III. LA PAROLE AUX PARTENAIRES SOCIAUX (2NDE PARTIE)
Interview avec Stéphane Béchaux, journaliste indépendant
Dominique Corona , secrétaire national de l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) Philippe Pihet , secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (FO) Claude Tendil , président de la commission de la réforme de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef) Bernadette Groison , secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire (FSU) Frédéric Sève , secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) Alain Griset, président de l'Union des entreprises de proximité (U2P) |
Dominique
Corona,
secrétaire national de l'Unsa
Stéphane Béchaux . - L'Unsa était-elle demandeuse d'une réforme des retraites ?
Dominique Corona . - Nous n'étions pas demandeurs d'une réforme systémique et n'y sommes pas favorables, bien que nous ayons constaté quelques difficultés au sein du régime actuel.
Le régime des retraites actuel répond aux missions que lui a assignées le législateur. Il sert des pensions, il intègre la solidarité, il est contributif, il sert un taux de remplacement quasi-identique entre public et privé malgré la différence réglementaire. Le problème réside moins dans un dysfonctionnement que dans l'image négative qu'il a auprès du public, ce qui ne justifie pas une réforme systémique.
Stéphane Béchaux . - Les systèmes sont-ils suffisamment convergents dans le régime actuel ?
Dominique Corona . - La convergence des âges de départ, des cotisations et des trimestres a été accélérée par les régimes. Il est donc faux d'estimer que certains métiers, comme les cheminots ou les services actifs de la fonction publique sont privilégiés. Par exemple, un cheminot sédentaire né en 1972 peut partir à la retraite à 57 ans en théorie, mais sa décote sera si importante qu'il ne le pourra en réalité pas avant 62 ans, qui constitue l'âge pivot.
Stéphane Béchaux . - Quelle est la mesure phare de cette réforme à vos yeux ?
Dominique Corona . - Nous souhaitons que ce système n'ait pas pour conséquence de dégrader le montant des pensions. Il est impératif de pouvoir comparer les pensions dans le système actuel et le système futur. Nous attendons donc que le haut-commissaire présente des cas-types et des chiffres.
Stéphane Béchaux . - Estimez-vous que le montant des pensions de certaines catégories professionnelles doit être abaissé au profit d'autres catégories ?
Dominique Corona . - Un système à points prendra pour fondement l'ensemble de la carrière professionnelle. En cas d'accidents du parcours de vie, des points seront nécessaires. A enveloppe fermée, des choix seront-ils effectués entre les catégories bénéficiaires et non-bénéficiaires des éléments de solidarité ? Comment le seront-ils ? L'augmentation de l'enveloppe dédiée à la solidarité, et donc de la participation de l'Etat, pourrait constituer une solution.
Stéphane Béchaux . - Quelle mesure ne souhaitez-vous pas voir s'appliquer ?
Dominique Corona . - Nous souhaitons nous assurer que les pensions ne seront pas abaissées, que le système ne remette pas en cause les statuts, que la solidarité sera effective et que le sujet de la pénibilité sera intégré aux débats.
Stéphane Béchaux . - Quelles sont vos attentes en matière de pénibilité ? Souhaitez-vous que le bénéfice d'années de bonus soit étendu ou redistribué ?
Dominique Corona . - Je rappelle qu'à notre sens, la réforme menée par Marisol Touraine en 2014 constituait une réforme équilibrée, en raison de la hausse des cotisations et de leur durée, ainsi que du C3P, premier élément que le Gouvernement a dégradé pour le remplacer par le C2P, engendrant ainsi un problème de confiance.
Le sujet de la pénibilité doit être soigneusement évalué. Actuellement, la dangerosité n'est pas prise en compte malgré l'existence de métier dangereux, y compris dans le secteur privé. Quant aux nuits qu'effectuent les infirmières dans les hôpitaux, elles sont uniquement prises en compte dans le secteur privé.
Le régime universel doit donc être l'occasion d'ouvrir les discussions relatives à ce sujet et d'étendre les droits ouverts par la pénibilité, pour plus de droits et plus d'équité.
Stéphane Béchaux . - Espérez-vous une augmentation des recettes du système des retraites dans son ensemble ?
Dominique Corona . - Actuellement, les personnes que je rencontre dans le cadre des réunions de l'Unsa pensent que le système des retraites est déficitaire et ne veulent pas croire que la Cnav est en excédent depuis deux ans ni que les dépenses de retraite représenteront 14 ou 14,5 % du PIB à court ou à moyen terme.
