C. UN DÉFICIT RÉCURRENT AVEC DES AMÉNITÉS FORESTIÈRES RECONNUES MAIS NON RÉMUNÉRÉES

1. Au-delà d'un quasi équilibre comptable, une tendance au déficit et un endettement structurel

Selon les données comptables, le résultat net de l'exercice 2018 n'a été que très légèrement déficitaire (- 4,8 millions d'euros, contre - 8,2 millions d'euros en 2017) après quatre années consécutives de bénéfices (12,2 millions d'euros en 2016, 7,7 en 2015, 10,8 en 2014 et 2,5 en 2013).

Le rééquilibrage constaté en 2018 est lié à une série d'évolutions favorables. En produits (862 millions d'euros), le chiffre d'affaires est en hausse (+ 25,6 millions d'euros par rapport à 2017) porté par l'amélioration des ventes de bois (+ 18,5 millions d'euros) et des activités concurrentielles (+ 5,6 millions d'euros). Hors chiffre d'affaires, le total des subventions publiques s'est accru de 15,3 millions d'euros, lié notamment au versement de la subvention pour charges de service public (SCSP) de 12,5 millions d'euros. Du côté des 866,8 millions d'euros de charges (+ 11,4 millions d'euros par rapport à 2017), l'Office a stabilisé ses dépenses d'achats et de sous-traitance à 190,3 millions d'euros ainsi que sa masse salariale à 476,4 millions d'euros (- 2,2 millions d'euros). La hausse des charges s'explique, en particulier, par des dotations aux amortissements plus importantes (+ 4,5 millions d'euros) qui résulte de la politique de développement des investissements.

L'analyse et l'interprétation des comptes sont cependant un exercice délicat. De façon générale, il convient de rappeler que les provisions - qui correspondent à des charges probables mais non connues définitivement - permettent une certaine souplesse dans la présentation des résultats : la Cour des comptes rappelle fréquemment dans les rapports consacrés, par exemple, au secteur hospitalier, que leur diminution peut parfois masquer le niveau de déficit et la nécessité d'un retour à l'équilibre.

S'agissant de l'ONF, on observe que le montant modeste de la perte en 2017 s'est accompagné de reprises sur provision importantes. Inversement, en 2018, l'amélioration du résultat est plus forte qu'il n'y paraît puisqu'elle atteint + 31,3 millions d'euros avant dotation aux provisions réglementées.

De ce point de vue, il semble préférable de s'en remettre à un des indicateurs les plus significatifs : la montée du niveau de l'endettement de l'Office qui s'approche du seuil de 400 millions d'euros. Toutefois, le niveau de cette dette reste contenu dans des limites raisonnables et on peut rappeler que le rapport de M. Hervé Gaymard (précité) appelait en 2010 à une recapitalisation qui permettrait quasiment d'effacer la dette de l'ONF.

Les recettes de l'Office se répartissent approximativement par tiers : le premier correspond aux ventes de bois (270 millions d'euros), le second à l'activité conventionnelle (290 millions d'euros) avec, en particulier les travaux forestiers et le dernier tiers correspond à des rétributions publiques (220 millions d'euros incluant le versement compensateur, les frais de garderie, la taxe à l'hectare et le financement des missions d'intérêt général).

Du côté des dépenses, la masse salariale avoisine 477 millions d'euros, conformément au COP 2016-2020, ce qui inclut des charges de pension de 101,5 millions d'euros. Les charges externes prévisionnelles s'établissent à 190 millions d'euros, ces dépenses étant principalement liées au volume de bois façonné et à la progression des activités concurrentielles.

2. Un déficit ONF sans commune mesure avec les externalités positives issues d'une gestion équilibrée de la forêt

Au cours des auditions, plusieurs points de vue se sont manifestés sur le déficit de l'ONF .

a) La comparaison avec les sociétés privées gestionnaires de forêts productives a d'abord été évoquée

Comme le montre l'exemple de la Société forestière filiale de la Caisse des dépôts, la rentabilité de la forêt productive avoisine 2 % (un peu moins de 100 euros par an pour chaque hectare de forêt dont la valeur moyenne est de 4 000 euros). Or au bilan de l'ONF figurent 10 milliards d'euros correspondant à la valeur de la forêt domaniale. Si cet actif rapportait 2 %, l'ONF pourrait verser à l'État 200 millions d'euros sous forme de dividendes et, à tout le moins, équilibrer ses charges.

