'est extrêmement compliqué.

Quant aux Architectes des bâtiments de France, je ne parle même pas de modernité, de nouveaux volumes, de nouvelles maisons, de nouveaux pilotis. C'est très complexe. On est un peu conservateur en matière de risque.

M. Henri Cabanel . - Je pense que la notion du bassin-versant, avec toutes les terres agricoles en amont, est essentielle en matière de gestion. Certes, les inondations proviennent du changement climatique, mais le ruissellement y est pour beaucoup. Je pense qu'il faut, en amont, retenir au maximum ces eaux de ruissellement pour éviter de gros dégâts en aval.

Personne n'a évoqué le modèle d'urbanisation de nos villes et l'imperméabilisation des sols. N'y aurait-il pas là une solution qui permettrait de minimiser ces risques ?

M. Daniel Benquet. - S'agissant de la notion de bassin, aujourd'hui, le Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne (Smeag) n'a aucune vision opérationnelle de protection contre les inondations. Cela nous pose problème : qui assure la coordination de la protection des populations ? Personne ! Seul le préfet coordinateur peut nous imposer certaines choses et nous demande de lâcher un peu d'eau chez nous pour préserver Bordeaux en aval.

On n'a aucune vision globale en termes de gestion administrative, pas plus qu'en termes d'écoulement des eaux ou en termes de financement. Il faudra bien un jour ou l'autre trouver des solutions.

Concernant la gestion des eaux de pluies urbaines (Gepu), il faut impérativement une limitation à l'imperméabilisation dans tous les documents de planification. Lorsque c'est impossible, il faut qu'on ait la possibilité d'envoyer l'eau ailleurs avant de la concentrer dans de plus gros égouts, sans quoi on n'y arrivera pas. Tout l'enjeu de la Gepu va être d'envoyer le moins possible d'eau au bout du tuyau. Aujourd'hui, peu de responsables de collectivités locales en ont vraiment pris conscience. Nous allons l'inscrire dans le PLU : une goutte qui tombe est une goutte qui ne doit pas être évacuée.

Mme Évelyne Perrot . - Pourquoi ne multiplie-t-on pas davantage les réservoirs ? Dans mon département, nous avons 5 000 hectares de réservoir pour éviter que Paris ne soit inondé. Aujourd'hui, il en faudrait au moins deux supplémentaires, dont celui de La Bassée, dans les premières boucles de la Seine. J'ai posé la question à Mme Pécresse. Elle m'a répondu que c'était du ressort de la région. Qui est responsable et comment recréer des réservoirs pour éviter que des zones ne soient inondées ?

M. Philippe Laurent. - Je peux répondre en tant qu'élu de la région et maire. Vous faites allusion aux grands barrages qui sont gérés par l'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du Bassin de la Seine. J'ai été administrateur de cette institution quand j'étais conseiller général des Hauts-de-Seine. C'est en effet une instance interdépartementale, mais les choses se compliquent dans la mesure où la métropole du Grand Paris, qui est une intercommunalité, a la compétence Gemapi et a lancé une réflexion à ce sujet il n'y a même pas un an. Il y a effectivement quelque chose à faire dans la répartition des compétences entre les départements, cette institution interdépartementale et la métropole du Grand Paris.

Cela étant, on parle depuis longtemps de développer les barrages-réservoirs. Des travaux ont lieu, mais il s'agit pour l'instant d'entretien et non d'extension de capacités.

Mme Pascale Bories . - Estimez-vous qu'en matière de prévention, les compétences sont clairement distribuées entre les différentes collectivités ou constatez-vous au contraire certaines difficultés ?

M. Philippe Laurent. - Pour ce qui me concerne, en région Île-de-France, ce n'est pas clair pour l'instant. C'est le département de la Seine qui a créé ces premiers barrages-réservoirs. Lorsque le département a éclaté, on a créé un syndicat interdépartemental, et chaque nouveau département a pris une part de financement. Il s'agit d'une forme de participation au syndicat, alors que la Gemapi relève de la métropole du Grand Paris et des 130 communes.

M. Daniel Benquet. - Lorsque c'est un territoire inondable, il n'y a pas de problème, mais lorsque c'est une rivière qui n'a pas l'habitude de déborder et qu'elle n'a pas les infrastructures pour cela, l'intercommunalité hérite d'une compétence qu'elle ne sait pas organiser. C'est un premier problème.

En outre, la frontière entre tout ce qui relève de la Gemapi et ce qui n'en relève pas n'est pas toujours très claire. Cela a constitué une très grande avancée sur le plan administratif, mais les contours doivent être redessinés sur le plan opérationnel.