Cette défiance ne vient pas du système en lui-même mais des messages que nous avons fait circuler, selon lesquelles sans réforme le système des retraites s'écroulerait. Au mois d'août, un ministre a ainsi déclaré que sans réforme systémique, les jeunes générations n'auraient pas de retraite. Réformons-nous alors pour des motifs financiers ou pour plus d'équité ? Bien que les concertations conduites se déroulent correctement, nous nous opposerons à une réforme équivalant à réduire les droits, l'équité et les recettes.
Stéphane Béchaux . - Comment atteindre cet objectif d'amélioration des droits et de l'équité ?
Dominique Corona . - Peut-être faut-il augmenter la CSG pour plus de solidarité ? En tous les cas, si les recettes doivent être augmentées, une décision politique en ce sens devra être prise. Le système ne fonctionnera sinon pas.
Le comité de surveillance du Fonds de solidarité vieillesse composé des partenaires sociaux ne s'est d'ailleurs jamais réuni. Il est nécessaire de veiller à ce que la gouvernance soit transparente.
Stéphane Béchaux . - La concertation conduite par Monsieur Delevoye a-t-elle permis de clarifier le projet de réforme ?
Dominique Corona . - En partie seulement, car les déclarations successives ont semé un certain flou. Nous attendrons la suite des déclarations et resterons très vigilants sur le sujet des carrières. D'après le rapport de Yannick Moreau, les pensions des fonctionnaires baisseraient de 10 % si l'on ne prenait plus en compte que les dix meilleures années pour le calcul de la pension. Qu'en sera-t-il si l'on prend en compte l'ensemble de la carrière ? Il est impératif de prendre en compte les spécificités des différents métiers et de réfléchir au financement des retraites des catégories C de la fonction publique, ou des enseignants, sous peine de voir les pensions abaissées.
Stéphane Béchaux . - Merci, Monsieur Corona.
Philippe
Pihet,
secrétaire confédéral
de la
Confédération générale du travail (FO)
Stéphane Béchaux . - La CGT-FO souhaitait-elle une nouvelle réforme des retraites ?
Philippe Pihet . - Non. Nous avons immédiatement signalé au haut-commissaire qu'après 25 ans de réduction des droits des retraités actuels et des futurs retraités, nous sommes parvenus à l'équilibre des recettes et des dépenses.
Stéphane Béchaux . - Vous ne souhaitiez donc pas modifier le fonctionnement actuel des retraites ?
Philippe Pihet . - En 2013, nous avions proposé à Marisol Touraine de réviser le fonctionnement des majorations accordées aux parents de trois enfants lors de la liquidation d'une pension. Nous souhaitions introduire plus de justice et de redistributivité envers les femmes et, à iso-dépenses, faire appliquer les majorations dès le premier enfant en utilisant le système des majorations de durée d'activité, qui comprend une part dédiée à la maternité et une part dédiée à l'éducation. Cette proposition n'a pas été retenue.
Pour le reste, nous ne souhaitions pas amender de façon significative le système. Comme il a été dit, le taux de remplacement est favorable.
Nous ne sommes pas pour autant opposés à la réforme, dans son concept. Cependant, comme je l'ai dit à Monsieur Delevoye, à FO, « nous ne mangeons pas avec des concepts mais avec des euros ». Or, le Gouvernement crée un système fondé sur le point et mis en place en 2025 sans avoir l'intention de donner la valeur d'achat du point avant cette date d'entrée en vigueur. La confusion est donc très grande.
Nous sommes habitués au régime en points, grâce à notre implication dans l'Agirc-Arrco. Cependant, la réforme proposée n'est pas systémique : elle équivaut en réalité à mettre en place une réforme paramétrique annuelle automatique, car un salaire de référence sera fixé chaque année en fonction des valeurs d'achat et de service du point.
Stéphane Béchaux . - Quelle est la mesure-phare de cette réforme pour vous ?
Philippe Pihet . - Nous nous opposerons à la fixation de l'assiette de cotisations à trois plafonds de la sécurité sociale. La question a été posée plus tôt. Je l'ai moi-même posée à Monsieur Delevoye, lors des réunions de concertation marquée par un excellent climat de confiance, bien que depuis hier nous ressentions une certaine méfiance vis-à-vis du Gouvernement. J'ai indiqué que cette assiette de trois plafonds signifie la mort de l'Agirc-Arrco. Monsieur Delevoye m'a répondu que la fixation de l'assiette à un plafond obligeait à créer dans la fonction publique d'Etat un régime complémentaire.