En réalité, seule l'exploitation des forêts productives - avec des plantations d'essences le plus souvent résineuses à pousse rapide et accessibles dans de bonnes conditions - dégage une rentabilité positive d'environ 2 %, ce qui est loin d'être le cas des forêts publiques dans leur totalité. En outre, on peut faire observer que la gestion des forêts domaniales est quasiment à l'équilibre, alors que l'ONF est soumis à des contraintes de gestion particulièrement fortes.

b) Le chiffrage des externalités positives : un hectare de forêt rapporte dix fois plus que sa seule récolte de bois

Au-delà de la vision purement financière ou comptable du déficit de l'ONF, ses représentants ont souligné la nécessité de tenir compte des aménités et des services non rémunérés , rendus par l'ONF et par la forêt.

Les associations environnementalistes vont plus loin dans ce raisonnement. France Nature Environnement (FNE), qui a la particularité de siéger au conseil d'administration de l'ONF, a estimé qu' il serait dommageable de « s'enfermer » dans une problématique trop étroitement budgétaire.

Tout d'abord, la forêt publique est, pour les ONG, un enjeu d'autant plus fondamental que le code forestier a eu la sagesse de réserver à la forêt privée un régime juridique respectueux du droit de propriété.

Ensuite, la forêt publique est un bien commun qui doit plus que jamais être géré par l'État de façon multifonctionnelle, en appliquant le principe de solidarité entre les territoires .

France Nature Environnement a également marqué sa préférence pour une production de bois de qualité en estimant que la biodiversité est le fondement de la gestion forestière. Elle s'oppose à une éventuelle privatisation de l'ONF et au risque de « privatisation rampante » que constituerait le recours à des opérateurs privés pour rédiger les documents d'aménagement. Une telle orientation reviendrait, une fois de plus, à privatiser les gains en risquant de laisser de côté les territoires où l'installation n'est pas rentable pour le secteur privé.

Le retard pris dans l'élaboration des plans d'aménagement s'explique par la diminution des moyens de l'Office. Pour remédier à la situation actuelle, la FNE admet l'utilité :

- d'une simplification de ces documents ;

- du recours aux technologies nouvelles ;

- et de l'élaboration de plans d'aménagement de massif.

La FNE se demande également si la politique de recrutement de l'ONF n'a pas trop donné la préférence à des profils « commerciaux » au détriment des compétences forestières et environnementales.

Un hectare de forêt rapporte, en moyenne, 100 euros par an à son propriétaire en ventes de bois 4 ( * ) mais dix fois plus à la collectivité toute entière.

La forêt rend de multiples services non rémunérés qu'il conviendrait de mieux prendre en compte dans les décisions publiques sur la gestion forestière. Le Conseil d'analyse stratégique 5 ( * ) , afin de traduire ces externalités positives en termes économiques et financiers les a chiffrés.

Il conclut à une valeur moyenne de 970 euros par hectare et par an, en ajoutant à la production de bois - environ 100 euros par hectare - la fonction de cueillette, la valeur de la chasse, la valeur récréative, la contribution de la forêt à la qualité de l'eau et sa fonction pour stocker et puiser le carbone.

Cette analyse amène à souligner que la vision étroitement comptable, qui se focalise sur quelques millions d'euros de pertes et le plafond d'endettement de 400 millions d'euros, oublie de prendre en compte plusieurs milliards d'euros correspondant aux externalités positives produites par l'ONF et les communes forestières à travers la gestion des forêts publiques.

S'agissant du rôle spécifique de la forêt française et de la filière bois dans l'atténuation du changement climatique , une étude publiée en juin 2017 6 ( * ) a simulé les effets de plusieurs scénarii d'évolution d'ici 2050 qui correspondent à une gestion plus ou moins active des forêts.

- Des prélèvements plus intensifs limiteraient le stockage du carbone en forêt, mais permettraient d'atténuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) grâce à un effet de substitution , qui correspond à l'usage de matériau ou d'énergie bois à la place de produits concurrents ou d'énergies fossiles. Une telle gestion intensive améliore la robustesse de la filière face aux crises : climat, incendies, tempêtes ou invasions biologiques.

