B. RENFORCER LES SOLIDARITÉS TERRITORIALES
1. Encourager la mutualisation de la gestion des ponts
La gestion d'un patrimoine de ponts nécessite, pour les gestionnaires de voirie, de disposer de personnels spécialisés dans l'entretien des ouvrages d'art . Toutefois, pour que l'emploi de personnels spécialisés soit économiquement justifié, il convient que le patrimoine de ponts ait une taille suffisante.
Le Cerema estime qu'un effectif minimal d'un agent dédié au patrimoine ouvrages d'art est requis pour 50 ponts environ 104 ( * ) . En dessous de ce nombre, la gestion du patrimoine pourrait utilement être mutualisée avec d'autres services de voiries.
L'Ifsttar estime pour sa part que pour qu'un ingénieur spécialisé en ouvrages d'art soit « rentable », il doit gérer de l'ordre de 1 000 à 2 000 ouvrages - en étant assisté d'une équipe de techniciens spécialisés dans les ouvrages d'art.
De même, comme l'a fait remarquer l'Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim) lors de son audition, à défaut d'employer des ingénieurs spécialisés dans les ouvrages d'art, il est nécessaire pour les gestionnaires de voirie de disposer a minima d'une personne en capacité d'écrire un cahier des charges pour recourir à une expertise extérieure , et qui peut servir d'interlocuteur technique.
Or, de nombreuses communes n'ont pas un patrimoine d'ouvrages justifiant la présence de personnels spécialisés, ni surtout les moyens pour recruter de tels personnels.
Ce constat a amené la mission à s'interroger sur la nécessité de procéder au transfert obligatoire de la compétence de gestion de la voirie des communes aux intercommunalités 105 ( * ) . Toutefois, un tel transfert obligatoire n'est pas souhaité par de nombreuses communes, qui entendent conserver cette compétence, ni par les intercommunalités, car il alourdirait leurs charges. Il ne serait par ailleurs pas adapté dans tous les territoires. En fonction de leur taille et de leurs ressources, les communes peuvent en effet constituer un échelon pertinent pour la gestion de la voirie.
Plutôt qu'une solution uniforme sur tout le territoire, la mission recommande plutôt de favoriser la mutualisation de la gestion des ponts soit au niveau des intercommunalités, lorsqu'elles ont une taille suffisante, soit au niveau des départements, en mettant en commun un ou plusieurs experts en ouvrages d'art.
La mutualisation des moyens humains et techniques apparaît comme une solution pertinente pour maintenir des compétences rares et coûteuses sur un territoire. Cette mutualisation pourrait se traduire par la mise à disposition des communes, par les départements ou les intercommunalités, d'équipes spécialisées dans la gestion des ponts, en contrepartie d'une participation financière déterminée par la signature d'une convention .
En effet, l'expertise du département ou de l'intercommunalité pourrait être mobilisée sans pour autant que celui-ci se voie confier la maîtrise d'ouvrage des ponts, sur la base d'un conventionnement avec la commune concernée.
LA MUTUALISATION DE L'ENTRETIEN DES PONTS :
La mutualisation de l'entretien des ponts est une solution plébiscitée par 82 % des élus locaux ayant répondu à la consultation lancée par le Sénat . Ceux-ci considèrent en majorité que le département est le niveau le plus adapté (51 %) , suivi par l'échelon intercommunal (28 %) et l'échelon régional (21 %). Plusieurs témoignages d'élus locaux mettent en avant l'intérêt d'une telle mutualisation . Comme le relève un élu de la commune de Plélauff (Côtes-d'Armor), « [...] une mutualisation au niveau départemental pourrait permettre d'avoir du personnel plus qualifié et d'avoir un parc d'ouvrages permettant une gestion organisée. L'échelle intercommunale ne serait pas assez grande pour avoir du personnel compétent ». De même, le maire de la commune de Jalesches (Creuse) souhaite « pouvoir disposer d'un service technique mutualisé bénéficiant d'une haute qualité d'expertise technique et totalement indépendante ». |
2. Mettre en place un schéma départemental permettant d'identifier les ponts à fort enjeu
Au-delà de la mutualisation de l'expertise relative aux ponts, la mission considère nécessaire d'appréhender la gestion des ponts d'un territoire au niveau départemental . En effet, les ponts, en tant qu'éléments de la voirie, peuvent présenter une importance différente en fonction du réseau sur lequel ils sont situés et du trafic qu'ils supportent.