Cet arbitrage ne nous convient pas. La Cour des comptes elle-même a donné un certificat en responsabilité de conduite dans le pilotage de l'Agirc-Arrco, dont la compétence est donc avérée.
Nous souhaitions également des clarifications sur la disparition de la compensation démographique. A cet égard, le jugement de la Ministre sur les « bricolages » des années précédentes ne nous convient pas. Aujourd'hui, nous savons, au centime près, que le régime général des salariés fait oeuvre de solidarité vis-à-vis des exploitants agricoles. Il n'est pas question de remettre ce fait en cause. Cependant, il sera impossible de mesurer cette solidarité dans une enveloppe globale.
A l'illisibilité du système, que je ne reconnais pas, nous substituerions donc de l'opacité.
Stéphane Béchaux . - Le projet de réforme comporte-t-il des mesures auxquelles vous vous opposerez ?
Philippe Pihet . - D'après le haut-commissaire, l'âge de 62 ans est un âge de base avant lequel il est impossible de partir à la retraite ; il est aussi question de créer des coefficients majorants. Dans ces conditions, l'euro cotisé ne donnera plus le même rendement pour ceux qui ont la possibilité de travailler plus longtemps. Pour rappel, plus de 40 % des salariés du privé qui liquident leur retraite ne sont déjà plus sur le marché du travail.
Comme l'enveloppe est fermée, il faudra, pour favoriser les personnes souhaitant travailler plus longtemps, créer un coefficient minorant au détriment des autres salariés. Cette mesure, qui serait parfaitement injuste, constitue notre plus grande crainte.
Stéphane Béchaux . - Jugez-vous la concertation utile ?
Philippe Pihet . - Nous avons participé aux réunions dès leur ouverture : tous les participants ont eu accès à la même documentation, les échanges ont été sincères et ouverts. La méthode du haut-commissaire et de ses équipes est bonne. Cependant, les déclarations de Madame Buzyn et du Gouvernement concernant l'âge de départ à la retraite et la dépendance écornent cette méthode, ce qui est dommage surtout à la fin du processus.
Stéphane Béchaux . - Comment la CGT-FO entend-elle s'inscrire dans la suite des discussions et des débats ?
Philippe Pihet . - Nous persisterons à faire connaître nos analyses. Notre position n'est pas dogmatique, cependant ce que nous croyons deviner au travers des échanges conduits ne nous paraît pas juste.
Le cas de la pénibilité est éloquent. Le métier d'aide-soignant doit être considéré comme pénible quel que soit le statut social de l'employeur, public ou privé. Comme Madame Buzyn le disait le 19 avril 2018, il n'y aura pas d'alignement par le bas. En ce cas, nous demanderons un alignement par le haut et une réelle prise en compte de la pénibilité, à la manière de celle dont bénéficient les services actifs.
Stéphane Béchaux . - Merci.
Claude
Tendil,
président de la commission de la réforme
de la
protection sociale du Medef
Stéphane Béchaux . - Le Medef était-il demandeur d'une réforme ?
Claude Tendil . - Non. Cependant, nous accompagnons ce choix politique.
Le changement du nombre de régimes ou le passage à un système par points ne constituent pas pour nous des solutions.
Pour nous, un régime de retraite est un système très simple, qui repose sur trois données : les recettes, les dépenses, l'âge de départ. Les recettes en France s'élèvent à 320 milliards d'euros, soit 14 % du PIB, ce qui constitue un record mondial. Dans les pays voisins, la part des recettes se situe entre 10 % et 11 % du PIB et nous avons 4 points d'écart avec l'Allemagne, qui est notre concurrent économique. 100 milliards sont à la charge des entreprises, ce qui constitue un facteur de préoccupation pour la compétitivité, l'emploi et la croissance de nos entreprises.
Il n'est donc pas question pour moi de remettre en cause l'enveloppe fermée. Il n'est pas possible non plus de baisser le montant des pensions dans le contexte politique actuel et nous avons d'ailleurs signé l'accord Agirc-Arrco qui comporte une clause en ce sens. Le seul pilier modifiable est l'âge de départ. Nous avons donc souhaité que l'accord Agirc-Arrco comporte une incitation à rester plus longtemps au travail : à 62 ans, le cotisant est pénalisé et à 64 ans ou au-delà, il bénéficie d'un bonus.