- Selon un second scénario, la pression sociale pour une forêt plus « naturelle » combinée à des prix et à des politiques peu incitatifs conduiraient à la poursuite d'une gestion peu active, avec de vastes espaces en libre évolution . Trois conséquences en résulteraient. Tout d'abord, une récolte nationale qui resterait proche du niveau actuel (50 millions de m 3 par an) entrainerait, compte tenu de l'expansion de la forêt française, une baisse du taux de prélèvement : 50 % aujourd'hui, 42 % en 2035 et 37 % en 2050. Ensuite, l'absence de mécanisation adaptée pour la récolte des feuillus, ainsi que l'affaiblissement de leur sciage, concentreraient la transformation nationale sur la ressource en résineux . Enfin, l'accroissement du puits de carbone in situ serait, à terme, enrayé par le ralentissement de la croissance forestière lié au vieillissement et à la densité des peuplements en place.

Votre rapporteure souligne que dans tous les cas de figure, la filière forêt-bois démontre une forte capacité de stockage du carbone qui pourrait même augmenter. Certes, les auteurs de cette étude renoncent à se prononcer sur la supériorité de tel ou tel mode de gestion, en raison de l'incertitude liée à l'ampleur des tempêtes et des crises sanitaires - les premières facilitant, en particulier les attaques de scolytes sur des arbres affaiblis. Cependant, il est très clairement mis en évidence qu'une gestion active de la forêt :

- réduit les risques liés à l'expansion forestière ;

- augmente le stockage du carbone dans des productions à base de bois et les avantages tirés de l'effet de substitution ;

- mais implique de mobiliser des moyens considérables pour replanter, moderniser notre appareil de transformation et modifier les habitudes des consommateurs.

Il convient aussi et surtout de se demander si la société française est prête à accepter une telle intensification des prélèvements forestiers.

c) Un déficit récurrent à mettre au regard des enjeux économiques et d'un approvisionnement régulier du secteur de la transformation

Au regard de la gestion d'un très vaste territoire, qui représente 10 % de l'hexagone, ainsi que de son rôle majeur d'approvisionnement de la filière bois - qui emploie 440 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 53 milliards d'euros - le déficit tendanciel de 5 à 20 millions d'euros de l'ONF semble modeste, et il a été jugé comme tel, au cours des auditions, par des opérateurs forestiers du secteur privé.

Encore faut-il rappeler que la gestion « multifonctionnelle » de la forêt par l'ONF :

- s'accompagne d'une hausse continue de la production d'aménités non rémunérées ;

- mais résiste de plus en plus difficilement à l'augmentation des préjudices non indemnisés subis par la forêt et aux manque-à-gagner imputables aux dégâts de gibier et aux insectes ravageurs.

Au cours des auditions, tout en souhaitant le rééquilibrage des comptes de l'Office, les membres du groupe Forêt ont estimé que la communication de l'ONF à l'égard du grand public est principalement centrée sur les aspects environnementaux de la gestion des forêts publiques, alors que les multiples retombées positives des coupes de bois sont insuffisamment mises en évidence. Dans ce secteur, les avantages économiques et en termes d'emplois du développement de la filière bois ne s'opposent pas - bien au contraire - aux enjeux climatiques.

Comme en témoignent les études sur le stockage du carbone, l'utilisation, la transformation du bois, la replantation et la pousse des jeunes arbres ont des effets bénéfiques indéniables, supérieurs à ceux d'une forêt vieillissante mise « sous cloche ».

Votre rapporteure préconise d'informer nos concitoyens sur les avantages écologiques et économiques de la préservation de la biodiversité, de la lutte contre les changements climatiques et de la transition énergétique.


* 4 Beaucoup plus s'il s'agit de plantations d'essences de grande valeur, comme certaines qualités de chênes, ou si l'accessibilité de la ressource minimise le coût d'exploitation et moins dans les cas inverses.

* 5 « Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes », rapport du groupe de travail présidé par Bernard Chevassus-au-Louis, Centre d'analyse stratégique, avril 2009.

* 6 Quel rôle pour les forêts et la filière forêt-bois françaises dans l'atténuation du changement climatique ? Étude des freins et leviers forestiers à l'horizon 2050 (INRA et IGN juin 2017).

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