TROISIÈME PARTIE :
FOCUS SUR QUELQUES CHANTIERS D'ADAPTATION SENSIBLES

La dernière partie de ce rapport vise à attirer plus particulièrement l'attention sur quatre chantiers d'adaptation aux dérèglements climatiques en raison de la difficulté, de l'ampleur ou du caractère prioritaire qu'ils présentent :

- l'accompagnement des territoires ultramarins, littoraux et de montagne ;

- l'adaptation du bâti au climat de demain ;

- l'évolution des politiques de l'eau, aussi bien dans leurs volets « usages » que « ressources » ;

- l'adaptation du secteur agricole.

I. ACCOMPAGNER LES TERRITOIRES PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS

Les effets du changement climatique n'épargneront personne mais ils toucheront plus fortement certains territoires, qui sont souvent aussi économiquement et socialement les plus fragiles. La solidarité nationale doit donc s'exprimer pour les aider à relever les défis de l'adaptation.

A. LA DÉCLINAISON AUX TERRITOIRES ULTRAMARINS DE LA STRATÉGIE NATIONALE D'ADAPTATION

1. Des territoires en première ligne et pas toujours bien armés pour faire face au changement climatique

Les enjeux de l'adaptation aux dérèglements climatiques dans les territoires ultramarins se posent de manière particulièrement aiguë et urgente en raison des vulnérabilités propres à ces territoires, à savoir :

- leur exposition à un risque climatique supplémentaire, le risque cyclonique ;

- le fait que les outre-mer concentrent une part considérable de la biodiversité du territoire national, de surcroît dans des écosystèmes intrinsèquement fragiles et déjà fragilisés par une urbanisation et une agriculture intensives. On pense notamment aux mangroves et aux zones coralliennes ;

- une vulnérabilité économique accrue liée au fait que l'activité y est fortement concentrée dans deux secteurs (agriculture et tourisme), qui sont de surcroît les secteurs les plus directement exposés aux dérèglements climatiques ;

- une vulnérabilité sociale très prononcée, qui s'exprime notamment par la prégnance d'un taux de pauvreté sensiblement plus fort qu'en métropole.

Sur le plan juridique, les territoires ultramarins se caractérisent également par une forte diversité de régimes, notamment en ce qui concerne la répartition des compétences entre les acteurs des politiques publiques, parmi lesquels l'État. Par exemple, à Saint-Martin, l'État est compétent sur l'environnement et la collectivité sur l'urbanisme, quand ces deux domaines relèvent de la collectivité à Saint-Barthélemy. Les modalités de la gouvernance des politiques d'adaptation doivent donc être à chaque fois déclinées pour s'adapter aux particularités des différents statuts.

Enfin, on peut souligner que plusieurs territoires ultramarins ne disposent pas, en interne, des capacités d'ingénierie ni des ressources financières pour construire seuls des politiques d'adaptation à la hauteur des problèmes à résoudre. Ainsi, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avec des populations respectivement de l'ordre de 35 000 et 9 000 habitants, sont très largement dépendants de l'appui national pour affronter les défis de la reconstruction et de la résilience face aux risques climatiques.

Pour toutes ces raisons, il est essentiel que, dans le cadre d'une démarche prospective de projet de territoire, chaque collectivité ultramarine procède, avec le concours de l'État, à une évaluation de ses vulnérabilités physiques et économiques spécifiques face aux changements climatiques. Sur cette base, les collectivités ultramarines pourront, en lien avec l'État, définir les priorités d'une stratégie locale de résilience et déterminer les modalités d'intervention de chaque acteur pour la mise en oeuvre des actions d'adaptation requises.

La mise en place d'observatoires ultramarins du changement climatique, en fournissant des outils de connaissance et de prospective dans ces territoires, constitue une condition de cette déclinaison ultramarine des politiques d'adaptation.

2. Mettre en place une politique ambitieuse de résilience face au risque cyclonique

Au-delà de l'émoi et de la solidarité qui se sont manifestés au moment de la dévastation de Saint-Barthélemy et Saint-Martin par le cyclone Irma, il faut s'interroger sur les enseignements à tirer de cet événement en ce qui concerne la lutte contre des risques climatiques majeurs outre-mer. Le fait que la configuration de la catastrophe de Saint Barthélémy et Saint-Martin soit exceptionnelle et qu'elle semble avoir statistiquement peu de chance de se reproduire à brefs délais 34 ( * ) ne doit justifier aucune forme d'attentisme ou d'inaction. Rappelons que la canicule de 2003 ou la tempête Xynthia de 2010 étaient également des événements climatiques hors normes et que leur caractère atypique n'a pas empêché l'État et les collectivités de prendre des mesures fortes pour mieux prévenir et mieux faire face à ce type de risques. De fait, ces deux catastrophes climatiques ont fait « bouger » en profondeur la réglementation et la doctrine des pouvoirs publics dans le domaine des risques naturels. La réaction des pouvoirs publics doit donc être de la même ampleur après le cyclone Irma, qui ne saurait être la première catastrophe climatique majeure ne débouchant pas sur une révision de fond des dispositifs de protection contre les risques naturels.

La Délégation sénatoriale aux outre-mer du Sénat s'est saisie de ce sujet. Le premier volet de ses travaux a abouti en juillet 2018 à un rapport sur la prévention des risques et la gestion des événements, qui comprend soixante recommandations. Le second volet de ses travaux, en cours d'instruction, sera centré sur les problématiques de reconstruction, d'indemnisation post-événement et de résilience des territoires sur le long terme. Ses conclusions sont attendues dans les prochaines semaines.

Sans empiéter sur ses travaux ni présager de ses conclusions, vos rapporteurs soulignent simplement qu' une des priorités de la réponse des territoires ultramarins devra porter sur l'adaptation des normes de construction et d'urbanisme pour augmenter la résilience du bâti face au risque cyclonique . Vos rapporteurs estiment nécessaire de faire évoluer rapidement ces normes et de veiller à leur mise en oeuvre effective à l'occasion de tout nouveau projet de construction.

La mise en oeuvre de normes et de techniques de construction plus exigeantes occasionnera un surcoût dans l'immédiat. Ce dernier devra être estimé et des moyens d'accompagnement financier devront être imaginés pour qu'il ne constitue pas un obstacle à la reconfiguration du bâti ultramarin. Mais ce surcoût sera, dans tous les cas, inférieur au coût d'un scénario du statu quo . Rappelons que, après Irma, le coût total des dommages assurés a été estimé à près de 2 Md€ par les compagnies d'assurance : 1,17 Md€ à Saint-Martin et 0,823 Md€ à Saint-Barthélemy. C'est une somme considérable pour des îles dont la population atteignait seulement 45 000 habitants avant la catastrophe. Compte tenu de l'ampleur des sommes en jeu, il existe un risque que certains territoires ultramarins connaissent à l'avenir des difficultés insurmontables pour s'assurer contre les risques naturels si des mesures d'adaptation ambitieuses dans le domaine de la construction ne sont pas mises en oeuvre.


* 34 On ne peut pas encore dire de manière certaine ou probable que les Antilles vont être exposées à un risque cyclonique accru dans les décennies à venir en raison des effets du réchauffement global. S'il ne se dégage pour l'instant aucune tendance claire au niveau régional sur le risque cyclonique, les données d'observation et les modélisations dont on dispose ne permettent cependant pas non plus d'exclure qu'une tendance à l'aggravation des cyclones soit à l'oeuvre.

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