Cette mesure est un pis-aller : le report progressif de l'âge de départ à 64 ou 65 ans serait une excellente mesure. Pour rappel, en 1981, l'âge légal de départ à la retraite s'élevait à 65 ans. Or, depuis l'espérance de vie a augmenté de huit ans et le temps de travail a diminué de cinq ans. Aujourd'hui, l'espérance de vie des Français à la retraite est de 27 ans contre 21 ans dans les pays qui nous entourent.
L'âge français de départ à la retraite constitue une anomalie européenne. En Belgique, en Italie, en Angleterre et en Allemagne, il s'élève à 65 ans et sera porté à 67 ans dans ce dernier pays.
L'âge de 62 ans n'est pas pour moi un optimum. Le report de l'âge de la retraite a été proposé par certains économistes, et notamment par Jean Peyrelevade, fondateur de l'association Dialogues, que j'ai présidée après lui. Je ne suis donc ni novice en matière de dialogue social, ni hostile. Nous pourrions progressivement aller vers l'âge de 64 ans dans dix ans, en augmentant la durée de travail de deux ou de trois mois par an. Nous rééquilibrerions ainsi nos régimes de façon raisonnable et responsable.
Stéphane Béchaux . - A votre sens, il n'était donc pas besoin de modifier les règles de fonctionnement des différents régimes.
Claude Tendil . - La réforme étant engagée, nous sommes décidés à l'accompagner, mais dans la clarté. Les sujets de la solidarité et de la contributivité méritent d'être clarifiés.
La solidarité est un choix de société, politique, qu'il n'est pas question de remettre en cause, car elle constitue une responsabilité du Gouvernement et du Parlement. Le choix politique doit être assumé par le pouvoir politique : la solidarité doit être pour moi financée par un impôt à base large, car il n'existe pas de points gratuits.
Le régime de retraite n'est pas la « voiture-balai » destinée à traiter les problèmes qui n'auraient pas été résolus en amont, tels que l'inégalité entre hommes et femmes. Si la politique familiale doit inclure un volet relatif à la retraite, au contraire la politique retraite ne doit pas inclure la politique familiale. Ainsi le don de points à la naissance du premier enfant relève du financement de la politique familiale.
De même c'est au système de chômage de compenser les aléas et les accidents de la vie.
La solidarité doit donc prendre en charge les incertitudes qui frappent les citoyens dans leur vie personnelle et familiale, mais ça n'est pas au régime de retraite de résoudre tout ce qui n'a pas été résolu pendant les quarante ans qui précèdent.
C'est au pouvoir politique qu'il appartient également de décider du niveau de solidarité, qui s'élève actuellement à 20 %, soit 65 milliards d'euros.
En revanche, le système contributif doit être pur : un euro cotisé donne les mêmes droits quel que soit le statut.
Le choix des trois plafonds enterre les régimes complémentaires. Nous ne partageons pas ce choix, car l'Agirc-Arrco n'a pas à rougir de sa gestion. Depuis 1996, la Cnav a transféré 100 milliards de déficit à la Cades. L'Agirc-Arrco au contraire enregistre 70 milliards d'excédent. La jonction des deux entités n'est pas à mon sens nécessairement une solution.
Enfin, un système universel n'est pas nécessairement unique et des spécificités peuvent être conservées. Quant aux 42 régimes évoqués, ils comportent des catégories professionnelles de petite taille comme les comédiens de la Comédie-Française ou les danseurs de l'opéra de Paris. L'argument du nombre de régimes doit effectivement être relativisé.
Stéphane Béchaux . - Avez-vous évoqué avec Monsieur Delevoye l'idée d'une part de capitalisation destinée à compléter les retraites ?
Claude Tendil . - A cet égard, il existe également une exception française. La capitalisation assure 2 % des prestations de retraite en France, soit infiniment moins que dans les pays développés de l'OCDE. Nous nous plaignons que les investisseurs chinois prennent le contrôle des entreprises françaises du CAC 40, tout en refusant les fonds de pension. Nous en payons les conséquences : faute de disposer de fonds propres, les entreprises françaises sont endettées et ne parviennent pas à résister à l'invasion étrangère.
Stéphane Béchaux . - Ce sujet a-t-il fait partie de vos discussions ?