Pour en revenir aux bassins, on inonde certains territoires pour en protéger d'autres, transférant ainsi le risque sur d'autres. Tant qu'il n'y aura pas une vision globale opérationnelle ou de soutien opérationnel auprès des établissements publics d'aménagement et de gestion des eaux (EPAGE) de la part des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), on n'y parviendra pas.

Mme Évelyne Perrot . - Je suis d'accord avec vous, mais les zones inondées ne sont pas habitées et constituent des sites dont la biodiversité est intéressante...

M. Daniel Benquet. - Ces bassins existent déjà. En ajouter d'autres signifie que l'on va prendre sur des terres agricoles. On ne peut le faire sans cette vision globale au niveau du bassin.

Mme Évelyne Perrot . - Cela ne s'est pas bien passé chez nous non plus. Certains agriculteurs qui ont perdu leurs terres se sont suicidés !

M. Daniel Benquet. - Le bassin de la Garonne, qui pourrait être concerné par un bassin d'expansion, représente aujourd'hui 800 habitants. La digue est d'environ 11,50 mètres. On va certainement nous demander de la raser. Il va falloir que je prenne la décision d'inonder 800 habitants. Je ne vais pas le faire de gaieté de coeur et, si je peux faire autrement, je le ferai, mais je ne sais ce qui peut être fait en amont faute de vision globale. Tant que ce sera le cas, on ne pourra rien faire, et on imposera des solutions qui confinent à l'hérésie.

M. Lionel Quillet. - Dix ans après Xynthia, de très nombreuses communes littorales n'ont toujours pas de PCS ! Qui sera responsable ? Le premier sera le maire qui, à 4 heures du matin, n'aura pas pu évacuer une personne âgée oubliée dans une maison. C'est ce qui s'est passé lors d'un exercice auquel je participais... Je caricature, mais il y aura toujours quelqu'un qui restera.

Avant Xynthia, on pensait que la protection des digues relevait de l'État. Or la plupart étaient orphelines. Avec la décentralisation du risque, on a mis en place les PCS, les EPCI étant responsables des programmes d'actions de prévention contre les inondations (PAPI). Cependant, il y a « des trous dans la raquette » !

Certains EPCI ont des moyens financiers importants, et vous pouvez y habiter sans risque. L'EPCI de moins de 20 000 habitants, avec un budget de 10 millions d'euros, attend toujours ses premiers travaux ! Les départements sont encore dans le coup parce qu'ils ont été volontaires, les régions se posent des questions et l'État y réfléchira peut-être un jour. Ce n'est pas une solution. On aurait dû obtenir une réponse de l'État et avoir une approche globale.

Il faut bien regarder où l'on habite. Les bassins-versants sont fondamentaux en termes d'inondations et il faudrait renforcer le rôle des agences de l'eau. Celles-ci n'interviennent d'ailleurs pas en matière de submersion marine.

Il y a un vrai problème de fond : on est passé d'un risque d'État à des risques locaux. Entre les deux, on n'est pas arrivé à tout coordonner. Il est normal que le maire ait la responsabilité des premiers secours.

Je crois que la perspective d'un plan national du risque impressionne nos gouvernants. Nous sommes la deuxième façade littorale d'Europe, l'un des premiers pays en matière fluviale, en matière de séisme, mais ce n'est pas dans notre culture - même si les élus font tout ce qu'ils peuvent. Sur le littoral, on a en outre beaucoup de résidences secondaires. Allez les informer ! Que faire ?

M. Michel Vaspart , président. - Un nombre élevé de communes exposées aux risques naturels majeurs restent dépourvues de plans de prévention des risques naturels (PPRN). Cette situation évolue peu depuis plusieurs années. Quelles sont pour vous les principales difficultés liées à la libération de ces plans ? Comment accélérer le déploiement si c'est nécessaire ? Et quels sont les obstacles à l'élaboration des PCS ? Comment inciter les communes à se doter d'un tel plan et à le mettre à jour régulièrement ?

M. Daniel Benquet. - Il me semble encore une fois que cette vision transversale de l'ensemble du risque par commune ou par territoire est essentielle. Aujourd'hui, les élus sont « la tête dans le guidon », et tout ce qui correspond au risque est un peu laissé de côté. Tant qu'on n'est pas tenu de le faire, on ne le fait pas. Les études de danger relatives aux digues étaient obligatoires avant fin 2015. Aucun syndicat sur mon territoire ne les avait réalisées. On a donc un vrai problème par rapport à la responsabilité vis-à-vis du risque.

Établir un atlas de l'ensemble des risques par territoire et par commune permettrait à chaque fois de pointer les vides, et les élus seraient au bout d'un moment contraints de faire ce qu'il faut. La manière de faire est une autre question, mais il y aurait au moins une prise de conscience de la nécessité de répondre à l'ensemble des problématiques.

M. Michel Vaspart , président. - Je vous remercie tous pour votre participation à ces échanges très intéressants.

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