IV. UN AN DE TRAVAUX SUR LA REFORME DES RETRAITES AU SENAT
René-Paul Savary, rapporteur « retraite » de la Commission des affaires sociales
René-Paul Savary, rapporteur « retraite » de la Commission des affaires sociales
René-Paul Savary , rapporteur « retraite » de la commission des affaires sociales . - Monsieur le président du Sénat, merci d'avoir organisé ce colloque, qui s'est révélé très instructif. Les prises de position qui se sont exprimées engendreront la confrontation et la discussion, ce qui est nécessaire pour la mise en place du dispositif.
Depuis plusieurs années, le Sénat s'est prononcé pour une réforme systémique par points.
En décembre 2017, la mission dite « d'information sur les conditions de réussite d'une réforme systémique » en France a associé nombre de sénateurs, qui depuis quelques mois se consacrent à la rencontre de l'ensemble des partenaires. Nous avons ainsi conduit plus de cinquante auditions.
Le monde de la retraite était-il demandeur d'une réforme systémique ? Dans sa majorité, non. Par conservatisme ? En fait, la plupart des acteurs ont été frappés par le diagnostic jugé simpliste et donc injuste du Gouvernement sur le système actuel, bien que l'approche de Monsieur le haut-commissaire s'en écarte sensiblement, ce que tous soulignent.
Non, les réformes conduites depuis 1993 ne relevaient pas du bricolage et la majorité des acteurs s'accorde à dire qu'elles ne constituaient pas de petites mesures. La France n'a pas à rougir de son système.
Non également : un système qui compte 42 régimes n'est pas nécessairement injuste, mais relève de l'histoire.
N'oublions pas le mouvement de convergence entre public et privé engagé par la réforme de 2003. Le CSR ne pointe aucune différence significative entre un fonctionnaire sédentaire et un salarié du privé. La réforme de 2008 a engagé le rapprochement des régimes spéciaux avec le régime général. Nous considérons au Sénat que cette convergence doit encore être accélérée.
Non, une réforme systémique ne stabilisera pas définitivement les règles du jeu.
Tous les acteurs ont souligné les faiblesses du pilotage du système actuel. Pourtant, aucune réforme des retraites ne peut être définitive, car par nature tout système de retraite est soumis à des aléas économiques et démographiques qui obligent à des corrections.
Dans un système à points, nous ne pouvons nous engager à la fois à garantir l'âge minimum légal de la retraite à 62 ans et le niveau de pension actuel des retraités. Un choix de société est donc nécessaire. J'ai moi-même évolué, au fil des auditions, en prenant la mesure des difficultés qu'entraînerait le passage à un système universel à points.
La complexité du système est le reflet des différents statuts sociaux dans ce pays, dont nous ne pouvons faire abstraction. Peut-être la réflexion portera-t-elle à l'avenir non sur les statuts mais sur les métiers, ce qui permettra de prendre en compte les sujets de pénibilité.
Les spécificités demeureront dans le futur système, qu'elles prennent la forme d'un taux de cotisation plus faible pour les indépendants, ou de règles plus avantageuses pour certains métiers.
Quels espoirs cette réforme soulève-t-elle ?
Le diagnostic partagé fait état d'une crise de confiance des Français dans leur système de retraite, bien que le niveau moyen de vie des retraités soit légèrement supérieur au niveau de vie moyen des salariés. Nombre de nos concitoyens sont convaincus que leur retraite sera moindre que celle de leurs parents et les plus jeunes pensent qu'ils n'en bénéficieront pas.
Non, cette réforme ne rétablira pas la confiance à elle seule. Méditons la réflexion de Marisol Touraine lors du colloque de l'an dernier : « lorsque la réforme sera annoncée, 30 millions de Français prendront leur calculette pour comprendre les conséquences pour eux. »
Profitons de cette réforme pour aborder en toute transparence les questions du niveau de financement nécessaire à l'équilibre du système, et du niveau de pension dont bénéficieront les futurs retraités en l'absence de modification de l'âge légal de départ à la retraite.
La réforme permet d'envisager une remise à plat des dispositifs de solidarité, des droits familiaux et de leur financement. Un rapport du Sénat sur le fonds de solidarité vieillesse soulignait la complexité et l'instabilité du financement de la solidarité dans les retraites. Le débat autour des pensions de réversion a rappelé les différences existantes entre les régimes. De même, le mécanisme de solidarité inter-régime que constitue la compensation démographique est compris par quelques rares experts.
Ainsi, une réforme cantonnée au champ de la solidarité constituerait déjà une véritable avancée.
Les partenaires sociaux espèrent que la simplification de l'architecture du système contribuera à améliorer le service rendu aux assurés.
Un rapport du Sénat sur le droit à l'information retraite et le développement de l'inter-régime a montré que des mesures ont été prises pour offrir à tous les actifs, notamment lorsqu'ils relèvent de plusieurs régimes de retraite, une information consolidée sur leurs droits acquis et leurs perspectives de retraite.
Les grands chantiers en cours ouvrent des perspectives très ambitieuses pour les assurés. La création du répertoire de gestion des carrières unique (RGCU) facilitera la liquidation unique de la retraite en ligne, ce qui permettra, me semble-t-il, de ré-insuffler de la confiance.
Quelles craintes cette réforme suscite-t-elle ? Deux points de crispation émergent. Le premier concerne la garantie des droits individuels acquis, notamment pour les assurés dont les revenus sont supérieurs à trois plafonds de la Sécurité sociale.
La seconde touche aux réserves financières du régime, dont le but est de garantir le versement des pensions et dont l'éventuelle mutualisation devra respecter les conditions de leur constitution.
Les acteurs saluent unanimement la méthode retenue par Monsieur le haut-commissaire. Cependant elle souffre de trois limites.
La première réside dans le décalage entre les discours du Gouvernement et du haut-commissaire. La réforme systémique ne devait pas être financière. Cependant, le rendement combiné de la hausse de la CSG sur les retraités, du gel des pensions en 2018 et de leur sous-revalorisation en 2019 et 2020, finalement remise en cause, devait atteindre près de 8 milliards d'euros par an. Il s'agit donc d'une réforme financière qui ne dit pas son nom.
Le deuxième écueil réside dans l'âge de départ à la retraite. Nos déplacements en Europe nous ont appris que l'âge minimum légal demeurait le paramètre central des systèmes de retraite, tant pour leur équilibre financier que pour le niveau de retraite des assurés.
En raison de l'allongement de la durée de vie, les générations nées en 1990 passeront environ 32 ans à la retraite. Cette durée est-elle soutenable dans un régime par répartition dans lequel les actifs seront moins nombreux et les retraites plus longues ?
La troisième limite réside dans le calendrier de la réforme. Monsieur le haut-commissaire, vous vous êtes beaucoup exprimé sur les principes de la réforme et sur le contexte politique et social actuel. Il est désormais temps de nous informer plus avant des modalités de mise en oeuvre de la réforme, sur son périmètre exact, sur les conditions de la transition et les principes de gouvernance du futur système.
Le Sénat attend la publication du texte de loi, de sorte à pouvoir délibérer, car le temps de délibération permettra d'enrichir le débat et de faire accepter cette réforme, qui touche toute la population et met en cause la politique familiale et économique.
Merci à tous ceux qui ont participé à ce débat d'une grande richesse. Je suis heureux d'avoir été désigné comme rapporteur sur ce sujet passionnant. Je suis certain que le Sénat saura apporter sa pierre à l'édifice.