Claude Tendil . - Il n'est pas intégré au débat que mène le haut-commissaire. Nous ne souhaitons pas introduire dans une discussion déjà multiple et complexe un élément supplémentaire. Toutefois, il sera nécessaire d'aborder ce sujet.
Stéphane Béchaux . - Quelle est votre opinion à propos de cette concertation ? Que pensez-vous des débats tout récents autour de la question de l'âge ? Que comprenez-vous des derniers développements ? Le brouillard autour de la réforme se dissipe-t-il ?
Claude Tendil . - On a parlé du courage de Madame Buzyn mais je considère qu'elle a eu du bon sens, qualité tout aussi précieuse et trop rare.
La situation manque encore de clarté : nous ignorons quel sera le régime futur, à quel rythme il sera mis en oeuvre et s'il le sera pour tous en même temps. S'il est facile d'intégrer le régime des salariés avec la Cnav dès 2025, les cas des fonctionnaires et des régimes spéciaux risquent d'attendre respectivement 10 et 20 ans. Je reprendrai ici un slogan entendu dans les rues : « tous ensemble, tous ensemble ». Si les derniers dispositifs sont unifiés en 2045, que l'Agirc-Arrco ne disparaisse pas avant cette date.
Nous avons la faiblesse de tenir à nos réserves financières, fruits d'une bonne gestion. Elles n'ont pas vocation à compenser des difficultés structurelles mais à amortir les aléas de la conjoncture économique. Les déficits structurels doivent être amortis à l'aide d'autres leviers, et notamment l'allongement de l'âge légal de la retraite, qui prolongera la vie active des salariés et améliorera leur retraite, équilibrera les régimes et contribuera au financement de l'économie française.
Stéphane Béchaux . - Merci, Claude Tendil.
Bernadette Groison,
secrétaire générale de la FSU
Stéphane Béchaux . - La FSU était-elle demandeuse d'une nouvelle réforme ?
Bernadette Groison . - Nous n'étions pas demandeurs de cette réforme et ne sommes pas demandeurs d'une réforme à points. Toutefois, nous ne sommes pas satisfaits de la situation actuelle.
Depuis les réformes conduites en 2003 et en 2010, la situation des fonctionnaires a connu des dégradations qui n'ont pas depuis lors été traitées ni n'ont fait l'objet de discussions au sein de la fonction publique. Nous n'avons ainsi jamais évoqué de nouveau les questions de la pénibilité, des poly-pensionnés et des avantages familiaux perdus suite à la réforme de 2010.
Nous sommes donc demandeurs de solutions à ces problèmes et de droits nouveaux.
Stéphane Béchaux . - L'opinion publique a le sentiment que les fonctionnaires bénéficient d'un système de retraites plus favorable que les salariés.
Bernadette Groison . - Les études conduites sur ce sujet, dont les travaux du Haut-commissariat aux retraites et du Cor, ont montré qu'à qualification égale, les niveaux de retraite sont identiques et qu'un alignement entre le public et le privé a eu lieu, ne serait-ce qu'au sujet de l'âge de départ à la retraite ou du taux de remplacement. De même, les écarts de pensions entre hommes et femmes varient de 15 % à 20 %, comme dans le secteur privé.
Ce ressenti n'est donc pas fondé et participe d'un « fonctionnaire bashing ».
Stéphane Béchaux . - La convergence des régimes a donc déjà eu lieu et nous pouvions nous satisfaire du système actuel.
Bernadette Groison . - Effectivement. Notre crainte concerne à présent la volonté d'égalité. L'égalité ne signifie pas que nous soyons tous pareils. En tant qu'enseignante, je sais que je ne peux pas enseigner de la même façon à tous les élèves pour leur faire acquérir le même niveau. Le système actuel permet de respecter les déroulements de carrière et de répondre à des niveaux de qualification.
Si nous perdons le calcul effectué sur les six derniers mois dans la fonction publique, les fonctionnaires subiront une dégradation de situation par rapport au secteur privé. Ce problème concerne tout particulièrement les enseignants, car leur régime indemnitaire est différent et comporte peu de primes.
Dans la fonction publique, elles représentent 22 % du salaire mais pour certains fonctionnaires seulement. Elles sont assez conséquentes dans la fonction publique territoriale mais moins dans la fonction publique de l'Etat et même inexistantes dans certains ministères. Pour les 800 000 à 1 million d'enseignants fonctionnaires, il n'en existe pas. Le système unique engendrera donc une baisse du montant des pensions pour 20 % des salariés du pays.