Ainsi, la mission estime qu'il convient de sortir de la stricte logique de « maîtrise d'ouvrage », selon laquelle le propriétaire du pont doit en assurer l'entretien, qui n'est pas forcément pertinente pour appréhender les enjeux liés aux ouvrages présentant un bénéfice pour d'autres territoires.
Plusieurs élus locaux consultés par le Sénat ont ainsi mis en évidence la difficulté de devoir entretenir des ponts qui appartiennent à un réseau routier utilisé par de nombreux véhicules . C'est le cas par exemple d'un élu de la commune de Balan (Ain) qui indique : « nous avons un pont dont l'état se dégrade. Il n'est pas normal que l'entretien de ce pont soit à la charge de la commune alors que les utilisateurs viennent principalement d'une autre communauté de communes. La réfection du pont devrait être à la charge du département et non de la commune ».
Les départements disposent généralement d'une expertise leur permettant d'identifier les itinéraires routiers présentant un intérêt socio-économique particulier .
La mission recommande par conséquent la mise en place d'un schéma départemental permettant d'identifier, à l'échelle du territoire, les voies et les ouvrages à fort enjeu.
Un tel document ouvrirait la possibilité que les travaux de réparation des ponts fassent l'objet d'un cofinancement de la part de plusieurs collectivités compte tenu de leur importance et de leur intérêt à l'échelle du département. Il permettrait également aux gestionnaires de voirie de prioriser leurs actions de surveillance et d'entretien sur les ouvrages situés sur les itinéraires fortement circulés.
Il pourrait par ailleurs être utile pour les collectivités de s'appuyer sur cette connaissance avant de décider ou non de procéder à la fermeture ou à la réparation de leurs ponts . Il peut en effet apparaître, à l'échelle départementale, qu'un pont est susceptible d'être fermé définitivement sans que cela ne perturbe le trafic routier, en raison de l'existence d'un itinéraire alternatif.
Lors de son déplacement dans le département de Seine-et-Marne , la mission a visité deux ponts surplombant la rivière Grand Morin fermés à la circulation en raison de leur état, situés à quelques kilomètres l'un de l'autre. Lors des échanges avec les élus des communes concernées et les services du département, il est apparu qu'il pourrait être envisagé de ne réhabiliter qu'un seul des deux ponts pour rétablir la traversée de la rivière. Le choix du pont à reconstruire pourrait être pris après une analyse du trafic routier réalisée par le département, qui bénéficie d'une expertise en la matière, et faire l'objet d'un cofinancement.
En résumé : pour combler le vide laissé par la suppression, en 2014, de l'appui technique apporté par l'État aux petites collectivités territoriales, la mission recommande de : 1. définir des procédures de surveillance et d'entretien adaptées aux petits ponts ; 2. apporter une offre d'ingénierie aux collectivités à travers l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et la mobilisation des moyens du Cerema ; 3. encourager la mutualisation de la gestion des ponts au niveau départemental ou intercommunal, par la mise à disposition des communes d'une expertise technique dans le cadre d'un conventionnement ; 4. créer un schéma départemental permettant d'identifier les ponts situés sur des itinéraires routiers à forts enjeux pouvant faire l'objet d'un cofinancement entre plusieurs collectivités territoriales. |
* 104 Il s'agit d'un agent en charge de gérer la base de données des ouvrages, de programmer la surveillance et l'entretien courant, de rédiger les cahiers des charges des prestataires, d'assurer les consultations et le service fait.
* 105 Le transfert de la compétence voirie est obligatoire dans les communautés urbaines et les métropoles, et facultatif s'agissant des communautés de communes et d'agglomérations. D'après une étude sur la mise en oeuvre de la compétence voirie au sein du bloc communal publiée par l'Assemblée des communautés de France en 2018, 77 % des 1 237 communautés de communes et d'agglomération exercent la compétence voirie.