B. LA BELGIQUE : UN PARTENARIAT EXEMPLAIRE
Lorsque le Gouvernement belge a décidé l'achat d'avions américains F35 pour moderniser sa flotte, beaucoup d'analystes y ont vu une forme de manque d'esprit européen, alors que le Rafale français était également en compétition. Ces commentaires traduisent une vision incomplète de la réalité de l'effort capacitaire belge, et ces critiques sont en définitive aussi injustes que malvenues.
Certes, la Belgique, comme d'autres pays européens, a décidé d'acheter le coûteux F35. Ce n'est pas très surprenant venant d'un pays qui est, comme les Pays-Bas voisins qui sont un partenaire de défense privilégié, particulièrement attaché au lien atlantique. Par ailleurs, les avions belges ont vocation, comme les avions allemands, à emporter les armes atomiques de l'OTAN fournies par les États-Unis. Autant il semble qu'il soit possible de faire emporter ces armes par le F35, autant cela aurait sans doute été difficile à imaginer avec le Rafale , dans la mesure où il s'agit d'armes sur lesquelles les États-Unis conservent toujours leur capacité de décision 67 ( * ) .
Si cette décision concernant le renouvellement de la flotte aérienne a retenu beaucoup l'attention, tel n'est pas du tout le cas dans deux autres dossiers d'importance pourtant considérables :
• le renouvellement des chasseurs de mines de la Belgique et des Pays-Bas (la Belgique étant chargée par les Pays-Bas de choisir les chasseurs de mines qui équipent les marines des deux pays dans le cadre d'un partenariat extrêmement poussé). Il s'agit pourtant d'un contrat de 2 milliards d'euros, remporté par Naval group 68 ( * ) ;
• la conclusion avec la France d'un partenariat sans précédent dans le domaine terrestre pour le renouvellement de la capacité motorisée (CaMo ) de l'armée de terre belge, pour un montant de 1,6 milliard d'euros.
Vos rapporteurs souhaitent rappeler le caractère particulier de l'accord « CaMo », sur lequel votre commission avait été amenée à se prononcer à l'occasion de l'examen de l'accord intergouvernemental entre les deux pays 69 ( * ) . Loin d'être un simple marché de défense, cet accord intergouvernemental entre deux pays fondateurs de l'Union, tous deux membres de l'OTAN, vise à harmoniser l'organisation des armées de terre des deux pays, dans un souci d'interopérabilité dès le niveau du sous-groupement tactique interarmes (SGTIA). A terme, les armées de terre française et belge utiliseront les mêmes blindés médians du programme SCORPION, avec les mêmes doctrines d'emploi, les mêmes formations et les mêmes exercices d'entraînement. L'objectif de ce partenariat est évidemment l'interopérabilité . Le but final a été affiché dès l'origine par le gouvernement belge, dans son document programmatique : « Dans un monde de plus en plus fragmenté où les nouvelles et les anciennes puissances continuent à investir dans l'instrument de pouvoir militaire, l'Europe des pays de l'UE et de l'OTAN peut envoyer un signal fort en s'exprimant davantage d'une seule voix, appuyée par la possibilité réelle de mener une intervention militaire commune (autonome). » 70 ( * ) L'extrait de ce document résume avec une concision remarquable l'équation : la montée des périls ; la nécessité d'une réponse des pays européens dans le double cadre de l'UE et de l'OTAN, qui ne sont donc en rien vécus comme contradictoires ; la possibilité d'interventions communes et autonomes comme outil de crédibilisation du discours politique.
Vos rapporteurs souscrivent donc pleinement à la conclusion du rapport précité : « En s'engageant dans ce programme, la Belgique fait la démonstration que la construction de l'Europe, loin de s'opposer aux intérêts nationaux, en est au contraire la meilleure protectrice , dès lors que sont construits des partenariats équilibrés reposant sur des réalités concrètes et nourris de l'expérience des femmes et des hommes à qui il revient de les mettre en oeuvre. »
L'exemple belge fait la démonstration que la défense européenne réelle , celle qui consiste à préparer un outil de défense qui soit en capacité de réagir à des menaces de nature variée allant des actions hybrides au conflit de haute intensité, ne se fait pas autour de grandes idées théoriques, ou sous l'égide de quelque grand pays pionnier. Elle se fait dans l'analyse des synergies possibles, la recherche de ce qui unit plutôt que de ce qui divise, la recherche de partenariats mutuellement bénéfiques, et l'acceptation de la multiplicité des formes de l'esprit de défense européen .
* 67 Sauf à imaginer, naturellement, que la Belgique conserve une flotte séparée pour l'emport des armes atomiques.
* 68 Soit un milliard pour la marine belge et un milliard pour la marine néerlandaise.
* 69 Rapport du Sénat n° 396 (2018-2019) de M. Olivier Cigolotti sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre.
* 70 Vision stratégique pour la défense belge, 26 juin 2016.