Stéphane Béchaux . - Quelle mesure aimeriez-vous voir adopter ?
Bernadette Groison . - Nous souhaitons que la réforme des retraites soit l'occasion d'améliorer le niveau de vie des pensions et pas seulement de créer de nouvelles mécaniques techniques.
De plus, la réforme nécessite de traiter les sujets des recettes, de l'âge, des conditions de travail, de la pénibilité et des politiques salariales.
En second lieu, la réforme doit permettre l'obtention de droits nouveaux.
Or, il est nécessaire aujourd'hui d'élever le niveau de qualification dans la fonction publique et dans le secteur privé, ce qui suppose que les jeunes suivent des études plus importantes. Nous considérons qu'en tant qu'étudiants, ils participent déjà à la création de la richesse du pays. Il est nécessaire de discuter de la prise en compte des années d'étude et d'apprentissage.
De même, se pose la question de l'intégration de la loi des aidants votée ici même en 2015, qui dispose que des actifs puissent quitter le travail pour accompagner un parent ou un enfant.
Stéphane Béchaux . - Avez-vous compris comment, durant la période de transition, sera gelée la situation actuelle pour des fonctionnaires en milieu de carrière dont la retraite est calculée sur les six derniers mois ?
Bernadette Groison . - Nous attendons sur ce sujet épineux et encore confus à nos yeux la présentation des cas-types sur lequel le commissariat des retraites nous a indiqué travailler. Nous travaillons également sur ce sujet de notre côté mais ne disposons pas de tous les paramètres et ne pouvons pas réellement effectuer d'avancées.
La FSU a également demandé que des discussions s'ouvrent très vite au sein de la fonction publique elle-même. Il avait d'ailleurs été question que Jean-Paul Delevoye ouvre rapidement celles-ci mais le calendrier a visiblement été bousculé.
Nous avons en tout cas besoin d'en savoir beaucoup plus et nous ne devrions pas tarder à avoir des discussions plus spécifiques sur ce secteur de la fonction publique visiblement à part. Nous plaidons pour que le Gouvernement clarifie la situation et souhaitons conserver un système solidaire et par répartition.
Stéphane Béchaux . - Le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 63 puis à 64 ans est-il imaginable pour vous dans la fonction publique ?
Bernadette Groison . - A mon sens, il n'est pas imaginable ni dans la fonction publique ni dans le secteur privé. Actuellement, aucun actif n'est empêché de travailler aussi tard s'il le souhaite.
Nous n'avons jamais traité dans la fonction publique la question de la pénibilité. Or les jeunes, bien qu'ils entrent en moyenne plus tard dans la vie active, ont à ce moment-là des années d'étude derrière eux, dans des conditions parfois difficiles : aujourd'hui, un jeune sur deux est obligé de travailler pour financer ces études, ce qui engendre une accumulation de fatigue.
En outre, envisager que certains enseignants travaillent à l'école maternelle à l'âge de 62 ou 65 ans, ce qui peut arriver en raison de l'absence de mobilités professionnelles et de la suppression de la cessation progressive d'activité, impliquerait une détérioration de la qualité du service qu'ils rendent. De fait, malgré le système de décote, les enseignants partent en moyenne à la retraite à 61 ans, sans avoir obtenu leur taux plein de retraite, en raison de la pénibilité du métier.
L'âge de la retraite ne constitue pas uniquement un calcul mathématique : il consiste également à prendre en compte les conditions d'exercice des métiers.
Stéphane Béchaux . - Une réforme des retraites mal taillée est-elle de nature à pousser les fonctionnaires à manifester ?
Bernadette Groison . - La conjoncture sociale ne nous permet de jurer de rien. Il y a deux jours, les enseignants ont manifesté contre la loi Blanquer. Une telle éventualité est possible, car les fonctionnaires sont très attachés à leur vie professionnelle et au respect des conditions de son exercice. Cette réforme pourrait leur donner le sentiment de n'être pas respectés.
Frédéric Sève,
secrétaire national de la
CFDT
Stéphane Béchaux . - La CFDT était-elle demandeuse d'une nouvelle réforme des retraites ?
Frédéric Sève . - Nous étions effectivement demandeurs de la construction d'un système universel, mais pour universaliser la solidarité entre les actifs et les retraités, de sorte qu'en défendant mon système de retraite je défende celui de tous. C'était le sens du projet porté en 1945 et de l'Arrco, qui s'est constituée par une intégration progressive de toutes les retraites complémentaires avant de fusionner avec l'Agirc.
Il est inquiétant de constater que pour beaucoup le système des retraites est injuste. En effet, un système par répartition signifie que la compensation pour la cotisation ne sera obtenue que par le biais d'un autre cotisant, qui n'est pas nécessairement né. Il repose donc sur un pacte social qui suppose une confiance très forte entre les générations. Ce système n'est pas menacé pour des raisons financières mais pour des raisons de confiance.
Du point de vue structurel, la réforme proposée aujourd'hui constitue plutôt un aboutissement qu'une rupture. En revanche, elle s'inscrit dans un moment très particulier en termes de perte de confiance.
Stéphane Béchaux . - Qu'attendez-vous de cette réforme ?
Frédéric Sève . - Nous souhaitons que les principes de justice soient plus prégnants, ce qui suppose un coeur contributif, le maintien des droits existants et de l'équité.
Mon attention porte tout particulièrement sur les pensions les moins élevées. Les personnes ayant effectué une carrière complète doivent obtenir une retraite décente. Nous renouvelons une demande datant de 2003, pour que le minima de pension soit porté à 100 % du Smic.
En outre, et je reprends ici les remarques de Madame la sénatrice des Landes, il est nécessaire de personnaliser la retraite, pour prendre en compte les particularités des métiers, et notamment les actifs exerçant un métier pénible, ayant commencé le travail tôt ou étant très exposés au chômage en fin de carrière. La pénibilité doit être étendue en droit à tous, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il est également nécessaire que la prévention de la pénibilité soit de bonne qualité.
Il est également important de redonner une marge de choix aux cotisants, notamment en facilitant leur accès à la retraite progressive.
Stéphane Béchaux . - Cette marge de choix peut-elle induire une suppression de l'âge légal à la retraite à vos yeux ?
Frédéric Sève . - Cette suppression est imaginable. Cependant, l'âge légal permet d'éviter que les actifs trop en souffrance au travail liquident leur pension trop tôt et n'aient une retraite trop basse.
Il n'est pas nécessaire de modifier cet âge légal, qui est une norme de protection et non de régulation du système.
Nous avons également insisté pour que cette réforme soit systémique et non paramétrique et qu'elle ne s'accompagne pas de mesures d'âge, ce que nous avons obtenu le 10 octobre dernier.
Il ne peut pas y avoir deux lois retraite dont l'une, paramétrique, détricoterait ce que la première, systémique, aurait instauré. Cette condition est pour nous impérative.
Enfin, le type de gouvernance à venir doit avoir pour objectif de sécuriser les droits et de s'assurer qu'ils ne seront pas manipulés pour une autre raison que l'équilibre du système - fût-ce pour une bonne cause comme la dépendance. Pour cette raison, il faut inventer une forme de partage de pouvoir et éviter une forme de gouvernance exclusive.
Stéphane Béchaux . - Existe-t-il pour vous des mesures inacceptables dans cette réforme ?
Frédéric Sève . - J'ai cité le sujet de l'âge. En outre, la réforme systémique ne doit pas servir à baisser les dépenses publiques mais à effectuer du mieux-disant social, à ouvrir de meilleurs droits et à garantir la justice et la sécurité du système. Le haut-commissaire a d'ailleurs répondu à nos attentes sur ce point le 10 octobre.
Stéphane Béchaux . - Vous avez cité à deux reprises les engagements pris par Jean-Paul Delevoye le 10 octobre. Vous ont-ils rassuré ?
Frédéric Sève . - Les événements des derniers jours ne nous ont pas rassurés. En revanche, le mode de discussion et de négociation avec le haut-commissaire était d'excellente qualité et propre à engendrer de la confiance. Il serait dommage que des manoeuvres autres détériorent cette confiance à un mois ou un mois et demi de la fin des discussions.
Stéphane Béchaux . - Comment la CFDT s'inscrira-t-elle dans la suite des débats ?
Frédéric Sève . - Nous souhaitons qu'on affirme clairement qu'il n'y aura pas deux lois retraites. Nous continuerons également à porter le projet de retraite que nous avons porté bien en amont de cette réforme.
Alain
Griset,
président de l'U2P
Stéphane Béchaux . - Vous représentez à la fois les artisans et les professions libérales. L'U2P était-elle demandeuse d'une réforme ?
Alain Griset . - Nous n'en étions pas demandeurs mais nous n'y sommes pas opposés. En effet, pour les 2,8 millions d'actifs que nous représentons, le système est peu clair et source d'inquiétudes.
Stéphane Béchaux . - Quelles sont vos attentes en matière d'évolution des retraites ?
Alain Griset . - En tant qu'organisation patronale, nous représentons un nombre de métiers extrêmement important et des situations très diverses vis-à-vis de la retraite.
Stéphane Béchaux . - Le régime unique est-il alors une utopie ?
Alain Griset . - Un régime unique n'équivaut pas nécessairement à une négation des spécificités, comme l'a précisé le haut-commissaire le 10 octobre.
Actuellement, il existe pour la partie artisanale une caisse globale et pour les professionnels libéraux une caisse par métier, avec des montants de cotisation de base très différents en fonction des métiers.
Les artisans perçoivent pour la majorité d'entre eux une retraite d'environ 1 550 euros. Les collègues issus des professions libérales perçoivent des sommes sensiblement plus élevées. Ces derniers sont très attachés au principe de la cotisation de base ainsi qu'à leur régime complémentaire. Pour eux, le passage de un à trois plafonds est inquiétant et difficilement acceptable.
Stéphane Béchaux . - Qu'attendez-vous de cette réforme ?
Alain Griset . - La succession des réformes de la retraite pénalise notre pays. Nous souhaitons une réforme qui donne une perspective d'avenir, en particulier aux plus jeunes, et génère de la confiance. Le système doit donc être transparent et sécurisant.
Stéphane Béchaux . - Une augmentation des charges des entreprises est-elle envisageable ?
Alain Griset . - Je préfère le terme de cotisation à celui de charge.
Actuellement, nous constatons des évolutions considérables dans le monde du travail, comme l'intelligence artificielle et les économies collaboratives. Nous ne sommes donc pas assurés que prendre comme base uniquement le travail soit pertinent pour couvrir les prestations sociales, dans leur ensemble, sur le long terme.
La cotisation est-elle donc la seule ressource ? Ce débat doit être ouvert. De fait, une augmentation des cotisations patronales est impensable, étant donné les revenus de nombre de nos collègues.
Stéphane Béchaux . - Comment alors élargir l'assiette de cotisation ? Envisagez-vous une taxe sur les robots ?
Alain Griset . - Ce sujet est très complexe. Nous n'en sommes pas moins prêts à travailler sur les questions des taxes sur les robots ou sur l'exportation. Nous tâchons de rester concrets vis-à-vis des évolutions futures du monde du travail, qui génèreront des impasses budgétaires pour le système.
Stéphane Béchaux . - L'allongement de la durée de vie active est-elle envisageable pour vous ?
Alain Griset . - Nous comprenons la légitimité d'un âge légal de départ à 62 ans, pour éviter des départs précoces et des retraites minimales trop chiches. Nous nous prononçons plus volontiers sur un système de bonus pour les salariés travaillant plus longtemps, plutôt que de sanctions. Dans de nombreux secteurs d'activité, nos collègues cessent le travail après 62 ans.
L'U2P représente également de nombreux poly-pensionnés. Nous souhaiterions que le cumul emploi-retraite ouvre de nouveaux droits.
Nous sommes également pour la prise en compte des carrières longues dans le calcul de l'âge de départ, étant donné que nombre de nos collègues ont commencé à travailler avant quinze ou seize ans.
Stéphane Béchaux . - Qu'avez-vous retenu de cette concertation et comment l'U2P entend-elle se positionner dans la suite des débats ?
Alain Griset . - L'U2P cherche à conserver une position constructive en permanence. Nous avons pendant plus d'un an abordé des sujets complexes dans un contexte de confiance et nous espérons que la simplification engendrera de la confiance. Je remercie le haut-commissaire et ses collaborateurs pour leur écoute et leur patience et pour l'atmosphère qu'ils ont su créer.
Stéphane Béchaux . - Les soubresauts des jours derniers et l'intrusion du politique vous inquiètent-ils ?
Alain Griset . - Si le haut-commissaire parvient à faire valoir son point de vue, nous serons satisfaits de la situation. Toutefois, nous avons conscience que l'arbitrage final décidera de notre positionnement. Si les cotisations sont augmentées et les droits minorés, nous nous élèverons contre ce projet, d'autant que nous aurons alors travaillé un an et demi en vain.